Classil- > 1Z Book L m Q.sJ CONFÉRENCE DE LA FABLE AVEC L'HISTOIRE SAINTE. / L'avenir , faisant son étude De cette vaste multitude D'incroyables événemens , Dans leurs vérités authentiques, Des fables les plus fantasliques Retrouvera les fondemens. Rousseau. CONFÉRENCE DE LA FABLE AVEC L'HISTOIRE SAINTE, où l'on voit QUE LES GRANDES FABLES , LE CULTE ET LES MYSTÈRES DU PAGANISME NE SONT QUE DES COPIES ALTÉRÉES DES HISTOIRES , DES USAGES ET DES TRADITIONS DES HÉBREUX. PAR DELORT DE LAVAUR. SECONDE ÉDITION. AVIGNON, SEGUIN AINE, IMPRIMEUR- LIBRAIRE -ÉDITEUR, rue Bouquerie , n° 8. 1835. SO.) , M. Huet (3) , et le P. Thomassin (4) , ont tra- vaillé , après Eusèbe , aux remarques de quelques rap- ports séparés et de quelques traits de ressemblance entre les personnages du Vieux Testament , et les dieux ou demi-dieux du Paganisme. Ces rapports ont cependant paru imparfaits et peu convaincans à des gens qui, soit par défaut d'examen , soit par prévention , ont affecté de les ravaler. Ils ont traité de faiblesse dans ces savans hommes d'avoir cru que la Fable et la Théologie idolâtre étaient l'Ecriture altérée , et que la Mythologie des Nations fut originairement tirée des Livres de Moïse. D'après cela ils ont prononcé que , puisque l'Idolâtrie et les Fables Païennes étaient avant Moïse, vouloir attri- buer leur origine aux faits merveilleux qu'il rapporte , c'était , comme nous l'avons rapporté ci-dessus , deman- der Moïse aux temps où il n'était pas encore. Pour ap- puyer ces observations critiques , ils contestent sans aucune preuve l'antiquité de Moïse ; et donnent pour certain que les Grecs ne commencèrent à bien connaître les Juifs qu'après les conquêtes d'Alexandre. C'est ce qui m'a encore plus pressé de fouiller et de pousser ces recherches , pour tâcher de découvrir , par cet essai , la ressemblance des aventures, des histoires, de la conduite et de la vie des plus célèbres Personnages de la Fable, avec ceux de nos Saintes Ecritures. J'ai espéré qu'on y trouverait plus de satisfaction , et de quoi se persuader que ces savans hommes avaient raison (1) Steuchus , vers le milieu du 16" siècle , Bibliothécaire Apos- tolique , dans sou livre de perenni Philosopliiâ. (2) Bochard , dans sa Géographie sacrée. (3) Le Père Thomassin, clans sa Méthode d'étudier les poètes. [h] Terlullirn, contre Marcion , liv. l\. ch. A et 5; et dans sou Traité des Prescriptions, ch. 29. et suivans. Discouns rr.KLnnx aire. 3i d'apercevoir et d'assurer que les Fables du Paganisme n'étaient qu'une copie altérée de la véritable Religion. On y voit de quelle importance il est de connaître comment Dieu veut que nous l'honorions , par les soins qu'il a pris de ménager et de conserver les preuves de la vérité et de la divinité de ses instructions sur ce sujet. En faisant voir les Fables et les Religions des Gentils tirées de l'Ecriture Sainte, on établit le droit d'aînesse et l'autorité de la vérité sur le mensonge, des saintes Ecritures sur les inventions des hommes , de la vraie Religion et de la vraie Divinité par-dessus les fausses, qui n'en sont qu'une imitation corrompue. On reconnaît la vérité clans ce qui paraît avoir été le premier, comme l'établissent Tertullien (1) et les autres savans venus après lui. L'unité sur ce sujet marque encore la divinité de la source; parce que , si ce qui nous paraît premier était de l'invention des hommes , ceux qui les ont suivis au- raient pu , comme ces premiers , inventer des choses toutes diverses. Ils n'auraient pas été réduits à recourir à ce fonds unique de toute vérité , et à ne pouvoir dans leurs inventions travailler qu'à l'orner, le copier et le défigurer. Ce fonds a toujours été leur première matière et leur modèle. Les fictions , pour pouvoir être imaginées et reçues, devaient nécessairement, suivant le raisonnement solide de M. Pascal (2) , trouver l'esprit de l'homme disposé , plié et tourné par la force invincible de la vérité, du même côté que les fictions ont été tournées. L'autorité des Ecritures divines se confirme aussi, par le même moyen , contre les hérétiques et contre les mauvais critiques ; car les Livres de Moïse , de Job et de Josué , par exemple , se trouvant avec leurs principales circonstances dans les Fables les plus anciennes , la vérité de ces livres avec ces circonstances , est établie contre les chicanes de ces critiques et de ces hérétiques. Lue autre utilité de ces recherches est de sanctifier nos lectures assez ordinaires (qui sont des fables ou des ouvrages qui y ont rapport , ) et d'apprendre à lire ces sortes de livres sans danger, et même avec édification, puisqu'on peut s'y remplir des vérités , ou de la Pieli- gion , ou de la morale , par le rapport qu'on y découvre avec ces vérités , plutôt que de contes païens , ridicules et dangereux. C'est le moyen de ne pas se rendre l'es- prit païen, comme Tertullien et saint Clémeut d'Alexan- (2) Tertullien , contre Marcion , liv. [\. en. h et 5 ; et dans son Traité des Prescriptions, ch. 29. et suivans. (2) Chap. 27. de ses Pensées. 32 CONFERENCE DE LA. FABLE , etc. drie le craignaient , mais au contraire plus chrétien , en considérant dans ces lectures le Dieu véritable au lieu des démons , la vérité au lieu de l'erreur, et des règles divines au lieu de maximes corrompues. On apprend encore par-là à prouver la vraie Religion, par ce qui se trouve dans les fausses , en remontant à la source, et faisant voir qu'elles n'en sont que des copies défigurées. Ainsi saint Paul dans l'Aréopage prit occa- sion de l'Autel qui était dédié au Dieu inconnu (i), pour prouver aux Athéniens la Religion chrétienne. Cette connaissance justifie la conduite de Dieu à l'égard des Gentils , et fait voir qu'ils sont sans excuse; parce que Dieu ne les a point laissés sans lumière pour connaître la vérité, ( comme Julien le lui reprochait. ) Mais ils ont abandonné ou corrompu ces connaissances , pour suivre , ou la foule du peuple (2) , à laquelle ils n'ont pas eu le zèle de s'opposer, ou leurs passions déré- glées, iîs ont substitué des fables , qu'ils connaissaient fables , et dont ils ont abusé le peuple , à la place de la vérité qui se présentait à leur esprit ; ils détenaient , comme dit saint Paul (3) , la vérité de Dieu dans la cap- tivité de l'injustice et du mensonge. « Ce qui les rend » inexcusables ; et ( suivant le même Apôtre) parce » qu'ils ont rejeté la vérité que Dieu leur présentait pour » les sauver , il les a laissés se repaître des ouvrages de » l'erreur , et les a abandonnés au mensonge qu'ils ont » préféré. (4) » On rend encore par cette voie à l'Esprit divin , qui a dicté les Saintes Ecritures , l'honneur qui lui est dû , et on le ravit aux grands génies du paganisme , qui l'avaient usurpé dans tout ce qu'il y a de plus important et de plus remarquable dans leurs fameux ouvrages , parce que ce ne sont que des vols qu'ils ont faits , et leurs Chefs (5) plus que les autres , dans nos saints Livres. Ils les ont altérés pour se faire les auteurs des choses dont ils n'étaient que des copistes infidèles , n'ayant trouvé ni dans leur fonds , ni partout ailleurs , rien de beau que dans ce fonds divin , auquel ils devaient ce qui les a fait admirer. C'est là que se trouve cette vérité , dont la conformité , (1) Ignoto Deo , quod ergo ignorantes colitis , hoc ego annuntio vobis. Au ch. 17. des Actes des Apôtres. (2) Socrate , Platon , Xénophon et. Cicéron ont dit que la Reli- gion des Philosophes n'était pas celle du peuple , mais qu'il fallait suivre celle du peuple , quoiqu'on en connût la fausseté. (0) Au 1. chap. de PEpître aux Romains. [L\) Eu quôd charilatem virtutis non receperunt ut salei fièrent. Ideo millet Mis Deus operationem erroris , ut credant mendacio. 1. Thess. C. 2. v. 10. (5) Homère , Pythagorc , Platon. DISCOURS PRELIMINAIRE. 33 ou l'imitation peut seule donner du prix aux ouvra- ges de l'esprit ; c'est par les idées prises de cet Ori- ginal universel de toutes les belles productions , qu'on peut justifier sûrement et régler exactement ce senti- ment confus , qui nous fait trouver que rien n'est beau ni grand que ce qui est vrai. Les Philosophes , les Ora- teurs , surtout les Orateurs Chrétiens et les Poètes même peuvent compter de donner de la beauté et de la gran- deur à leurs ouvrages à proportion du rapport qu'ils leur donnent avec ce modèle, et cette pierre de touche de toute vérité , comme saint Clément d'Alexandrie l'ap- pelle. (0 Ces recherches et ces découvertes pourront paraître étrangers, mais elles ne sont ni nouvelles ni absurdes. J'ai cherché et examiné avec attention ce que je pro- pose ; j'ai tâché de ne pas m'y laisser sur prendre légè- rement; je ne me suis arrêté qu'aux rapports de ressem- blance qui m'ont paru sensibles dans la conférence des copies avec les originaux , et qui m'ont enfin forcé de me rendre. Je ne sais si l'on trouvera que j'aie partout bien rencontré. J'espère que si quelques traits particu- liers et détachés ne paraissent pas très-concluans , on sera néanmoins frappé des rapports qu'ils ont entre eux et de l'ensemble qui en résulte. Quelque autre pourra les rectifier ou y ajouter. Je regarderais comme un fruit précieux de mes recherches le soin qu'on se donnerait de les redresser ou de les étendre. I. DES ORACLES: (Quoique tout ce plan subsiste indépendamment des Oracles et des Sibylles , il ne paraît pas étranger et hors de propos de les y faire entrer , et d'en justifier la vérité contre les conjectures hasardées dont on tâcherait de l'obscurcir. Quand on ne serait pas instruit par la lecture des anciens Auteurs ecclésiastiques et profanes les plus re- commandables , qu'autrefois les Démons rendaient des Oracles par les Prêtres des Idoles , pour se faire révérer comme des Dieux ; ce que le P. Baltus en a écrit (2) de nos jours pour répondre aux doutes qui pouvaient rester sur ce fait , ne laisse plus aucun prétexte de le combattre. Il y a de quoi se convaincre que ces Oracles ne pouvaient être l'effet du seul artifice des hommes , de la seule su- (1) Inslar lapidis indïcis. Au premier livre clos Slromatcs. (2) Dans ses Réponses , imprimées en 1707 et 1703. 2* 34 CONFÉRENCE DE LA. FAELE , etc. percherie des Prêtres , sans le ministère des Démons. Si quelque fait historique mérite qu'on y ajoute foi, c'est ce fait aussi éclatant , connu de tout le monde , attesté dans tous les âges et chez toutes les nations , par les x\u- teurs de toutes les professions , les plus éclairés , les plus judicieux , les moins suspects. Les Philosophes , les Princes , les P»épubliques , les Sénats , les plus sages des hommes , les plus intéressés à n'y être pas trompés , qui ont consulté ces Oracles et les ont pris pour guides dans leurs affaires et leurs en- treprises les plus importantes , donnent à cette vérité un caractère d'évidence. On ne peut lire d'Historiens Grecs et Latins , ni d'an- tres Ecrivains de toute espèce et de tous les Pays , où l'on ne trouve les Oracles révérés , les gens les plus considérables qui allaient de toutes par^s les consulte- sur l'avenir et autres choses cachées, sur leur fortune , sur la santé et sur la vie des hommes , avec des répon- ses de ces Oracles. Ce n'étaient donc pas les simples et les idiots qui étaient seuls admis à les consulter. Platon (1) , après avoir établi que les lois ne devaient pas être changées sans une nécessité pressante, veut que , si cette nécessité paraît , on consulte les Magis- trats , l'assemblée de tout le Peuple , et qu'on interroge tous les Oracles des Dieux ; ce qui prouve qu'il comp- tait et qu'il suppose que tout le monde comptait avec lui que les Oracles n'étaient pas de pures supercheries. Plu- tarque , clans son Traité de la cause de la cessation des Oracles , suppose et établit qu'il y en avait de vrais , qui ne consistaient pas dans les artifices des Prêtres. Bien loin qu'on ne commît pour rendre les Oracles que des personnes capables de tromper adroitement, on choisissait dans les commencemens déjeunes fdles , les plus simples et. les moins instruites , pour Prêtresses de Delphes , jusques à ce qu'une ayant été enlevée , on résolut de ne plus choisir pour ces emplois que de vieilles (2) ; et ce qui fait voir quelle bonne foi l'on pre- nait soin d'y faire observer , le Sénat des Amphictyons , dont l'intégrité fut d'une réputation si reconnue , composé de sept hommes les plus sages , dans toute l'Attique, fut chargé du soin du Temple et de l'Oracle de Delphes , estimé le plus certain de tous , afin que tout s'y passât avecexactitudeetavec religion , au rapport de Strabon. (5) On voit dans Denys d'Ilalicarnasse , comme dans les autres Historiens Paomains et Grecs , pour quelles gran- it) Si qua'ncccssitas urgera videbitur , etc. omnia Deorum pelant ur Ofacula. Au 0. Liv. clo ses Lois. (S) Au rapport de Dioclore de Sicile, liv. 17. n. 12. (3) Liv. 9. de sa Géographie, r. Des Oracles. 35 dos affaires et par quelles gens ces oracles étaient consultés. Dieu, après avoir fait prédire la venue de Jésus-Christ par le Prophète Zacharic , (1) dit : Dans ce temps-là » j'éteindrai dans le monde la réputation des Idoles , » et il n'en sera plus fait mention ; je chasserai de la » terre les faux Prophètes , et l'esprit immonde qui les » inspire ; et si quelqu'un après cela se mêle de prophé- » tiser , il ne passera que pour un imposteur qui veut » ahuser du nom du Seigneur, et il sera puni comme » tel. »> Ce fut suivant cette prédiction , que les Oracles cessè- rent. Plutarque en a recherché vainement les causes, faute de connaître celle qui était la seule vraie. Tertullien (2) , mieux instruit, fait voir aux Gentils com- ment les Démons étaient soumis aux Chrétiens ; qu'ils étaient forcés de se taire en leur présence , et de recon- naître leur pouvoir au nom et par la vertu de la Divinité de Jésus-Christ. Celte affirmation d'un fait actuel, et dont Tertullien soutient et offre l'épreuve authentique aux Gentils , sous peine de sa vie , prouve sûrement que les Oracles étaient muets en présence des Chrétiens , non parce que les Chrétiens étaient éclairés pour décou- vrir leurs artifices, (comme s'ils avaient été les seuls éclairés , ) mais parce que les Démons perdaient toute leur force devant les Chrétiens , qui , par la vertu de Jésus- Christ, les obligeaient de se taire, les chassaient même des hommes par lesquels ils prononçaient auparavant leurs Oracles, et leur faisaient confesser leur propre faiblesse et la Divinité de Jésus-Christ. Ce qu'on dit contre les Oracles n'est que ce qu'on a dit contre les faux miracles : qu'il ne convient qu'à Dieu de connaître l'avenir et de le prédire , et qu'il se serait prèle aux Démons pour leur aider à séduire les hom- mes ; ainsi la réponse de M. Pascal aux mauvaises con- séquences qu'on voudrait tirer des faux miracles et des fausses révélations , sert contre les mêmes conséquen- ces qu'on voudrait tirer des Oracles. Dieu a permis aux Démons d'imiter ses Prophètes , comme il permit aux Magicieus de Pharaon d'imiter les miracles de Moïse ; et comme enfin il fit voir la faiblesse de ces singes de Moïse, il a marqué dans les Oracles les erreurs et la faiblesse de ces singes de ses Prophètes. (1) Au ch. 13. de ce Prophète. (2) Eclatur hic aliquis , dit-il, sub tribunalibus veslris, quem Dœmonc agi conslet. Jussits à quolibet C/trisliano loqui , spiritus Me, tain se dœmoncm confitebitur de vero , quant alibi Deum de falso ; nisi se dœ- mones confessi fuerint , Christ iano mentir i non audenies , ibidem Chris- tiani illius orocacissimi sanguinem fundite. Tcrtull. Apologct. n. 23. % CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC. Dieu permettait aux Démons de donner des réponses par la bouche de ceux dont ils se rendaient les maîtres , pour punir la préférence que ces idolâtres donnaient aux Démons sur le vrai Dieu, et à leurs passions sur la rai- son , en les livrant à leurs mauvais désirs , à toute l'igno- minie de ces mêmes passions , à l'idolâtrie et à un sens réprouvé, (i) Mais Dieu donnait dans ces Oracles mômes assez de lumières pour ne s'y laisser pas séduire , et pour faire connaître qu'ils étaient rendus par des Esprits bornés et subalternes , lesquels ne connaissaient pas les causes éternelles et premières des événemens qui ne résident que dans la Sagesse divine ; ils n'avaient au- dessus des hommes qu'un peu plus de pénétration et de subtilité pour des conjectures , et plus d'agilité pour se transporter en des lieux éloignés ; mais il se trompaient souvent dans leurs réponses , et assez pour en désabu- ser ceux qui n'auraient pas voulu s'obstiner dans leur aveuglement. (2) Dieu forçait même ces mauvais Esprits ( et c'était comme un tribut qu'il en exigeait ) de faire , par la bou- che de leurs Prêtres, des aveux de leur faiblesse , et des prédictions en sa faveur qui surpassaient leur capacité aussi bien que celle des hommes. Jésus-Christ ( suivant la remarque de saint Augustin ) (5) se laissait connaître aux Démons autant qu'il le voulait et qu'il jugeait à pro- pos , comme quand il permit au faux Prophète Balaam (4) ou qu'il le força de bénir les Israélites et de prédire la venue du Messie , et quand les Démons , en pré- sence de Jésus-Christ , confessaient sa Divinité (5) ; ce que la Pythonisse devineresse fit aussi en présence de saint Paul. (6) Les Démons pouvaient donner des remèdes pour guérir quelques maladies , par la connaissance de la vertu des plantes , par celle des tempéramens, en apai- sant des mouvemens et des dérangemens qu'ils avaient eux-mêmes excités, et en ôtant des maux qu'ils avaient procurés : mais ils étaient ignorans et impuissans contre d'autres maladies ; leurs guérisons étaient incertaines (1) Suivant S. Paul , au 1. chnp. de l'Epître aux Romains. (2) Dcvmones non œternas tcmporum causas, et quodammodo cardinales in Dei sapientià contemplantur , sed quorumdam signorum nobis occul- 1 or uni majore experieniia , niulto pïura quant hommes fulura prospi- ciunt : dispositiones quoque suas aliquando pronuntiant. Unde sape faltuntur. D. August. de Civitate Dei, lib. 5. c. 22. (3) Jésus dœmonibus innoluit quantum voluit , tant uni a ut cm voluiî quantum oportuit ; ut c uni ci dixerunt , Quid nobis est et tibi , Jesu Nazarene. Eod. lib. 9. do Civil. Boi , c. 21. (h) Au chap. 23 et 2t\ des Nombres. (5) En S. Marc , ch. 1. v. 23 , 24 et 25. et en S. Luc. ch. Û. (6) Au 16. ch. des Actes des Apôtres , v. 10. i. Des Oracles. 87 et très-rares , et ils ne ressuscitaient point de morts. (1) Ils pouvaient savoir et publier ce qui se passait au loin. On ne peut démentir les Historiens sur des faits de celte espèce , qui paraissent merveilleux , et qui étaient au-dessus du pouvoir des hommes. L'agilité des Esprits est surprenante, mais incontestable ; ils savent ce qui se passe dans des lieux éloignés ; ils volent avec plus de vitesse que les oiseaux. (2) Le quatrième jour après la défaite de Persée , Roi de Macédoine , la nouvelle en fut publiée à Rome , où l'on n'aurait pu la porter en si peu de temps. La bataille gagnée en Italie par 15 mille Locriens contre 120 mille Crotoniates fut sue le même jour dans le Péloponèse. Une autre contre les Mèdes, dans l'Asie , fut répandue le même jour dans la Grèce ; et la défaite des Tarquins près du Lac Régille dans la Cam- pagne de Rome , fut presque dans l'instant portée et publiée à Rome par deux jennes hommes qu'on crut être Castor et Pollux. Ces faits sont rapportés par Plu- tarque (5) , par "Valère-Maxime {h), parDenys d'Halicar-- nasse (5) , et par Justin (6) , sans compter de pareils faits rapportés par Hérodote. (7) C'est ce qu'il faut nécessai- rement , avec Tertullien et les autres , attribuer aux Démons; mais ces faits étaient rares , (parce que Dieu relient le pouvoir de ces Esprits , ) et dans toutes les Histoires on en trouve peu d'exemples. Quand la guérison prétendue miraculeuse d'un aveu- gle par Vespasien dans la ville d'Alexandrie serait vraie, comme Tacite et Suétone en la vie de cet Empereur le rapportent , elle ne devrait pas surprendre. Comme ce n'était pas un aveugle-né , que son œil était sain et dans sa vigueur , ( suivant l'attestation de ces mêmes Histo- riens , ) et qu'il n'était qu'obscurci par une petite peau qui était au-devant de la prunelle, il serait vraisem- blable que le Démon l'y aurait élevée et soutenue jus- ques-là , et qu'il l'abattit par une opération qu'on sait être très-aisée, au moment que Vespasien y mit delà salive , pour le flatter de ce prétendu miracle. Celte vrai- semblance est appuyée sur ce que ces mêmes Historiens nous apprennent , que ce fut par l'inspiration et sur les (1) « Les démons peuvent chasser les dénions, ou ôter des maux » qu'ils ont envoyés eux-mêmes , mais ils ne ressuscitent point de « morts. » S. Irenée . dans son traité des Hérésies , liv. 1. ch. 5G. (2) Omn is spiritus aies , dit Tertullien , dans son Apologétique , n. 22. (:>) Plutarque , en la vie de Paul-Emile. ('i) Valère-Maxime , dans son 1. liv. chap. de miraculis. (5) Denys d'Halicar. Liv. 6. des Antiquités Romaines. (6) Hanc admirât ionem auxit incredibilis famœ velocitas ; namea* dem die qua in ltalia pugnatum est , et Corintlio , et Lacedœmone , et Athenis , nuntiala est Victoria. Justin , liv. 20. de son Histoire. (7) Hérodote , liv. 1. 38 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. instances du Démon , sous le nom de Sérapis , que cet aveugle s'adressa à Vespasien. (1). C'était aussi le sentiment de saint Justin, au rapport de Tatien son disciple , que les Démons estropiaient des hommes, puis leur apparaissaient en songe, et leur ordonnaient de venir à eux en public. Alors ils dissi- paient le mal , et remettaient ce qu'ils avaient dérangé. Minutius Félix , dans son Octavius , et saint Cyprien (a) parlent de môme. Les Démons guérissent en cessant de faire le mal. Ils rendaient aussi des oracles , dont la barbarie , la bassesse , l'impudence , l'injustice et les brutalités mar- quaient qu'ils en étaient les seuls auteurs ; ce qui a été reconnu par les Païens mêmes. (">) Dieu , dit saint Au- gustin , a donné dans certains temps le pouvoir aux Démons d'exercer en tyrans leurs rages contre les hommes , par le moyen d'autres hommes qui leur ser- vaient d'instrumens , non -seulement en recevant des sacrifices de ceux qui les leur offraient, et en les deman- dant à d'autres , mais en y forçant même par la violence ceux qui ne voulaient pas y consentir. (4) Comme ces esprits , quoique très-subtils et très-péné- trans , sont bornés , ils ne voient pas les pensées secrètes des hommes , et ne connaissent ni les premières causes des événemens , ni l'avenir. Ils se trompaient souvent sur tout cela ; ils donnaient des réponses fausses , ou obscures et ambiguës , pour cacher leur ignorance , et poussaient dans leur ruine ceux à qui ils promettaient les plus heureux succès ; quelquefois même ils ne pou- vaient donner aucune réponse. On convient que les Prê- tres , pour y suppléer et pour conserver leur crédit, for- geaient enx-mêmes avec tout l'art dont ils étaient ca- pables, des réponses qui dans leur obscurité et dans leur incertitude , ne voulaient rien dire, ou se trouvaient fausses , et qui favorisaient ordinairement les plus puis- sans , ou ceux qui venaient les consulter ; ce qui avait (1) Quiclem oculorum tabe notus , genua ejus advolvitur , remedium cœcitatis exposcens , monitti Sarapis Dei , quem dedita superstitionibiis gens ante alios colit , precabaturque Principem ut gênas et oculorum orbes dignarctur rcspergcre oris excrément o , liulc non exesam vim tu- minis et redit uram, si pellcrentur obslantia medici disserere. Suétone, ch. 7. de la Vie de Vespasien. (2) Hœc est de Mis medela , cùm corum cessât injuria , dit S. Cyprien, de idolorum vanitate. (3) Plutarque , dans son Traité des Oracles qui ont cessé. (1) Modérât is prcefinitisquc tcmporibus , etiam potestas conccssadœ- monibus , ut hominibus quos passent cxcitatis , inimicitias adversus Dei civitatemtyrannicè cxerceant, sibique sacrifie la non solàm ab offerentibus sumant , et à no lent i bus expetant , verum etiam ab invitis persequendo violenter extorqucant. S. August. De Civil. Dei , liv. 10. c. 21. i. Des Oracles. 3g Fait (lire que Y Oracle de Delphes Philippisait ; soit que le Démon même , ou qu'au défaut de l'Oracle , les Prê- tres voulussent flatter le Roi Philippe. Mais on ne peut pas mettre toutes les réponses des Oracles au même rang. Par celles-ci l'on ne voulait qu'imiter les autres que les Dénions rendaient véritablement. Ces Oracles s'étaient premièrement établis dans l'Egypte par une fausse imitation des Prophètes du Sei- gneur qui s'y étaient rendus célèbres , etils avaientpassé dans la Grèce avec les divinations et les cérémonies religieuses formées aussi , dans l'Egypte , de la corrup- tion du culte légitime, (i). Mais enfin, parla présence des Chrétiens et par le nom de Jésus-Christ, ces Démons perdaient toute leur force , devenaient muets , et étaient chassés des corps ('mit ils s'étaient emparés. Cet exemple suffisait pour convaincre que ces Oracles ne pouvaient pas tous être l'effet de l'artifice des hommes, et pour détromper du culte de ces Esprits qui en étaient les auteurs. Ces vérités , assez justifiées par toutes les autorités qu'on peut souhaiter , reconnues par les Savans moder- nes (a) après une exacte discussion , sont confirmées et rendues sensibles par des exemples récens des nou- veaux Chrétiens des Indes , qui renouvellent les mer- veilles du premier établissement du Christianisme. Nous l'apprenons par une Lettre (5) du P. Bouchet, vénérable Missionnaire des Indes , au P. Baltus. Il y rapporte que les Démons rendent encore des Oracles, non par des Statues , mais par la bouche des hommes dont ils s'em- parent , et par lesquels ils parlent : que cela s'y voit tous les jours en public, d'une manière qui ne peut être pro- curée par l'artifice des Prêtres et des hommes : que ces Oracles cessent à mesure que la Religion Chrétienne s'établit en quelques lieux , et qu'ils se taisent en pré- sence de quelque Chrétien , lors même que ce Chrétien n'est pas vu de celui que le Démon a saisi pour lui faire rendre l'Oracle; mais qu'il y a plusieurs de ces Oracles équivoques et faux sur l'avenir et sur d'autres choses cachées , que le Démon ne peut connaître que par des conjectures qui trompent souvent, etc. Voilà une image véritable des Oracles de l'antiquité. (1) Hérodote , liv. 2. n. 50. (2) M. Mœbius a fait un livre de la vérité des Oracles contre M. Van- dale , et le célèbre Cœlius Iihodigintis qui n'y croyait pas , en fut con- vaincu après un examen sérieux. Le savant Gérard Vossius , dans son Traité de l'Idolâtrie , est du même sentiment. (3) Imprimée dans un Recueil de Lettres édifiantes des Missions des Indes, publié en mi. 4o CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC, Le même P. Bouchet , dans une autre de ses Lettres'' à M. Huet, ancien Evoque d'Avranches , montre que les Indiens ont tiré leur Religion et leurs Histoires mêlées de Fables sur lesquelles ils la fondent , des Livres de Moïse et de nos autres Prophètes. ®®®@®®®®®®®@@®®®®®®®®®®®i:®@®®®g;g:®®®® IL DES SIBYLLES. L'Attestation universelle et uniforme des Ecrivains les plus sages et les plus sensés de l'antiquité, sans par- tage et sans contradiction , et l'assentiment des Savans de tous les siècles , sur la vérité des prédictions des Sibylles , ( ou de la Sibylle, ) ne laissent aucun prétexte de doute raisonnable sur ce point. Il est indifférent de savoir s'il n'y a eu qu'une Sibylle , ou s'il y en a eu plusieurs ; quels ont été leurs noms et leurs pays. Mais ce qui doit passer pour constant , c'est qu'il y a eu clans le Paganisme quelque Sibylle qui a fait des prédictions, et que ces prédictions recueillies, pu- bliées , conservées , ont été en grande vénération. Un de ces Recueils était gardé à Rome par des Magistrats , comme un des plus précieux trésors de la République et de l'Empire. Denys d'Halicarnasse (2) a fait l'histoire de ces Livres Sibyllins présentés et vendus au RoiTarquin, de leur garde commise aux hommes les plus considérables et les plus sages de la République , comme de ce que les Romains avaient de plus sacré. Il conte l'exactitude avec laquelle ces livres ainsi gardés étaient consultés par l'or- dre du Sénat dans les occasions les plus importantes, et qu'après qu'ils furent brûlés avec le Capitole , le Sé- nat fit rechercher et ramasser de tous côtés , et dans l'Italie et dans l'Asie , tout ce qu'on en put recueillir de diverses copies qui s'en étaient faites et conservées dans des Registres publics, ou chez des particuliers. Cet Historien convient qu'il put s'y mêler quelques supposi- tions ; il n'en rapporte, dit-il , que ce que le docte Varron en a écrit dans ses Commentaires Théologiques. Mais les prédictions justifiées par les ôvénemens , publiées même et déposées avant ces événemens dans des endroits où elles ne peuvent avoir été altérées , sont à l'abri de toute critique raisonnable. (2) Au liv. l\. des Antiquités Romaines. 2. Des Sibylles. [\i On a de tout temps été persuadé que parmi ces prédictions de la Sibylle , il y en avait sur la venue du Messie ; et, s'il pouvait s'y en être glissé quelques-unes de supposées , on ne peut contester celles qui ont été citées daus le temps que les livres des Sibylles étaient entre les mains de tout le monde , et qui n'ont pas été contredites par ceux -mêmes auxquels on les opposait alors. On ne peut non plus attaquer celles qui ont été consi- gnées dans des ouvrages des Païens antérieurs à la nais- sance de Jésus-Christ. Rien ne peut être plus exact que la manière dont saint Augustin et Lactance , entre au- tres , en ont écrit. « Les Sibylles , dit celui-ci (1) , sont célébrées par tous » nos Anciens , comme des Prophétesses que Dieu avait » envoyées aux Gentils ; mais comme il s'est trouvé de d fausses prédictions insérées sous leur nom ; parmi les » leurs , il ne faut recevoir que celles qui sont confir- » mées par le témoignage non suspect de quelque Au- » teur ancien , et nous rejetons les autres. » Saint Augustin (2) veut bien abandonner les témoi- gnages des Sibylles en faveur de Jésus - Christ et du Christianisme , qui ne seraient appuyés que sur la foi des premiers Chrétiens , comme si l'on pouvait former contre eux tous les soupçons injurieux de les avoir supposés et appuyés par faiblesse ou de mauvaise foi. » Mais les témoignages pris des ouvrages incontestables » des Païens, qui étaient, avant l'accomplissement des » prédictions , tels qu'ils sont entre les mains de tout le » monde, nous suffisent, (dit ce Docteur incompara- » ble , ) parce que les Auteurs qui en font foi , les rap- »> portent contre leurs sentimens et avec uue répugnance » manifeste , avant même qu'il y eût des Chrétiens. » La critique la plus bizarre ne peut demander plus d'exactitude qu'on en voit dans le raisonnement et les sentimens de ces grands hommes , qui ne peuvent être méprisés que par ceux dont ils ne sont pas connus. Pour se fixer sur ce point , il n'y a qu'à lire les endroits de Cicéron et de Virgile qui contiennent ces témoigna- ges. Cicéron enseigne sérieusement et avec chagrin : « Que ceux qui étaient chargés de rapporter et d'expliquer » au. Sénat les livres de la Sibylle , devaient y déclarer, » ( ce qu'on ne pouvait ni croire ni concevoir , ) Que ces » livres ordonnaient de reconnaître et d'appeler Roi , » -celui qui était le véritable Roi , si l'on voulait être (1) Dans le liv. 8. de ses Institutions Chrétiennes. (2) Au ch. m. du liv. 18. de la Cité de Dieu. ^ ** [\1 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. » sauvé. (1) Ce que Cicéron trouve ne pouvoir convenir » à aucun homme , et encore moins à son temps ; et il » est d'avis que les Pontifes suppriment et empêchent » qu'on ne lise ces livres , qui tendaient à introduire de » nouvelles Religions , et qu'ils ne souffrent pas qu'on » y propose un Roi, dont ni les Dieux ni les hommes ne » pourraient souffrir l'établissement dans Rome. » Ce qui lui fait trouver ou fausse, ou incompréhensible, cette prédiction qu'il ne peut d'ailleurs contredire. En effet , elle ne pouvait être expliquée et comprise que par la naissance miraculeuse du Sauveur, dont le temps était fixé fort près de celui où Cicéron écrivait ; en quoi nos Prophéties et celle de la Sibylle convenaient parfaitement avec l'événement. Elle ne pouvait avoir aucune autre juste application. Virgile donne aussi la torture à son esprit , et épuise vainement la licence de la Poésie , pour détourner le sens de la même ou d'une semblable prédiction de la Sibylle. « On touche , dit-il , au dernier âge auquel ces » prédictions se terminent, après lequel on verra renaî- » tre et renouveler entièrement tout l'univers ; le com- » mencement d'un âge d'or sera le fruit d'une Vierge ; » et un nouvel homme et une nouvelle race d'hommes » doivent descendre du haut des Cieux ; il effacera les » taches de notre crime , et en purgera la terre ; il aura » une vie divine ; il fera jouir les gens de bien de la » société des Dieux, et gouvernera l'Univers dans une » paix parfaite. (2) » Le Poète fait ensuite une description de ces temps heureux, dans le sens de celles qu'en font nos Prophètes , et il ajoute quelque épithète, ou quel- que mot du sien , pour en prétexter un rapport imagi- (1) Sibyllœ versus observamus , quos Ma furens fudisse dicitur. Quo- rum interpres nuper falsa quœdam hominum fama dictants in Senatu putabatur , eum quem rêver à Regcm liabebamus , appetlandum quoque esse Regem , si suivi esse vcllemus. Hoc , si est in libris , in quem homi- nem, et in quod tempus est ?... Quamobrem Sibyliam quidem sepositam et conditam habeamus , ut id quod proditum est à major ibus injussu Scnatus ne legantur quidem libri , volcanique ad deponendas potiùs quamad suscipiendas religioncs ; cum antistitibus agomus , ut quidvis potiùs ex Mis libris , quàm regem proférant , quem liomce postliac , née dii nec Iwmincs esse patientur. Cicero , de clivinat. lib. 2. art. 110 , 111 et 112. (2) Ultima Cumcei venit jam carminis œtas; Magntis ab integro seclorum nascitur ordo ; Jam redit et Virgo , redeunt Saturnin régna ; Jam nova progenies cœlo démit titur alto.... Te duce , si qua manent sceleris vestigia nostri Irrita, perpétua. solvent formidine terras. Ille deûm vllam accipiet , divisque videbit Permixtos heroas , et ipse videbit ur Mis ; Paeatumque reget patriis virtutibus orbem. Ecloga û. s 2. Des Sibylles. [\ 3 nairc avec la naissance du fils dePollion, à qui, par flatterie, il a dédié cette Eglogue. On ne peut pas douter qu'il n'ait adouci et retranché de cette prédiction ce qu'il pouvait le moins détourner et appliquer à un hoinme , quelque grand qu'il voulût le peindre ; cependant, en y laissant ce qu'il a cru pouvoir le mieux plier à ses vues , il n'a pu l'approprier à son sujet. Le juste rapport de ce que nous venons de voir de Virgile et de Cicéron , avec la naissance du Messie, saute de lui-même aux yeux, et n'a pas besoin de réllexions recherchées pour le justifier. L'Empereur Constantin , dans le beau discours (1) qu'il prononça dans l'Assemblée de l'Eglise , emploie et explique de même ces endroits de Cicéron et de Virgile, comme des preuves non suspectes et incontestables de la prédiction de la Sibylle pour la naissance de Jésus-Christ. Tacite, dans sa descripiion du Siège de Jérusalem; conte des prodiges surprenans qui le précédèrent, « dont » peu de gens, dit-il, étaient surpris , sur ce qu'on était » généralement persuadé , par des Prophéties répan- » dues partout, qu'environ ce temps-là l'Orient devait » devenir illustre par-dessus tous les autres Pays , et en » particulier que c'était de la Judée que devait sortir le » Maître de l'Univers, (a) » Suétone en dit autant. (5) Voilà comme les prédictions de la Sibylle étaient, d'un commun aveu, conformes à celles de nos Prophètes; comme Dieu avait éclairé sur ce point capital ceux qui étaient ensevelis dans les ténèbres du Paganisme (4) ; et comme il y faisait éclater des signes de ce grand Mys- tère. (5) Quoique Tacite et Suétone veuillent faire l'application de ces Prophéties à Vespasien , comme Virgile l'a voulu pourPollion , il est évident qu'il n'y a aucune apparence à ces prétentions , et que les sens et les termes de ces prédictions ne peuvent souffrir cette violence. Vespa- sien n'était ni Juif, ni même de l'Orient, d'où devait venir le grand Personnage prédit : il était Romain ; et aucune partie de ces prédictions ne peut convenir qu'au Messie. (1) Rapporté par Eusèbe , chap. 19 , 20 et 21. (2) Pluribus persuasio inerat , antiquis saccrclotum Utteris conti~ neri , co ipso tempore fore, ut valescerct Oricns , profectique Judœâ rerum potirentur. Au livre 5. de l'Histoire de Tacite ,n. 13. (3) Precrebuerat. Oriente toto vêtus et constans opinio esse in fatis , ut eo tempore Judœâ profecti rerum potirentur. Suétone , au chap. lt. de la Vie de Vespasien. (Û) Populus qui ambulabat in tenebris , vidit lucem magnam; habi- laniibus in regione timbrée mortis , lux orta est cis. Ch. 9. d'Isaïo , v. 2. (5) Et elevabit sigiiwni in nationibus procut. Au chap. 5. du même Prophète, v. 20. 44 CONFÉRENCE DE LA FAELE , etc. Après cela , qu'on rejette , si l'on veut, les autres Pro- phéties attribuées aux Sibylles sur la naissance de Jésus- Christ ; il n'y a rien à perdre pour ce qu'on veut établir de la Sibylle , ni à gagner pour ceux qui veulent les reje- ter, sous prétexte qu'elles ne sont pas appuyées de té- moignages non suspects. On voit bien que le temps marqué par ces grandes Prédictions était à peu près celui que ces Auteurs dési- gnaient et il ne serait peut-être pas hors d'apparence de penser que les Démons , sur la connaissance de ces Oracles dont ils n'étaient pas les auteurs , avaient avec soin préparé leurs artifices , pour leur donner quelque couleur grossière de rapport en faveur d'un de ceux qui étaient superstitieusemeni attachés à leurs culte , tel que fut Vespasien. Ils pouvaient avoir obscurci la vue d'un homme; avoir, dans un autre , embarrassé le mouvement d'une main ; pour les guérir ensuite en présence de cet Empereur , de la façon que nous l'avons remarqué , et pour faire croire qu'il opérait ces miracles. En amusant ainsi les yeux du vulgaire , ils voulaient le détourner de chercher ailleurs l'accomplissement de ces Prédictions qui faisaient du bruit dans tout l'univers. ®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®@®©®®®®®®®®®® III. DU MOT, El, QUI ÉTAIT GRAVÉ SUR LA PORTE DU TEMPLE DE DELPHES. L/Orsque Moïse eut reçu de Dieu l'ordre d'aller vers les Enfans d'Israël , pour les faire sortir de l'Egypte, et vers Pharaon pour l'obliger à les en laisser sortir , il demanda à Dieu de lui apprendre ce qu'il pourrait répondre si on lui demandait le nom de celui qui l'envoyait. Dieu lui répondit : Je suis Celui qui est (i) ; vous leur direz : Celui qui est m'a envoyé vers vous. Il n'y a que Dieu , qui seul se connaît, qui put se faire si bien connaître par ce seul mot : Celui qui est. Hors de lui , rien n'est, pro- prement , parce que lui seul est toujours , sans avoir commencé, sans linir, sans succession, sans change- ment ; au lieu que les choses créées commencent d'être et ne sont pas encore , cessent d'être et ne sont pas les I mêmes , et sont mêlées d'être et de néant. Elles ont un être emprunté, ; dépendant, qui se corrompt, très-im- (1) Chap. 3. tic l'Exode, v. lh. 3. Du mot El du Temple de Delphes. Zp parfait, qui n'a pas un moment fixe. Le véritable Etre par essence est par lui-même ; il est simple et absolu , sans qualification, sans composition; il est essentiellement et nécessairement. On ne peut pas dire proprement qu'il a toutes les perfections , mais il est par essence toutes les perfections. Son essence , qui le distingue de tout ce qui est créé , consiste, non à être tel ou tel par toutes les perfections possibles , mais seulement à être ; ce qui ren- ferme la source et la plénitude de l'être , qui ne peut être borné ; en comparaison duquel les autres êtres ne sont pas absolument des êtres, puisqu'ils participent toujours du néant dont ils ont été tirés , et dans lequel ils sont près de retomber , si la même main qui les en a tirés ne les soutient continuellement au milieu de ces néauts. Cette idée de Dieu ne pouvait venir que de Dieu même. L'esprit humain n'aurait su la concevoir. Les hommes ne sont pas capables de s'y élever, ni de s'arrê- ter à la simplicité de ce nom , pour désigner Dieu , si lui- même ne le leur avait enseigné. Ils diraient : Dieu est tel et tel ; en lui attribuant toutes les perfections qu'ils pourraient imaginer : très-bon, très-grand, etc.(i) ; mais leur esprit n'aurait su se retenir ni s'arrêter au seul nom d'être ; il veut d'abord ajouter ces perfections par les- quelles il distingue tout ce qu'il connaît. Ainsi il a fallu que Dieu lui-même enseignât le vrai nom qui doit le faire connaître , le plus approchant de ce qu'il est , par sa simplicité, et par l'exclusion de tout ce qui peut borner. Celte idée doit donc avoir été prise de l'endroit où il l'a lui-même donnée , et dans lequel celui qui la rap- porte atteste l'avoir reçue de Dieu même. C'est Moïse qui nous a appris ce Nom, par la vertu duquel il opé- rait tant de merveilles. Nous voyons d'ailleurs qu'à la vue et dans l'examen d'un mot qui contient cette grande idée , les plus sages , les plus habiles, qui avaient pris le plus de soin de chercher le sens de ce mot, n'ont pu découvrir ni pressentir cette idée qu'il renfermait. C'est le mot El, qui était gravé sur le frontispice du célèbre et ancien Temple de Delphes ; c'est de la signifi- cation de ce mot , que Plutarque a fait un Traité exprès. Il dit d'abord, avec raison, que ce mot ne peut avoir été mis par cas fortuit dans un endroit si révéré et si exposé à tout l'univers , mais qu'il faut que les premier. 1 ' hommes doctes , qui avaient la charge de ce Temple , et qui voulaient lui attirer la plus grande vénération , aient connu dans ce mot quelque propriété exquise et de consé» quence. Il introduit ensuite des Savans et des Philoso- (1) Oplimus , maximus. 46 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. plies, qui s'étudient à découvrir , chacun suivant ses lu- mières et son inclination , le sens de ce mot , que per- sonne n'avait pu comprendre , quoiqu'il fût depuis si long-temps exposé à tous Jes regards. L'un , forcé d'avouer que ce mot cache des mystè- res inconnus , ne fait qu'augmenter le désir de les découvrir. L'autre, attaché à la science des nombres, tâche de l'expliquer par ceux que ces lettres marquent; ce qui n'a rien de solide. Un troisième veut que ce mot soit la première syllabe de ceux qui viennent faire des questions à l'Oracle. Quelque autre prétend que c'est la vue ou le son de cette syllabe , qui en renferme le mystère. Il y en a qui soutiennent que cette syllabe , étant employée à unir des idées et des raisons , a été mise en cet endroit pour recommander la dialectique et le raisonnement , qui mènent à la vérité. Comme toutes ces recherches ne donnent aucun sens raisonnable et qui puisse satisfaire, Plutarque les rejette, et donne avec assurance le véritable sens. Ce judicieux Philosophe (1) avait parcouru la Grèce, et avait voyagé dans l'Egypte , pour s'y instruire des anciennes connais- sances et de l'origine des choses , dont les Savans de ces pays-là passaient pour être les mieux ou plutôt les seuls instruits, il y avait sans doute Connu les Livres de Moïse , d'où ces Savans tiraient leurs plus particulières connais- sances , et qui étaient déjà répandus dans la Grèce , mais que les Egyptiens connaissaient et entendaient mieux. 11 y avait vu l'endroit de Moïse , où Dieu se fait connaî- tre par Celui qui est : il en avait été frappé , il se l'était fait expliquer , et il avait compris par-là le sens vérita- ble et si relevé du mot EL C'est de quoi il composa et enrichit son Traité sur ce mot , où, après avoir fait rap- porter par divers personnages tout ce que la Philosophie humaine et la sagesse Grecque, avec les réllexions d'une longue tradition , pouvaient inspirer sur le sens de cette inscription , et après avoir montré la vanité de toutes ces explications , il étale pompeusement celle qu'il avait prise de Moïse ; savoir, que cette syllabe El, qui veut dire Tu es , élève nos pensées à la grandeur et à la puissance de Dieu , en le faisant saluer par son vrai nom d'Etre; titre qui n'appartient qu'à lui. « Car nous n'avons, » dit-il , aucune participation du vrai Etre , parce que » ce qui commence, et finit, et change continuellement, » n'est jamais un , ni au même état, ni le même ; qu'il » passe toujours de l'un à l'autre, toujours entre l'être » et le néant. Qn'est-ce donc qui est véritablement ? ce (1) Né à Chéronôe dans la BôoUe , sous l'empire de Claudius. 3. Du mot El du Temple de Delphes. 47 » qui est véritablement ? ce qui est éternel et perma- » nent , toujours un et toujours le même , de qui oa ne » peut dire ni , il fut, ni, il sera. On peut aussi l'appeler, » comme quelques-uns des Anciens l'on nommé : Toi » qui es an ; car il faut que ce qui est , soit un : d'où vient » le nom Cl Apollon , c'est-à-dire, qui n'est pas plusieurs, » mais un, sans mélange et sans composition. » De là , continue toujours Plutarque , nous devons » nous élever pins haut, pour contempler ce qui est au- » dessus de nous , et adorer principalement l'essence » de Celui qui est , honorant aussi le Soleil , et la vertu » qu'il lui a donnée de produire , parce qu'il est en quel- » que sorte par sa splendeur et sa fécondité une image » de la lumière et de la bonté de ce seul Etre , autant » qu'une nature sensible et périssable peut représen- » ter un pur esprit et un être éternel , qui entretient » et conserve tout ce qui dans ce monde est de soi plein » d'infirmité et de faiblesse. C'est pourquoi Dieu est fort » bien nommé et connu par ce mot El , Tu es ; à quoi il » semble que Dieu répond par ces autres mots qui sont » sur le même frontispice du Temple : Connais-toi toi- >■> même ; comme s'il disait à ceux qui l'adorent par ce » nom , Tu es : Et toi , mortel , à qui je me suis fait connai- » tre par ce JSom , connais que tu n'es que faiblesse , corrup- » tion et néant. » Voilà le discours de Plutarque sur cette syllabe El (Tues), qui faisait l'Inscription briève et magnifique du Temple de Delphes , dont il aurait inutilement cher- ché le sens , comme tous les autres , qui avaient vu et examiné pendant des siècles cette Inscription sans la comprendre , s'il n'en eût trouvé le fond dans Moïse , et l'explication dans ceux qui avaient conservé sa doctrine et ses connaissances. Si l'on remarque dans Platon et ailleurs la même idée, ou d'autres de pareille élévation , elles sont également puisées à cette commune , première et divine source. 48 CONFÉRENCE DE LA FAELE , etc. f)®©©©©©©©©©©©©©®©®©®©®©©®®®©©©©©®©©® IV. LE COMMENCEMENT DU MONDE ET DES DIEUX DE LA FABLE. Ij'est une observation assez commune de tous les temps , que Saturne et Janus , que l'on prend souvent l'un pour l'autre, sont des copies , principalement de Noé, mais en partie aussi d'Adam et de Noé confondus ensem- ble; parce que la Fable ne distingue pas la création du monde du temps d'Adam , d'avec son renouvellement , lorsqu'il sembla sortir une seconde fois du Chaos , après le Déluge , sous Noé. On a de môme reconnu Jupiter, et Neptune , et Pluton , pour l'image de Sem , de Cham , et de Japhet ; et l'on n'a pas douté que le partage fabuleux de l'univers entre ces Dieux , n'eût été pris de celui que Noé fit de toute la terre , entre ses trois enfans , après le Déluge. Saint Epiphane (i) écrit que Noé la partagea entre eux comme l'héritage qu'il avait reçu de la main de Dieu , et qu'il les fit jurer de n'entreprendre pas sur la portion l'un de l'autre. Une partie de ces ressemblances a été remarquée par de savans hommes tant anciens que modernes. De ceux- ci , Bochard , Vossius , M. Huet , et le P. Thomassin en ont recueilli plusieurs traits , propres à persuader que ces Fables sont prises de l'Histoire sacrée. J'ai choisi et mis en ordre les principaux , et je leur en ai ajouté d'autres qui feront encore mieux reconnaître l'Ori- ginal dans ces copies. Hésiode (6) décrit le commencement et la production de l'Univers , du Ciel , de la Terre, de Saturne et de Jupiter , les premiers Dieux de la Fable. « Ce n'était » d'abord, dit-il, qu'un Chaos informe et confus , après » lequel parut la Terre , et ensuite le divin Amour. (2) » De ce Chaos furent produites les ténèbres et une nuit » obscure, de laquelle sortirent la lumière et le jour. La » production qui suivit , fut celle du Ciel , ou firma- » ment, orné de ses astres. Les mers parurent bientôt » après , filles du Ciel et de la Terre , et de l'union de » ceux-ci naquirent , l'Océan , Pdiée , Téthys. Le dernier » fut Saturne , qui se révolta contre le Ciel son père. » Appliquons cette description à celle de Moïse. Au (1) Hérésie 66 , 11. m. 12) Dans la Généalogie des Dieux. 4. Le Commencement du Monde , etc. 49 commencement de la création du Ciel et de la Terre, la Terre était une masse informe et vide, comme un abîme ténébreux. L'Esprit du Seigneur (qui est l'Amour divin par essence ) , se tenait au dessus. De ces ténè- bres Dieu produisit et tira la lumière ; après laquelle il fit le firmament qu'il appella le Ciel, au milieu des eaux, il ramassa celles qui furent au dessous , et cet amas fut appelé les mers; il forma l'Océan, qui parut sorti du Ciel et de la Terre. Dans ce Ciel et cette Terre furent produits le Soleil et la Lune (les premiers Dieux de l'idolâtrie) , les bêtes , les fruits de la Terre ; et enfin les hommes pour l'babiter , et pour dominer sur tous les animaux; mais ces hommes se révoltèrent bientôt con- tre leur Créateur. » Varron (1) , le plus docte des Romains , établit pour » premiers et seuls Dieux,, sous divers noms , le Ciel et » la Terre , appelés en Egypte Sérapis et !sis , en Italie » Saturne et Ops ; Saturne , à satu , ( parce qu'il est l'au- » teur et la semence de tout, ) et Ops, ab opère , ( parce » que la Terre fournit la matière de tous les ouvrages et » de tous les travaux des hommes , pour soutenir leur » vie. ) Cbez les Samothraces , c'étaient Castor et Pollux , » les Dieux puissans , qui étaient le Ciel et la Terre , de » la conjonction et de la vertu desquels tout a été pro- » duit. Les corps sont venus de la Terre , et les âmes » sont venues du Ciel. C'est de la force de cette union , » et de la semence que le Ciel répandit sur la Terre, » qu'on fait sortir Vénus , qui était aussi appelée la Vie. » Tout cela est de Varron. Ce qui se lit ati commencement de la Genèse, que dans la création de l'univers l'Esprit du Seigneur couvait sur les eaux comme une poule sur les œufs , pour en faire éclore les créatures , a peut-être donné lieu de fein- dre que Castor et Pollux, qui sont le Ciel et la Terre, le Soleil et la Lune , étaient nés de deux œufs. Jupiter et Junon , continue Varron , sont d'autres noms du Ciel et de la Terre. Le nom de Jupiter , qui était Diespiter , veut dire le Père du jour, Junon (2) est la Terre sa sœur et sa femme , qui a part à ses ouvrages. Les mêmes sont encore le Soleil, (en Grec Apollon , c'est- à-dire unique ,) et Diane , ou la Lune , appelée aussi Pro- serpinc (5) , par ce qu'elle fait son cours en serpentant , la moitié du temps sur la terre , l'autre moitié dessous ; ainsi qu'on l'a feint de Proserpine. Junon est encore Lucinc, qui préside et qui est invoquée aux accouche- (1) En son premier livre de la Langue latine. (2) A juoanclo. (3) A serpendo , ou proserpendo. 5o CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. nions ; parce que la terre produit et met en lumière tout ce qui nous est nécessaire. Quelque temps après , suivant la Fable , le Ciel et la Terre produisirent la race superbe des Géans , d'une taille et d'une force extraordinaires. C'est ce que Hésiode ajoute sur ce que l'Historien sacré avait' écrit (1) , que les enfans de Dieu, ayant pris pour femmes les filles de la Terre , il en naquit des Géans superbes et redoutables. Nous venons de voir , dans la Fable , le commence- ment des Dieux, qu'on appela immortels, et la création de Saturne , reconnu pour leur père. « Les ténèbres (conti- » nue le Poète Hésiode ) produisirent la mort , les misè- » res , les discordes , le travail pénible , les douleurs , » les maladies , les guerres , les meurtres , et les re- » mords. » 11 ne fait encore en cela que suivre Moise (2) , qui enseigne qu'Adam et Eve s'étant laissé aveugler , Dieu leur prédit et leur imposa pour pénitence tous ces mêmes maux qu'ils ressentirent bientôt en particulier par le meurtre d'Abel leur fils. ®®®®®®®®®f®§)®@®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®® V. SA.TURNE. oaturie eut de Rliée , ou Cybèle, qui était aussi sa sœur, plusieurs enfans , dont les plus considérables furent Ju- piter , Neptune , et Pluton. 11 les dévorait tous ou les enfermait , de crainte d'en être détrôné ; mais leur mère sauva ces trois-ci , en les cachant dans une caverne. Peu de temps après, les Géans ou Titans , c'est-à-dire les enfans de la Terre , déclarèrent la guerre à Jupiter et à tout le Ciel , dans lequel ils voulaient monter ; mais , après s'être élevés bien haut., ils furent précipités et liés par Jupiter. C'est la copie des trois enfans que Noô conserva seuls , enfermés dans l'Arche , lors du déluge qui engloutit tout le genre humain descendu du premier homme. Ces Titans ne sont-ce pas les nouveaux et audacieux enfans de la Terre qui entreprirent , après le déluge , d'élever la Tour de Babel au-dessus des nues , dans le dessein de se soustraire au pouvoir de Dieu ? Le rapport des trois enfans de Saturne qui furent sau- vés, et du partage de l'Univers entre eux, avec le par- tage de toute la Terre entre les trois enfans de Noé , se montre de lui-même. (1) Au 6h. 6. de la Genèse. (2) Au ch. II. de la Genèse. CONFÉRENCE DE LA. FABLE, etC. 5l €®ccc©e©e®®®®©®©®®®®©e®©®e©®e©®®©®®f> VI. JANUS. J axus , souvent confondu dans les Fables avec Sa- turne , est également reconnaissable dans Noé. Ovide fait sortir l'univers de ses mains , ( après le déluge , ) comme il était sorti du premier Chaos. (1) Ce Poète fait comparaître Janus , cpii débite qu'il a fermé le premier monde, que le déluge replongea dans le Chaos ; (de même que Noé l'avait fermé quand il ferma l'Arche ; ) et comme il a ouvert et vu renaître par son ministère le nouveau monde, (comme fit Noé , quand il rouvrit l'Ar- che , et qu'il en sortit avec sa famille pour peupler de nouveau l'univers.) Janus explique et s'attribue ce re- nouvellement, à peu près comme Hésiode en avait conté la première production. C'est de là qu'on le peignait avec deux visages , dont l'un voyait derrière lui ce qui s'était passé dans l'ancien monde, et l'autre était tourné sur le nouveau qu'il avait vu renaître et rétablir. (2) Ce qui convient uniquement à Noé , qui avait vu et prévu la fin de l'un et le rétablis- sement de l'autre. C'est aussi l'origine des noms de Clu- sius et de Patulcius (5) , que l'on donnait à cette copie de Noé qui seul était désigné par ces noms , pour avoir fait la clôture du premier monde, et l'ouverture du second. C'est pourquoi on le faisait présider aux portes , aux entrées et aux sorties, d'où vient son nom latin Janus (4), ùeJanua, une porte; et celui de Januarius , Janvier, donné au premier mois de l'année. Son portrait tenait une clef dans une main , et par la disposition des doigts de l'autre main on représentait les 365 jours qui composent l'année (5) , parce qu'on le (1) Me Cliaos Antiqui [ nom sum res prisca ) vocabant. Au premier liv. des Fastes. (2) Edc simul causant , cur de cœlestibus unus Sitque quod à ter go , silque quod ante, vides. 1. liv. des Fastes. (3) Nomina ridebis modo, namque Patulcius idem , Et modo sacrijico Clusius orc vocor. Quidquid ubique vides, cœlum , mare , nubila , terras , Gmnia saut nosirâ clausa , patent que manu. Prœsideo foribus cœli , etc. Ibid. (^i) Inde vocor Janus. Ibid. (5) Dans Pline, liv. 34. ch. 7. et dans Macrobe , Saturnales , liv. 1. cli. 7. . (G) Il est vrai que l'amide civile ne fut. fixée à Rome à 365 jours que sous Jules César, mais cela peut faire croire que l'idée de la Statue ou peut-être la Statue même venait d'Egypte ou de la Grèce: car c'est d'où César prit ce règlement par les avis d'un Astronome qu'il fit venir d'Alexandrie. Les Prêtres Egyptiens ou , suivant qucl- 5. 5 '2 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC. regardait comme l'Auteur et le Dieu des années et du temps que l'on mesure par le mouvement des astres , qu'il semblait avoir ramenés. Tout cela appartient à Adam et à Noé , premier et second chefs du genre hu- main , que la Fable a confondus , comme elle confond Janus avec Saturne, dont le nom Grec Chronos (1) signi- fie le Temps. Le temps , qui commença avec Adam, parut recommencer avec Noé , pour qui Dieu renouvela sa loi et sa promesse pour l'ordre des temps , des an- nées , du jour, de la nuit, et des saisons. (2) Les Poètes ont fait de belles descriptions de l'Age d'or. Les uns , comme Virgile , l'ont mis sous Saturne (5) ; les autres , sous Janus , comme Ovide (4) , qui fait dire à ce Dieu , que , sous son règne , les Dieux habitaient la terre , pour y converser avec les hommes ; que la religion et la sainteté y régnaient ; que les crimes et l'impiété n'en avaient pas encore chassé la justice. Sa- turne vit finir cet heureux âge, sous le règne de Jupiter qui l'avait détrôné , et sous lequel la violence , l'usur- pation , l'injustice et l'impiété établirent l'âge de fer. Dès lors les hommes fidèles et justes , avec lesquels les Dieux prenaient plaisir d'entretenir commerce , furent fort rares. Cette idée convient aux premiers jours d'Adam dans le Paradis terrestre , et au premier siècle de Noé après le déluge ; elle ne peut avoir été prise d'ailleurs. Aussi ce prétendu beau règne de Saturne, avec son âge d'or, sont traités de fable par Platon. (5) Adam ne fut pas long-temps dans ce Jardin délicieux , où tout lui était soumis ; et quand il en fut chassé, il vit finir cet âge heu- reux ; il fut obligé de travailler à la terre , et se vit exposé à toutes les misères. Les hommes demeurèrent cepen- dant sans servitude et sans domination juscjues au temps qties Auteurs , Thaïes Milésien , plusieurs siècles avant César , ayant mesuré l'année sur le cours du Soleil , l'avaient réglée à ce nom- bre de 365 jours. Hérodote , liv. 1. c. lh. Alexander ab Alex. gen. dier. en. 24. M. Blondel , en son Calendrier, part. 1. liv. 2. en. 2. (1) Kfo'voc ou X/>dvos , Saturne , au 1. liv. des Saturnales de Ma- crobe , ch. 23. (2) Cunctis diebus terrœ sementis et messis , frigos et œstus , œstas et Idems , et nox et clies , non requiescenl , dit Dieu à Noé , au 8. ch. de la Genèse. (3) Primas ab cctliereo venit Saturnus Olympo , Auriaque , ut perldbent , Mo sub rege fuêre Sccula. Liv. 8. de l'Enéide. [l\) Tune ego regnabam , patiens cum terra DeoruM Esset 3 et humanis ntanina mixta Locis. Nonclum Justitiam facinus mortelle fugarat ; Vltima de Superis Ma reliquit humum, Liv. 1. des Fastes. Macrobe met aussi l'âge d'or sous Janus. {5ï Dans son liv. k° des Lois. 6. 3 anus. 53 de Noé. Alors même , pendant le premier siècle du monde renouvelé , ce fut un nouvel âge d'or; liberté entière , société des biens , uniformité de langage (i) dans une même famille, jusques à ce qu'elle fût divisée du temps de Phaleg. Noé vit terminer ces beureux temps parmi ses descendans, par Nemrod ("2), petit-fils de son fils Cham. Celui-ci , non content du partage fait par Noé son bisaïeul, entreprit d'usurper la portion de Sem, introduisit par son ambition les guerres et les conquê- tes, s'assujettit par les armes le pays de Babylone, et fonda le premier empire , soit que ce fût le Bélus Assy- rien ou Ninus dont parle Justin (5) , soit qu'il en ait été différent. L'injustice et l'impiété ebassèrent alors la piété et la justice. Eupolème , dans Eusèbe (4) , rapporte que, suivant la tradition des Babyloniens , il y avait eu un premier Bé- lus , qu'on disait'aussi être Saturne, qui avait pour en- fans un autre Bélus, et Cbanaan père des Phéniciens. Ce second Bélus pourrait être Nemrod , petit-fils de Noé , ou suivant eux , de Saturne, dont ils firent Bel ou Baal. C'était une tradition des Babyloniens, dans le pays des- quels Noé avait fait son séjour. Dans ce premier âge , Dieu avait entretenu un com- merce familier avec les hommes, quelquefois par lui- même , et souvent par l'entremise de ses Anges. Il le continua de temps en temps , mais rarement dans la suite , et avec un petit nombre, Abraham , Jacob , Moïse, qui lui demeurèrent fidèles. Sur ce qu'il est dit dans l'Histoire Sainte, que Noé, par ses trois enfans., sema et répandit le genre humain sur toute la terre (5) , qu'il s'appliqua à la cultiver, qu'il enseigna les moyens de la rendre féconde, qu'il planta la vigne , et qu'ayant bu du vin il s'enivra et s'endormit à demi nu dans sa tente : on a attribué à Saturne d'avoir enseigné aux hommes la méthode de cultiver et d'en- graisser la terre pour la rendre féconde , après que ses trois enfans eurent partagé l'Univers; on l'a lait le Dieu des fruits présidant à l'agriculture , et on lui donna à Rome le nom de Slercutius (6) , c'est-à-dire celui qui a (1) Erat terra labii unius. Genèse , eh. 11. (2) Nemrod cœpit esse potens in terra , et erat robustus venalor coram Domino. Fuit autem principium regni ejus Babylon , et Aracli , et Acliad, et Chalanue , in terra Sennaar. Au 10. ch. de la Genèse. (3) Au commencement de son Histoire. Ci) Livre 9. de la Préparation Evangélique, ch. 17. (5) A tribus fdiis Noë disséminât uni est omne genits Iwminum super universam terram , cœpit que Noë vir agricola exercere terrain, et plant ai il vineàm ; bibensque vinum inebriatus est, et nudalus jacu.it in tabernaculo. Au 0. ch. de la Genèse. (0) Dans Phitarquc , en ses Questions Eomaiucs ; et Macrobe, au liv. 1. des Saturnales , ch. 7. 54 CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. appris à fumer les terres. On lui a aussi attribué l'hon- neur d'avoir le premier planté la vigne , et d'en avoir enseigné la culture (1) ; et en mémoire de l'ivresse de Noé on célébrait la fête de Saturne , ces fameuses Satur- nales , dans la débauche et l'ivrognerie. Parce que Noé , dans cet état , avait paru nu „ et que son fils Cham lui manqua de respect , en découvrant avec une maligne raillerie sa nudité , ce qui fit que Noé porta la sentence que Cham et sa postérité seraient l'es- clave de ses frères (?) , on célébrait ces Saturnales dans une extrême licence, les esclaves surtout, qui vivaient ces jours-là dans l'indépendance. C'est aussi ce qui fit attri- buer à Saturne une loi, qui portait qu'on ne verrait pas impunément les Divinités nues. (3) La Fable qui fait mutiler Saturne dans son ivresse par Jupiter son fils (4) , si répandue chez les Poètes , et qui a rapporté quelquefois cette entreprise à Saturne même (5) contre Cœlus, a été rejetée comme indigne par son absurdité d'être écoutée ; les Romains ne souf- fraient pas de tels contes. (6) Bochard (7) , dans son Phaleg , pense que cette fiction s'est introduite par la ressemblance de deux mots Hé- breux , à l'occasion de ce que Cham , ayant vu son père découvert , le publia (8) ; ce que l'Hébreu exprime par ce mot , Vaiagget ; et en la même langue , Vaiagod signifie , Il le mailla. On a pris ce dernier mot pour le premier ; à quoi l'on a été porté par la malédiction que son père prononça contre lui et contre sa postérité. La cause de cette erreur est sensible. Et parce que ce fut sur les monts Cordiens , autre- ment dits Corcyréens, en Arménie, que l'Arche de Noé s'arrêta, et où il reçut celte insulte de son fils Cham, les Poètes , trompés par une autre ressemblance des noms (9) , placèrent cette fable dans l'île de Corcyre , ou des Phéaciens , qu'ils appellent aussi Drépané , du (1) Vitisator curvam servans sub imagine falcem. Au 7. liv. de l'Enéide. (2) Au ch. 2. de la Genèse. (3) . . . A falcifero lex sene latajubet , Ut pœnâ graviore luat temeraria quisquis Audct in invitos lamina ferre eteos. Callimaque , poux- Mi- nerve que Tirésias avait vue nue. [li] Saturnus à Jove ligatus est castratus. Dans Lilius Gerald. de diisgentium, Syntag. /J. (5) Cicero , de nalura deor. n. 63 et 6û. (6) Cœlus à suis liberis exsectus non apud Romanos audit ur. Denys d'Halicarnasse , liv. 2. (7) Au livre 1. chap. 1. du Phaleg. (8) Vidit Cham palcr Clianaan verenda patris sui , et nunliavit, en Hébreu Vaiagget , à quoi l'on a substitué Vaiagod , abseidit. (9) Bochard , au ch. 1. du liv. 1. du Phaleg. G. Janus. 55 nom Grec Drcpanon (1) , qui veut dire une faux , par laquelle ils ont feint que Saturne y avait été mutilé. Bérose Chalcléen (2) dit que de son temps on voyait encore des restes de cette Arche sur la montagne des Cordiens en Arménie. Josèphe rapporte que plusieurs Auteurs Egyptiens et Phéniciens en parlent de même. Saint Cyrille (5) emploie les témoignages d'Alexandre Polyhistor et d Abydène pour le même sujet. L'origine de la faux avec laquelle Saturne était repré- senté (4) , était venue, selon quelques-uns, de ce que le temps, dont Saturne était le Dieu , ahat et moissonne tout ; selon d'autres , de ce qu'il avait enseigné à culti- ver et recueillir les fruits (5) , et pour reconnaître qu'on lui devait les moissons. C'était ainsi qu'il était particulièrement caractérisé dans les médailles qui le représentaient avec Janus (6) , qui l'avait, disait-on , reçu en Italie, appelée, par cette raison , Saturniène. Janus ou Saturne y était figuré (7) avec la tête à deux faces , dans un côté , ( ce qui convient à Noé :) et dans un autre côté , le Navire ou l'Arche , hié- roglyphe propre de Noé. ) Car ce symbole , s'il avait seu- lement marqué que Saturne était venu sur un vaisseau en Italie (8) , ne serait ni assez éclatant, ni assez propre à Saturne pour le désigner; et le seul véritable sens qu'il présente à la première vue , se rapporte à l'Arche mer- veilleuse de Noé. Aurélius Victor ajoute , que ce fut quel- que temps après que la terre eut été toute couverte par un déluge , que quelques-uns qui s'en sauvèrent vinrent s'établir en Italie. Ce furent les enfans de Japhet , qui reconnaissaient Noé pour l'auteur de leur race. De ce- lui-ci on a fait Saturne , duquel Virgile a dit , qu'il était le premier venu du Ciel. (9) Suivant le même Historien , on appelait Enfans du Ciel et de la Terre ceux dont on ignorait l'origine. (1) Ap»7r«vov f une faux. (2) Rapporté par Josèphe , ch. 3. du liv. 1. de son Histoire. (3) Au liv. 1. contre Julien. (l\) D'où il était appelé Falcifcr , ci-dessus , et dans Macrobc, au liv. 1. des Saturnales , ch. 8. (5) Falcem , insigne messis. Au ch. 7. du même liv. 1. de Macrobc. (6) Aurélius Victor , de l'origine des Romains. (7) Au susdit chap. 7. de Macrobc; et Athénée dans les Dcipnoso- phistes , liv. 15. ch. 14. (8) Causa ratis superest : Tuscum rate venit in amnem Ante pererrato falcifer orbe Deus. Ilac ego Saturnum mamini tellure receptum, Cœlitibus regnis à Jove pulsus erat. Inde diu genti mansit Saturnia nomen. Au 1. liv. des Fastes d'Ovide. (9) Primus ab œtliereo venit Saturnus Olympo. Au liv. 8. de l'Encidc. 56 CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. L'Italie fut appelé Latium (i) , dans les Fables , parce que Saturne, dont elle prit le nom, s'y était caché pour se sauver de la colère de Jupiter. Ce qui vieat des originaux sur lesquels Saturne a été copié , soit d'Adam , qui se cacha après son péché , soit plus vraisemblablement de Noé caché et réfugié dans F Arche dans laquelle il se sauva du fléau de Dieu. La fable et le culte de ce Dieu avaient été portés par les Pélasges ou Grecs, en Italie , suivant l'ancien Poète Accius (2) ; ceux-ci les tenaient de l'Egypte. Mais ce qui prouve que ce culte avait été pris des Hébreux , c'est qu'on le célébrait, suivant le témoignage de Macrobe , avec la tête couverte , comme on l'avait appris des Pé- lasges et ensuite d'Hercule. (5) C'était une loi de Moïse , que le Prêtre ne découvrirait pas sa tête. (4) Ce que Bochard (5) rapporte de Porphyre , confirme encore plus clairement que la Fable de Saturne est une copie altérée et confuse de notre Histoire Sainte. Il nous apprend que Saturne, chez les Phéniciens ,. était appelé Israël , et qu'il avait eu de la Nymphe Anobret un fils unique nommé Jeucl que son père sacrifia. Israël est sans doute Abraham , à qui on a donné le nom de son petit-fils et du peuple qui est sorti de lui. De ce qu'il est appelé Prince de Dieu (6) , les Poètes l'ont appelé Prince des Dieux. (7) Le nom à' Anobret sa femme , qui veut dire ayant conçu par la grâce (8) , ne convient qu'à Sara , femme d'Abraham. Le fils unique sacrifié est la copie du Sacrifice d'Isaac ; mais bien que Dieu se fût contenté de l'obéissance d'Abraham , et n'eût pas permis qu'il immolât son fils , le Démon persuada à ses idolâtres le Sacrifice entier du fils par le père ; et les porta à lui sacrifier leurs enfans , sous le nom de Saturne , comme nous l'apprennent De- nys d'Halicarnasse (9), et Diodorede Sicile (10) , qui rap- porte cet usage aux Carthaginois descendus des Phéni- ciens. Hercule abolit en Italie cette barbarie diabolique. Ce que Tacite dit, que la cessation du travail chez les (1) Latiumque vocari Maluit , his quouiam latuisset tutus in oris. Enéide , liv. 8. (2) Rapporté par Macrobe , ch, 7. des Saturnales. (3) Illic capite operto ( Grœco ritu ) res clivina fit , quia primo à Pelasgis , post ab Hercule , ita eam à principio faclilatam putant. Au susdit ch. 8. du liv. 1. de Macrobe. (Il) Au 21. ch. du Lévitique , v. 10. (5) Au ch. 2. du liv. 2. de son Chanaan. (6) Princeps Dei. Au 23. ch. de la Genèse , v. 6. (7) Principem cleorum. Macrobe , au susdit ch. 7. des Saturnales. (8) Anobret , en Hébreu , ex gratia concipiens, (9) Liv. 1. de ses Antiquités. (10) Liv. 2. de sa Bibliothèque : et Macrobe , ch. 7. 6. Janus. 7. Jupiter. £7 Juifs au septième jour , appelé Sabbat , est attribuée à Saturne, et était instituée en son bonneur (1) , parce que les Ancêtres des Juifs ( dit-il) avaient suivi Saturne (2) , luii \oir clairement que Saturne n'est autre que Noé, dont le nom , en Hébreu, veut dire cessation du travail (3) , comme le signifie aussi le mot Sabbat. Ainsi attribuer le Sabbat à Saturne , c'est le prendre pour Noé. Los marques de l'origine de ces Fables paraissent jus- ques dans la ridicule imagination de la pierre bien ointe qu'elles font avaler par Saturne , au lieu de son fils Ju- piter. On a appelé cette pierre Bétyle (4) , du nom de celle que Jacob avait mise sous sa tête pour se reposer, et qu'ensuite, après l'avoir arrosée d'huile, il érigea en monument de la vision qu'il avait eue dans ce lieu , qu'il nomma Béthcl , ou Maison de Dieu. (5) Les Phéniciens rendirent un culte religieux à cette pierre , et en consa- crèrent d'autres aux Dieux , après les avoir ointes de même ; ils les appelaient aussi Bétyles. (6) VIL JUPITER. OUR le partage que Noé fit de toute la terre entre ses trois enfans , les Poètes partagèrent l'empire de l'uni- vers entre les trois enfans de Saturne. Ceux qui en ont examiné les rapports, ont trouvé que de Cham ils avaient fait leur Jupiter, maître du ciel et de la terre , des dieux et des hommes : de Japhet, Neptune, avec l'empire de la mer ; et de Sem , Pluton , le maître et le dieu des morts et des enfers. C'est ce qui se justifie par tout ce que l'Antiquité nous en apprend, et par les différens noms qu'on avait donnés à Jupiter, tirés en partie non-seulement des différentes fonctions qu'on lui attribue , mais des divers noms de Cham ou liant , qui eut dans son partage l'Egypte et la Libye ; d'où ce pays-là , et particulièrement l'Egypte , est appelé , dans nos Ecritures (7) , la Terre de Cham , et par Plutarque (8) Chemia , par les Egyptiens la Terre de (1) Septimo die otium placuisse ; et honorera eum Saturno liabcri. Tacite, liv. 5. de son Histoire , en. l\. (2) Quos cumSaturno pidsos , et cohditores gentis accepimus. Tacite, au même endroit. (3) Noé' , cessai io vel requies. j (li) Bai tukoç , Hesychius ; et Bochard , au liv. 2. ch. 2. du Chanaan. (5) Bélhel , au cli. 28. de la Genèse. (0) Raclylia ou Batylos, liv. 2. ch. 2. du Chanaan. (") Psaume 77. v. 51 ; et Psaume 105. v. 22. (8) Dans le Traité d'Isis , de Plutarque. 58 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. Ham. Toute l'Afrique en fut nommée laTerre de Hamon (1) , et les Egyptiens appelèrent Jupiter, Hammon , dont le célèbre Temple visité par Alexandre était dans la Libye , et un autre du même nom à Méroé (2) dans l'Ethiopie. Plutarquedit, au commencement de son traité d'Isis et d'Osiris , que le nom propre de Jupiter était Amoan, ou Hammon , et Ammon. Bérose Chaldéen dit qu' Ammon fut un Roi de Libye qui épousa Rhéa fdle du Ciel , et fut père de Bacchus; qu'il fut en danger de périr de soif dans les déserts de la Libye, lorsqu'un Bélier lui découvrit une fontaine; qu'en reconnaissance il bâtit un Temple à son père Hammon , dont la Statue a la tête d'un Bélier avec des cornes au front ( figure sous laquelle il apparut aussi à Hercule ) : c'est ce qui a été tiré de l'Histoire de Moïse (5) , ( mêlée avec celle de Noé,) lorsqu'il descendit de la montagne, où Dieu lui avait donné les Tables de la Loi, le visage éclatant des rayons de lumière qui ressem- blaient à des cornes (4) : il parut ainsi au peuple, et c'est comme on le dépeint. La fontaine que Dieu fit naître pour Moïse dans le désert , est assez connue. Les enne- mis des Hébreux débitaient qu'elle leur avait été décou- verte par un animal sauvage. La Ville de Jupiter, en Egypte, appelée par les Grecs Diospolis , était appelée en Hébreu la Ville cl' Anton. (5) Le nom propre Grec de Jupiter est Zeus , du même sens que celui de Cham ; l'usage des Grecs étant de conserver la signification des noms qu'ils prenaient des autres nations , comme nous le ferons voir dans la suite, par l'aveu même de leurs Auteurs. Ce nom Grec veut dire chaleur , du verbe zeô , chauffer , brûler ; ce que si- gnifie Cham et Ham en Hébreu. Nous avons vu Saturne mutilé par Jupiter son fils, parce que Cham découvrit la nudité de son Père , et que le mot Hébreu , qui signifie découvrir, est presque le même que celui qui signifie mutiler. Les habiles ne croyaient qu'un Jupiter ; mais , comme on rassemblait en lui le pouvoir de diverses fonctions, on en fit plusieurs dieux, et on lui donna différens noms. Cicéron (G) en compte trois , l'un né de l'Air , l'autre du Ciel, et le troisième fils de Saturne, dont on voyait le tombeau dans l'Ile de Crète , où il avait régné. 11 y en (1) Terra Ammonis , dans Alexandre Polyhistor. (2) Pline , liv. 6. ch. 19. (3) Au ch. 3û. de l'Exode, v. 29 , 30 et 31. (!i) Qui videbant faciem egredientis Moysi esse cor mit mn. îbid. v. 35. (5) No-Amon, ville d'Anion. Bochard , liv. h. ch. 1. du Phaleg. (6) Ciccro , liv. 3. de natiua deoruni , n. 53. 7. Jupiter. 5g a qui en comptent jusqu'à trois cents. Chaque Nation voulait en avoir un de son pays , et lui donner des noms en sa langue. On le croyait et il était appelé le premier des Dieux , comme Nemrod ou Bélus, descendant de Cham, fut le premier homme adoré comme un Dieu. Bélus était aussi le Jupiter des Babyloniens et des Assyriens. (1) Sanchoniathon , dans la Théologie des Phéniciens , compte Bélus parmi les enfans de Saturne . et assure que c'était Jupiter; et comme Nemrod est connu dans l'Ecriture sous le nom de Puissant sur la terre et de vigoureux Chasseur (2) , on a fait Jupiter grand dans le monde, et on l'a appelé le Chasseur. (5) Les conquêtes des enfans de Cham , qui les premiers portèrent leurs armes dans l'Asie sur le partage de Sem , le firent re- garder comme le plus puissant , et firent appeler Jupiter victorieux , et aimant le butin. (4) Ils l'appelèrent aussi Père du jour (5) , de l'assurance que Dieu avait donnée à Noé , père de Cham , de conser- ver le jour et la nuit dans leur ordre immuable (6) , et de ce que Noé ouvrit le jour à tout le genre humain en ou- vrant l'Arche. Les Grecs , outre le nom de Zeus , du môme sens que celui de Cham, appelaient aussi Jupiter Egyptien, et quelquefois le 1SU , ( du partage de Cham ; ) Dieu de la guerre et de la victoire et répandant la fureur (7) ; ce qui convient à Cham et à sa famille. Le nom d'Alglokos, formé d'Algos ou Algls, une chèvre, et son bouclier de peau de chèvre, appelé Mglde, étaient pris d'un habit des habitans de la Libye , où Cham ré- gna , et où il fut adoré sous le nom d'Hammon. Cet habit était appelé Algls ; sans doute la peau , ou le poil de chè- vre y entrait , et en faisait partie. Il fut aussi nommé Laboureur (8) , et l'inventeur du labourage, et par les Phéniciens Dagon , du même sens ; parce que la famille de Noé répandit la méthode de tra- vailler la terre , qu'elle avait apprise de lui. (9) Les litres de Libérateur et de Sauveur (10) , sous lesquels on dédia (1) Lilius Gcr ardus, de Diis gentium Syntagm. h. (2) Ipsc cœpit esse potens interra , et robusius venator coram Domino* ch. 10. de la Genèse. (3) Cynethœus, c'est-à-dire , Chasseur, (ù) Prœdator. (5) Diespitcr , id est , diei pater. (6) Nox et dies non requiescent , dit Dieu à Noê , ch. 8. de la Genèse. (7) Stratios ( martial, militaire) , Nicophoros (qui remporte la vic- toire ) , et Maimactes ( furieux ) : tous ces noms sout recueillis dans Lilius Gérald. Syutag. 2. (8) Aratrius, (9) Cœpit Noë vir agricola exercerc terrain. Au ch. 9. de la Genèse. (10) Eleutlicrius , Libérateur et Sauveur. 60 CONFÉRENCE DE LA FAELE , etC. des Temples à Jupiter, n'ont jamais mieux convenu qu'à Noé père de Cham. On lui a donné divers autres noms , pris des lieux où il était adoré, et des sujets pour lesquels il était honoré ou invoqué. On voit dans les violences , les usurpations et les désordres des guerres , qui ont commencé par Cham et par sa famille maudits par Noé , l'original de ce que la fable a feint, que l'âge de fer avait succédé , sous Jupi- ter , à l'âge d'or qui était sous Saturne. ©®i>i)€)i)i>i)€)f)i)è€)'i)©©f)€)f)©f)®f)©€)®i)i)®®e©©®®© VIII. NEPTUNE. De Japhet fils de Noé , la Fable fit Neptune , Dieu des Mers , parce qu'une grande partie du partage de Japhet furent les Iles , les Péninsules ^ les Côtes des Mers et les lieux maritimes sur les Côtes de l'Asie , la Grèce , l'Ar- chipel et l'Europe. Aussi les enfans de Japhet , parta- geant entre eux les pays échus à leur père , sont dits dans l'Ecriture avoir partagé les Iles de sa domination (1) ; et Evhemère , qui avait composé en Grec une Histoire des Dieux, prise des inscriptions des anciens Tem- ples , traduite en Latin par Ennius , et rapportée par Lac- tance, enseigne que les Iles et tous les lieux voisins des Mers furent le partage de Neptune (2) comme de Japhet. On a aussi formé le nom de Neptune du même sens de celui de Japhet , qui en Hébreu veut dire étendu , dilaté , suivant la bénédiction que Noé lui donna (3) , ou du terme Hébraïque , Pliata , qui signifie la même chose ; ou plu- tôt du terme Egyptien , JSepkthyn (4) , c'est-à-dire des promontoires et des côtes des mers. Le nom Grec de Neptune [Poséidon ) , Possidonius , veut aussi dire, ré- pandu et étendu , en langage Syriaque et Phénicien , d'où les Grecs l'ont transporté dans le leur. On l'a appelé un second Jupiter , comme ayant dans son partage le même pouvoir que Jupiter dans le sien ; mais Jupiter avait beaucoup usurpé , comme Cham , du partage de ses frères. On l'appelait Taureau, du mugissement des Ilots delà mer ; Dompteur des chevaux , par la comparaison de la (1) Ab liis divisce sunt insulœ gentium in regionibus suis. Auch. 11* de la Genèse. (2) Neptuno maritima omnia cum insulis obvenerunt. Lactant. de falsâ religione , 1. 1. (3) Dilatet Dcus Japhet. Au ch. 9. de la Genèse. (4) On a appelé Kcphlhyn les bords de la terre et les promontoi- res, les côtes et les voisinages des mers, Plutarque , dans Isis. 8. Neptune. 9. Promèthée. 10. Phuon. 61 course des navires avec celle des chevaux. On célébrait sous les mêmes noms ceux qui avaient enseigné à domp- ter les Ilots de la mer , dont le premier fut Noé père de Japhet ; et après lui Japhet qui avait les îles et les côtes des mers en partage. On peint Neptune porté sur les dots dans un char traîné par des chevaux. IX. PROMÈTHÉE. \J\ a pris de la famille de Japhet la fable de Promè- thée , qu'on fait fds de Japet, sous le nom duquel on a toujours reconnu Japhet fort peu déguisé , quoiqu'on l'ait dit frère de Saturne , par la facilité de confondre quel- ques degrés dans des généalogies aussi anciennes et pri- ses sur des traditions altérées. On lui a donné pour femme une Fille de l'Océan , comme des Iles avaient été données en partage à Japhet. Diodore de Sicile conte que du temps de Promèthée , il arriva un grand déluge en Egypte , où presque tous les hommes de ce pays périrent. (1) Le nom de Promèthée signifie 'Prévoyance , qui fut le caractère éclatant de Noé , et par laquelle il sauva dans sa seule famille tout le genre humain. On dit que Promèthée le forma , comme Noé le rétablit ; qu'il fit descendre le feu du Ciel , comme Noé le fit descendre sur le sacrifice qu'il offrit à Dieu après le Déluge , Dieu voulant lui témoigner qu'il l'agréait. Les Poètes ont attaché Promèthée au Mont Caucase, qui fait partie des montagnes d'Arménie , où Noé s'arrêta ; et la particularité d'un oiseau qui déchire continuellement les entrailles de Promèthée , n'est que l'explication du nom de Magog , fils de Japhet , qui signifie en Hébreu un cœur qui se dessèche , ou qui se fond , une ame déchirée. (2) X. PLUTON. I jE troisième fils de Saturne et de Rhée est Pluton , à qui l'on donne pour son partage l'Empire des Morts et des Enfers. Son nom vient du Grec Ploutos , qui veut dire richesses (5) , parce que , dit Cicéron , toutes choses retournent dans la terre comme elles en sont sorties. (1) Quo omnespenè cjus ditionis domines periere. Diodore , liv. 1. (2) Bochard , ch. 2. du liv. 1. du Phalcg. (3) Ciccro , de natura deor. lib. 2. n. 00. 62 CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. Par la même raison les Latins l'ont appelé le Père des richesses. 11 est l'auteur et le Dieu de toutes les cérémo- nies religieuses qui regardent les morts. Pindare lui donne une verge, avec laquelle il introduit les morts dans les Enfers. Son nom Grec est Adés , ou Aëldés, qui veut dire triste ou ténébreux, on l'appelle aussi le noir Jupiter. Plutarque (i) enseigne qu'en Egypte on l'ap- pelait Sérapis , et Diodore dit que Sérapis , Osiris , Denys ou Bacchus , Ammon , Jupiter et Pluton ne sont qu'un même Dieu sous tous ces divers noms. Telle est la vanité et la confusion des Fables, prises des traditions anciennes , qui ont confondu et défiguré les originaux de l'Histoire. Pluton est la copie de Sem troisième fils de Noé , qui avait eu l'Asie pour son partage. Le nom de Sem, en Hé- breu , veut dire destruction et désolation. (2) Les noms Phéniciens de Pluton et de Proserpine sont de la même signification ; Axiokersos et Axiokersa (3) , c'est-à-dire destruction et mort. C'est sous ces noms qu'ils étaient honorés dans l'Ile de Samothrace ; on les y nommait aussi Dieux Cabires , c'est-à-dire , en Phénicien , grands et puissans. La famille de Sem , bénie en sa personne par-dessus celle de ses frères , conserva le culte du vrai Dieu et se déclara contre les cultes des Démons , ce qui lui attira l'envie et l'inimitié des autres peuples plongés dans l'idolâtrie , qui affectèrent de noircir cette famille et d'appeler son Auteur le Dieu des morts et des enfers , suivant la remarque de Bochart. (4) Sa postérité régla les cérémonies de la Religion. Sa discipline austère pa- rut triste aux autres Nations ; elle vivait séparée de tous les peuples , dans l'obscurité. Ainsi les descendans de Sem furent traités d'obscurs et ténébreux , et leur chef en fut surnommé Adés. « Moïse , dit Tacite (5) , institua des cérémonies et des » lois opposées à celles de tous les autres hommes; les » mœurs de ses sectateurs détruisaient toute raison et » toute honnêteté; des villes illustres de leur pays furent » même consumées par le feu ; l'air , les eaux et la » terre , les moissons et tous les fruits y étaient pesti- (1) Dans son Traité tl'Isis. (2) Sem, et Semama ou Semma , destruction et désolation, liv. 1. ch. 1. du Phalcg dcBochard. (3) Bochard, au liv. 1. chap. 12. duChanaan. (4) Ch.l. du Phalcg. (5) Moscs novos ritus contrarios cœteris mortalibtis indidit ; eorum mos cibsurdus sordidusc/uc ; in eorum regionc urbes inclylœ igni flagravere; halitu laças infîei tc.rram , corrumpi aërem , fœtus segetum et Autumni rutrescerc reor , solo cœloque juxta gravi. Tacite, au liv. 5. de son Histoire. io. Pluton. ii. Mercure. 63 » lens ; le ciel et la terre étaient déclarés contre ce » pays ; ils semblaient une bouche de l'Enfer. » Voilà donc les dcscendans de Sem habitans et maîtres de l'Enfer. L'Asie, qui , en Hébreu, signifie bourbeuse, tenue par Sem , et sa vaste étendue jusqu'aux extrémités de l'uni- vers , alors impénétrables , la firent regarder comme en partie souterraine, au-delà et au-dessous du monde connu ; et ses richesses prodigieuses avec sa fécondité donnèrent le nom de Pluton à celui qui y régnait. La Fable fait l'Asie fille de l'Océan et de Téthys , femme de Japet et mère de Prométhée ; c'est que l'Asie était sortie des eaux du déluge avec Japhet père de Magog, qui est Prométhée. Son limon en conservait les marques et la mémoire. On ne doit pas être surpris de tous ces mélanges qui confondent divers endroits de nos Livres saints, après ce que nous avons vu de Diodore, que Pluton est le même que tous les Dieux de l'Egypte , de l'Afrique , et de l'Asie. XI. MERCURE. D; 'E Chanaan, qui en Hébreu signifie Marchand, on a composé Mercure Dieu du commerce. Il fut condamné à être le Serviteur de ses frères ; ainsi Mercure fut le Mi- nistre et le Serviteur des autres Dieux. On le fit aussi le Dieu des chemins et des voyages , parce que les Chana- néens entreprirent les premiers de grands voyages et de longues navigations dans les pays éloignés. Mercure a été reconnu pour le Dieu de l'éloquence, parce que les Grecs avaient appris les Lettres des Phéniciens ou Chananéens. On lui offrait du lait , parce que Chanaan habitait une terre où l'on disait qu'il coulait des ruisseaux de lait. Pour orner et relever Mercure sous ce nom , ou sous celui d'Hermès , la Fable a encore tiré ses qualités des aventures et des prodiges de Joseph et de Moïse. Les traits de leur Histoire sont si connus , et sont si souvent rappelés dans ce livre , qu'il serait inutile de les rassem- bler dans un chapitre particulier. Bochard (1) croit que Puth , qui est aussi dans la fa- mille de Cham , est L'Apollon Pythien. (1) Chap. 1. duliv. 1. du Phaleg. 64 CONFÉRFJ>TCE DE LA FABLE , etc. ®®©©©®®®®®®®®®e®®®®®®®®©®®©®®®®®®©®® XII. VULCAIN. JLe nom et la profession de Tubalcain , fils de Laraech et de Sella, inventeur de l'art de fondre et de travailler le fer et les métaux (1) , l'ont fait aisément reconnaître , peu travesti par la Fable sous le nom de Vulcain , Dieu des forgerons et de tous ceux qui travaillent sur les métaux. La fonte des métaux par le feu, et le bruit qui se fait en les travaillant . sont exprimés par le sens du nom de Sella (2) mère de Tubalcain ; et les Grecs l'ont appelé Epkaistos , c'est-à-dire, le feu, ou Vulcain. Mais ce qui fait un rapport particulier et sensible avec Vulcain, c'est que le nom de Sela, qui approche si fort de celui de 5e//«mère de Tubalcain , signifie la marque qui distingue proprement Vulcain , celle d'être boiteux, tel que Junon dit qu'il est né d'elle. (3) Toutes les expli- cations et les allégories que les Mythologistes en ont voulu donner , ne sont nullement satisfaisantes ; mais on conçoit aisément que ce nom Sela , signifiant la dé- marche' des boiteux , l'idée d'avoir fait Vulcain boiteux doit en avoir été prise. On sait que Vénus, sa femme, était la Déesse des grâ- ces et delà beauté, et qu'elle était née de l'agitation et de l'écume de la mer. Noëma sœur de Tubalcain , veut dire belle et gracieuse , et dans un autre sens , fort agitée. On n'a jamais pu penser d'où la fiction avait puisé Tidée bizarre , qui emploie Vulcain jaloux du commerce de Mars avec Vénus sa femme, à forger des filets, dans lesquels il les prend ensemble, pour faire voir son igno- minie à toute la Cour céleste. Mais on trouve la source de cette idée dans le sens Hébreu du nom de Tubalcain, qui signifie une jalousie qui pousse à chercher sa honte ; comme ces traditions avaient passé aux Grecs par les Egyptiens , qui les tenaient des Hébreux , on faisait Vul- cain Egyptien ; et les Prêtres d'Egypte disaient qu'il avait été leur premier Roi. (1) Sella {ex Lamech ) gênait Tubalcain , qui fuit malleator et faber in cuncta opéra œris et ferri. Au cli. li. de la Genèse, v. 19. et 22. (2) Sella , en Hébreu , signifie l'action uu feu , ou le bruit des mar- teaux et des enclumes. (3) Filins meus Vulcanus mutilis pedibus quem peperi ipsa. Homère , dans son Hymne sur Apollon. i3. Japet. 14. Minerve. 65 ©«ceccceeèeseeeceee®®®©©©©©®©©©©©©©© XIII. JAPET. jJe Japliet la Fable a aussi formé Japet, ce qui n'est qu'un même nom , la lettre Pi des Grecs répondant au Plie des Hébreux , et le Pi et le Phi étant aisément confondus dans le Grec. Elle l'a fait Fils du Ciel et de la Terre, et puissant dans la Thessalie , comme fut Japhet sorti de l'Arche. On ne voyait rien au-delà de ce temps : ainsi les Grecs ont reconnu Japet , ou Japliet , pour leur pre- mier père. Ses descendans occupèrent l'Europe , la Grèce , et une partie de l'Asie. La Fable s'accorde en ce point avec l'Histoire. ©©©©©©©©€€©©©©©©©©©©©©©©©©©©©©©©€©©© XIV. MINERVE. Mi .ixerve est la Déesse de la Sagesse, et la Sagesse elle- même , engendrée et sortie du cerveau de Jupiter, véri- tablement semblable à lui , point différente de l'esprit et de l'intelligence de ce Dieu Souverain. Elle est sans mère , et unique ; elle est avant tout ce qui a été fait. Elle est la puissante , la terrible , et l'invincible Déesse des armées. C'est elle seule qui inspire , conduit et fait exécuter tous les desseins sages , justes et ver- tueux. Les personnes sages et prudentes ne font et ne peuvent rien sans son assistance immédiate et conti- nuelle. Elle est l'inventrice et la Déesse des sciences , des arts , de toutes les connaissances ; elle seule peut les enseigner , et l'on ne peut les apprendre que par elle. Tous ces attributs méritent d'être considérés et jus- tifiés dans le détail , et ne peuvent mieux l'être que par les significations des divers noms donnés à cette Déesse pour les désigner , et par tout ce que nous en ont ensei- gné les premiers et meilleurs Auteurs de la Théologie Païenne. Hésiode , dans sa Généalogie des Dieux (1) , conte que Jupiter , qui est le Dieu souverain , produisit de sa seule intelligence , qui n'avait encore rien produit, et engen- dra de son cerveau Minerve, appelée aussi Tritone , ou Trilogcnie , du mot Grec Trito , qui veut dire la tête ; (1 ) Depuis le •vers 886 jusqu'au 924 e . 66 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. forte, puissante, terrible, aussi puissante, aussi sage et intelligente que lui-même. (1) Pin cl are , dans l'Ode septième de ses Olympiques , pour chanter l'Ile de Rhodes favorisée de Minerve par les beaux-arts qui y florissaient , dit que le grand Roi des Dieux y avait tomber une pluie d'or, lorsque, par un coup de hache donné par Vulcain, il avait fait sortir du plus haut de son cerveau la Déesse Minerve, (a) C'est de ce rare accouchement que Lucien s'est joué dans un de ses Dialogues entre Jupiter et Vulcain. Pindare explique la fiction de la pluie d'or tombée à la naissance de Minerve dans l'Ile de Rhodes , quand il ajoute que les Rhodiens , par un don de cette Déesse^ surpassaient tous les autres mortels par les beaux ou- vrages de leurs mains (5) , que leurs rues étaient char- gées de Statues qui paraissaient animées et prêtes à marcher; que la gloire de cette Ile en devint si écla- tante , qu'il semblait , ( disait une antique tradition , ) que Rhodes, autrefois cachée et ensevelie dans les pro- fonds abîmes de la mer , eût été , par la force d'une pa- role de Jupiter , élevée au-dessus des flots et des autres Iles. (4) Cette pluie d'or dans Rhodes , lorsque Minerve sortit de la tête de Jupiter, est aussi marquée dans Strabon (5) ; et le Poète Claudie'n (6) la chante comme une ancienne tradition , qu'il croit fabuleuse. On avait dit de ce don d'exceller dans les arts, fait à cette Ile, qu'il y avait plu de For, comme on a dit d'un pays fertile et abondant, qu'il y coulait des ruisseaux de lait et de miel ; et de la protection de cette Déesse , comme il avait été écrit , que l'acquisition de la Sagesse surpassait le prix de tout l'or qu'on pouvait acquérir. (7) Il ne faut pas attendre d'avoir parcouru tous les attri- buts de cette Déesse , pour en marquer les rapports avec le Divin original dont elle est une image ; ces rap- ports saisissent l'esprit au premier coup d'œil qu'on jette (1) Primant ex capitevirgincm, Tritogeniam par habentem pat ri robur et prudens consilium. v. 895 et 896. Acrcm clucem exercitus , indomitam. v. 92ft et 925. (2) Quando Vulcani arte œreo bipenni , Miner va ex supremo patris vertice prosiliit. Pindare , Olymp. Ode 7. (3) Ipsa eœsiis oculisdea prœbuit illis ut in omni arte prccstantis.iinâ operâ manuumsuarum mortales reliquos superarent. Dans la même Ode. (il) Vice urbis ferebant opéra similia liominibus vivis et gradientibus s un de fueral gloria ingens ; narrabant verô prisci liominum sermoncs in profundo maris Rhodum fuisse saisis profundilatibus occultatam, tan- dem verbo caput exlulisse. Dans la même Ode. (5) Au 14. Hv. de sa Géographie. (0) Au 3. Hv. des louanges de Slilicon. v. 226. (7) El attulit sapimliam super aurum electum. Ch. 3. y. 30 du Pro- phète Baruch. \[\. Minerve. sur celle copie, quelque imparfaite et défigurée qu'elle soit. Dès le premier trait , où l'on voit Minerve sortir du cerveau du Dieu suprême sans aucune mère, dès lors dans toute sa perfection (comme elle était représentée dans une Statue qu'on honorait à Athènes) (i), et qu'on la reconnaît pour l'Intelligence et la Sagesse de ce Dieu, avant et après être sortie de sa tête , il n'est pas possible que d'abord la génération du Verbe éternel , Sagesse incrééc, émanée du Père par voie de connaissance, Lu- mière delà Lumière, Dieu de Dieu, ne se présente à l'esprit , et ne se fasse reconnaître dans cette image. Ce que les Poètes y ont ajouté, que Jupiter s'était fait fendre la tête d'un coup de hache parVulcain (2) , mon- tre seulement qu'ils n'ont pu concevoir cette génération véritablement ineffable (5) , et ne fait que confirmer la vérité de l'original, qui s'est conservée dans leur copie, sans qu'ils en aient pu comprendre le mystère. Cette naissance de la tête de Jupiter , est même prise de nos saints Livres , où la Sagesse divine dit elle-même qu'elle est sortie du visage, de la bouche ou de la tête du Très-Haut , avant tout ce qui a été créé. (4) Le nom de Minerve , que les Grecs donnèrent à cette Déesse, signifie puisée , tirée, (comme l'eau , d'une fon- taine , et le rayon , du Soleil ) et demeurant une même chose avec celui duquel elle est pnisée ; il est composé des mots Grecs , Eruon , qui veut aire puisé , et Min qui veut dire être le même , la même chose. Son autre nom Grec était Athéné , que quelques-uns ont dit être pris d'Athclé , pour dire qu'elle n'avait pas eu besoin d'êlre allaitée ; parce qu'elle était sortie de son père aussi grande que lui et dans un âge parfait : mais Platon , dans son Dialogue de la juste raison des noms (5) , dit que les Anciens , qui avaient porté plus haut leur intelligence, avaient appelé Minerve, Athènes, c'est-à-dire , l'Esprit et la Pensée de Dieu même , l'Intelli- gence divine, et qu'ils avaient formé ce nom d Atheon ou Atkconê , qui veut dire la Connaissance divine. Le même Platon , dans le Philèbe , ou du souverain Bien , dit que celte Intelligence n'est autre que la Vé- (1) In Alheniensium arec inter alia signa est Minerva de Jovis verlicc promeus. Pausanias , in Atticis. An quia decapitis fertur sine maire paternt Vcrticeeum elypeo prosilnisse suo. Ovide , au 3. Iït. des Fastes. (2) Vnlcanns Jovis capat securi percussil , de.que itlius verlice ar- mai a l'atlas exsiluit. Apollodorc , liv. 1. de sa Bibliothèque, n. 8. (3) Générât ionem ejus quis eiiarrabit. Isaie , cli. 53. v. 8. (!\) Ezo ex orc AU issimi prodivi primo:, 'imita anieomnem créât uram. Eccli. cli. 2l\. c. 5. (5) In Cratylo. 63 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. rite (0 , qu'elle en est l'expression la plus parfaite et la plus vraie. Phornutus, dans son Traité de la nature des Dieux, dit , conformément à la pensée de Platon, que Minerve est l'Esprit et l'Intelligence de Jupiter , et la même que la propre Sagesse et prudence de ce Dieu sans aucune distinction. (,2) La Sagesse divine , dans le Livre qui porte son nom (3) , est appelée le miroir de la Majesté et l'image de la Bonté de Dieu ; comme saint Paul (4) appelle le Fils de Dieu la splendeur de sa gloire et la figure de sa substance. Platon , dans le Dialogue de l'Ame (5) , ajoute que cette Intelligence a produit et orné tout l'univers. La Sagesse éternelle est représentée de même dans les Saintes Ecri- tures , on peut le voir au Chapitre troisième de Baruch déjà cité. Lilio Grégorio Giraldi, célèbre par son érudition, a ra- massé dans son Traité des Dieux des Gentils , uu grand nombre de noms qu'on avaient donnés à Minerve pour ses différens attributs , et qu'il a recueillis de Pausanias , qui rapporte le culte rendu à Minerve dans les divers lieux de la Grèce. Ces noms sont tous tirés des divers noms et attributs de la Sagesse divine. Celui de Trlionla , ou Tritogenia , était un des plus or- dinaires et des plus universels. C'était un monument de cette naissance singulière de la tête de Jupiter, du Grec Trito , la tête. Le lac Tritonide dans la Libye en avait pris son nom, parce qu'on disait que c'était là que cette Déesse , après être sortie de la tête de son père , avait paru pour la première fois sur la terre. (6) Démocrite a remarqué qu'on lui avait aussi donné ce nom du mot Grec , Très ou Tria , qui veut dire Trois , pour marquer trois dons qu'elle a faits aux hommes : la prudence dans les conseils , la droiture dans les jugemens , et la justice dans les actions ; ce qui convient très-particulièrement et uniquement à la véritable Sagesse éternelle. Pausanias dit qu'on voit à Patras ., dans le Temple de Jupiter , une Statue qui le représente assis sur son trône (1) Mens mit idem estquod veritas , mit omnium certè simillima atquc verissima. Vers la fin de ce Traité de Platon. (2) Miner va est Joois intellect us , diversa non existais prudentiœ quœ Joui incst. Phornutus , de natura deor. (3) Sap. ch. 7. \. 26. (4) Chap. 1. de l'Epître aux Hébreux , v. 7. (5) Mentem omnia exornare , omniumque causam esse. Plato , in Phaedone. (6) liane et Pallas amat , patrio quod vertice nata , Terrarum primam Libyen , { nam proxima cœlo est , Ut probat ipse calor ) tetigit , etc. Lucanus. i4. Minerve. Gg avec Minerve à ses côtés (1) ; et ailleurs, le même Au- teur fait mention d'une Statue de Minerve , sous un titre qui veut dire , assise auprès de Jupiter. (2) Elle est aussi appelée d'un nom Grec Ametor , qui veut dire sans mère; et dans les hymnes d'Orphée, Monoge- nés , ou Fille unique du Dieu Souverain , sortie de sa tète ; la Prudence , et l'Inventrice des arts. Elle était aussi ap- pelée Po/yoc/ios , c'est-à-dire, la Maîtresse qui conduit tout l'univers. (3) Le premier de ces noms est celui du Verbe éternel Fils unique de Dieu (4) , et le dernier ne lui convient pas moins , puisqu'il soutient et gouverne toutes les créatu- res par sa seule parole. (5) Il y avait aussi à Erythrée, dit Pausanias (G) , un Temple de Minerve Poliade , c'est-à- dire Gardienne de la Ville , avec une fort grande Statue , qui la représentait assise sur un trône et soutenant le ciel avec sa tétc. L'invention des Arts attribuée à Minerve l'avait fait appeler par les premiers Athéniens Ergane (7) , qui signi- fie Présidente et Protectrice des ouvrages; nom qui con- vient particulièrement à la Sagesse divine ; de ce nom Grec sont venus le nom et la fable de la célèbre ouvrière Arachné, par la transposition d'une lettre , et sa méta- morphose en Araignée par Minerve. La Ville d'Athènes, qui semblait être la première de l'univers pour les scien- ces et pour les beaux-arts , en avait pris le nom de cette Déesse. • Le titre de Ugeia et Soteira , Conservatrice de la santé et de la vie des hommes (S) , que l'on donnait à Minerve , a un rapport assez sensible avec le Divin original. Elle était aussi appelée Mké (9) , la Déesse de la victoire ; Virgile la nomme la Décssedes armes , la Conductrice des armées. (10) Jephté appelait Dieu le Victorieux (u) , et lui attribuait la victoire ; David et les Juifs le chantaient de même (12), et il est appelé en plusieurs endroits le Dieu des ar- mées. (10) (1) In foro Jovis Olympii tcmplum est , seclet ipse in solio prope adsi- ttentt Uinervâ. In Achaïcis. (l!) Signum Miner cœ Pareœ ici est assidentissub Joue. In Laconicis. (3) Pausanias , in Laconicis. ('1; / nigenitus Dei Filins. tans omnia verbo virtutissuev. Epitrc aux Hébreux , cli. 1. v. 3. (6) Pausanias, in Achaïcis. (1) Pausanias , in AUicis. usanias , in AUicis. (91 Pausanias , in AUicis. 11 Irmipotens belli prœses Tritonia virgo. iEneis. 'nuis Dens nuster victor. Judic. c. 11. v. 2û. '" est Domine potenlia , ctgloria, atquc Victoria. 1. Paralip. cl!'.», v. 11. b ' (13J Dominas Dcus cxcrcituum. Exotl. 12. V. 41. et h. Kcg. cap. 3. v. k. 70 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , CtC. Pausanias raconte qu'il y avait à Tégée , ville de l'Ar- cadie , un Temple de Minerve sous le titre de Pa trône de la Fille , dans lequel il n'était permis au Prêtre d'entrer qu'une fois l'année (1) : cet usage n'est-il pas pris de ce qu'il n'était permis au Grand-Prêtre d'entrer dans la partie du Tabernacle appelée le Saint des Saints , qu'une fois l'année ? (2) Il y avait aussi, dans l'antiquité, des Temples dédiés à Minerve la Providence (3) ; c'est de même qu'au Yerbe la Sagesse et le Providence éternelle. Proclus et Marsile Ficin , et Lilio Giraldi après eux, ont écrit qu'en Egypte , au frontispice des Temples de Minerve on avait gravé cette inscription en caractères d'or : Je suis ce qui est, ce qui sera , et ce qui a été ; per-r sonne n'a pu lever et pénétrer le voile qui me cache; et si l'on veut savoir mes ouvrages , c'est moi qui ai fait le Soleil. (4) A la vue de cette inscription on en reconnaît l'original. La première partie est tirée du nom que Dieu se cïonna lui-même parlant à Moïse , et dont il voulut être appelé par cet ambassadeur qu'il envoyait au Roi d'Egypte. Fous lui direz, lui ordonna-t-il, Celui qui est m'a envoyé vers vous. Ce qui est ajouté dans cette première partie de l'inscription ( ce qui a été et sera ) est aussi ce que le Saint-Esprit avait dicté , parlant de la Sagesse incréée : .Tétais avant tous les siècles , et je ne cesserai d'être jusqu'à la fin des siècles. (5) Ainsi dans saint Paid : Jésus-Christ était hier , il est aujourd'hui , et iPsera dans tous les siècles. (6) Ces autres parties de l'inscription : [personne n'a dé- couvert le voile qui me cache , et le soleil est mon ouvrage ) sont aussi prises du même endroit de l'Ecclésiastique , où la Sagesse de Dieu dit elle-même : C'est moi qui ai fait paraître et qui ai allumé dans le Ciel cette lumière qui luit et qui luira toujours (7) ; et elle ajoute : Mon trône est au mi- lieu d'une colonne de nuages. Le Prophète Isaïe avait dit : Vous êtes véritablement un Dieu caché (8) ; et Dieu dit à Moïse : Vous ne pourrez voir mon visage , et nul homme ne (1) Mincrvœ Poliatidi dedicatum , cô singulis annis semel tantkm ingreditur sacerdos. Pansan. in Arcadicis. (2) Exocl. 30. v. 10. et Lcvït. 16. v. 34. (3) rtyûvoia?. Pausanias, in Phocicis. (4) Ego sum quœ sunt , quœ erunt, et quœ fuerunt : vélum meum recc- lavit nemo : quem ego fvuetum peperi ? sol est natus. Giral. D. Syn- tagm. 11. (5) Ab initio et aille secula ercata sum, et usque ad fulurum scctduni non desinam. Eccli. c. 24. v. 14. (0) Jesus-Cliristus heri , et liodie ; et ipse in secula. Epist. ad Hcbr. ch. 13. v. 8. (7) Ego feci in eœlis ut oriretur lumen indefœiens ; et thronus meus in columna nubis. Eccli. cli. 24. v. 6. (S) Verè tu es Deus abscondilus. Isaiœ c. 45. i.'l. Minerve. 71 ourir. (1) Il était honoré à Athènes dans l'Autel consacré au Dieu inconnu, dont personne n'avait levé le voile avant saint Paul , qui le fit connaître pour le Créateur < t le Seigneur du ciel et de la terre, qu'il annon- çait aux Athéniens. (2) Aussi dans la ville de Sais en Egypte", on avait gravé sur les portes d'un Temple de Minerve des Sphinx pour inscription (3) ; comme il y en avait un sur le haut de sou casque dans une statue décrite par Pausanias. (4) C'était pour marquer les mystères et les énigmes sous ils 1rs choses divines étaient représentées. Le grand nom même donné à Dieu, dans l'Hébreu (5) , était cable, el il était défendu de le prononcer. D' ail- leurs le nom de Sphinx est Phénicien , deSphikh, qui signifie intelligence (6) ; ce qui convient au Verbe Eter- nel . et marque l'origine Phénicienne de la fable de Minerve. ■ On lit dans Plutarque (7) quelque chose de bien sin- gulier , et qui paraît bien marquer ce que nous cher- chons ; c'est que les Pythagoriciens , qui ont honoré, les nombres et les figures géométriques des noms des Dieux , ont appelé le triangle équilaleral , Minerve née du cerveau de Jupiter, ou Tritogênie > parce qu'il se divise en trois espaces égaux par trois lignes tirées de chacun des trois angles. D'où peuvent-ils avoir puisé cette idée , que du triangle , qui de tout temps a été un symbole hiéroglyphique des trois Personnes de la Divine Trinité, égales en tout , dont le Verbe éternel , ou la Sagesse in- . est une , et qui ne font qu'un seul Dieu. Ce Sym- bole de l'adorable Trinité est bien marqué par Piérius dans son recueil des Hiéroglyphes. (8) Macrobc (9) place Jupiter dans la moyenne région de l'air , Junon dans la plus basse , et Minerve dans la plus haute ; comme ils avaient trouvé dans nos saints Livres , que le Verbe de Dieu, source de la Sagesse, est dans le plus haut des deux. (10) On donne à Minerve l'invention des sciences et des (1) Non vîdebit me liomo et vivet , et faciem meam videre non polcris. Exode , cl). 33. v. 20 et 23. (2) lurent (tram in qua scriptum irai ÏGXOTO DEO ; quccl ergo igno- olitis , hoc ego aimant io vobis. S. Paul parlant aux Athéniens dans r Iréopage , chap. 17. des Actes des Apôtres. (3) Giraldi , au lieu cité. j'i) Pausanias, in Atlicis. HOVA. art , In Gbanaan , liv. 1. cl). 26. ir la lin de son traité d'Isis et d'Osiris 59. eh. 38 , 39 et 40 de ses Hiéroglyphes. (9) Dan s ses Saturnales , liv. 3. en. !i. (10) Fons sapientias ver b uni Del in excelsis. Eccli. ch. 1. v. 5. 72 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. beaux-arts ; elle avait à Mégalopolis un Temple avec ce titre. Elle protège et inspire les Savans et les Ouvriers habiles (1) ; c'est d'elle qu'ils reçoivent leurs connais- sances et leurs idées. Nulle vertu et nul grand talent sans elle et que par elle. Ni la nature, ni les maîtres, ni l'étude ne peuvent enseigner les sciences et les ver- tus ; c'est par son inspiration et son influence seules qu'on peut les acquérir ; on y travaille vainement sans le soutien et en dépit de Minerve; comme c'est de la Divinité seule que la science et la vertu peuvent nous venir, c'est à elle seule que nous devons les deman- der. (2) Les Poètes recommandent de n'entreprendre aucun ouvrage , si l'on n'y est inspiré et conduit par Minerve. (3) Rien n'est plus propre à la Sagesse Divine , au "Verbe Eternel ; il est le Père des lumières , qui éclaire tous les hommes (4) ; il les enseigne lui-même , et leur donne les connaissances , il en est le Dieu et le Maître ; c'est lui qui prépare et qui forme les pensées, comme. la Lu- mière universelle et unique des esprits. Aussi saint Augustin en plusieurs endroits de ses ou- vrages , mais particulièrement dans son Traité intitulé du Maître (5) , prouve qu'il n'y a point de maître sur la terre qui puisse enseigner les sciences et la vertu ; que les hommes n'enseignent que les signes , et non les cho- ses ; et que l'unique Maître qui peut nous enseigner , c'est la Sagesse qui est dans le Ciel ; que Jésus-Christ seul est cette Sagesse et ce Maître, comme il nous l'ap- prend lui-même dans son Evangile. (6) Il avait fait dire par Isaïe , que pour apprendre à instruire les autres , il faut être attentif aux instructions de cet unique Maître, et recevoir plutôt de lui ce qu'on veut enseigner. (7) L'il- lustre P. Malebranche (8) a travaillé à rendre sensible cette importante vérité , que Dieu est notre seule Lu- (1) Pausanias , in Arcadicis. (2) Virtutem cloceri non posse per prœceptores , ncque naturâ neque doctrinâ illam acquiri, sed divinâ sorte adesse cuicanque adest; et quia à Deo solo esse passant et peti dcbent virtus et sapientia. Plato , in Me- none seu de virtutc. (3) Tu nihil invita faciès dicesve Minervà. Horat. de arle poética. [h) Pater luminum et qui illuminât omnem liominem. S. Jean, ch. J. v. 9 et 17. Qui docet hominem scientiam. Psaume 93. Dcus scicntiarum Do- minus est, et ipsi prœparantur cogitationcs. 1. Reg. c. 2. v. 3. (5) De Magistro. (6) Unus est Magister vester ; et magistcr rester unus est Cliristut, S. Matthieu , 23. v. 8 et 10. (7) Dominas dédit mihi tinguam cruditam , mane crigit milii aurcm ut audiam quasi magistrum. Isaiae c. 50. v. !i. (8) Dans la seconde partie , ch. G. du liv. 3° de sa Recherche de la Vérité ; et en d'autres endroits de ses ouvrages. : i4» Minerve. ^3 mière , l' unique .Maître que nous devons consulter et écouter : <|ue c'est la Minerve qu'il faut toujours suivre, si l'on ne veut pas s'égarer. On voit dans les Histoires du Peuple Juif, et surtout dans ses guerres, que Dieu y parait partout : il inspire et concerte les desseins ; il conduit les armées , dont les chefs ne font que le suivie ; il détourne d'eux les coups que les ennemis leur portent , il dirige et pousse les leurs sur leurs ennemis ; s'ils les battent , c'est parce que Dieu les leur livre ; quand ils sont défaits , c'est parce qu'ils ont obligé par leur ingratitude de les livrer à leurs enne- mis. Cela règne si fort dans toutes leurs Histoires , quelles sont moins l'Histoire des hommes que celle de Dieu , qui les favorise, ouïes châtie, suivant qu'ils l'ont mérite. Les anciens Poètes ont si exactement copié ce modèle , que tous leurs personnages sages, prudens, braves et habiles sont inspirés , conduits et soutenus par l'assis- tance visible et immédiate des Dieux , et particulière- ment de Minerve. Ce ne sont pas les Grecs , qui forcent , qui détruisent Troie , ce sont les Dieux eux-mêmes en personne qui la livrent aux Grecs ; c'est Minerve , qui se rend maîtresse des forteresses. (1) C'est elle , qui dans Homère conduit le sage Ulysse ; et qui dans cet excellent ouvrage , dont Homère lui-même aurait admiré les beau- tés, assiste Télémaque dans ses merveilleuses aventures. Il ne paraît pas hors de propos de placer ici une vieille tradition, rapportée comme fabuleuse par Diodore (2), au sujet de l'Ile de Rhodes , dont nous avons parlé, et d'une Statue de Minerve , qu'on y honore d'un culte qu'il appelé singulier. Cette Ile , dit-il , est consacrée au Soleil , et ses anciens habitans ont excellé dans les gran- des connaissances, particulièrement de F Astrologie. Apol- lon y avait eu sept enfans , d'une Nymphe qui donna son nom de Rhodes à cette Ile. Un de ces sept enfans , nommé Tenages , qui se faisait estimer plus que tous ses frères , périt par leur jalousie ; et les autres ayant été obligés de quitter le Pays , un d'eux se retira en Egypte , où il bâtit la Ville d'Héîiopolis , et enseigna aux Egyptiens l'Astro- logie et les autres Sciences , avec la connaissance des Lettres. Dans la révolution des années , les Sciences etles Lettres s'étant perdues à Rhodes et dans toute la Grèce , parles déluges et par les autres accidens qui en avaient détruit et fait perdre tous les monumens , les Egyptiens , qui les avaient conservées et cultivées , et qui s'en attri- (1) .Tenu stnnmas arecs Tritonia , respice , Pallas Tnsedil , Au 2. liv. do l'Encïtlo. (2) Liv. 5. de sa Bibliothèque historique. ■ ^4 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. huaient l'origine parl'antiquité, les rendirent à la Grèce, qui a passé depuis pour les avoir reçues des Egyptiens } ou , par Cadmus , des Phéniciens , qui les tenaient eux- mêmes des Egyptiens. Qui ne voit daus cette copie fabuleuse l'original de l'Histoire de Joseph , perdu par la jalousie de ses frères , lesquels , ayant été forcés de se retirer en Egypte , s'y établirent, y bâtirent des villes, et y portèrent toutes les anciennes et belles connaissances de l'univers , de sa création , de la véritable Religion , et de l'Astronomie , qu'ils avaient apprises de leurs ancêtres , et qui durant leur long séjour en Egypte en instruisirent si bien les Egyptiens, qu'elles passèrent pour les Sciences de cette nation , nées et cultivées chez elle , et qu'ils passèrent eux-mêmes pour Egyptiens ? Ils leur en laissèrent , avec les traditions , d'illustres monumens sous le nom d'Her- mès , ou de Mercure ; sous lequel nom ils cachaient ceux de Joseph on de Moïse. Ils ont aussi confondu ces deux Patriarches dans le nom et la personne de Tenagës ; au- quel ils ont donné l'aventure de Joseph , exposé et vendu par ses frères jaloux, et celle de Moïse sauvé des flots du Nil ; d'où a été formé son nom de Tenages , qui en Grec veut dire sorti du limon. Ce fut de ces prétendus Egyptiens et Phéniciens , de la race desquels étaient Joseph et Moïse , que les Grecs apprirent ensuite ces mêmes connaissances ; et c'était chez eux que les Grecs curieux et savans allaient les apprendre , comme dans leur source. ©®®®®®®®®®®®®@®®®®®e®®®®®®®®®@®®®®@® XV. BAGGHUS OU DIONYSÏUS. JLa singularité de la naissance de ce Dieu , son nom , la grande variété de ses surnoms , pris de ceux que nos Saintes Ecritures ont donnés au vrai Dieu , et la ressem- blance de ses plus considérables exploits avec ceux qui sont rapportés dans ces saints Livres , ont fait aperce- voir à tous ceux qui ont voulu y faire attention (1) , que la Fable a puisé dans cette source toutes les merveilles dont elle a composé son Bacchus. Il est copié, en partie sur Noô , et sur Nemrod ; mais pour la plus grande par- tie, sur Moïse et sur ses prodiges , dont la mémoire était récente et célèbre , lorsque Cadmus , se retirant de la (1) S. Justin, dans sa seconde Apologie pour les Chrétiens , et dans son Dialogue avec Tryphon ; Bochard ; Vossius, de idololat. iib. 1. c 30. M. Muet ; le P. Thomassin , et autres. i5. Bacelius. ^5 Phénicie dans la Grèce, y porta le culte de Bacelius (1) , que les Phéniciens avaient reçu de l'Assyrie. On a compté plusieurs Bacchus. Diodore et Philo- strate on reconnaissent trois : l'un de Thèbes en Egypte , l'autre Indien , le troisième Assyrien. Cicéron (2) en compte cinq , dont l'un était né du Ail , suivant Orphée dans ses Hymnes ; mais suivant l'opinion commune Bac- chus était né sur les bords de ce fleuve , de Jupiter et de Sémélé Thébaine. La Fable feint que s'élant abandonnée à Jupiter , elle eut l'ambition de vouloir être visitée de ce Dieu , dans toute sa majesté et avec ses foudres ; qu'elle en fut brûlée; que Jupiter tira l'enfant, au milieu des «clairs, du corps de la mère morte , et le cousut à. sa cuisse ; d'où il le fit naître quand le terme naturel fut accompli ; sur quoi l'on dit qu'il avait eu deux mères (5) , ou qu'il était né deux fois. Après qu'il fut né, on l'en- ferma dans une caisse pour le sauver , et on l'exposa sur le fleuve ; d'où il est appelé Ml dans Diodore et dans Macrobe ; Orphée l'appelle Myses (4) , qui veut dire sauve de l'eau. Il fut aussi nommé Dionysius. On disait qu'il avait été porté et élevé par des Nymphes , dans la ville de Nysa , en Arabie (5) , dont les habitans , issus d'Abraham , s'appliquaient volontiers , pour flatter leur vanité , les Histoires des autres descendans de ce Pa- triarche. On ajoute qu'il fut mutilé. On le peignait fort beau et toujours jeune ; il se rendit illustre dans les ar- mes , et parcourut l'Arabie avec une armée nombreuse composée d'hommes et de femmes (6) ; il fut grand Lé- gislateur , et donna ses Lois en deux tables , comme nous l'apprenons d'Orphée. (7) On le représentait en Taureau avec deux cornes , comme Osiris , et on l'appe- lait Cornu et Taureau. (S) Il avait à la main une verge, entourée de serpens en- tortillés , appelée Thyrse (9) , qui faisait des prodiges fréquens , et qu'on portait dans la célébration de ses Mystères : il était toujours accompagné d'un chien ; on lui attribuait d'avoir le premier planté la vigne , et donné (1) Bochart , in Chanaan , lib. 1. c. 18. (2) Cicer. liy. 3. de nat. dcorum. (3) Bimater, ou Ditliyrambus , ctjff îsgeniïus. Konnus , aucommen- cernent de sou Poème des Dionysiaques. [l\] Mysés , dans les Hymnes d'Orphée. (3) Pausauias , in Laconicis. (0) Idem , in Corinlhiacis ; et Diodor. liv. 1. (7) Orpheus , in Hymnis. (8) Tauriformis, bicornis, cornîger. Plutarque, dans ïsis: Orphée; Euripide , in Bacckls ; d'où Ovide a dit : Accédant capiti cornua , Bac- ;0) Du mot Hébreu Thirza , qui signifie une branche de Pin. ^6 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. le vin aux. hommes, après le Déluge universel (1) ; il planta la vigne sur le mont Liban , dans la Palestine , où il étendit ses conquêtes. On voit clairement , dans ce que nous avons rapporté, les aventures de Moïse , aussi Egyptien , dont la nais- sance et le berceau , devenus célèbres , ont été l'origi- nal de la naissance ridicule de Bacchus et de son ber- ceau , qui le lit appeler par les Grecs , Limites, de Licnon » qui veut dire Berceau. On fut obligé de cacher Moïse, dès qu'il fut né : il fut exposé sur le Nil , et il en fut sauvé par la fdle de Pharaon , qui fut si charmée de sa beauté , qu'elle le fit élever , et l'adopta pour son fils. Philon conte qu'elle feignit même d'être grosse , et en- suite de s'en être accouchée ; d'où vient qu'on a donné deux mères à Bacchus , et qu'on a dit qu'il était né deux fois. Moïse était si beau , qu'on ne pouvait le voir sans en être charmé , dit Josèphe (2) , comme le fut la fille du Boi d'Ethiopie. La manière de parler, dont l'Ecriture se sert lors- qu'elle dit Ceux qui. étaient sortis de la cuisse de Jacob (5) , pour dire ses enfans , a donné lieu à l'imagination qui fait sortir Bacchus de la cuisse de son père. (4) Moïse passa une partie de sa jeunesse dans l'Arabie , et s'y maria. Ce qu'on a feint de la mutilation de Bacchus , n'est qu'une altération de la circoncision ordonnée au Peuple Juif, que Moise avait subie , et dont il reçut un ordre particulier pour son fils ; ce qui fit dire à sa femme , Fous m'êtes un époux de sang. (5) La naissance fabuleuse de Bacchus , au milieu des éclairs et des foudres de Jupiter , est une corruption de la tradition de l'Histoire de Moïse , qui fut quarante jours avec Dieu , sur la montagne de Sinaï , enveloppé clans les flammes et les éclairs que les Hébreux voyaient, où ils le crurent consumé, et du milieu desquels ils le virent sortir comme un homme nouveau. C'est ce qui fit nommer Bacchus Ignigena , c'est-à-dire, enfant du feu. C'est aussi de cette montagne qu'on prit occasion de dire qu'il fut élevé à Nysa , par un petit changement dans le mot de Sina où Moïse reçut les instructions et la Loi de Dieu en deux tables qu'il porta au peuple. Vossius a re- (1) Nonnus, dans ses Dionysiaques, liv. 6. sur la fin. Et genialis consllor avec ; dans Ovide , Metamorph. 1. U. (2) Josèphe , liv. 2. de son Histoire , chap. 5. (3) Qui egréssi sunt de femore Jacob. Genèse , ch. 46. v. 26. et Exod. ch. 1. v. 5. (il) E Phœnicibus eadem vox femora et verenda signifiait. Bocharfc , Chanaah , liv. 1. c. 18. (5) Scpkora circumeidit prœpuiiiim filii sui, et ait Mi : Sponsus san* guïnum tu mild es. Exod. ch. It. v. 25 et 26. i5. Bacchus. 77 marqué , que dans la Chronique d'Alexandrie , on con- fond \ysa et Sina dans l'Arabie , comme la même monta- gne. Les deux tables des lois que Bacchus donna à Béroé, prés du mont Liban (0, ne sont qu'une copie de celles de Moïse, comme aussi les cornes qui parurent au front de celui-ci lorsqu'il descendit de la montagne (2) , en ont fait donner à Bacchus. Le nom de Bacchus , comme Bochard l'a observé (5) , est prit de Bar-chas , c'est-à-dire fds de Chas, appelé aussi Chuséen , qui fut Nemrod ; d'où Bacchus fut aussi ap- pelé Nebrod [\) par les Grecs. Un de ses anciens noms était Zagréus , c'est-à-dire grand et vigoureux Chasseur; C'est le nom par lequel l'Ecriture désigne Xernrod. (5) On ne doit pas être surpris que Bacchus soit composé de plusieurs personnages de l'Eiistoire Sainte ; mais la plus grande partie en est copiée sur Moïse, comme l'a remarqué Vossius , qui croit que le Bacchus des Indes avait été formé sur Noé ; et celui d'Egypte et d'Arabie sur Moïse. Dans la suite , les aventures de l'un et de l'au- tre furent confondues, et encore plus altérées. On a pris de Noé l'invention de planter et de cultiver la vigne , et de l'usage du vin. On avait dit que Bacchus en avait planté près du mont Liban, joignant l'Armé- nie où \'oé séjourna quelque temps après le déluge. Bacchus , célèbre par ses conquêtes , avait reçu de Jupiter l'ordre de défaire les Rois d'Arabie et des Indes, d'exterminer leurs peuples , et de faire avec son Thyrse , des exploits dignes du Ciel. (6) Avec ce Thyrse et une suite de gens sans armes , il mit en pièces des Géans (7) ; il défit de puissantes armées ; il déliait la langue de ceux qui ne pouvaient parler (8) ; il passa au travers de la Mer rouge (9) et des fleuves dont les eaux se reliraient pour lui donner passage. Ce fut en fuyant les Egyptiens qu'il traversa de même l'Oronte et l'Hydaspe, oùles Indiens furent submergés (10), lorsqu'il eut frappé du Thyrse l'eau de ces fleuves. (11) Rien né résistait à celle verge. (1 ) Orphée . dans les Hymnes ; et Nonnus , liv. Al. Dioirysiac. (2) E\od. eh. 31 et 3Zj. (3) lu Phaleg. lib. 1. c. 2. Bar-chus , Cliusi filius , Chusœus in Arabia natiis. (û) Ncbroclcm. eod. c. 2. Phaleg. (5) Genèse , c. 10. |6) Cœlo cligna perfœe.'THonnus, Dionysiac. lib. 13. inprinc. 17) Idem, lib. 3. cap. 25 et Û8. («) Idem, lib. 26. v. 288. [9] Flauum ruUri suOiit fluctum maris persequente Lrcurgo. Idem , lib. 20. et Homère au G. liv. de l'Iliade. Fugiens /Kgyptios Oronlem et Hydaspen fliwios Thyrso traje- eit . ('» quibus huli submereunidr. Noniius , lib. 24 et 25. (11) Diudore, liv. 3. et Plutarquc dans lsis. 7 8 COEFÉREPTCE DE LA. FA.BLE , etc. Etant exilé de l'Egypte , il eut affaire au Roi d'Ara- bie (1) , ennemi puissant et cruel. Il se laissa une fois séduire , et se livra sans précaution à ce Roi , qui défit ses troupes avec un aiguillon dont on pique les bœufs, auprès du mont Carmel dans la Palestine ; mais Bac- chus , favorisé des Dieux , défit dans la suite tous ses ennemis , et se rendit maître de leur pays ; le Roi d'Ara- bie fut pris. De tous les Indiens , il n'en resta qu'un seul pour porter la nouvelle à leur Roi , que tous les autres avaient péri, ou dans le combat, ou sous les eaux , par le Thyrse de Bacchus. Malgré les altérations inévitables, dans les traditions, par le laps de temps et par le passage d'une Nation à une autre , on ne peut méconnaître dans cette copie l'Original de l'Histoire miraculeuse de Moïse , ni désirer une res- semblance plus sensible. Moïse fut redoutable et célèbre par ses grandes con- quêtes dans l'Arabie même , où l'on a placé celles de Bacchus. Il la traversa au milieu des plus grands obsta- cles (2) ; il y défit et passa au fil de Fépée plusieurs na- tions •• il tailla en pièces le Géant , roi de Basan (5) , ses enfans et tout son peuple, les Moabites et les Madiani- tes. (4) Il conduisit les Israélites au bord du Jourdain ; et après lui Josué ( qui l'avait suivi , qui lui succéda , et dont on confondait aisément les exploits avec ceux de Moïse , ) conquit la Palestine , en chassa ou extermina les habitans. On appelait anciennement Indes tous les Pays reculés vers l'Orient. Tous ces succès étaient l'effet d'un ordre exprès du Ciel : Je vous ordonne, ( lui dit Dieu , ) de tirer mon Peu- ple de l'Egypte , pour aller se saisir des Pays des Chana- nécns , des Héthéens (5) ; et ne craignez pas tous ces Rois (lui dit-il ensuite) ;je les ai livrés entre vos mains avec tout leur peuple. (6) Dieu leur ordonna encore de faire des prodiges avec sa verge (7) , pour faire voir qu'il était envoyé du Tout-puissant ; sur quoi on a feint des ordres pareils , donnés par Jupiter à Bacchus. (8) Ainsi , avec peu de combattans et sans perte , Moïse , par cette verge, défit des armées nombreuses; il prit des villes très-fortes ; il abattit les Géans de la race d'Enac. Rien n'est comparable aux prodiges de son Histoire. Il avait (1) lïomerc , au 6. liv„ de l'Iliade : et Dionysiac. liv. 20. v. 235 et 2Q0. (2) Exod. c. 17. (3) Kurasr. c. 21. (ù) Kumer. c. 21 et 31. (5) Exod. c. 3. (6) Kumer. c. 21. (7) Virgam liane sume in manu tua, in quel facturus es signa. Exod. c. b. v. 17. (8) Cœlojligna perfice. Sup. i5. Bacchus. 79 naturellement de la peine à parler ; Dieu lui délia la langue , et lui dit : Je ferai qu'on vous entendra. (1) 11 n'est pas nécessaire de faire observer que le passage de la mer rouge par Bacchus , à la sortie de l'Egypte , et celui des fleuves mis à sec, où les ennemis qui le poursuivaient étaient submergés par un coup de sa verge, sont pris du passage de la même mer et de celui du Jour- dain , divisés par la verge de Moïse. Les Poètes, qui ne cherchent qu'à briller par tout ce qu'ils peuvent imagi- ner de merveilleux, n'ont eu dans cet endroit qu'à sui- vre l'original , dans toutes ses circonstances. A la sortie de l'Egypte , d'où les Egyptiens publiaient que Moïse et les Israélites avaient été chassés, il eut affaire à de puissans et cruels ennemis , les Rois d'Ara- bie et du Pays de Chanaan. Le Peuple qu'il conduisait, sur le point d'entrer dans la terre qui lui était promise , voulut , contre les ordres que Moïse lui annonçait de la part de Dieu, combattre les Amalécites et les Cbana- néens (2) ; et Dieu le livra à ses ennemis ; il fut taillé en pièces. Mais Dieu s'étant apaisé en faveur de ce même Pe.uple, le rendit enfin vainqueur; les Nations et 1rs Ro l s lurent exterminés. La Fable a pris de Samgar, qui défit les Phiiistins avec un soc de charrue (5), l'aiguillon à piquer les bœufs , avec lequel elle attribue à Lycurgue d'avoir défait Bacchus. Lycurgue est ici un nom forgé de deux pour signifier un loup furieux et enragé. Le Thyrse de Bacchus , orné de pampres de vigne ou de feuilles de lierre , qui jeté , par terre , s'était changé en serpent (4) , et ceux dont les Bacchantes se couron- naient , sont une imitation de la verge de Moïse , con- vertie de même en serpent, quand il la jeta à terre en présence de-Pharaon. Ils peuvent l'être aussi du Serpent de bronze que Moïse fit élever, pour guérir les morsu- res des serpens dont les Israélites furent affligés dans leur voyage. L'armée avec laquelle Bacchus parcourut l'Arabie et les autres Pays qu'il subjugua , a été composée et mêlée de femmes et d'hommes (5) , comme était composé le grand Peuple que Moïse conduisit de victoire en victoire dans le désert de l'Arabie et dans la Palestine. Bacchus et les femmes de sa suite faisaient sortir de l'eau des rochers , en les frappant avec le Thyrse (6) ; ils firent aussi sortir des flammes de la terre, en la frap- (1) Vadc , congrega , et audient vocem tuam. Exod. c. 3. v. 10 , 18. (2) Nurner. c. 14. in fine. (3) Juclic. c. 3. v. 31. ('!) Euripide , in Bacchis , Kionnus , in Dionysiac. S. Clément d'Alexandrie , in Gcntites , Arnob. lib. 5. (5) Nonnus , Cochard, et les autres. (0) Pausanias , in Phocicis , in fine. So CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. pant de même (1) ; voilà les eaux du rocher frappé par la verge de Moïse , et les flammes qu'il fit sortir de la terre , pour consumer Coré , Dathan et Abiron. (2^ On a aussi dit que Bacchus changea en vin l'eau d'un fleuve , en le touchant de sa verge (3) , pour copier le change- ment de l'eau du Nil en sang (4) , par la verge de Moïse. D'où aurait-on putirer l'imagination que les ennemis de Bacchus étaient dans les ténèbres , pendant que lui et son armée jouissaient d'une claire lumière (5) , si ce n'est des ténèbres dont l'Egypte fut couverte , pendant qu'il faisait un jour fort clair pour tout le Peuple d'Is- raël (6) , et de la colonne de nuée lumineuse du côté de ce Peuple , et obscure du côté de ses ennemis ? (7) D'où aurait-on imaginé que le Pays où Bacchus con- duisait toute sa suite , découlait de lait , de vin , et de miel (8) , si ce n'est de ce qu'il avait été dit , qu'il décou- lait des ruisseaux de lait et de miel dans la Terre où Moïse conduisit les Israélites ? (9) De ce que le Seigneur, dans une colonne de nuée , conduisait son Peuple et marchait à sa tête durant le jour et durant la nuit (10) , les Poètes ont dit que Jupiter en aigle conduisait l'armée de Bacchus dans l'Arabie et dans les Indes. (11) On mettait à la suite de Bacchus des chantres , des tambours , des danseurs , des flûtes et autres instrumens ; ce qui lni fit donner le nom de Sabazius (12) ; comme Ta- cite dit (i5) que suivant les Lois de Moïse , les Prêtres des Juifs chantaient et jouaient du tambour et de la flûte. Ce qu'on a chanté de Bacchus , qu'il arrêta le Soleil , et l'obligea de retarder sa course pour prolonger le jour (i/i) , ne peut avoir été imaginé que sur la tradition du Soleil arrêté par Josué, successeur de Moïse , et sou- vent confondu avec lui. La Fable rapportée par Pausanias (i5) , d'Euripyîe puni par Bacchus , pour avoir par curiosité ouvert une caisse , (1) Nonnus , in Dionysïac. et Euripides, in Bacchis. (2) Kumer. c. 16. et Deuteron. c. 11. (3) Nonnus , lib. 14. in fine ; lib. 15. in princ. etlib. Û8. v. 018. (û) Exod. c. 7. (5) Nonnus ; Pausanias ; et Bochart , in Chanaan. (ô) Exoc!. c. 10. (7) Exod. c. lu. (8) Euripides , in Bacchis. (9) Numer. c. 13. (10) Exod. c. 13. in fine. (11) Nonnus , Dionysiaques. (12) Be 2«C«£êiv , bacckari , tripudiare , sauter . danser. (13) TaciLe , liv. 2. de son Histoire. (14) Ducem astrorumsolem exorauit cxlenclere dulcem luccm ut tardas in occasum vcniret. Nonnus , au commencement du liv. Û2. (15) Pausanias , au liv. des Achaïques. i5. Bacchus. 81 où l'effigie de ce Dieu était renfermée, a un rapport sen- sible avec l'Histoire des Bethsamites (1) punis pour avoir voulu trop curieusement voir l'Arche sainte, comme il sera observé dans un autre endroit. Bacchus , irrité contre les Athéniens qui n'avaient pas reçu son culte avec assez de respect, les châtia, dit- on, dans les parties secrètes de leur corps , par des ma- ladies auxquelles ils ne trouvèrent d'autre remède que d'offrir à ce Dieu (2) , avec toutes les marques d'un culte respectueux, suivant l'avis de l'Oracle, des effigies de ces mêmes parties ; nous verrons aussi ailleurs , que c'est l'Histoire assez connue des habitans d'Azot. L'enlèvement d'Ariane, fille de Minos roi de Crète, par Bacchus , rapporté par Pausanias (3) , a été appa- remment pris de ce que la fdle du roi d'Ethiopie s'était livrée à Moïse. (4) Les Arabes , au rapport de saint Epiphane (5) , adorè- rent Moïse comme un Dieu , après avoir vu les prodiges qu'il opérait et son pouvoir sur les élémens et sur toute la nature ; ainsi a-t-on dit qu'ils adoraient Bacchus , dont la Statue n'était qu'une pierre noire non polie (6) , posée sur un piédestal d'or ; conformément à ce que la Loi de Moïse ordonnait, que les autels fussent faits de pierres non polies. (7) Strabon (S) assure que les Arabes ne connaissaient que deux divinités , Jupiter , et Bacchus : et Pausanias (^) représente celui-ci porté dans le Ciel par Mercure. Aussi Tacite dit que quelques-uns avaient cru que les Juifs adoraient Bacchus (10) ; mais il rejette cette opinion par la différence de leurs cultes. C'est que ceux-là croyaient que les Juifs adoraient Moïse , qu'ils confondaient avec Bacchus. Bacchus , qui bâtit un Temple à Jupiter Ammon, n'y mit aucune effigie ; ce qui se rapproche encore de la Loi de Moïse, qui le défendait (n) ; et les Phocéens avaient un temple de Bacchus de même sans statue ni effigie. (12) Caleb , envoyé par Moïse pour aller visiter la Terre promise, ( d'où il rapporta sur un levier , un raisin d'une (1) Au 1. liv. des Rois , ch. 6. v. 10. (2) Bochart , in Chanaan , lib. 1. c. 18. (3) Pausanias , dans les Phociques. (4) Josèphe , liv. 1. chap. 5. (5) Hérésie 55. (6) Bochart , in Plialeg, lib. 1. c. 9. (7) De saxis informibus et impolitis. Dculeron. e. 17. (S) Slrabon , liv. 6. (0) Pausanias , clans les Laconiques. (10) Liberum patrem coli dvmitorem Orientis quidam arbitrait sunt , nequaquam congruentibus instituas. Livre 5 , ch. 5. de son Histoire. (11; Non faciès tibi seul/Acte. Exode c. 20 v. û. Lévilique , c. 26. et Dcutéron. e. 27. v. 15. (12) Pausanias , dans les Phociques. k* 82 CONFERENCE DE LA. FABLE , etC. grosseur prodigieuse pour faire voir la fécondité du pays,) signifie en Hébreu , un Chien. De là la Fable a donné à Bacchus un Chien fidèle , qui l'accompagne ; et en mé- moire de ce beau raisin , elle a ajouté que Bacchus trans- porta son Chien au Ciel , et qu'il en fit une constellation dont l'emploi est de faire grossir et mûrir les raisins. (1) Saint Justin (2) fait voir comment la Fable a horrible- ment défiguré et corrompu la Prophétie de Jacob , sur la postérité de Juda , d'où devait sortir le Messie , appelé en Hébreu , Silo , pour en composer la fiction ridicule de Silène , compagnon de Bacchus , toujours porté sur un âne , et toujours plein de vin , avec des cornes au front. La Prophétie porte (5) que « le Sceptre et le Chef du » Peuple de Dieu demeureraient dans la postérité de Jucia » et de ceux qui seraient sortis de sa cuisse ( c'est-à- » dire , de sa race , ) jusques à ce que Silo ( c'est-à-dire , » Celui qui devait être envoyé) en viendrait; qu'il serait » l'attente des Nations : qu'il attacherait l'ânon à lavi- » gnc , et l'ânesse au cep de la vigne , qu'il laverait sa » robe dans le vin , et son manteau dans le sang du rai- « sin ; que ses yeux sont plus briilans que le vin , et ses » dents pins blanches que le lait. » C'est pour corrompre cette prédiction , dit saint Jus- tin , que les Démons inspirèrent ces fictions, que Bac- chus était sorti de la cuisse de Jupiter, et qu'il enseigna à planter et à cultiver la vigne ; qu'ils employèrent les ânes dans ses Mystères ; qu'on représentait Silène avec Bacchus toujours pleins de vin , et leurs vêtemens aussi arrosés de vin ; l'un et l'autre portés sur des ânes et inséparables ; qu'on le représentait d'un visage brillant et toujours jeune ; mais portant des cornes ( ce qui était pris de Moïse ) ; ce fut du nom de Silo , qu'on forma celui de Silène. Le nom d' Ahbir [l\) qu'on donne souvent à ce Dieu , et qui en Hébreu signifie également Taureau et Puissant, peut avoir aussi contribué à peindre Bacchus en tau- reau, et à l'appeler de ce nom. De la même source viennent tant de mots qui parais- sent barbares dans le culte et les cérémonies de Bac- chus, et tant de noms du vrai Dieu que la Fable lui a transportés de nos saints Livres. (5) Le nom de Dionysus composé de Dios , Jupiter , et de (1) Ut uvam maturam rcddal racemi in ubertatem , jaculans sptende- rem. Dans les Dionysiac. liv. 10. v. 200. (2) Dans sa seconde Apologie pour les Chrétiens ; et clans son Dia- logue avec Tryphon. (3) Genèse , cl). 49. v. 9 , 10 , 11 et 12. (?ij Ahbir , en Hébreu, puissant ou taureau. (5) iïocharcl , liv. 1. du Chanaan , c. 18. i5. Bacchus. 83 Ptysa , 011 la Fable a placé son éducation , a été pris , sui- vant Cochard, do l'inscription que Moïse avait érigée à Dieu : Jëliova nissi , ou nissan; c'est-à-dire ; Le Seigneur est mon étendard et ma protection, (i) On mit, au lieu de .hhova, qui est le nom propre du vrai Dieu , celui de Jupi- ter , ou Dios , et de là Dcnys , qui est Bacchus. C'est ce qui fil ensuite interpréter qu'il avait été élevé à Nysa. D'shlonaï , Bacchus fut appelé Adonœiis ; de El , Elicl et Ekioe , autres noms du vrai Dieu, Elelœus ; de ce que Dieu est dit un feu consumant (2) , un Dieu jaloux, en Hébreu , Hu-es , on a donné à Bacchus ce même nom liais , ou Ityés. Le nom de Thyades , donné aux Bacchantes , et celui de Thyan , donné à un Temple de Bacchus (3) , viennent de ce que les devins Chaldéens étaient appelés Thyes. On a appelé les Fêtes et les Mystères de Bacchus , Or- gies , du Chaldéen Arzaia , qui veut dire Mystères. (4) On l'a appelé en Grec Hyês , (5) comme l'on appelait aussi Jupiter , c'est-à-dire , le maître de la pluie , sur ce que Moïse levant sa verge vers le ciel , fit pleuvoir en Egypte , et fit ensuite cesser la pluie quand il le lui or- donna (6); Narlkecopkorus , portant toujours la verge ou le Tiiyrse , qui est le symbole propre de Moïse; et Mixo- barbaros , parce que Bacchus conduisait des troupes mêlées de nations de barbares , comme Moïse condui- sait un grand peuple que les autres nations appelaient barbare , et qui était en effet souvent indocile et barbare. Le nom de Libérateur et de Sauveur (7) , donné en plu- sieurs endroits à Bacchus , convient parfaitement et pro- prement à Moïse , connu pour avoir délivré le Peuple de Dieu de la servitude de l'Egypte. Bacchus était honoré dans î'Achaïe sous le nom Ù! Msymnetés (8) , c'est-à-dire caché et exposé dans le panier qui lui servait de berceau ; ce qui désigne uniquement Moïse : sous le nom de Mësateus , formé du nom de Moïse et de celui de Dieu ; et sous celui d'Antlicus (9) , c'est-à- dire , qui fait fleurir , pris de la verge d'Araon , mise par l'ordre de Moïse son frère avec celles des autres Tribus d'Israël , pour discerner le choix de Dieu , laquelle (1) Exode, cli. 17. v. 15. (2) Deus igiiis consumais ; enlîé'breu, IIu-cs. Auch. û. du Deutéron. (•">) Pausanias , au livre des Eliaques. (Û) Bochard , dans sou Chanaan , liv. 1. ch. 18. (.")) Dans Aristophane ; et dans Plutarque , Traité d'Isis. (0) Extendit Aloyses. virgam in cœlum, pluitque Dominas; extendit manum , cl cessaverunl tonitrua et grando , nec ultra slillavit pluvia. Esod. <•. l\. (7) Eleulhcrius , Sauveur. (8) Pausanias, dans les Acliaïqncs. (9) Pausanias . dans les Archaïques , et clans les Alliques. 84 CONFÉRENCE DE LA FABLE , elC. quoique entièrement sèche, fleurit dans une nuit. (1) Il fut aussi appelé Cadmëen (2) , parce que Cadmus apporta dans la Grèce les Histoires de Moïse. Le nom de Mysés qu'Orphée lui donne au commencement de ce Cha- pitre comme nous avons dit , est visiblement celui de Moïse. Nous avons marqué l'origine de celui de Dithy- rambus , ayant deux mères , et de celui de Licnités , pris du prodige de son berceau. On lui a donné pour père Jupiter , père des Dieux, et régnant dans les Cieux; le père de Moïse était Amram, dont le nom en Hébreu signifie père haut et élevé. Le nom de sa mère Jocabed , qui signifie ambitieuse (5) , a donné lieu de faire périr la mère de Bacchus , par l'am- bition d'être visitée par Jupiter dans tout son éclat, comme il visitait Junon. Pausanias nous enseigne qu'auprès de Thèbes il y avait un Temple de Bacchus , surnommé JEgobolus (4) , en mémoire de ce que Dieu y avait envoyé et fait trouver un chevreau , au lieu d'un enfant qu'on était sur le point d'y sacrifier ; ce qui ne peut être qu'un reste de tradition du bélier que Dieu envoya pour être immolé au lieu du jeune Isaac. Nous verrons dans la suite d'autres imita- tions bien marquées de ce sacrifice. €®€€)®€)®f)€)e€)f)6)f)f)«)€)®f)f)€)f)®€)®€)€;©®S:®®€;®€)€) XVI. LES HÉROS ET DEMI -DIEUX. vjEUX qu'on appelait Héros , ou demi-Dieux , suivant ïa propre signification de leur nom , comme Platon l'a observé (0, étaient ceux qu'on disait nés des amours, ou d'un Dieu pour une mortelle , ou d'une Déesse pour un homme mortel. Ils étaient ainsi appelés du Grec, Eros , qui signifie Y Amour. Platon ajoute que ce nom marque encore que ces demi-Dieux étaient puissans en paroles comme en œuvres , d'un autre mot Grec Eiro qui veut dire savoir parler , avoir le don de la parole. Mais comment a-t-on pu penser que les Dieux immor- tels vinssent se mêler avec des femmes mortelles , et des Déesses avec des hommes mortels , pour en avoir des en- fans ? Comment pouvait-on concevoir ce composé demi- Dieu , demi-homme , qui naissait de ces unions ? D'où (1) Turgentibus gemmis cruperant flores. Numev. c. 17. v. 8. (2) Liberum Cadmœum. Pausanias , dans les Béotiques. (3) Jocabed, orgueilleuse. (A) Qui jette un clicvreau. Dans les Béotiques de Pausanias. (5) Dans son Dialogue intitulé Cratyle, on De la véritable raison (tes noms. i6. Les Héros et demi-Dieux. 85 cette imagination a-t-elle pu tomber dans l'esprit des Poètes, et s'être communiquée jusques dans les His- toires ? Elle a été sifilée et trouvée ridicule dans les Portes ; les Historiens sérieuxet exacts ne l'ont proposée que comme une flatterie excessive des peuples pour des Princes et pour de grands personnages redoutés; et ceux-ci ne l'ont soufferte et ne s'y sont prêtés , que parce que cette opinion populaire leur assujettissait les es- prits , et facilitait le succès de leurs grandes entrepri- ses , ou quelquefois pour cacher une naissance obscure et peu honorable. Ainsi Romulus trouva avantageux d'être cru fils du Dieu Mars; Alexandre laissa croire à ceux qui le voulurent , que Jupiter était son père: et les Romains , pour s'attirer de la vénération par l'opinion d'une origine céleste , adoptèrent la Fable chantée par les Poètes , qu'Enée leur premier fondateur était fils de la Déesse Vénus et d'Anchise. L'origine de celte idée se trouve dans le texte même de Moïse , où il a écrit : « Que les enfaus de Dieu, épris » de la beauté des filles des hommes , choisirent les plus » belles pour leurs femmes ; et qu'on vit dans cetemps- » là sur la terre des Géans que ces femmes unies à ces » en fan s de Dieu mirent au monde. Ce furent des hom- » mes puissans , forts , entreprenans, et qui se rendi- » rent célèbres. » (1) Josèphe (2) dans son Histoire, met les Anges , au lieu des Enfans de Dieu. Il y a eu même des interprêtes de l'Ecriture qui ont traduit, des Enfans des Dieux , au lieu des Enfans de Dieu. On n'a pas à chercher ailleurs l'original et la première idée de ces unions des Dieux avec les filles des hom- mes que ces Dieux avaient trouvées belles , et d'où étaient sortis des demi-Dieux puissans, ambitieux, et fameux parmi les hommes , des Titans fils du Ciel et de la Terre , dont l'origine était mêlée de l'un et de l'autre. Il est vrai que c'est une erreur produite par un mau- vais sens donné aux paroles du texte de Moïse ; mais ce sens paraissait naturel , et cette erreur était d'autant plus pardonnable aux Poètes et aux Théologiens du Paga- nisme, qu'elle leur était commune avec plusieurs Théo- logiens Juifs , et même avec quelques-uns des premiers Ecrivains et Théologiens illustres de la naissance du Christianisme. Josèphe , Lactance , saint Justin , et Ter- tullien , avec d'autres, ont cru que Moïse avait voulu (1) Videntcs frfii Dei fîlias liominum quod essent pulchrœ , acceperunt sibi uxovesex omnibus quas elegerant ; Gigantes autan erant super ter- ravi in diebus Mis. Postquam enim ingressi sunt filii Dei ad fîlias liomi- num , Masqué genuerunt , isli sunt polentes à seculo viri famosi. Gènes, c. (3. iuprinc. (2) Livre 1. en. 3. 86 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. dire que des Anges ou Démons , touchés de la beauté de quelques femmes , avaient eu commerce avec elles , et étaient les pères de ces hommes d'une grandeur , d'une force et d'une audace extraordinaires , qu'on appela Géans, Titans , ou demi-Dieux. Tertullien (i) dit assez clairement qu'il entend par-là les Démons ou mauvais Auges condamnés. Cette opinion partagea quelque temps les esprits qui ne l'avaient pas assez examinée , justpies à saint Am- broise même. Il est vrai que ce Père , dans un traité (2) où il recherche les causes qui portèrent Dieu à punir le monde par le déluge , et où il explique ce texte de Moïse que nous avons rapporté , convient que le terme d' En- fans de Dieu dont cet Historien sacré s'est servi, signifie ordinairement, clans le style de l'Ecriture, les Enfans des Princes (3) , ou des Puissans , ou les gens de bien ; il entend même par ce terme dans cet endroit les Enfans de Seth qui étaient demeurés attachés aux lois et au culte de Dieu , et qui sont par-là opposés aux filles des hom- mes , c'est-à-dire , delà race maudite de Caïn , qui avaient perdu la crainte de Dieu , et qui vivaient suivant les in- clinations de la nature humaine corrompue ; mais saint Ambroise ne combat pas cependant l'opinion erronée qui, parles Enfans de Dieu, touchés de la beauté des filles des hommes , et qui eurent commerce avec elles , entendait les Anges. Les paroles du texte engageaient en quelque sorte à donner dans celte erreur , contre toutes les lumières et les raisons qui s'opposaient à ce sens forcé , quene pou- vaient concevoir ceux mêmes qui s'y laissaient entraî- ner ; ce qui fait voir qu'il n'y avait que ce texte qui fût capable d'en donner l'idée. Gobart Trithéïte , ( dont Photius rapporte , dans sa Bibliothèque (4) , un traité tout composé de questions problématiques ) propose celle-ci dans un Chapitre où il ramasse les raisons dont on peut se servir pour défendre cette opinion et pour la combattre. Saint Jérôme , saint Augustin , saint Chrysostômc , et tous ceux qui sont venus après eux , ont corrigé et condamné cette explication comme très-fansse et qui ne peut convenir aux Anges de Dieu, ils ont fait voir que , dans cet endroit, l'Ecriture n'avait entendu que les En- fans de Seth , desquels elle avait dit qu'un d'eux, savoir Enos, (5) avait commencé défaire des assemblées, et de (1) De l'Idolâtrie , eh. 9. et des habiis des femmes , cli. 2. (2) De Woc et arc a , cl). i\. (.".) Filii Elohim. Ut) Code 132. de sa Bibliothèque. (5) Sclli natus est filins, quem vocaoit Enos: islccœpit incocarc nomen Vomini. Gcncs. c. l\. v. ult. îG. Les Héros et demi-Dieux. 87 régler le culte de la Religion pour invoquer le nom du Seigneur. Elle avait aussi marqué qu'un autre , nommé Henoch (1) .marchait en la présence de Dieu, et était atta- ché à son service ; ce qui se maintint dans celle famille jusqu'à Noé , qui conserva les mêmes senlimens ; d'où ils méritèrent le nom d'Enfans de Dieu. Ainsi en divers en- droits de l'Ecriture les gens de Lien et les hommes pieux , les Princes et les Magistrats , à qui Dieu a communiqué quelque portion de son autorité, sont appelés des Dieux, et des Enfans de Dieu. (2) Dieu dit à Moïse qu'il l'établissait le Dieu de Pharaon (5) ; il estaussi dit de Moïse qu'il était puissant en œuvres et en paroles (4) , comme une éty- mologie du nom Grec de Héros , que nous avons rappor- tée , le signifie ; il est encore dit que Dieu préside dans l'as- semblée des Dieux (5) , c'est-à-dire des Juges ; et ensuite parlant à eux , Fous êtes tous des Dieux et les enfans du Très-Haut. (6) Ces endroits , avec ce que Bien dit dans le premier chapitre de la Genèse ; Faisons l'homme à noire image; et ensuite (7) : Venez, et descendons pour confondre le langage des hommes (qui Bâtissaient la Tour de Babel) , peuvent avoir donné occasion d'imaginer et d'introduire la pluralité des Dieux. Les mêmes hommes ont élé appelés des Anges (8) , comme saint Jean et le prophète Malachie ; parce qu'ils vivaient plus selon l'esprit que selon le corps : et parles filles des hommes, tous les Pères , et après eux les inter- prètes de l'Ecriture , ont entendu les filles de la race de Caïn , qui ayant négligé la connaissance et le culte de Dieu , cherchaient plus à plaire aux hommes qu'à lui. Saint Augustin , dans son merveilleux ouvrage de la Cité de Dieu , Chapitre 4 du Livre 3 , propose , en pas- sant et sans la traiter , la question si les mauvais An- ges , ou Démons , ont pu avoir des enfans de leur com- merce avec des femmes ; et dans le Chapitre 23 du Livre 15. il ne décide pas encore si ces Esprits condam- nés, en se servant du corps des hommes comme d'un instrument , ou se faisant de l'air un corps , peuvent être capables d'un tel commerce ; ( telle était la difficulté de le concevoir : ) mais il établit que cela ne peut être pensé des saints Anges , incapables d'un tel dérèglement ; et il (1) Et ambutavit Henoch cum Dco. Genèse , c. 5. v. 22. (2) Filii Eloliim. (3) Constitui te Deum Pliaraonis. Exod. c. 7. [h] Potens opère et sermone. Aux Actes des Apôtres , eh. 7. v. 22. (5) Deusstetil in synagoga Dcorum. Psnlm. 81. (G) Ego dixi : DU estis vos , et filii excelsi omnes. Ibitl. (7) (iencs. c. 1. v. 26. (8) Ecccmillo Angelum mcumanle faciem tuam. Mallli. c. 11. v. 10. Ct Malach. c. 3. 88 CONFÉRENCE DE LA. FABLE, etc. fait voir que l'Ecriture explique clairement qu'elle n'a entendu parler que des hommes qui s'abandonnèrent à l'amour des femmes , puisqu'elle ajoute que Dieu pro- nonça sur cela, que son esprit ne demeurerait plus dans ces hommes qui s'étaient livrés aux désirs et aux incli- nations de la chair (1) , et qu'il se détermina par cette raison à perdre le genre humain. (2) Mais , quoiqu'on ait reconnu que par ces Enfans de Dieu , l'on doit entendre des hommes descendans de Seth , et par ces filles des hommes , des filles de la race de Caïn , comme nous l'avons déjà dit , l'opinion de l'union des Dieux avec des femmes mortelles , et des Déesses avec des mortels , établie dans les Poètes et les Auteurs des Fables Païennes , n'en a pas moins pris naissance de cet endroit de Moïse , suivant le sens qu'il présentait d'abord. Puisque ce sens avait été suivi par les Juifs et par les premiers Ecrivains môme du Chris- tianisme , l'origine en est visible , et l'idée ne peut en être venue d'ailleurs. Saint Augustin (5) l'a reconnue comme sortie de cet endroit de la Genèse ; et saint Clément d'Alexandrie (4) convient aussi que c'était là l'original de ces Fables , des amours des Dieux pour des femmes mortelles , et des enfans qui en étaient nés. Le docte Varron se moquait de celte opinion , que des hommes fussent engendrés par des Dieux; il la recevait néanmoins pour l'utilité du genre humain , auquel il était avantageux que des hommes qui se sentaient du courage et de l'inclination pour les grandes choses , fus- sent plus portés et plus animés à les entreprendre par la confiance , quoique vaine , d'une naissance divine ; qu'ils y fussent soutenus contre les travaux et les diffi- cultés , et qu'ils en vinssent à bout à force de ne rien craindre et de se croire supérieurs à tout ce qui s'oppo- sait à leurs entreprises. C'est aussi vraisemblablement d'après les conversations que Moïse avait avec Dieu , et d'après les Lois qu'il en reçut pour le Peuple d'Israël , qu'on a publié les mêmes merveilles en faveur des plus célèbres Législateurs Païens. Sur ce modèle on fait converser familièrement pendant neuf ans Minos avec Jupiter qui lui donne des Lois pour les Peuples de Crète. C'est d'Apollon que Lycurgue reçoit celles qu'il a éta- blies à Sparte. Solon compose celles des Athéniens , dans (1) Non permanebit spiritus meus in homine, quia euro est. Genèse, ch. G. v. 3. (2) Delebo liomincm. Ibid. v. 7. (3) Etiam de Script uris nos tris oboritur. Au susdit ch. h. du livre 3. de la Cité de Dieu. [t\] Au liv. 5. de ses Slromatcs. i6. Les Héros et demi-Dieux. 89 de longues conférences avec Minerve Déesse de la Sa- gesse. Enfin Nama , pour donner le même crédit aux siennes et leur attirer le même respect de la port des Romains , suppose des entretiens secrets avec la Nym- phe Egérie. 17. JASON ET LES ARGONAUTES. VjRITïas ( dons un Diologue de Platon ) (1) redisant ce que Solon avait raconté à son aïeul des belles connais- sances et des plus anciennes Histoires du monde , ensei- gne que les Prêtres Egyptiens , de qui Solon les avait apprises , avouaient les tenir par tradition de leurs ancê- tres , qui les avaient reçues de ceux qui étaient instruits de l'origine et des premières Histoires de l'Univers. Il dit que les premiers hommes et leurs enfans , occupés de la recherche des choses nécessaires et du défaut des commodités de la vie , n'avaient eu ni le soin , ni le loi- sir de conserver par des Histoires ou par d'autres mo- numens étendus et réglés , la mémoire exacte et fidèle de ce qui s'était passé de considérable. Ils avaient seule- ment sanvé de l'oubli, par des traditions confuses , quel- ques faits éc'.atans et des lambeaux des aventures les plus remarquables , avec quelques noms de personnages illustres. C'est ce qui s'était conservé dans leur postérité : ces noms et un souvenir confus ou des restes altérés des faits les plus célèbres des premiers temps. Aussi Solon se souvenait que dans le récit des plus anciennes Histoires , ces Prêtres nommaient plusieurs personnages des mêmes noms qu'on n'avait connus dans la Grèce que par ceux qui les avaient portés depuis. Solon remarquait encore que les premiers Egyptiens , qui avaient écrit ces Histoires , et qui les avaient prises d'un autre peuple , et d'une langue différente de la leur, avaient transporté et traduit en leur langue ces mêmes noms en d'autres à peu près du même sens , comme So- lon leur avait aussi conservé dans la langue Grecque la même signification qu'ils avaient dans les langues d'où il les avait tirés. Hérodote , dans son second Livre , nous apprend que cette observation des noms et de leur signification , était même un point de Religion pour les Grecs , à qui l'Oracle de Dodone avait ordonné d'employer , pour les Dieux de leur Théologie et pour ce qui y avait du rapport, les (1) Dialogue intitulé Critias. QO CONFÉRENCE DE LA FAÎÏLE , etc. mêmes noms qu'ils avaient reçus clés Egyptiens et de toutes ces nations qu'ils appelaient barbares. Josèphe, dans son Histoire des Juifs , livre 1. chapitre 5 , rapporte que quelques-uns de ces premiers noms s'étaient conser- vés cbez les Nations , et que d'autres y avaient été chan- gés , principalement chez les Grecs , qui avaient voulu abolir dans la suite les anciens noms qui leur pnraisaient barbares , pour leur en substituer d'autres en leur lan- gue , en leur conservant néanmoins la signification des anciens. Ainsi les Grecs , si curieux , dont les Savans allaient puiser dans de longs voyages en Egypte les connaissan- ces de l'antiquité des premiers temps, et qui regardaient les Bibliothèques des anciens écrits , recherchés et ra- massés de toutes parts , comme un des plus précieux ornemens de leur pays (i) , avaient composé leurs pre- mières et leurs merveilleuses Histoires fabuleuses , des Histoires les plus éclatantes des Hébreux , qu'une tradi- tion défigurée avait fait passer dans la Grèce , des Egyp- tiens et des Phéniciens chassés de leur pays par les Hé- breux. De ce nombre étaient particulièrement les aven- tures mémorables de Moïse , de Josué , et du peuple Hébreu sous leur conduite , dans la sortie de l'Egypte , dans le long voyage du Désert , et dans la conquête de la Palestine. Démétrius , dans Eusèbe (2) , raconte au Roi Ptolémée Phiîadelphe , que des Orateurs Grecs avaient travaillé à travestir en leur langue quelques endroits de l'Ecriture des Juifs : et qu'un Poète tragique de sa connaissance , nommé Théodote , avait voulu accommoder quelques aventures de la même Ecriture , à une Fable de ses Tra- gédies; mais qu'il n'avait pu la finir, et qu'il avait été obligé de la laisser imparfaite. L'économie de la longue suite des aventures de Moïse et de Josué , avec l'imitation des noms , fut rapportée et conservée dans la plus ancienne expédition fabu- leuse célébrée par les Grecs , qui est celle de la Toison d'or , par laquelle ils ont voulu immortaliser leurs pre- miers Héros sous le nom d'Argonautes. Ces aventures avaient passé dans la Grèce, comme nous l'avons dit: premièrement , de l'Egypte , par Orphée ; et depuis , de la Pbénicic par Cadmus'et par ceux de sa suite ; car après que Josué se fut rendu maître de la Palestine , Cadmus , avec une troupe de Phéniciens ou Chananéens , fuyant Josué et les Israélites, se sauva en Grèce dans la Béo- (1) Bibliothecœ , qui proprius est Aihenarum ornalus. ïn Ai'istidis crai. Panalhcnaicâ. ('2) Clmp. 3. du livre 8, de la Préparation Evai)gsc sibi accommodum oararet remum. Apollonius. 5* IOÔ CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. précipitation dans l'obscurité delà nuit, et s' éloignent de la terre. Ils avaient déjà passé le Promontoire de Posi- dée dans l'Ionie, lorsqu'au retour de l'aurore ils aper- çurent qu'Hercule leur manquait. (1) Ils voulaient re- brousser chemin ; mais les vents opposés ne le leur per- mirent pas; et comme ils faisaient des efforts pour reve- nir le chercher , un Dieu marin leur prédit que tous leurs soins seraient inutiles, parce que les Destins (2) avaient réglé qu'Hercule ne mettrait jamais le pied dans la Col- chide (3) ; qu'ainsi ils devaient s'en consoler. C'est ce que la Fable a retenu de la mort de Moïse , arrivée dans le Voyage des Israélites , et avant leur en- trée dans la Terre promise. Elle a môme conservé quel- que trace de la cause pour laquelle Dieu ne voulut pas que Moïse y entrât , parce qu'au lieu d'un seul coup de verge sur le rocher pour en faire sortir de l'eau, il frappa deux grand coups (4) , par quelque défiance de l'ordre et de la promesse de Dieu. Ce qui a fait donner pour occa- sion à la perte d'Hercule, d'avoir rompu sa rame par de trop grands efforts. Déplus ils font Hercule perdu, et non pas mort , sur ce que Moïse fut enseveli sans que personne le sût (5) , et sans qu'on ait pu découvrir le lieu de sa sépulture. Les Argonautes parcourent encore des mers et des climats différens : ils essuient divers combats , et arri- vent vis-à-vis de la Bithynie (6) , dans le Pays du mal- heureux Phinée , descendant de Phénix frère de Cad- mus. (7) Ce Prince , par une punition des Dieux , avait été rendu aveugle , et il était persécuté par les Harpies, oiseaux horribles envoyés du Ciel, qui avec leur bec et leurs griffes lui enlevaient presque tout ce qu'il voulait manger , et répandaient sur ce qu'elles en laissaient des ordures et une odeur si insupportable, qu'il ne pouvait y toucher ; de sorte qu'il mourait de faim et de langueur, dans les ténèbres et dans cette persécution continuelle. N'est-ce pas un reste de la tradition des ténèbres et (1) Jam sublucebat aurora , cùm eccescntiunt se destituisse illtim per imprudent iam. Idem. (2) E mari emical Glaucus , et inclamat : Car prœter magni numen Jovis nitimini in ALëtœ urbem transportare animcsum Herculem? Idem. (3) . . . . Nam f. ta vetabant. Alcidcm indom.it um contingere Phasidis undas. Orphée ; et Héro- dote , en son livre septième. [Il) Chap. 20. des Nombres. (5) Chap. dernier du Dcutéronome. (0) Bochard , Chanaan , liv. 1. ch. 10. (1) Pliineus Agenore satus incolabat , qui atrocissimîs conflictapatur ccramnis , jucundo luminum tuminc adempto , neque ci quidqtiam cibi Harpyiœ relinquebant , aut Ul tetrum adjlabat odorem , nec sustinuit quis non modo admovere gutluri , sed ne procul quidem adstare, Apollonius. 17- Jason et les Argonautes. 107 des autres plaies dont Dieu frappa Pharaon par la main de Moïse , et singulièrement des insectes qui remplis- saient sa maison , son lit , les fours, et toutes les viandes de ce Prince et des Egyptiens , lorsqu'il ne voulait pas laisser aller le Peuple de Dieu avec Moïse ? On y voit bien clairement les sauterelles qui mangaient tout, et qui, par les prières de Moïse et sur les promesses que Pharaon fit d'obéir à Dieu , furent emportées par le vent dans la mer. (1) Car Phinée fut délivré des Harpies par Zéthès et Calais , enfans du vent Borée , qui les chassèrent dans la Mer Ionienne , jusqu'aux lies qui de cet événe- ment furent appelées Strophades (2) , après que Phinée les eut assurés parserment que les Dieux seraient contens qu'il? l'eussent délivré de ses infortunes. Ils quittent Phinée , et après avoir élevé un Autel sur le bord de la mer à douze Divinités (3) , en témoignage de cette aventure, ils se rembarquent, et arrivent au fameux détroit des Iles Symplegades , autrement Pierres Cyanées , près du canal de la Mer noire. (4) Ces Iles , dont la proximité avait donné lieu de feindre qu'elles se choquaient continuellement , avec un mouvement et un bruit effroyables , occupaient ce passage du Pont, et le rendaient absolument impraticable. Mais , suivant l'ins- truction qu'ils en avaient reçue de la part des Dieux , ils lâchèrent une Colombe qui devait servir de guide au Vaisseau pour ce passage si elle volait au-delà , et qui devait le faire rebrousser si elle revenait, ou périssait sans passer. (5) Ils luttèrent en même temps de toutes leurs forces avec les rames contre les flots et les écueils, et par le secours de Minerve (6) , qui vint élever elle- même le Vaisseau par-dessus ces rochers mouvans et sur les montagnes des flots , sans perdre de vue la route de la Colombe , ils passèrent sans perte , et furent trans- portés au-delà du détroit et de ces rochers , qui dès lors se rejoignirent et ne se sont plus séparés. (7) Ils recon- nurent l'assistance du Ciel , et que par son secours rien après cela ne leur serait impossible. (8) (1) Chap. 8 , 9 et 10 de l'Exode. (2) Mas Zetlies et Calais Aquilonc sati propellunt supra mare tisqiie ad Plotas insulas , ( quœ dehinc Strophades sunt nominal ce.) Apollonius , lib. 2. v. 222. (3) JSdificcttâ daodecim Diis arâ in objecto littore maris, et impositis clonis , in navim celcrem se revocant. Apollonius , et Oi'phcus. (û) Pline , liv. 6. c. 10. (5) Auspiciali columbâ è navigio prœmissâ , si per ipsa saxa. in pontum evolaverit intégra , vos quoque secate iter per angiportum. maris ; quod si percat inter volandum , navigale rétro. Apollonius. (6) Minerva, manu tœvâ solidœ adnixâ rupi, dextrâ navim protrnsit in procursum , eaque erap.it sublimiter. Apollonius , et Orphcus. (7) Saxa verà unum in locum, , etc. Apollonius. (8) Cum saxa nobis exirc permisit Deus , diutiùs formidare mille. Apollonius. I08 CONFÉRENCE DE LA. FABLE, etc. Cet Autel élevé à douze Divinités est une copie de l'Au- tel élevé par Moïse au pied du mont Sinaï, composé de douze pierres , portant chacune le nom d'une des douze Tribus d'Israël. (1) Ces pierres fabuleuses qu'on a feint se mouvoir et se choquer , au travers desquelles il fallait et l'on ne pouvait passer , et au-dessus desquelles le Vaisseau est porté miraculeusement par la main d'une Divinité , avec quelques autres endroits et écueils qui paraissaient insurmontables , sont pris de pareils obsta- cles du Voyage des Israélites , et entre autres de ce qui est rapporté au sujet du fleuve ou des torrens d'Ar- non (u) , qui sépare les Moabites des Amorrhéens. « Le » Seigneur fera pour son Peuple dans les torrens d'Ar- » non, ce qu'il a fait dans la Mer rouge ; les rochers de » ces torrens se sont abaissés pour laisser passer le Peu- » pie du Seigneur. » On y a aussi marqué les prodiges de l'Arche , qui était portée au travers des eaux comme au-dessus des terres et des rochers, et l'assistance conti- nuelle de Dieu , dont les Hébreux ne devaient jamais douter , après les expériences qu'ils en avaient faites. La Colombe lâchée par l'avis et les ordres du Ciel , pour indiquer et assurer la route des Argonautes, est prise de la Colombe que Noé avait lâchée de l'Arche lors du dé- luge. C'est sur la foi et sur la conduite de celte Colombe , que Dieu voulut qu'il sortît de l'Arche , pour revenir sur la terre déchargée des eaux, lorsque la Colombe s'éloi- gna et ne revint plus. Cependant le Chef était agité de soucis , dans la crainte devoir sa troupe rebutée par les nouveaux périls qui se rencontraient à chaque pas , et où elle devait encore être exposée. (5) Il l'encourageait, il lui montrait et lui ins- pirait une entière confiance. (4) Les Argonautes côtoyèrent la Bithynie , appelée autre- fois Mariandyne , aujourd'hui l'Anatolie , et ils abordè- rent à une Ile déserte appelée Thyniade (5) , autrement Apollonie , où sur le point du jour Apollon leur apparut en Voyageur. (6) Ils lui sacrifièrent , et de là ils passè- rent devant l'embouchure des fleuves Sangar et Lycus. Ils furent reçus en amis par les habitansdu pays ; ils y perdirent deux des leurs , dont un fut Tiphys , leur Pi- (1) Chap. n. de l'Exode , v. l\. (2) Chap. 21. des Nombres , v. 14 et 15. (3) At ego ne minimâ quidcm mei urgcor sollicitudine , sed isiius et aliorum vicein sum, anxius comitum, etc. Apollonius. [à) la fat arum, nec si per orci voragiucs sit cundum, prœporiem ullum pavoris signum , etc. Idem. (5) Pline, liv. 6. en. il. parle de celte Sic. (6) Ad iasulam désert am Tltyniadem abi Mis Latonœ filius plané ap- paraît e Libyâ rediens , etc. et dixit Orpltcus : Apollini f'aciamus quœ suppelunt cxciialâ littorale arâ. Apollonius. 17. Jason et les Argonautes. 109 lote ; Ancée, fils de Neptune, en prit la place, et ils rendirent solennellement les derniers devoirs aux morts. (1) Ancée était Phénicien (2) et petit-fils de Phénix, frère de Cadmus , c'est-à-dire Chananéen. Les Argonautes , sous sa conduite, continuèrent leur voyage ; ils passè- rent sur les côtes de la Cappadoce , en plusieurs autres Pays, auprès de l'Ile Arétiade (3) ou de Mars : et après une rude tempête qui mil leur Navire à deux doigts de sa perte , il rencontrèrent sur les hords de cette lie les En- fans de Phrixus qui venaient d'y être jetés parle même orage , et que jEète , roi de Colchos , leur aïeul mater- nel, envoyait dans la Grèce pour y recueillir les hiens et les états de leur père. (4) Us se racontèrent de part et d'autre leurs aventures, après s'être reconnus comme descendans des mêmes aïeux ; ils coururent tous d'abord à un Temple de Mars (5) , et ils lui sacrifièrent. Jason instruisit les Enfans de Phrixus de son dessein (6) ; il les exhorta de revenir avec lui à Colchos , et de lui don- ner leurs avis et leurs secours pour y enlever de concert la Toison d'or du Bélier de leur père. Argus , l'aîné de ces Enfans, lui remontra les forces et la cruauté d'^Eète, les difficultés et les dangers insurmontables de cette entreprise. (7) Pelée rassura l'illustre Troupe par les promesses et les expériences qu'ils avaient de l'assis- tance des Dieux. (8) Us firent voile de là tous ensemble au point du jour, et après avoir passé plusieurs Iles et des Terres habitées par divers Peuples , et avoir traversé le Pont , ils découvrirent les Monts du Caucase (9) ,et ils entrèrent de nuit dans la rivière du Phase (10) , au-delà de la mer , entre le Caucase et la Ville capitale de la Colchide , nommée iEa, d'un côté; et de l'autre, le Champ et le Bois de Mars où était la Toison gardée (1) TA ipsos funerarunt magnifiée. Idem. (2) Bocbart , in Chanaan , lib. 1. c. 8. (3) Apollonius , et Orpheus. Et incle in insulam Aretiadem. \t\) Ipsis occurrunt Phrixo nati filii ad urbem Ovchomenum ab JEca profecti , ut acciperent patvis patrimonium , dos fluctibus jac- taios et naufragos unda ejeecrat in littus insulœ. Apollonius. (5) Tiim sacra fecerunt ad aram Martis , etc. Idem. (6) At vos avenlibus nobis in Grœeiam avehere pellem auream adju- tores adeste et cursus monstratores. Idem. (7) Ipsis Argus exponit labores , et ingentia pcricula subeunda , etc. Idem. (8) Pclcus ftdenter respondit ne timeant , qui magnam sint partem à Diois prosati , etc. Idem. (9) Pouti se sinus in conspectum dat pergentibus , protinùs Cau- casiorum se montium aperiunt ruinœ , etc. Idem. (10) Vénérant noctu ad lai uni P/iasidem et ultimas ponti metas ,re~ misqtie subeunt patentem alveum fluvii, clc. Idem. Le mot Phasis , syrien , signifie simplement un fleuve. JIO CONFERENCE DE LA. FABLE, etc. par le Dragon veillant sans cesse. (1) Jason fit d'abord des libations en l'honneur du Dieu du Fleuve et des Dieux du Pays (2) , et après avoir jeté les ancres , ils délibérèrent durant la nuit sur ce qu'ils avaient à faire (3) , et sur la manière d'aller trouver ^Eète. Ainsi les Israélites errèrent long-temps ; ils parcou- rurent divers Pays et divers Peuples ; ils perdirent Aaron et Marie , frère et sœur de Moïse auxquels ils rendirent les derniers devoirs (4) avec beaucoup de so- lennité ; ils trouvèrent des obstacles prodigieux : Moïse craignit souvent de les voir rebutés , et il eut souvent besoin de les rassurer et de leur redonner de la con- fiance par les expériences des secours miraculeux qu'ils avaient reçus „ surtout lorsque ceux qui étaient allés observer la Terre promise leur eurent étalé comme invincibles les obstacles et les périls d'y entrer. (5) ils rencontrèrent sur leur chemin les Moabites et les Am- monites , descendans de Loth neveu d'Abraham leur père 3 qu'il leur fut défendu de troubler (6) , et qu'ils mé- nagèrent comme leurs alliés. Enfin , avec l'assistance continuelle de Dieu , qui s'était même laissé voir à eux, ils parvinrent au fleuve du Jourdain , qui était l'entrée de la Terre qu'ils allaient conquérir. Ils le passèrent mira- culeusement et à pied sec , et ils bâtirent sur le bord et au milieu un Autel de douze pierres non taillées. Junon et Minerve , les divinités de la Puissance et de la Sagesse, qui favorisaient les Argonautes, cherchant les moyens de leur aplanir les difficultés presque insur- montables de leur entreprise (7) , n'en trouvèrent point de meilleur que de mettre l'habile Médée , fille du Roi JEbte , dans leurs intérêts, en lui faisant inspirer de la passion pour leur chef par la Déesse et par le Dieu de l'amour. (8) Après en être convenus , elles conduisirent Jason avec deux de ses compagnons , enveloppés d'un nuage (9) , jusqu'au palais du Roi. Là le nuage se dis- sipa , comme il allait se présenter à ce Prince ; et dès (1) Ex altéra parte Campus Martias et sacer Deo Lucas 3 ubl Draco pervigil servat pellem, etc. Idem. (2) Jason in fiumen vint defandit libamenta , tum Telluri , tum Dits loci suppliciter orans auxitium eorum, etc. Idem. (3) Inter nos ipsos consuttcmus , etc. Idem. (li) Chap. 20. des Nombres , et Josèphe , liv. (x. chap. à. (5) Chap, 13. et U. des Nombres. (6) Chap. 2. du Deulcrouome. (7) Juno et Miner valus faventes inter se consultant quâ ratione et qui- tus auxiliis illi auralam .'Eelic pellem , etc. Apollonius , lib. 3. (8) Communi consilio Vcnerem orant ut JEelœ virgincm ad Jasonis redigat desiderium , ut illa cum co conspirans bénévole raplum pellis aureœ et reditum conciliet. Idem. (0) Progrcdicntibus benevola Juno caligincm atrium circumfuilit. Idem. 17. Jason et les Argonautes, ru que Médée l'eut aperçu , blessée par une flèche de l'Amour , elle en devint passionnée , et disposée à le secourir. (1) Ce grand ressort de cette Fable et ce dénouement , qui n'avait aucun fondement chez les Grecs et qui y passait pour une pure invention des Poètes, soit d'Euripide, soit des autres , comme l'enseigne ^Elien (2) , et comme le remarque Eochard (3) , est pris assez visiblement du Chapitre second du Livre de Josué, et de l'Historien Josèphe. (4) La puissance et la sagesse de Dieu prirent en cette oc- casion un soin particulier de la conduite de Josué et des Israélites , et elles éclatèrent dans les succès miracu- leux , qu'ils ne pouvaient attendre que d'elles. Josué, sous ces divins auspices , envoya deux des siens à Jé- richo , où ils entrèrent malgré la garde exacte qu'on y faisait. (5) Ils furent adressés et conduits , sans être vus ou connus , chez une femme , nommée Raliab , qui rece- vait tous les étrangers, peu réglée dans sa conduite, qui faisait du bruit et résolue (6) , comme son nom en hé- breu le signifie, mais capable de bons conseils et de se- cours , que Dieu avait prévenue en leur faveur et mise dans leurs intérêts : si bien qu'elle s'exposa à la fureur du Roi , qu'elle le trompa , sauva ces gens , et leur livra Jéricho , après leur avoir fait jurer qu'ils la sauveraient. (7) Le nom de Médée (8) n'est aussi qu'un nom feint et ac- commodé à cette aventure , soit de la Fable , soit de l'His- toire, et veut seulement dire, une personne qui con- seille, qui conduit et qui prend soin. Les Poètes n'ont eu garde d'oublier dans leur Fable ce que l'Histoire et la tradition des Juifs apprenaient et ce que Josèphe (9) conte à l'avantage de Moïse , que la né- cessité des affaires elles pertes de l'Egypte l'ayant fait nommer général des Egyptiens contre les Ethiopiens (10), après les avoir chassés de l'Egypte , il les poursuivit chez eux : qu'après la prise de plusieurs villes , il assié- (1) Puellam telum hno sub corde perrodebat in ignisvicem, etc. et aa istam faciem latenter sub pectore coarctatus gliscebat pestilens amor. Apollonius. (2) jClianus , Varias Historiae, lib. 5. cap. ult. (3) Bochart , in Phalcg, lib. U. caD. 31. (!i) Josèphe , liv. 2. chap. 5. et liv. 5. chap. 1. de son Histoire. (5) Misit Josue duos exploratores in abscondito , qui pergentes in- gressi sunt domum mulieris meretricis nomine Rahab. Chap. 2. de Josué. (6) Rahab , id est fortis et tumultuans. (7) Chap. 2. de Josué. (8) Medeo , en grec , signifie rego , euro , consilium do. (9) Chap. 5. du liv. 2. de son Histoire des Juifs. (10) Nous avons vu qu'on appelait Colchos une autre Ethiopie. Bochard , dans le Phalcg , chap. 31. 112 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. gea leur Capitale , et que durant le siège la fille du Roi d'Ethiopie , qui de dessus les murailles avait vu faire à Moïse des actions surprenantes de valeur et de conduite, passa de l'admiration à un violent amour pour- lui , et lui offrit de l'épouser. 11 accepta cette proposition, à condition qu'elle lui remettrait la place. Ils se jurèrent une foi mutuelle , et après l'avoir accomplie , Moïse ra- mena les Egyptiens victorieux dans leur pays. Voilà ce que Josèphe l'Historien des Juifs , dit de Moïse ; c'est plus qu'il n'en dit lui-même ; et cela convenait trop au génie et à l'héroïsme poétique , pour n'être pas adopté et employé par les Poètes Grecs dans leur Fable , comme il a été du goût de toutes les Poésies et des Romans de tous les pays faits sur le même modèle. La Fable met au-devant du Palais d'iEète des fontaines de lait, de vin, et d'huile (1) , comme dans l'Histoire sacrée il coulait dans le Pays de Chanaan des ruisseaux de lait et de miel. Le Roi iEète , déjà prévenu et troublé des frayeurs et des présages d'un songe funeste queïe? Dieuxlui avaient envoyé (2) , instruit aussi par la renommée , des merveil- les plus qu'humaines que ces étrangers avaient faites dans leur Voyage , dès qu'il eut appris d'eux-mêmes ce qu'ils venaient chercher , consterné et ne doutant plus de sa ruine , il fut saisi de rage , et il proposa à Jason des conditions qui devaient le faire périr. {">) C'est ce que Rahab avait dit aux espions de Josué (4) , que la terreur de leur approche avait saisi le Roi et tous les habitans, consternés et persuadés de leur ruine infail- lible : qu'ils savaient quels prodiges Dieu avait faits en leur faveur , et qu'il leur avait livré cette Terre. Aussi le Roi ayant su que deux étrangers ou espions étaient entrés dans Jéricho et chez cette femme , il y envoya pour les prendre, et les fit chercher partout pour les faire périr. Les conditions (5) qu'/Eète proposa à Jason pour avoir (1) Vivl fontes quatuor manabant , quorum unus scatebat lacté , sequens vcno, etc. Apollonius. (2) Tune eiiam Juno ferri per somnia jussit JEetœ- exitium ; vehemens hinc protinùs omnem Regalcm cum mente domum concusserat horror. Orplieus , Argonaut. (5) Exulceratus altè extumescit mente iracundâ , etc. Et dedero , inquit , tibi pellem , si placuerit conditio. Apollonius. (U) Chap. 2. de Josué , v. 9. (5) Pares mihi Campum tondent Martium œripedes Tauri , qui flammas exhalant ore. Eos agito junctos per scruposum Martis na- vale quatuor ampluyn jugera ; quo perarato inspergendi sunt diri serpentis dentés qui pullulant vii'os corpore armato ; lii dilaniandi , hastàquc demetendi undique laterum impetentes ; mane jungendi boves , vesoere messis absoluenda, elc. Apollonius. 17. Jason et les Argonautes. n3 la Toison d'or furent de mettre sous le joug deux Tau- reaux qui avaient les pieds et les cornes d'airain et qui jetaient des flammes par la bouche : de labourer avec ces Taureaux quatre arpens du Champ de Mars , qui n'avaieni jamais été défrichés : d'y semer ensuite des dents de Dragon , d'où devaient sortir à l'instant des hommes tout armés et prêts à combattre : de mettre en pièces tous ces soldats sans qu'il en restât un : de tuer le dragon veillant qui gardait la Toison ; et d'accomplir tous ces travaux dans un seul jour. Les Poètes ont voulu par ces fictions représenter les obstacles naturellement insurmontables que Dieu fit vaincre aux Israélites , et les prodiges qu'il opéra pour leur livrer la Terre de Chanaan , ( dont la vérité s'était altérée par les traditions et par le passage en diverses Nations et en différons Auteurs. ) Ils ont peint sous ces figures les grands fleuves , les fortes armées , les murailles avec des portes de fer et des serrures d'ai- rain (1) , les fortifications bien gardées qui défendaient ce Pays , l'Ange que Josué trouva dans le voisinage de Jéricho (2) , qui se présenta à lui sur le chemin avec une épée nue à la main , dont il fut effrayé et qui lui dé- clara être envoyé pour son secours. Les idées de ces fictions étaient aussi toutes Phéniciennes ou Chananéen- nes, et quelques-unes même tirées de l'Histoire Sainte. Bochard (3) nous apprend que tout cela est pris de l'Hébreu , de ce que le même mot Syriaque signifie des richesses et une Toison ; qu'un autre mot signifie de même des murailles et des Taureaux ; et que , dans la même lan- gue , le même terme dont on se sert pour dire des pi- ques d'airain , veut dire un Dragon. Ainsi l'on a feint une Toison dont on fait la conquête , des Taureaux et des Dragons qu'il faut combattre et vaincre. Le même Bochard (4) nous apprend que la Fable des hommes qui naissent tout armés des dents de Dragon , s'est formée du double sens et de la mauvaise interpré- tation de ces paroles Chaldaïques : Il assembla une armée de soldais armés de piques d'airain , prêts à combattre : qu'on a expliquées ainsi : Il vit naître des dents de serpens une armée de cinq hommes : ou pour mieux dire , des sol- dats rangés cinq à cinq ; comme on voit au chapitre 13 de l'Exode (5) , armés ou rangés cinq à cinq ; qui était la manière de ranger et de faire marcher les troupes chez (1) Ainsi que le porte la Paraphrase Chaldaïque du chap. G. de Josué. (2) Chap. 5. de Josué. (3) lu Phalcg , lib. U. cap. 31. [h) In Chanaan , lib. 1. c. 19. (5) Vers. 18. du Texte Hébreu , Qaintati , ou Clunnuschim. Il4 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. les Egyptiens. Ainsi Ménélas , au retour de Troie , voit en Egypte le Roi Protée (1) , c'est-à-clire , le Roi d'Egypte , représenté comme un Dieu Marin au milieu de ses eaux et de ses lleuves , qui fait la revue et le compte de ses troupes cinq à cinq. Et les Troyens marchent en cinq compagnies (2) , pour attaquer le mur que les Grecs avaient élevé devant leur ilotte. Cette mauvaise inter- prétation vint de ce qu'en Hébreu les mêmes mois qui signifient des piques d'airain , signifient des dents de Ser- pent ou de Dragon , comme nous l'avons vu : et le même mot Chamuscliim , veut dire cinq , ou rangé par cinq , et prêt à combattre. C'est ce qui a donné lieu à la Fable de Cadmus , d'où celle-ci est copiée ; aussi dit-elle que c'étaient des dents des restes de celles du Serpent tué par Cadmus. (0) Ainsi tout est ici Phénicien. C'est encore une copie défigurée de ce que rapportè- rent les espions envoyés du désert de Pharan par Moïse (4) pour reconnaître la Terre promise , qu'ils y avaient vu des fleuves profonds , des montagnes inacces- sibles , des monstres horribles : que celte Terre dévorait ses habitans ; à quoi l'on avait pu ajouter assez naturel- lement, qu'elle en produisait en même temps d'autres tout armés ; ce qui est une manière de parler ordi- naire , pour marquer de nouveaux soldats qui prennent d'abord la place de ceux qui ont péri. Cette idée peut aussi être venue des soldats qui s'étant cachés en em- buscade ventre contre terre , s'élèvent tout d'un coup sur les ennemis qui avaient passé presque sur eux sans les voir , comme firent les Israélites contre les habitans de la Ville de liai. (5) Ce rapport des espions avait fort effrayé et rebuté les Israélites (6) ; Moïse , Caleb et Josué eurent bien de la peine à les rassurer. Ainsi les Compagnons de Jason furent consternés des conditions proposées pour la con- quête de la Toison ; quelques-uns cependant étaient d'avis de la tenter (7) ; et ils s'y offraient eux-mêmes. Argus les encouragea , sur les assurances du secours de Chalciope sa mère, et de Médée, sœur de sa mère, très- (1) Au h. de l'Odyssée. (2) Livre 12. de l'Iliade. (3) Dédit in certamen Rex Metes suspectos dentés Aonii serpentis qucm Cadmus, càrn venerat quœsitum Europam, interem.it. Apollo- nius , 1ib. 3. v. 1176. [h] Cliap. 13. des Nombres. (5) Cliap. 8. de Josué ; et eh. 1. du liv. 5. de l'Histoire de Josèphe. (G) Ghap. 8. des Nombres. (7) Ihec ubi prolata , cunctis labor videbatur inexliaustus , etc. Pe- leus tamen fréquentes inter procercs fortis anivii edit sentent iam , etc. Tcrtius tum Mas , et de i iule alii firmitate animi , etc. Apollonius , lib. 3. v. 502 et seq. 17- Jason et les argonautes. n{> habile Enchanteresse , qui savait arrêter l'activité des flammes , le cours des fleuves et des astres. (1) Il leur dit qu'il lâcherait de les mettre dans leurs intérêts. Ils eurent en même temps un heureux augure de quelque oiseau, et ils se souvinrent que Phinée leur avait prédit que le succès de leur entreprise viendrait du secours d'une femme. (2) Voilà Josué et Caleh (3) qui , dans la consternation du Peuple presque soulevé , le raniment par la considéra- tion de la fertilité de la Terre promise , et par l'assurance qu'ils lui donnent que par le secours infaillible de Dieu , qui a promis de ne point les abandonner, ils surmonte- ront tous les obstacles et vaincront tous les monstres qu'on leur faisait craindre. Ensuite Dieu met la célèbre et habile Rahab dans leurs intérêts , comme nous l'avons vu , et sur-le-champ l'armée eut un présage heureux et certain , par l'éclat de la gloire du Seigneur , qui parut aux yeux de tous sur le Tabernacle , et qui leur remit dans l'esprit toutes les prédictions et les promesses qui leur avaient été faites. /Eète cependant résout avec ses confidens de perdre tous les Argonautes après Jason , comme des brigands ravisseurs du bien d'autrui (4) ; de brider leur Vaisseau , et de se défaire aussi des Enfans de Phrixus ses petits-fils (5) , mais qui étaient du même sang que Jason. Ce dessein connu alarma Chalciope leur mère, qui engagea plus fortement Médée à la con- servation de Jason (G) , à laquelle le salut de ses Enfans était désormais attaché. Médée , dont la passion déjà maîtresse de son cœur fut soutenue par les prières de sa sœur (7) , après quelques combats entre son devoir et son amour, se détermina enfin à donner à Jason le se- cours de ses enchantemens contre les flammes des tau- (1) At Argus ; Confido idoneam vobis opem mac fore, parmi is, etc. FJus soror herbes actuosi ignis sedat flavtmam , sonores fluyiorum cur- sus sistil , lùm astra et prœclarœ iiinera Lunce retardai , etc. Eod. M>. 3. L 521 et seq. (2) DU prœseates dederunt ipsis augurium placidœ avis , etc. Nempe paella est concilianda , ut Pkineus in Cypride cecinit spem locandam. Eodcm lib. 3. v. 540 et seq. (3) Au chap. 1Z|. des Nombres. (!i) Inter Itœc Mêles fraudes Minyls et molestias molitur , qui ut gras- satores in suam dilionem alieno manus peculio admoveant. Apollonius , lib. 3. v. 576 et seq. (5) Eam à Pkryxi et Chalciope sobole instruction esse pestem. Ibid. v. 005. (G) Chalciopa ad Mcdcam ; Pcr ego te Deos oro , perque te ipsam et parentes , ne illos évidente sinas exilio sub oculis iuis obrui lugubriler. Ibid. v. 701. (7) Medca tandem dolosum trumpit sermonem , pcr urgente cupidi- vum lurba ; Chalciopa , tuœ sobolis rcs meum pcr fluet liât animum ,• ne cernas me vivere diutiùs , etc. Apollonius , lib. 3. v. 25 et seq. Il6 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC. reaux (i) et le fer des combattans qui devaient sortir armés de la terre. La nuit suivante , elle lui met en main le baume enchanté, dans un Temple hors delà Ville, où il s'était rendu avec deux de ses compagnons (2) ; elle lui enseigne le moyen de se défaire de ces soldats nais- sans , en jetant seulement au milieu d'eux une pierre , qui les obligera à tourner leurs armes contre eux-mê- mes (3) , et à s'entre-tuer tous , sans qu'il ait besoin de les combattre. Elle lui demande seulement et lui fait pro- mettre de ne pas l'oublier (4) , et de lui tenir les paroles qu'il lui donnait d'une reconnaissance éternelle. Jason alla conter aux siens les assurances qu'il venait de rece- voir ; il fit un sacrifice qui lui avait été prescrit , et qui fut suivi de bruits souterrains qui l'assuraient d'un heu- reux succès. (5). Après avoir frotté son corps et ses armes de la liqueur enchantée (6) , il va dans le Champ de Mars ; il reçoit d'iEète la semence fatale ; il attaque en la présence de ce Roi et de toute sa cour effrayée les Taureaux furieux qui lui portaient des coups terribles de leurs cornes d'ai- rain , et qui vomissaient contre lui des torrens impé- tueux de flamme ; il les saisit l'un après l'autre , les arrête , les met sous le joug d'airain , les attèle à une charrue de diamant , et leur fait fendre et labourer le champ ; il y sème les dents ; les sillons poussent des Géans , enfans de Mars (7) , tout armés et animés au combat. Jason jette au milieu d'eux une grosse pierre. (8) (1) Ubi dilucidabit in templum Hecatce, portabo licrbas deliniendis tauris , etc. Ibid. 738. (2) Hecatœ fanum invehitur Jason ab Argo edoctus; hue etiam con- tenait , Mopso comité , et Argo. Medea ex fasciâ exemptum prodige obtulit medicameiu Ibid. v. '1013. (3) Nunc attende quid auxiiiabunda tibi consulam ; ubi meus jam pater tradiderit dentés ad screndum è draconis maxillis , etc. v. 1027. Lapident solum latenter projicito , et illi , de eo tanquam asperi de cibo canes , eœdibus se occident mtituis , etc. Apollonius , lib. 3. v. 1057. (4) Et densâ prehensiim manu appcllans : Memineris saltem nomen Medeœ , sicut et ego vicissim meminero absentis , etc. At Jason , nec alla connubium nostrum rcs dicelkt alia quam mors. Ibid. v. 1128. et praeced. (5) Tum suis redditus déclarât rem. totam , etc. Ovem immolât , etc. JJecatem invocat , etc. Subterranei canes lalrant , tremunt prata , ululant paludum Nympliœ. Ibid. v. 1220. (6) Jason de Medeœ prœccptis , succu liquato clypeum perfricat , et liastam et glaclium , etc. Apollonius , lib. 3. v. 1278. (7) Ilic verô cervices rite illigavit , et in medios sublatum œreum temonem coaptavit , etc. Et gravidam dentibus galeam recipit , et aralam in terram spargit dentés , etc. Jam universum per agrum ex- pullabant Gigantes , et circumquaque liorrebat scutis , liastis et cassi- dibus ager Marlis, etc. Ibid. (8) Jason arripuit magnum saxum , et procut in medios abj ce it ; illi instar canum alii alios interemerunt. Ibid. i j. Jason et les Argonautes. 1 1 7 Dès lors ceux qui étaient déjà nés se jettent comme des chiens enragés les uns sur les autres , ils se déchirent et s'entre-tuent ; Jason perce et abat les autres à demi nés; les sillons regorgent de leur sang ; enfin il en achève la moisson fatale avant la fin du même jour (1) , et JEète se retire tout consterné, pour chercher, mais sans es- poir , quelque autre moyen de le perdre. Nous voyons dans JEiile les mouvcmens qui agitaient le Roi de Jéricho (2) , prévenu que Dieu avait livré son Pays aux Israélites ; dans Médée , les conseils et les se- cours de Rahab ; enfin , dans les promesses que les Ar- gonautes font à Médée , celle que Rahab exigea aussi des Israélites. (3) Nous avons déjà vu comme les Poètes Grecs ont mêlé dans cet endroit ce que Josèphe (4) conte de la passion que la fille du Roi d'Ethiopie prit pour Moïse. Nous avons aussi rapporté l'explication et l'origine Phénicienne de ces travaux par lesquels Jason fut obligé de conquérir la célèbre Toison. Les deux espions envoyés par Josué étant revenus au camp , rendirent compte de leur voyage et de leurs décou- vertes ; sur quoi Josué (5) ayant invoqué le Seigneur , et ordonné au Peuple de se sanctifier, le Seigneur l'assura de nouveau d'un heureux succès. Il marche ensuite in- trépide vers le Jourdain avec tout le Peuple qui suit l'Arche d'alliance. Les eaux de ce fleuve se retirent des deux côtés ; les Israélites le passent après l'Arche au travers du Canal à sec. Ce passage miraculeux du Jourdain est ce qu'on a copié en langage poétique, par les Taureaux aux cornes d'airain et qui vomissaient des llammes , domptés par le Héros dont la Fable a fait la copie de Josué. On sait qu'elle représentait les fleuves par des Taureaux , que leurs canaux et leur cours rapide en étaient les cornes , que l'impétuosité de ces fleuves était figurée par la fureur de ces Taureaux , et que ceux qui détournaient ces fleuves , ou qui trouvaient de nouveaux moyens de passer , étaient peints et célébrés comme ayant dompté ces Tau- reaux. Ces allégories sont connues, et sont justifiées par le combat fabuleux d'Hercule contre le Taureau dans lequel le fleuve Achéloûs était transformé ou représenté. (1) Jason metebat plerosque , ventris tenus et ilium dimidiaios in aère exstantcs , alios liumerorum tenus prominentes , altos ruent es in prœlium , unde sulci sanguine implebantur ; die tabescente cerlamen erat ab illo finitum. /Ectes revertit in oppidum , meditabundus viam qnâ illis occurrcret diriùs. Ibid. (2) Au chapitre 2.- de Josué. (3) Clwp. 5. du liv. 2. de sou Histoire des Juifs. (Û) Chap. 3. de Josué. (5) Cliap. 7. des Juges , v. 22. It8 CONFÉRENCE DE I,A FABLE , CtC. La défaite de ces combattans nés de la terre , qui tour- nant leurs armes les uns contre les autres s'entre-tuent eux-mêmes , sans qu'il en coûte à Jason que d'avoir fait rouler une pierre au milieu d'eux ( comme il lui avait été suggéré ) , et que d'être le spectateur de leur carnage, est empruntée de la défaite des Madianites et des Amalécites par Gédéon (1) : ce Général se présenta contre leur armée nombreuse , avec trois cents hom- mes seulement sans autres armes que des trompettes et des lampes , suivant l'ordre qu'il en avait reçu de Dieu , et il vit , sans combattre , les ennemis se trou- bler , tourner leurs armes les uns contre les autres , et s'entre-tuer. Ce qui avait été prédit par un soldat Maclia- nite (2) , qui conta à ses camarades avoir vu comme un pain d'orge cuit sous la cendre rouler du camp de Gé- déon dans le leur , renverser une tente , et mettre tout leur camp en déroute. C'est ce que la Fable a copié par la pierre que Jason fait rouler parmi les enfans de Mars armés , et qui les oblige à se défaire eux-mêmes. Après le passage des Israélites, les eaux du Jourdain reprirent leur cours ordinaire (5) ; l'entrée de la Terre promise et la conquête de Jéricho ne furent plus qu'un effet et une suite de prodiges et de miracles de la main du Tout-puissant. Rien ne résiste, les ennemis des Is- raélites sont vaincus sans combat , et les murs de Jéri- cho tombent d'eux-mêmes (4) à la seule vue de ce Peu- ple et au seul bruit de ses trompettes. Le Roi et les habi- tans , bien loin de repousser les Israélites , ne savent comment se sauver eux-mêmes. Au bruit de ces mer- veilles (5) tous les Rois de Chanaan perdent cœur; il ne leur reste aucune force pour s'opposer à l'entrée et aux conquêtes des Enfans d'Israël. Ce passage de l'Arche et des Israélites qui la sui- vaient, dans le Jourdain , dans la Mer rouge , et au tra- vers des eaux et des terres, la Fable, ainsi que nous l'avons remarqué, l'a copié par le passage de son Na- vire Argo au travers des terres et des eaux, où tantôt il portait les Argonautes , et tantôt ils le portaient eux- mêmes. Diodore rapporte que les habitans de certaine ré- gion de l'Arabie voisine de la mer, ont chez eux une tradition de plusieurs générations , que la Mer de leurs côtes , qui paraît verte , se retira autrefois tout entière (1) Chap. 7. des Juges , v. 21. '■T : Ibid. v. 13 et 14. (3) Chap. l\. de Josué, v. 18. [h) Chap. 6. de Josué. (5) Au commencement du eh. 5 de Josué. \~. Jason et les Argonautes. iig fort loin de ses rivages , et laissa vois le fond sec et à découvert , et qu'elle y revint bientôt après comme au- paravant. Ce qui est visiblement une tradition du Passage miraculeux de la Mer rouge. Médée jugeant bien que son père ne lui pardonnerait pas les secours qu'elle avait prèles à Jason (1), prit la résolution de se sauver avec les Argonautes. Les Enfans de sa sœur et de Pbrixus l'y conduisirent (2) avec Jason , qui lui donna de nouveau sa foi en présence des Dieux et de ses Compagnons. (5) Elle leur lit conduire le Vais- seau près du bois sacré , où la Toison fatale était sus- pendue (4) et gardée par un Dragon toujours veillant ; Médée l'endormit avec ses drogues (5) , et fit prendre la Toison d'or par Jason sans aucun obstacle ; il n'eut qu'à la recevoir des mains de Médée, et il la porta dans le Vaisseau (6) , où elle fut admirée de tous avec les actions de grâces dues à Médée (7) , à qui ces Héros devaient le succès de leur expédition et leur glorieux retour dans leur Pays. Dans la consternation générale de Jéricho et de tout le Pays (8) , cette Ville était encore bien fermée , fortifiée et gardée; mais par une suite de prodiges , à l'approche de l'Arche , au seul bruit des trompettes et du cri delà multitude , les murs de Jéricho tombent avec toutes ses fortifications : les soldats qui la gardaient sont comme endormis : les Israélites se rendent maîtres de cette Ville sans combat et sans résistance. Tout y est saccagé , rien ne se sauve , hors Rahab avec ses frères et ses parens, que les Israélites prennent au milieu d'eux, par les or- dres de Dieu , et comme ils le lui avaient promis pour leur avoir livré le Pays que Dieu leur avait destiné. (9) Josué confirme les promesses qu'on lui avait faites; il la prend en sa protection ; il lui donne ensuite des ter- res , et continue de la traiter avec toute la faveur qu'elle pouvait souhaiter. (1) Augurabat Meclea , JEetem non laterc auxiUaiioncm , atque ideo totam esse noxiam ulturum. Apollonius, lil). l\. (2) Turbatam Medeam cum Phrixi natis aufiigere impulit Juno , etc. Raptim per aviam semitam extra mœnia Urbis venit. Ibicl. v. 95. ctseq. (3) Jason Jovcm jurât et teslatur et Junonem pronubam , etc. Et cum dieto dextram cum dextra copulat , etc. Ibicl. v. 95 et scq. [!\] Ibi tùm Ma jubet cos ad augustum nemus cilam agere navem , ut de nocte petlem captant adsportent. Ibicl. (5) Monstrum Medea sopit venenis lellialibus cum carminé , etc. Ibid. (6) Et reveriuntur ad navem cum magnâ pelle , quam Jason porta- bat , etc. Ibicl. (7) Coram omnibus Jason spondet Medeam uxorcm sibi sumplu- rum, etc. y. 194. Vos quoque tanquam tolius Achaïœ vcslrique ipsorum strenuam âdjutricem servabitis. Ibicl. (8) Chap. 0. de Josué. (9) Au même chap. C. tic Josué , cl chap. 1. du liv. 5. de l'His- toire des Juifs , par Josèphe. ilO CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. JEète furieux court au rivage , escorté de tous les siens ; il invoque les Dieux pour sa vengeance ; il fait partir des troupes sur ses vaisseaux pour suivre les Argonautes. Ceux-ci sont secourus par Junon (i) , qui pousse le Navire Argo vers la Grèce. Comme ils étaient déjà avancés , ils se souvinrent qu'il leur avait été déclaré (2) qu'ils devaient s'en retourner par une autre route , qui avait été marquée par les Prê- tres Thébains ou Egyptiens (3) , le plus ancien des Peuples et déjà connu avant que la Grèce fût habitée (4) ; que de ce Pays fertilisé par le Ml était autrefois sorti un Chef qui avait parcouru l'Europe et l'Asie , qui avait conquis une grande étendue de Pays et fondé quantité de Villes , et entre autres JEète capitale de la Colchide qui subsistait encore. Ils se souviennent que chez ces Peuples on voyait gravés sur des colonnes très-anti- ques (3) les chemins et les situations de tous les endroits de la terre et de la mer où l'on pouvait voyager ; et qu'on y voyait au-delà de la mer un grand fleuve d'un cours très-étenclu , appelé Danube (6) , qui prend sa source dans les Alpes et va passer chez les Thraces et chez les Scythes , etc. C'est ici dans l'Histoire Sainte les Peuples et les Rois voisins de Jéricho, qui se soulèvent et se joignent pour combattre et pour arrêter les Israélites , que la puis- sance de Dieu pousse dans le Pays et qu'elle soutient toujours miraculeusement. Ce sont les détours et les longueurs de leur voyage. C'est Abraham , Jacob et Jo- seph , les Auteurs et les anciens Chefs des Egyptiens , reconnus par eux sous le nom de Pasteurs , fondateurs et maîtres du Pays (7) et des villes que les Israélites sor- tis d'Egypte étaient allés conquérir. Ce sont enfin ces (1) Ferox Rex solem Jovemque fœderum arbitras facinorum testa- tas , etc. Eodem Colchi die navibus Pontum ingressi , etc. Isti vero fiante violentiùs vento , providentiâ Deœ Junonis , ocissimè feruntur in agrum Pelasgicum. Apollonius, Jib. h. (2) In mentem venit Phineus , qui alium dixerat cursum ex Mca fore, etc. Ibid. (3) Est alla navigatio quam Deorum sacerdotes monstrarunt TtiebA Tritoniû orti, Ibid. v. 253etseq. [h] Nondum augusttnn genus Danaorum licebat comperire; quemdam dicunt ex /Egypto ortum , qiue celebrabatur priorum mater virorum , peragratis Europâ et Asiâ incolas dédisse yEeœ , quee in hodiernum dieni stat cum posleris eorum. Ibid. (5) Atque lit sacerdotes scriptas major um suorum pietatc servant columnas , in quibus omnia sunt itinera et fuies maris terrœque cir- cumquaque profecturis , etc. Ibid. (6) Ac nonnullus est fluvius , ullimum Oceani cornu , lattis et conti- nua; profunditalis , quem dixerunt Istrum , eu jus fontes liiphœis in montibus , deinde Tliracum et Scytliarum oras superscendit. Ibid. v. 280 et seq. (7) Justin , liv. 36. ch. 2. de son Histoire abrégée. 17. Jason et les argonautes. 121 Célèbres colonnes de Mercure (1) , où les Prêtres Egyp- tiens avaient, dit-on, gravé les grandes connaissances de Dieu , de ses ouvrages , du ciel et de la terre , qu'ils avaient apprises d'Abraham et de sa famille , et ensuite de Moïse , durant leur séjour en Egypte. Ces colonnes sont célébrées par plusieurs Auteurs. Plusieurs Savans ont aussi prouvé que les Egyptiens avaient formé et composé leur Mercure , ( dont ils avaient donné le nom à ces fameuses colonnes , ) de Joseph et de Moïse auxquels ils devaient , ainsi qu'à Abraham , leurs belles connaissances si supérieures en antiquité à toutes celles des Grecs ; c'est ce qu'Eusèbe (2) établit sur l'autorité des Historiens Chaldéens et Egyptiens , de Diodore de Sicile, et ce qu'enseignent les vers d'Or- phée sur le Verbe Divin (3) , rapportés par saint Clément d'Alexandrie (4) , où il dit que Dieu n'était connu qu'à Abraham et à sa famille. Pendant que les Argonautes discouraient sur l'Egypte, ils furent interrompus par un prodige que Junon fit pa- raître. (5) Une flamme céleste leur marqua la route qu'ils devaient suivre ; ils voguèrent à pleines voiles ; et cette flamme céleste accompagnée d'un vent favorable , ne les quitta point, jusqu'à ce qu'ayant traversé toute la mer du Pont , ils fussent portés dans le Danube. Voilà l'imitation de la Colonne de flamme durant la nuit , et de nuages durant le jour , qui conduisait les Israélites (6) et leur servait de guide dans les vastes so- litudes du Désert , comme Moïse l'avait demandé à Dieu. Cependant les Colques commandés par Absyrte , fils du RoiiEète (7) , après avoir traversé les roches Cyanées etle (1) ,Jamblique , an commencement de son livre sur les Mystères des Egyptiens ; Augustinus Steuclius ; Manethon rapporté par le Syncelle , et par Eusèbe , Chronic.lib. 1. et M. Huet en sa Démons- tration Evangélique , proposition II. ch. 2. n. lZj. (2) Liv. 3. de sa Préparation Evangélique. (3) Unum prœterquam , cui deriuatur origo Chatdœum ex gencre. Is noscebat sidéra cœli Iltorumque vias , et qui moveatur in orbem Sphœra , et telluris circumvertatur in axe Spirittts, et regat liane , etc. Orpheus. (ù) Stromat. lib. 5. (5) Ju.no prodigio monstravit Minyis viam ; ducebatur tract us flam- mœcœlestis quô verum erat iter , et lœti velis passis mare incurrebanl. Fiat us verô et cœlestis fulgur flammœ mansit donec magnum Jstri (luen- tum essent invecti, etc. Apollonius, lib. à. v. 302. (6) Cbap. ti. des Nombres , v. llx. (7) Cotchorum alii quibus prœerat Absyrtus , Cyaneas ponti rupes pervadebant , et quâ Jstrus vergit in mare venerunt ; el transit uni intersepierunt. Apollonius, lib. ù. v. 328. Le Scboliaste d'Apollonius , et Strabon , liv. 1. de sa Géographie , ch. 33. disent que la tradition enseignait qu'anciennement il y avait un canal de communication du Danube à la mer Adriatique , dont il ne paraissait plus rien de .leur temps. 111 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. Pont , arrivèrent à une petite Ile près d'une des Bouches du Danube qu'ils remontèrent. Ils entrèrent de là clans la mer Adriatique, dont ils investirent l'entrée , afin que les Argonautes qui devaient y passer , ne pussent leur échapper. Comme ceux-ci qui venaient après eux , ne pouvaient éviter d'en venir aux mains , Jason , pen- dant une trêve qui fut ménagée, poignarda dans les ténèbres Absyrte (1) qui venait conférer avec Médée ; et après quelques expiations il couvrit son corps de terre. (2) Les Argonautes tuèrent tous ceux qui étaient sur le vaisseau d' Absyrte (3) , et profitant de la nuit , ils s'éloignent dans la mer à force de rames , et ils arrivent à l'Ile Electride , près de l'endroit où le Pô s'y dégorge. Les Colques ne sachant, après la perte de leur Prince, quel parti prendre , et n'osant retourner vers leur Roi et s'exposer à sa fureur, se dispersèrent dans les Iles et les Terres voisines de l'Illyrie et des frontières de l'Epire près des monts Cérauniens. (4) La Fable , qui confond et altère l'Histoire , et qui a voulu ramener ses Héros dans leur Pays , a copié ici comment les Egyptiens poursuivirent les Israélites jusques sur les bords de la Mer rouge (5) , où ils comptèrent qu'ils ne pouvaient leur échapper , enfermés comme ils étaient entre la puissante armée des Egyptiens et la mer; ce qui fit que les Israélites eux-mêmes se crurent perdus. Les Egyptiens qui n'avaient pas voulu débiter sincèrement la nouvelle de la mort de leurs enfans et du fils du Roi , arrivée la veille du départ des Israélites , ni le passage miraculeux de ce peuple dans la Mer, ni la perte de Pha- raon et de toute son armée avec lui clans les abîmes des eaux, avaient donné lieu par leurs déguisemens à dire cpie le fils du Roi avait été surpris en trahison et massa- cré par ce peuple qu'il poursuivait, que ce meurtre avait mis l'armée des Egyptiens en déroute , et les avait obli- gés à se disperser et à s'établir en divers Pays , parce qu'ils n'osèrent retourner dans le leur. Les Argonautes poursuivant librement leur route , abordèrent chez les Hylléens dans la Liburnie qui fait (i)~~ Jason è lalebrâ irrucns elato manu gladio, Absyrtum mactat, etc. Ibid. (2) Tarn Jason pr imitas cadaveris obtruncatis , etc. Ut f as est pcr- cussori clandestinam expiât cœdem , et obrait humo cadaver. Ibid. v. 480. (3) Ileroës Colchorum stragcm fecerunt ; dcinde incubuerunt assi- due remis , donec in Electridem aspirarunt insulam omnium postre- mam prope flumen Eridanum. Ibicl. [Jx) Reliqui Colchi , frarh JEetœ veriti , patriam Iwrruerunt , et illico alii alio appulsi habitat um icrunt , quidam illas tenuerunt insulas ubi habent ab Absyrto nomen. Ibid. (5) Au chap. 14. do l'Exode. 17. Jason et les Argonautes. 123 partie de l'Illyric, aujourd'hui Croatie. Us virent plu- sieurs Iles delà mer Ionienne, celles deCorcyrc, de Malte et de Nymphée, où l'on a fait régner Calypso. (1) Ils furent surpris par une tempête effroyable , oit ils cru- rent périr ; ils entendirent une voix distincte qui sortant de la poutre de Dodone , placée par Minerve au milieu du Vaisseau , leur annonça la colère de Jupiter pour le meurtre d'Absyrte (2) , et leur prédit qu'ils ne se tire- raient jamais des périls de leur longue navigation , s'ils n'expiaient ce parricide inhumain par le moyen de Circé (5) , chez laquelle Castor et Pollux, après avoir im- ploré le secours du Ciel , devaient les conduire. Ce sont des imitations de la colère et des menaces de Dieu contre les Israélites pour leurs crimes , leurs mur- mures et leurs révoltes (4) , avec les moyens d'en obtenir le pardon , et de fléchir la clémence de Dieu irrité , par les prières et l'intercession de Moïse et de Josué : ceux-ci, parles expiations que Dieu leur prescrivait, apaisaient sa colère , et ensuite, secourus du Ciel , conduisaient ce Peuple heureusement et glorieusement au travers d'un pays ennemi et de dangers affreux. La voix de la poutre qui était au milieu du Vaisseau des Argonautes , et qui leur prédisait ce qu'ils avaient à craindre et leur ensei- gnait ce qu'ils devaient faire , est une copie, comme nous l'avons déjà observé , du Propitiatoire qui était au- dessus de l'Arche (5) , et d'où Dieu parlait aux Israélites et leur donnait ses ordres. Le Vaisseau , sous la conduite des deux frères Castor et Pollux , est emporté sur la route qu'il venait de faire , jusques dans le Po , où l'on a feint que Phaéton avait été (1) Corcyram , exinde Melltam et Nympliœam ubi Regina Calypso scelit. Apollonius , lib. L\. v. 571 et seq. (2) Ira Jovis ob ccedem Absyrti excitatœ s tint procellœ. . . . Subitàm clamai articulât è loquax cavœnavis lignum, quod mediarri ad carinam Mlnerva ex Dodonœa apt avérai quercu , et non evasuros eccinit , nisi Circc immane Absyrti parricidium piaverit,. lbid. v. 580. bat voeem concita fagus , Argolica Pallas secuit quam diva bipenne, etc. Atque utinam cotlisa et perdita dudum Cyaneis pétris Euxini in fluet ib us esscm ? etc. Me fera semper Erynnis , Absyrli effuso cognât i sceva cruore , Insequilur , neque vos patriis succedere tectis Fas est pollutos , etc. A7 prias invisum maleœ in lit tore justa Purgetis per sacra nef as , etc. Orpheus , Argonaut. (3) Vias ergo Ausonium ad mare Deos orent , in quo sint Circem in- venturi Persœ Solisque filiam , etc. Apollonius. (li) En plusieurs endroits de l'Exode , au temps de Moïse , et chap. 7. de Josné , v. 12 et 13. (5) Au ch. 5. de l'Exode. G. 1^4 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. précipité du char de son père (1) par la foudre de Jupiter. Cette Fable de Phaéton est aussi prise des livres de Moïse, comme il sera montré ailleurs. (Art. xxn.) Délaies Argo- nautes ayant gagné le Rhône (2) , furent portés avec vio- lence vers le détroit et jusqu'à l'entrée de l'Océan , d'où ils n'auraient pu revenir et se sauver; mais Junon avec un grand cri les retint et les porta sur les côtes des Celtes et des Liguriens. Ils passèrent près des lies de Provenee ; ils gagnèrent de là les côtes de la mer de Tos- cane, et ils arrivèrent au port d'iEée , séjour de la fa- meuse Circé sœur d'iEète Roi de Colchos , où ils furent purifiés par les expiations convenables. Courses , écarts , détours , qui ne sont ni croyables , ni possibles , par lesquels la Fable a voulu imiter la lon- gueur, les détours et les difficultés du Voyage des Israéli- tes , surtout dans le Désert , et les dangers dont ils furent si souvent délivrés par des effets sensibles de la toute- puissance de Dieu. La Fable n'a pas voulu non plus omet- tre les expiations solennelles prescrites dans la Loi de Moïse et pratiquées en plusieurs occasions pour purifier le Peuple qui avait irrité Dieu , et qui s'était souillé par des crimes et par des révoltes contre lui. Junon, par le secours d'Eole, les fit porter rapidement et heureusement dans l'Ile des Phéaciens (5) , aujour- d'hui Corfou , dont le Roi les garantit d'une autre armée navales des Colques qui les y joignit , et où Jason et Mé- dée furent mariés en présence de Junon. De là ils avaient, le septième jour , passé la Sicile ; mais les Destins avaient réglé qu'ils devaient être portés sur les côtes de la Libye, et souffrir beaucoup. (4) En effet , lorsqu'ils étaient déjà à la vue des terres de la Grèce (5) , une tempête furieuse , qui dura neuf jours et autant de nuits , les porta sur les côtes d'Afrique. (6) Orantibus Mis , sic procurrit navis ut in ipsum Eridani pénétra- vent fluxum in quem Phaëton , etc. Apollonius, lib. I\. v. 600. (2) Exinde in altum Rliodani jluentum invchuntur , et auferebantur versus Occani sinum , in quem imprudentes erant illapsuri , unde neque redire, neque servari qui vissent ; veriim Juno intonuit , ac tandem invcnerunt viam , etc. In Stœchades évaser uni insulas , et pernav.igaio Pelago Ausonio littus Hetruscum contuente , in inclytum JEeœ portum appulerunt. Ibi in Circen incidunt , quœ ipsos lustrât libamentis sacris- que, etc. Ibid. à v. 627 usque ad 740 et seq. (3) Juno itidcmmittit ad T/ietidem et JEolum , ut Minyis naviganti- bus favcant. Scyllam inter et Cliarybdim prœterlabuntur , et ad Pluea- ces Argo vanis jactata periculis pénétrât , ubi Colchicos assequuntur. Ibid. (t\) Sed fata nequaquam permiitebant ut lierocs inferrent Achœœ pe- dem priusquam in Libyœ oris fuerint passi , etc. Ibid. (5) Et jam apparebat tellus Pelopis , càm procella novem dies et toti- dem nocles ipsos aufert , donec ait ingant Syrtim, ubi nulla doinum revcrsio restât navigii. Ibid. usque ad vers. 1235. ij. Jason et les Argonautes. ii5 Continuation des mêmes embarras dans la Fable , pour copier les longueurs et la route extraordinaire du Voyage des Israélites. Orphée (1) fait passer les Argonautes chez des Peuples appelés Macrobies, a cause de la longueur de leur vie ; ils vivaient mille ans dans l'abondance , la tranquillité et toutes les prospérités. «Ils étaient, dit-il, pleins de justice » et de sagesse , et ils menaient une vie aussi exempte » de tous crimes , qu'elle était longue ; ils se nourris- » saient d'une rosée délicieuse que le Ciel faisait distiller » continuellement dans leur Pays. » Les Géographes ont vainement cherché un Pays pour y placer ces Macrobites. Quoi qu'on ait dit des Ethio- piens, de quelques Indiens , et d'autres, il n'y a point eu de Peuple connu qui ait porté ce nom ni où les gens aient communément vécu si long-temps et de cette sorte. On a voulu suivre dans cet endroit ce qu'on ap- prenait par la Tradition et par nos saints Livres des lon- gues vies des anciens Patriarches , Mathusalem , Noé , Abraham, et autres de leurs temps, connus par l'Histoire Sainte et célèbres par leur innocence, leur sagesse et leur justice , chez les Egyptiens et chez les autres Peuples voisins. La mémoire de la Manne dont Dieu avait nourri son Peuple dans le Désert , de cette rosée que le Ciel faisait distiller tous les matins pour le nourrir (2) , s'était aussi conservée dans la tradition de celte rosée que la Fable fait distiller dans le Pays de ces Macrobies pour leur nourriture. On trouve cette même tradition , dans ce qu'Hérodote (5) et Solin (4) content du lieu appelé la Ta- ble du Soleil dans l'Ethiopie , vers Méroé , où ils placent aussi leurs Macrobies. (5) « C'était , disent-ils , une cam- » pagne qui toutes les nuits était garnie et couverte de » viandes exquises , toutes préparées , de tous les goûts » et de toutes les espèces de ce que l'on peut manger de » plus excellent ; le Ciel les renouvelait chaque nuit , et » tous pouvaient en prendre et en manger dès que le » Soleil était levé. » (1) Venimus ad dites omnique ex parte beatos Macrobios, facilcm qui vitam in tonga trahentes Secula millenos implent féliciter annos , Immunes vitiique omnis , etc. Ambrosiumque bibunt succum de rore perenni. Orpheus, Argonaut. (2) Au chap. 16. de l'Exode. (3) Hôiodote , liv. 3. {U) Soliu , ch. 33 , de l'Ethiopie. (5) Apud /Ethiopes Macrobios locus est dictas Helioutrapcza , seu Mensa Solis , opiparis epulis semper refertus , et omnium quadrupedum. assà refertus carne quibus indiscrète omîtes vescuntur ; nom et divini' tus eas augeri fer tint. Soliuus , et Horodolus , dd. locis. 126 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. Ces deux traits de l'Histoire de Moïse n'étaient pas per- dus dans le temps du Poème d'Orphée , comme nous venons de voir ; mais ils s'étaient dissipés ensuite ou ils furent négligés par Apollonius ; ainsi la mémoire des faits s'est affaiblie , et s'est perdue par le temps , par le passage d'un Peuple à un autre, et parle différent génie des Auteurs. Si nous avions ce Poème d'Orphée en son entier et ceux des Poètes qui avaient avant lui célébré le même sujet, nous y trouverions sans doute bien plus de traits des Histoires de Moïse et de Josué ; ils nous en fourniraient de plus entiers , de mieux suivis et de moins défigurés que ceux qui n'ont été conservés que par une tradition affaiblie et confuse , et qui du débris des an- ciens ouvrages ont passé dans ceux qui ont été composés si long-temps après. Le Navire Argo fut porté par la tempête dans les Syr- tes , ou sables , bien avant dans les terres , d'où il était impossible de retirer les Vaisseaux qui s'y enfonçaient(i), et qui manquaient tellement d'eau pour se mouvoir , qu'à peine la quille du Vaisseau y était-elle trempée. (Ce sont les sèches de Barbarie entre les Royaumes de Barca et de Tripoli. ) Les Argonautes descendent tris- tement à terre (2) ; ils n'aperçoivent que de vastes campagnes de sable, sans eau , sans apparence de che- mins et sans habitations. Ni la valeur ni la prudence ne pouvaient les sauver (3) , et ils étaient perdus sans res- source , s'ils n'eussent été secourus par les Génies du Pays , qui , touchés de compassion pour ces Héros , se firent voir et connaître à Jason. Ils lui donnèrent de l'assurance , lui enseignèrent et lui ordonnèrent de por- ter avec ses compagnons leur Vaisseau sur leurs épaules au travers des terres , en suivant les traces d'un cheval miraculeux, qui , sortant de la mer , et traversant les ter- res d'une course aussi rapide que le vol des oiseaux, les conduirait en quelque lieu où ils pourraient remettre le Navire à l'eau, ils le prirent dont sur leurs épaules, et le portèrent avec tout ce qui était dedans , durant douze jours et douze nuits , au travers des vastes sables de l'Afrique, avec des fatigues et des difficultés insurmon- tables à tous autres qu'à des Enfans des Dieux (4) , et autrement que par leur secours tout-puissant. (1) Hue projicit eos procella inter ingénies arenas juxta littus , ut perexigua carinœ pars retinqueretur in aquis , et unde nulla navigandi et exeundi spes superesset. Apollonius , lib. !i. v. 1240 et seq. (2) lllc deruunt è navi , ac dolent issimè contemplantur aura et vastes dona ielluris , ac niliil aquationis , nullum callem , nullam procul pastoritiam videbant villam , etc. Ibid. (3) Indignissimis modis occidimus , neque effagium patet malt. Ibid. V. 1247 et seq. [l\] Héroïnes Africœ Deœ terrestres familiarcs Jasoni apparent , etc. 17. Jason et les Argonautes. tsn Après cette narration , le Poète , pour s'excuser de son peu de vraisemblance comme s'il avait peur et honte qu'on lui en attribuât l'invention, ajoute (1) que c'est un conte de l'invention des Muses ; qu'il est obligé de le rapporter, comme étant leur interprète, et comme une de leurs plus anciennes traditions qu'il ne lui a pas été permis de rejeter. C'est ainsi que , pour suivre un peu la tradition obs- cure sur le passage de l'Arche et des Israélites au tra- vers des mers et des lleuves comme au travers des terres, et l'accommoder à leurs manières, ils avaient achevé de la défigurer , et n'avaient fait qu'une imitation ridicule , contre toute vraisemblance et toute possibilité , pour avoir travaillé sur le fond d'une vérité qu'ils voulaient altérer. Les Egyptiens et leurs voisins ne voulurent pas d'abord célébrer le Passage miraculeux du Peuple de Dieu dans la Mer rouge ; mais ils ne purent en abolir le souvenir parmi eux, comme ils tâchèrent de déguiser ce fait. La tradition confuse et fort affaiblie , à mesure qu'elle s'écartait du temps où cela s'était passé , fit de l'Arche miraculeuse un Navire aussi miraculeux qui portait ces Héros au travers des Mers inconnues, qui leur faisait parcourir des Pays immenses , dont même quelques- uns n'ont jamais été; Navire qui à son tour était porté au travers d'espaces immenses au milieu des terres, avec tout ce qu'il contenait , sur les épaules de ces Voya- geurs , qui dans toute leur vigueur n'auraient jamais pu avoir assez de force seulement pour le lever (2) , comme leurs Auteurs mêmes l'avouent. Aussi le Poète, assez hardi d'ailleurs pour les fictions , s'est cru obligé de s'ex- cuser de celle-ci sur la nécessité de suivre une Tradi- tion qui passait pour certaine , et qu'il n'osait ni démen- tir ni supprimer, comme si elle eût eu quelque chose de religieux, qu'il n'était pas permis de détruire môme après l'avoir défiguré. Nous avons vu comme la Déesse de la Sagesse avait fabriqué ce Navire, et y avait mis un bois qui rendait des oracles ; ce qui est sur le modèle de l'Arche , aussi-bien que la vénération religieuse con- qaarum monitis et consilio licroês navein , et quidquid in eâ erat , hu- mer is impositam daodccim dies noctesque portarunt per arenosœ tetluris Africœ spatia , etc. Muitis œrumnis et laboribiis, quibus non suffecis- sent nisi DeCnn sati sanguine , per iter quod equi portent um in aère pereurrens ipsis signaverat , ad sinum maris Tritonium lacum , etc. Ibid. v. 1309 et scq. (1) Musarwm Itœc fabula est ; ego ut internuntius Pieridum succino ; alque liane certo certius accepi dictionem. Ibid. v. 1381 et seq. (3) Extra omnern verisimilitudinem , cùm vix cam in mare detrusis- sent viribus integris. Fictio non minus absurda , quàm si quis liomi- num volare dicat. Apollonii Scholiasles iu v. 1381. lib. II. 1^8 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. servée pour ce Navire , que les Poètes transportèrent au Ciel (1) pour en faire une constellation. Les Génies qui apparurent à Jason pour l'encourager et le secourir, sont encore copiés sur l'Ange qui apparut à Josué (2) entre le Jourdain et la Ville de Jéricho. Il se présenta à lui avec une épée nue à la main , et lui dit qu'il était le Prince de l'armée du Seigneur, envoyé là pour le secourir. Le Cheval dételé du char de Neptune , et qui volait au travers des déserts pour y tracer la route que les Argo- nautes devaient suivre , est une nouvelle représentation de la Colonne de nuage durant le jour, et de feu durant la nuit , qui était donnée aux Israélites pour les conduire dans le Désert. Nous en avons vu d'autres images, que les Poètes ont voulu diversifier à leur manière. Les Argonautes , dans cet effroyable trajet et sous ce terrible fardeau , souffrirent de la soif tout ce qu'on peut souffrir , jusqu'à ce qu'ils arrivassent au fameux verger des Hespérides dans la Mauritanie (3) , où les pommes d'or avaient été jusqu'alors gardées par un Dragon qui avait été depuis peu blessé par Hercule. Ce Pays de Barbarie avait été fort connu et fréquenté par les Phéniciens , qui y avaient souvent voyagé, qui y avaient laissé plusieurs monumens et établi des habita- tions. Saint Augustin (4) dit qu'encore de son temps les paysans interrogés de leur origine, répondaient en lan- gage Punique , qu'ils étaient Chananéens. L'Historien Procope (5) rapporte qu'on voyait aussi de son temps sur ces côtes de Barbarie , près de Tanger , deux co- lonnes bâties par les Chananéens qui s'y étaient établis, dont l'inscription gravée marquait qu'ils avaient été chassés de leur pays par Josué fils de Navé , brigand ou usurpateur. Et Salluste (6) enseigne que des Colonies de Phéniciens chassés de leurs pays étaient venues peu de temps après Hercule s'établir sur les côtes d'Afrique , où elles avaient bâti des Villes ; ce qu'il dit avoir été tiré des archives des Rois de Numidie. Ainsi toutes ces Fables sont d'origine Phénicienne , transportées dans la Grèce par le commerce des Phéniciens. On voit dans les Livres de Moïse combien les Israélites souffrirent de la soif dans le Désert. L'idée de ce Dra- (1) Argo , servando Dea facla Deos. (2) Chap. 5. de Josué , v. 13. (3) Sicca exceperat sitis pcrpessionem œrumnœ dolorumqtie , donec contigerunt campum in quo ad hune diem aurca custodiit Ilesperidum mala terrestris serpens. Apollonius , lib. v. 1394 et seq. (4) In expositione inchoalà Epislolœ ad Romanos , art. 13. (5) Vandalic. lib. 2. (6) Dans la guerre de Jugurtha. i-j. Jason et les Argonautes. 129 gon du jardin des Hespéridcs , et de celui qui gardait la Toison d'or, peut bien avoir été prise des serpens brù- lans que Dieu irrité envoya contre les Israélites dans leur Voyage (1) , qui en tuèrent quantité , et dont Moïse les délivra. Ces Pommes d'or sont une pure fiction , comme le remarquent Pline (-2) , et Solhi (5) Polyhistor. Les Hespéridcs , pressées par les prières d'Orphée de lui enseigner de l'eau , pour les empêcher lui et ses compagnons de périr de soif, leur racontèrent qu'un téméraire, qu'elles dépeignirent, fait et armé comme Hercule, était venu la veille ; qu'il avait tué leur Dragon, qu'il s'était chargé de leurs Pommes d'or , et que cher- chant aussi de l'eau pour se désaltérer, et désespérant d'en trouver, il avait frappé du pied sur un rocher avec tant de force , qu'il en était sorti une source abondante (4) , qu'elles leur montrèrent. (5) Ils y coururent, et se désal- térèrent avec avidité. C'est une suite des traditions que les Chananéens avaient répandues. Cette seconde source, sortie d'un prodigieux coup de pied d'Hercule pour soulager la soif mortelle des Argonautes dans les déserts arides de la Libye, est une imitation de la seconde source que Moïse fit sortir du rocher par des coups redoublés de verge , dans le désert de Sin ou de Pharan (G) , pour guérir la soif mor- telle des Israélites , vers la fin de leur Voyage ; elle peut l'être aussi de la source que Dieu fit sortir, pour Samson , de la mâchoire avec laquelle il avait défait mille Philis- tins. (7) La Libye, par son nom Arabe, Lub , ne veut dire qu'un pays sec (S) , altéré et sans eau. C'était près du Marais ou du Lac Tritonien , qu'ils avaient porté leur Vaisseau (9) , et de là sur un fleuve qui en sort et qui en prend son nom. Un Triton les fit ren- trer par un détroit dans la Mer du Péloponèse (10) ; il les conduisit jusqu'à la vue de l'Ile de Crète , d'où un Géant monstrueux , qui paraissait être d'airain , monté sur un (1) Chap. 21. des Nombres", (2) Pline , chap. 1. et 5. du liv. 2. de son Histoire. (3) Solin , chap. 27. (li) Ilespcrides docent ut nuper Hercules hue pertranslens , orctisque siti , calce pedis imam rupem sic pulsassct , ut ubcriim scateret latex, et b fissili saxo bibisset ductim. Apollonius , liv. Zj. v. 1Ù55. et seq. (5) Et scatebram illis indicant , quel inventa saxatili aquâ satianiur. Ibid. v. Ift55. (0) Chap. 25. des Nombres. (7) Chap. 15. des Juges, v. 18 'et 19. (8) lîoehart, in Phaleg, lih. II. ch. 33. (9) Pline, liv. 5. ch. tx. (10) Ducente Tritone et monstrante Paludis ostium et transitum in marc, veniunt ad navigaudum in Peloponcsum , et Cretam adeunt, Apollonius, lih. t\. v, 1571 et seq. G* l3o CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. rocher élevé , fut sur le point de les accabler (i) , en leur jetant des pierres d'une grosseur épouvantable. Mais il fut renversé et précipité dans la mer (2) par les en- chantemens de Médée. C'est la mémoire et la copie d'Qg Roi de Bas an , seul resté de la race des Géans (3) , que Dieu livra avec son peuple entre les mains de Moïse , et qui fut taillé en piè- ces. Le lit de ce Roi était d'airain ; il avait neuf coudées de long , et quatre de large. (4) Après avoir passé la nuit en cet endroit, ils sacrifiè- rent à Minerve (5) ; et se trouvant le lendemain surpris par une nuit et par un orage horrible (6) , ils eurent re- cours à Apollon pour lui demander leur retour dans leur Pays. Ce Dieu leur apparut sur un rocher noir et élevé , d'où par l'éclat de son arc il leur découvrit une petite Ile de la mer Egée (7) , à laquelle ils allèrent aborder ; ils y élevèrent un autel à Apollon , qu'ils nommèrent Ecla- tant (8) , et ils appelèrent cette Ile Anaphe; de là , après plusieurs jours de navigation , ayant côtoyé une partie de la Grèce, ils entrèrent sains et glorieux clans le Golfe et le Port de Pagase (9) , dans la Thessalie leur patrie. Les Israélites furent toujours conduits visiblement par la Sagesse Divine ; et quand ils tombèrent dans la dé- fiance de pouvoir entrer clans la Terre qui leur était pro- mise, la gloire de Dieu parut à toute l'armée au-dessus du Tabernacle de l'Alliance (10) , et tous en virent l'éclat ; alors ils furent résolus d'aller où Dieu leur ordonnait. Bochard (11) montre que les Phéniciens avaient fort fréquenté ces Iles de la mer Egée , qu'ils y avaient laissé quantité de monumens de leur passage et de leur séjour ; et qu'entre autres ils avaient donné à cette Ile le nom (1) Verum aheneas eos Talus à du.ro scopulo refractis lapidibus vetuit relig are f unes à terra. Ibid. v. 1638. (2) Iste , cum œreus esset , cessit tamen et succubuit , etc. Ibid. V» 1670 et seq. (3) Chap. 21. des Nombres. {'i) Chap. 3. du Deutéronome. (5) Orto recèns die, delubrum Minerves Minoœ excitant. Apollonius , lib. [\. v. 1690. (6) Utrum in orco navigent, minime noscentes. Ibid. v. 1699. (7) Tu Latonœ fili secundissimus de cœlo venisti , et dextrâ aureuni altè sustulisti arcum, qui candidum quoquo versus spargebat jubar, quo Mis una ex Sporadibus brevis apparuit insula , quo appulcrunt , etc. Ibid. (8) Ibi pulchrum Apolline sacellum faciunt , Mgletem vocantes Plice- bum , splendoris causa , et insulam nuncuparunt Anapham. Ibid. à v. 1706 ad 1718. (9) Ibi tuni tellurem Cecropiam , tum Aulidem prœtermearunt Euboï- cam , tum opuntias Locrensium urbes , gratabundi liltora Pagasica intrarunt. Ibid. in fine lib. h. (10) Chap. 1/|. des Nombres , v. 10. (H) Bochard , Chanaan , liv. 1. ch. 14 et 15. 17. Jason , etc. 18. Hercule. i3r (\'/inaphe , qui veut dire , en Phénicien , couverte de bois et de forêts. Ainsi cette Fable est toute composée des traditions que les Cbananéens ou Phéniciens avaient répandues dans leurs voyages. On y voit des traits défigurés par ces traditions, mais certainement pris de l'Histoire des Israélites sous Moïse et sous Josué. Cette Histoire a été le fond et l'original de la Fable , et elle s'y reconnaît d'une manière sensible. XVIII. HERCULE. .Les Poètes , pour former à leur manière un Héros qui fût un prodige de force et de valeur , composèrent leur Hercule sur le fond et sur le modèle de la vérité des His- toires Saintes, qui étaient la source commune où ils puisaient. Ils la défigurèrent parleurs fictions ; et comme par son origine et par ses exploits ce Héros se trouva élevé au-dessus de la nature , il fut mis par ces mômes Poètes , et reçu par les peuples , au rang de leurs Dieux, môme du premier ordre. Ils lui attribuèrent les merveil- les de plusieurs illustres Cbefs du Peuple de Dieu, qu'ils trouvaient décrites dans nos Histoires Saintes , plus an- ciennes que leurs plus anciens ouvrages , ou qu'ils ap- prenaient parla tradition et parle commerce des Egyp- tiens et des Phéniciens , fort répandus en divers Pays , et surtout dans la Grèce. C'est aussi au temps de ces Chefs et du gouvernement des Israélites par les Juges , que les Héros et les grands événemens de la Fable doivent leur origine, et qu'ils sont rapportés par le sentiment commun des Auteurs sacrés et profanes. Chaque Nation ancienne qui eut des Ecrivains , et qui a laissé des monumens de sa gloire, voulut avoir un Her- cule de son Pays, forgé sur ce même modèle. Varroo en comptait plus de quarante. Cieéron (1) en compte six, dont le second est Egyptien , sorti du Nil , un Phénicien , et un Grec, fils de Jupiter, non pas, dit-il, du plus ancien , mais du troisième Jupiter, et d'Alcmène ; et il est en peine de savoir lequel de ces six on honorait à Rome comme un de leurs Dieux. Hérodote , en son second livre , ne parle que de l'Egyptien et du Grec ; et ce Père de l'Histoire , ( comme Cieéron l'appelle , ) le plus voisin des temps qu'il décrit, (1) Au liv. 3. de naturâ deorum. l32 CONFÉRENCE DE LA. FAELE , etc. nous apprend , tout Grec qu'il est , que la Grèce avait emprunté son Hercule de l'Egypte , et qu'Amphytrion son père et Alcmène sa mère étaient Egyptiens. Ainsi malgré l'affectation des Grecs de faire passer Hercule pour leur compatriote , ils n'ont pu effacer sou origine Egyptienne ou Hébraïque ; car les Grecs et les Phéni- cens traitaient d'Egyptiens les Israélites établis dans le pays de Cbanaan ou de Pbénicie , dont les ancêtres étaient effectivemens venus d'Egypte, où ils avaient de- meuré plusieurs siècles. Diodore de Sicile parle au long de l'Hercule Grec, et en a ramassé presque tout ce que les Poètes en avaient conté dans leurs différens ouvrages. Plusieurs de ceux qui ont examiné ce fantôme de l'imagination de tant de Poètes , y ont trouvé bien des traits sensibles de Moïse , de Josué , et de quelques autres. M. Jacquelot , dans son Traité de l'Existence de Dieu (i) , croit que l'Hercule Tyrien , le plus ancien de tous , ( comme dit Arrian , dans son second livre , ) pourrait bien être Josué. Mais saint Augustin (2) a reconnu que c'était particu- lièrement d'après Samson , ( à cause de sa force prodi- gieuse et incomparable ,■) qu'ils avaient forgé leur Her- cule , premièrement en Egypte , de là clans la Phénicie ; et qu'enfin les Ecrivains et les Peuples de la Grèce avaient ramassé dans le leur les exploits et les merveilles de tous les autres Hercules. Il paraît en effet que Samson , Juge des Hébreux , ( à peu près depuis l'an du monde 2867 jusques en 2887 , ) célébré dans le Livre des Juges de l'Ecriture Sainte, et dans le Chapitre 10 du Liv. 5 de l'Histoire des Juifs de Josèphe , est l'original du fond et de l'essentiel de l'Her- cule de la Fable ; et quoiqu'on y ait rassemblé bien des traits de Moïse et de Josué , et qu'on y en ait aussi ajouté de l'invention des Poètes , les traits principaux et les plus considérables appartiennent à Samson , et sont marqués par des caractères si particuliers , qu'il est impossible de ne l'y pas reconnaître. Considérons le nom , la naissance, et la mort si sin- gulières de Samson , ses caractères les plus propres , particulièrement sa force et ses faiblesses , avec quel- ques-uns de ses plus considérables exploits , et des merveilleux prodiges de son Histoire. Hérodote, dans son second livre, enseigne que les Grecs ont pris des Egyptiens le nom même de leur Her- (1) Chap. 12. De la communication que les Nations avaient les unes avec les autres. (2) Au ch. 19. du liv. 18. de la Cité de Dieu. 18. Hercule. i33 cule , qu'ils faisaient fils d'Amphytrion et d'Alcmène , et qu'ils lui en ont donné un de" la même signification qu'avait chez les Egyptiens ou Chananéens, le nom du Héros sur lequel ils "ont copié leur Hercule : ce qui est conforme à la remarque de Platon dans le Critias , rapportée ailleurs. Le nom de Samson, en Hébreu , veut dire, Soleil, et en Syriaque , subjeelion à quelqu'un , et service. Macrobe nous apprend que le nom d'Hercule ne veut dire que le Soleil (1); car , en Grec, Héraclès , dit-il , c'est la gloire dd'air , ou la clarté du Soleil. Les Grecs et les Egyptiens ont aussi exactement suivi la signification Syriaque , par la nécessité qu'ils ont im- posée à leur Hercule , de la part même des Destins , et par la loi de sa naissance , d'être toute sa vie et dans tous ses exploits soumis à Eurysihée, et d'en dépendre pour tous ses fameux travaux. 11 n'y a qu'à voir la naissance de Samson dans l'His- toire Sainte (2) , et dans l'Histoire des Juifs. (3) Manué, qui était le premier homme de sa tribu , avoir épousé une belle femme qu'il aimait fort ; comme ils deman- daient à Dieu des enfans , un jour que celte femme était seule à la campagne , un Ange lui apparut sous la figure d'un beau jeune homme , et lui promit de la part de Dieu un fils d'une force extraordinaire , qui relève- rait la gloire de sa Nation , et en humilierait les ennemis. Lorsque son mari vint , elle lui fit part de celte ambas- sade et de ce discours ; il en prit de la jalousie ; et pour l'en guérir, l'Ange revint lorsque ces deux époux étaient ensemble dans leur maison. Manué le vit de ses yeux, et pour calmer entièrement sa peine et ses soupçons , l'Ange s'éleva à leur vue dans les Cieux, après leur avoir confirmé les promesses qu'il avait faites à la femme , qui devint bientôt grosse , et accoucha de Samson. La naissance d'Hercule , singulière et prodigieuse dans la Fable, est la même , avec une petite altération prise de l'idée que les Païens avaient de leurs Dieux. Amphylrion , le plus considérable et le Chef des Thé- bains, avait épousé Alcmène , qu'il aimait éperdument, et n'en avait point encore d' enfans ; Jupiter voulant en faire naître Hercule , se rendit durant la nuit chez Alc- mène en l'absence et sous la figure du mari ; au retour (1) Héraclès quid aliud est nisi lieras , ici est aëris ; Cleos , ici est gloria ; q ace porro alla aèris gloria , nisi Solis illuminât w. Macro)). 1. Satura, c. 20. (2) Cliap. 11. du Livre dos Juges. (3) Chap. 10. de l'Histoire de Josèphe. l34 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC. d'Amphytrion , elle lui conta qu'elle l'avait déjà vu ; Amphytrion transporté de jalousie et de chagrin contre sa femme , (quelque bonne opinion qu'il eût de sa vertu , ) ne put être apaisé et consolé, que lorsque Jupiter re- vint pour la justifier, qu'il parut ce qu'il était , et s'éleva dans le Ciel à la vue d'Amphytrion. Ce Dieu l'assura que lui seul avait vu Alcmène, il lui répondit de sa vertu, et lui promit un fils distingué par sa force , et dont la gloire honorerait sa maison et son pays , humilierait leurs ennemis , et serait immortelle. On peut aussi remarquer dans cette figure de Samsdh , comme Dieu a permis qu'on y conservât les traits de celui dont Samson était lui-même la figure. De saints Personnages (1) ont observé que par ces origines fabu- leuses de quelques hommes extraordinaires qui n'avaient aucun homme pour père , comme Hercule , Persée , etc. Dieu a voulu accoutumer et disposer ceux qui avaient reçu ces Fables , à croire la naissance de Jésus-Christ d'une Vierge , sans avoir aucun homme pour son père. L'Esprit de Dieu, qui fut d'abord dans Samson , lui fit produire dès sa première jeunesse des prodiges de force. Il trouva sur son chemin un jeune Lion furieux qui vint à lui; Samson, sans se détourner et sans aucune arme dans ses mains , déchira ce Lion (2) , comme il aurait déchiré un Agneau. Il prit la résolution de faire tout le mal qu'il pourrait aux Philistins qui accablaient les Israélites sous le joug d'une dure domination (3) ; il en fit de grands carnages; il les affaiblit prodigieusement, et commença à délivrer Israël de leurs mains (4) , comme l'Ange l'avait prédit. De même la Fable fait faire à Hercule des exploits d'une force prodigieuse ; mais comme elle exagère sans bornes , elle lui fait saisir étant encore enfant , deux Serpens monstrueux qui se jetaient sur lui ; et le pre- mier et plus illustre travail de sa jeunesse fut la défaite d'un Lion affreux dans la forêt de ÎVémée, qu'il abattit et déchira de ses mains , sans le secours d'aucune arme ; il en porta sur lui la dépouille toute sa vie. Il forma et exécuta le dessein de délivrer son Pays de la domina- tion tyrannique des Minyens ; il les vainquit , et mit sa patrie en liberté. On ne doit pas être surpris que la Fable , qui déguise (1) Saint Justin martyr, dans son beau Dialogue avec Tryphon Juif, p. 226 et 231 , croit que les Poètes ont pris cette idée de la Prophétie d'Isaïc : Ecce Virgo in utero concipiet , etc. Idipsum, dit-il, serpentent œmulatum esse intelligo. (2) Chap. lt\. des Juges. (3) Chap. 20. des Juges. (4) Vers. 5. du ch. 13. des Juges. i8. Hercule. 1 55 et qui veut faire des ouvrages de sa façon , altère les autres aventures de Samson , et qu'elle y en ajoute de son invention ; qu'elle lui en attribue de plusieurs autres Chefs , et en applique aussi de Samson à d'autres qu'à. Hercule. Ainsi trouvons-nous dépaysée , niais conser- vée , l'Histoire des trois cents Renards que Samson prit et lia les uns aux autres par leurs queues , en y attachant des flambeaux allumés , et qu'il poussa ensuite dans les champs des Philistins , au milieu des blés , des vignes, et des oliviers (1) , qui furent entièrement consumés. C'est l'origine de la cérémonie rapportée par Ovide , dans laquelle , tous les ans , à Rome, on faisait paraître et courir dans le cirque des Renards liés ensemble avec des torches attachées à leurs queues. Cela venait , dit ce Poète , d'un Pays où des Renards attachés dans de la paille et du foin qu'on avait allumés , avaient porté le feu dans les moissons , et les avaient consumées ; de là s'était établi l'usage de faire périr, tous les ans à la vue du Peuple , des Renards , de la même manière qu'ils avaient fait périr les blés de ce Pays. Cette cérémonie avait été transportée à Rome avec les religions et les superstitions de tous les Pays que les Romains avaient subjugués. II ne restait d'autre preuve de cet événement , que cette fête annuelle et une vieille tradition. Voilà ce qu'Ovide en conte , et ce qui attestait la vérité de l'His- toire de Samson. Mais la Fable a aussi mêlé cette aventure de Samson déguisée, parmi celles d'Hercule ; car elle a conté, qu'à la considération d'Omphale, Reine des Méoniens , il prit et lui amena attachés un grand nombre de certains brigands qui ravagaient ses ter- res , et qu'il brûla toutes leurs vignes. Elle appelle ces brigands , Cercopes , qui veut dire , rusés et malins , et animaux à longue queue , tels que sont les Renards. C'est ainsi qu'on travestit les Renards liés par Samson , avec le dégât des fruits des champs et des vignes. La Fable, dans Ovide (2) , fait métamorphoser ces Cercopes en Singes. Ensuite la Fable a emprunté en faveur d'Hercule la merveille que Dieu fit en faveur de Josué , lorsqu'il com- (1) Chap. 15. des Juges. Car igitur missœjunctis ardent ia tœdis Terga ferunt vulpes , causa docenda milti est , etc. Quà fugit , incendit vestitos messibus agros ; Damnosis vires ignibus aura dabat : Factum abiit , monumenta manent ; nam dicere certam ISunc quoque lex vulpem Carseolana vetat. Utque luat pœnas genus hoc , Cerealibus ardet ; Quoque modo segetes perdidit , ipsa périt. Ovide , au t\. liv. des Fastes. (2) Au \t\. liv. des Métamorphoses. ï 36 CONFÉRENCE DE LA F AELE , etc. battait pour les Gabaonites contre les cinq Rois Amor- rhéens. (1) Le Ciel fit tomber sur ceux-ci de grosses pierres épaisses comme de la grêle , qui tuèrent tous ceux qui avaient échappé aux Israélites , en plus grand nombre qu'il n'en avait péri par l'épée. Ainsi, parmi les merveilles de la vie d'Hercule , on a inséré (2) que dans un combat contre les Liguriens , Ju- piter lui envoya le secours d'une pluie de cailloux ; et la quantité de ces pierres qu'on voit encore dans la Plaine de Crau (3) en Provence , a donné lieu aux Poètes de regarder cette Plaine comme le théâtre de ce prodige. La fameuse mâchoire d'âne avec laquelle Samson défit mille Philistins (4) » a été changée en la célèbre massue d'Hercule , avec laquelle il abattit les Géans et défit tant d'autres ennemis contre lesquels il avait à combattre. La ressemblance des noms Grecs peut y avoir donné lieu ; corré veut dire mâchoire , et cormos, massue; le passage d'un de ces noms à l'autre n'a pas été difficile ; et l'on y a été porté par la liberté de la tradition et de la Fable , d'autant qu'il a paru plus convenable d'armer Hercule d'une massue , que d'une mâchoire d'âne. Mais la Fable à conservé plus clairement la merveille de la fontaine que Dieu fit sortir d'une dent de cette mâ- choire (5) pour empêcher Samson de périr de la soif qui le pressait , après la défaite des Philistins.Quand Hercule eut défait le Dragon qui gardait les pommes d'or du jar- din des Hespérides , et qu'il se vit en danger de périr de soif dans les ardeurs de la Libye, les Dieux firent sortir une fontaine d'un rocher qu'il frappa de son pied. (G) Le caractère de la force prodigieuse de Samson était accompagné d'une faiblesse surprenante et continuelle pour les femmes. Ces deux caractères composent son Histoire et régnent également clans toute sa vie. Le der- nier l'emporta ; et après l'avoir souvent exposé , il causa enfin sa chute et sa perte. La Fable n'a pas oublié ce même caractère de faiblesse pour les femmes , dans son Hercule. Il en avait pour tou- tes celles qui se présentaient ; elle le porta à des basses- ses indignes , et après l'avoir précipité en plusieurs oc- casions dangereuses , elle le fit enfin périr misérable- ment et dans la fureur. Samson de qui la force était attachée à ses cheveux (7) , (1) Chap. 10 de Josué, v. 11. (2) Pline , liv. 3. ch. Ix. Pomponius Mêla , de situ orLis , lib. 2. c. 5. (3) Appelée par les Anciens Campi lapidei. [h] Au ch. 15. des Juges , v. 25 et 16. (5) Vers. 18 et 19 du môme chap. 15. des Juges. (6) Apollonius , liv. l\. de ses Argonautes , v. 1440. (7) Chap. 10. des Juges , v. 19 , 20 et 21. , 1 8. Hercule. 1 37 et qui devait la perdre si on les lui coupait , ayant confié ce secret à Dalila sa maîtresse , elle le trahit , lui coupa les cheveux pendant qu'il dormait, et le mit, dépouillé de toute sa force, entre les mains des Philistins , qui lui ôtèrent la liberté et la vue, et le firent servir comme le plus vil et le plus misérable des esclaves. La tradition qui met en lambeaux les Histoires ancien- nes et des pays éloignés, a transporté cette aventure à Nisus roi de Mégare et à Scylla sa fille ; ( Mégare était aussi le nom d'une des femmes d'Hercule, fille de Créon roi de Thèbes ; ) le nom de Scylla est pris du crime et de l'impiété de cette fille de Nisus , du verbe Grec Scyloo , qui veut dire dépouiller avec impiété. La fortune de Nisus était attachée à un cheveu couleur de pourpre ; Scylla ayant pris de la passion pour Minos qui assiégeait Nisus dans sa capitale , trahit son père , lui coupa ce cheveu fatal dans le temps de son sommeil , et le livra entre les mains de son ennemi. Nisus (1) perdit la raison et la vie ; suivant les Fables, il fut changé en oiseau. Le trait de l'Histoire de Samson , le plus éclatant et le plus singulier (2) , est celui par lequel il finit sa vie : lorsque les Philistins , faisant des sacrifices solennels en l'honneur de leur Dieu, pour lui rendre grâces de leur avoir livré leur redoutable ennemi, le firent amener de la prison pour s'en divertir , Samson pria ceux qui le conduisaient de le laisser s'appuyer, pour prendre quel- que repos , sur l'une des deux colonnes qui soutenaient l'édifice , rempli d'une grande multitude de peuple et des Princes des Philistins. Alors ayant invoqué le Seigneur, et ramassant ses forces , qui lui étaient revenues .avec ses cheveux , il prit ces colonnes de ses deux mains , et les ébranla si vigoureusement , que l'édifice tomba sur toute la multitude qui y était assemblée. Samson fit mou- rir de ce seul coup beaucoup plus de Philistins qu'il n'en avait tué pendant toute sa vie. La Fable ou la tradition n'avait pu effacer ce trait dans la copie de Srmson , qui est Hercule. Hérodote le rapporte comme une tradition fabuleuse de l'invention des Grecs , et le rejette comme n'ayant point de fonde- ment dans l'Histoire ni dans les mœurs des Egyptiens , chez qui les Grecs contaient qu'elle s'était passée. Ils rapportent, dit cet Historien dans son second livre, qu'Hercule étant entre les mains des Egyptiens , ils l'avaient destiné à être sacrifié à Jupiter; qu'ils l'avaient orné comme une victime , et fait amener avec pompe (2) Au livre 8 des Métamorphose* d'Ovide. (1) Chap. 16. des Juges , du vers. 23. jusqu'à la fin. 1 38 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC. au pied de l'autel ; que s'étant laissé conduire jusques là , et s'y étant reposé un moment pour ramasser ses forces , il avait massacré tous ceux qui étaient assem- blés , au nombre de plusieurs milliers , pour être les ac- teurs ouïes spectateurs delà pompe et du sacrifice. La ressemblance de ces aventures de Samson et d'Hercule est visible , et fait sentir , à n'en pouvoir dou- ter, que la Fable de l'un a été composée d'après l'His- toire de l'autre. Ce qu'Hérodote y remarque de l'impos- sibilité de cette dernière aventure , suivant la tradition des Grecs, et de la ridiculité de l'attribuer aux Egyp- tiens , confirme qu'elle est empruntée , et qu'elle n'est qu'une copie défigurée dont il faut chercher ailleurs l'original. <£®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®©®®®®® XIX. ORPHÉE ET EURYDICE ; ET LE POÈTE SIMONIDE. Xj'Origiîyal d'où cette Fable a été tirée , est l'Histoire de Loth (1) , fils d'Ara m et neveu d'Abraham, avec le- quel il demeurait dans la terre de Chanaan; mais ayant été obligés de se retirer pour quelque temps en Egypte, à leur retour ils se séparèrent. Loth s'établit dans le Pays du voisinage du Jourdain, le plus agréable et le plus fertile de tout Chanaan. Là était la Ville de Sodome, dont les habitans étaient plongés dans les débauches et dans les crimes ; Loth y conserva cependant la piété , la justice , et les autres vertus qu'il avait chez ses parens. Les Rois de Babylone et du Pont ayant porté leurs armes contre ce Pays , le saccagèrent , et enlevèrent Loth et sa femme avec leurs troupeaux. Abraham les délivra , et Loth vint de nouveau résider à Sodome. Il y reçut et logea deux Anges , qui lui déclarèrent être envoyés pour perdre Sodome et les autres Villes voisi- nes aussi criminelles , et pour le sauver de cette ruine avec sa famille , en considération de sa piété et des prières d'Abraham son oncle. Les Anges le firent sortir de Sodome avec sa femme et ses enfans , et les conduisi- rent à quelque distance au dehors, où les ayant quittés, ils leur dirent : Sauvez-vous en diligence , et gardez-vous de regarder derrière vous pour voir la Ville , avant que vous soyez arrivés sur la montagne , si vous ne voulez vous perdre avec les autres. Dès qu'ils furent éloignés , Dieu fit tomber sur ces Villes et sur le pays d'alentour (1) Du ch. 13. de la Genèse jusqu'au 19. 19. Orphée et Eurydice; et Simonide. 139 une pluie de soufre et de feu , qui les brûla , et qui consuma entièrement leurs habitans et tout ce qui était sur la terre. La femme de Loth n'ayant pu retenir sa curiosité, et, contre la défense des Anges , s'étant tournée vers la Ville, avant d'être sur la montagne , fut changée en une statue de sel. (1) Loth et ses fdles , de la montagne où. ils s'étaient sauvés , virent tout ce Pays embrasé , cou- vert d'une épaisse et ardente fumée, qui semblait sortir d'une ouverture de l'Enfer. Ils se retirèrent dans une caverne , où ses filles croyant être restées seules sur la terre avec leur père , lui firent prendre du vin jusques à l'enivrer. Quand il eut perdu la connaissance elles cou- chèrent avec lui , en eurent chacune un fils , Moab , et Ammon , Chefs de deux grands Peuples qui furent tou- jours ennemis irréconciliables du Peuple de Dieu. C'est où finit l'Histoire de Loth. Quantité d'Auteurs attestent ce terrible et fameux pro- dige. Strabon (2) le rapporte; Tacite (5) décrit à peu près comme l'Historien sacré ces campagnes jadis si fertiles et si peuplées dont les Villes furent consumées par le feu du Ciel. « Les marques du courroux céleste , dit-il, » y durent encore ; la terre est comme brûlée et n'a plus » la force de produire; on y voit un lac comme une mer » dont les eaux sont d'une odeur et d'un goût pestilen- » liels. » Solin Polyhistor (4) , Pline (5) , Bochard , et Adricomius (G) en disent autant ; ces derniers ajoutent , comme Josèphe (7) le dit aussi , que de leur temps on voyait encore cette Statue de sel entre la mer morte et la montagne où Loth se relira , et Tertullien (8) assure qu'on la voyait également de son temps. Ces Auteurs représentent cet endroit qu'ils ont vu, comme une bouche de l'Enfer. Tournons à présent les yeux sur la Fable d'Orphée et d'Eurydice , par laquelle les Grecs ont voulu , à leur or- dinaire , transporter de la Palestine dans leur Pays la scène de ces prodiges. Leurs Poètes font naître Orphée dans la Thrace , tan- tôt de Jupiter, tantôt d'OEagre et d'une Muse. Ils ont conservé dans son nom la signification de celui de Loth; (1) Du sel de pierre , comme il y en a en divers lieux. (2) Strabon , liv. 16. de sa Géographie. (3) Tacite, liv. 5. de son Histoire , vers le commencement. {Il) Solin , en. 38. de la Judée. (5) Pline, liv. 3. de l'Histoire naturelle. (6) Adricomius, en sa description de la Terre Sain le. (7) Josèphe, liv. 1. ch. 11. des Antiquités Judaïques., et liv. Zi.de la Guerre des Juifs , ch. 27. (8) Dans son Traité de Pallio . c. 2. I/4o CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. car Orphée (i) , en Grec , veut dire , noir et obscur ; comme Loth (2) , enveloppé , obscurci. Ils lui donnent pour mère, les uns Calliope, les autres Polymnie, qui veut dire hymne et chants ; comme le nom d'Aram (3) , père de Loth, signifie Chantre, ou Panégyriste. Orphée est connu sous le nom seul de Chantre de la Thrace. Cette Fahle est rapportée dans Pausanias (4) ; dans Diodore de Sicile (5) ; par Conon, dans Photius (6); par Ovide (7) , clans ses Métamorphoses ; elle est élégam- ment décrite par Virgile (8) ; et tous la reconnaissent comme une pure Fahle : aussi n'a-t-on donné à Orphée qu'une généalogie de la fantaisie des Poètes , et pure- ment allégorique par rapport à celle de Loth. On a aussi nommé sa femme Eurydice (9) , c'est-à-dire , deux fois trouvée et autant de fois perdue , comme la femme de Loth. Orphée est placé dans la Thrace , peuple brutal , bar- bare , qui sacrifiait les étrangers , ennemi de toute sou- mission ; comme les habitans de Sodome aussi brutaux, barbares , haïssant les étrangers et les traitant avec outrage , dit Josèphe. (10) Orphée avait voyagé dans l'Egypte , d'où il porta le premier aux Grecs les Cérémo- nies et les connaissances des Egyptiens , avec plusieurs de leurs lois (11), comme nous l'avons vu ailleurs. Ce furent particulièrement ces belles connaissances qui lui attirèrent tant d'admiration , et qui faisaient venir à lui les peuples encore ignorans , sauvages et sans mœurs. 11 leur inspirait l'amour et la crainte des Dieux, avec l'horreur de tout ce qui est contre la justice et la raison , ce qui a fait dire , en langage poétique , qu'il apprivoisait les lions et les tigres, et se faisait suivre des forêts. (12) Les infâmes débauches des habitans de Sodome sont assez connues et décriées. Les Poètes , Ovide (i3) parmi (1) Orphaios ou Orphos signifie niger , obscur us, lucisexpers. (2) Loth , en Hébreu, couper lus, invotutus. (3) Aram , en Hébreu, cantans aut prœco. (U) Pausanias , dans ses Béotiques. (5) Au liv. h. de sa Bibliothèque. (6) Code 186. narration là. de Photius. (1) Liv. 10 et 11. des Métamorphoses. (8) Sur la fin du Zi. liv. des Géorgiques de Virgile. (9) WEurein , trouver , et de dis , double ou doublement. (10) Au chap. 11. du liv. 1. de son Histoire des Juifs. (11) Dans Denys d'Haï icarnassc , vers le commencement de son 1. liv. (12) Silvcstres hommes sacer inter presque Deorum Cœdibus et victu fœdo déterrait Orpheus ; Dictusob hoc tenir e tigres rabidosque leoncs. Iloratius, iu Arlc Poeticâ. (13) Réfageral Orpheus Fœmincam Vencrer.i . etc. Ovidius . Metamorph. lib. 18. 19. Orphée et Eurydice; et Simon ide. i/ ( r les autres , en noircissent Orphée. Cet horrible trait ne convient nullement à Loth , mais il peint ses conci- toyens. Lorsque l'on compare la Fable avec l'Histoire, le rapport consiste tantôt dans une ressemblance directe de la copie avec l'original , tantôt dans une ressern- blance qui roule sur des circonstances. Celle-ci est si singulière , et d'ailleurs quadrant si peu avec les autres parties du caractère d'Orphée, représenté sous le lan- gage figuré de la Poésie comme un Législateur respec- table , occupé du soin de détourner les hommes du vice et de les porter à la vertu, qu'on ne peut la prendre pour l'ouvrage de l'invention des Poètes , mais plutôtpourun assujettissement à recueillir les restes d'une tradition qui en s' affaiblissant était devenue également désavanta- geuse à tous les citoyens d'une même Ville. Comme les Rois du Pont et de Babylone avaient en- levé la femme de Loth , et qu'après avoir été délivrée de leurs mains elle alla à Sodome , qui est une vive image de l'Enfer , on a feint qu'un Aristée , roi d'Arcadie , voulut enlever la femme d'Orphée , et qu'elle fut , dans sa fuite , piquée par un serpent dont la morsure la Con- duisit aux Enfers. La Fable d'Orphée a deux pairies ; la première est sa descente aux enfers: il perça les horreurs qui en défen- dent l'entrée (0 , et il obtint la liberté de ramener sa chère Eurydice de ces abîmes affreux dont il est défendu de sortir ; mais on joignit à cette faveur la condition de ne se point tourner pour la voir jusques à ce qu'ils fussent assez hors des vallées infernales pour ne pou- voir y porter leur vue. (?) En contrevenant à cette loi , il devait perdre le fruit de la grâce qu'on lui avait accordée. Dans la seconde partie du tableau , on représente Eu- rydice déjà sortie des barrières de l'abîme , sur le point d'être rendue en sûreté à la lumière du jour, à la suite de son mari , lorsque celui-ci , par une imprudente cu- riosité , tourne la tête , pour s'assurer de l'exécution de la promesse qu'on lui avait faite. Dans l'instant qu'il s'est tourné vers sa femme, il lui voit reperdre la vie qu'il venait de lui faire rendre (3) ; ce n'est plus qu'une ombre qui le fait s'épuiser en regrets inutiles. (1) Tœnarias ctiam fauecs , alta ostia Ditis , Et caliganlem nigrâ formidine lucurh Ingressus , Manesque adiit regemque iremendum , Neseiaquc humants precibus ma nsuescerc corda. Virgil. lib. h. Gcorg. (2) Ne fleelat rctrô sua lamina , donec Aùernas Exierit miles, aut irrita don a [attira. Ovide, lib. 10. des Méta- morphoses. (3) Uedditaque Eurydice saperas raiicbat ad auras l/|-2 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. Ces fictions sans fondement ne peuvent avoir été for- gées que sur un fond de vérité , dont on voit l'original dans l'Histoire de Lotli et de sa femme. Elle était enfermée dans Sodome , qui n'a paru qu'un Enfer à ceux qui ont vu le lieu où fut cette Ville infortu- née ; les vertus et la justice de son époux , bien éloigné des déréglemens qui y régnaient, furent si agréables à Dieu , qu'avec l'union et le concert de la piété et des prières d'Abraham son oncle , il trouva grâce devant lui. Le Seigneur envoya des Anges pour le retirer avec sa femme de cette Ville condamnée , avant que la pluie de feu et de soufre la réduisît en l'état décrit par tant d'Auteurs, après l'Historien sacré. Mais cette grâce avait été accompagnée de la défense de tourner la tête vers cette demeure infernale , jusques à ce qu'ils eussent gagné la montagne et fussent hors de cet orage de feu et de soufre. La femme fut trop curieuse et trop impatiente ; elle se tourna vers ce séjour mal- heureux, où elle entendait un bruit effroyable ; et sur- le-champ elle perdit le sentiment et la vie ; son corps fut transformé en une statue immobile que tant de gens ont vue plusieurs siècles après. Loth en fut accable de douleur , et se retira sur la montagne qui lui avait été indiquée. Sur la fin de la fiction on représente Orphée qui haïs- sait toutes les femmes (2) et qui détournait les hommes de leur commerce : c'est une peinture des débauches infâmes des concitoyens de Loth , comme il a été remarqué. Ce fut par l'instigation de Bacchus , que des femmes dans leur fureur et dans les ténèbres déchirèrent (5) Orphée; en quoi la Fable semble avoir retenu quelque chose de la dernière aventure de Loth , lorsque ses filles se servirent de son ivresse pour abuser de lui , et pour concevoir à son grand regret deux enfans qui faisaient son supplice , dont la vue et le souvenir déchiraient son cœur, et dont les descendans furent toujours les ennemis irréconciliables du Peuple sorti de la même race que lui. Ponè sequens , ( namquc liane dederat Proserpina legem , ] Cùm subita incautum dament ia cœpit amantem, Ignoscenda quidem , scirent si ignoscere Mânes. Restitit , Eurydicenquc suam jam lace sut? ipsa , Immemor , lieu! victusque animi respexit , . ... En iterum crudelia rétro Fata vocant , conditque natantia lamina somnus. Virgil. 1. II. Geor. (6) En, ait , En lue est vosfri coniemptor , etc. dit une de ces fem- mes , dans Ovide , à l'entrée du livre 11. des Métamorphoses. (5) . . . Spretœ Ciconum quo munerc maires, Inter sacra Deâm nocturnique orgia Bacclii , Discerptum latosjuvenem sparscreper agros. Virgil. lib. A. Georgw 19- Orphée et Eurydice ; et Simonide. i/j3 Voilà le fond qui a servi de canevas sur lequel les Poètes ont travaillé , et qu'ils ont brodé de toutes leurs fictions. IXous pouvons assez à propos joindre ici une autre Fa- ble qu'on reconnaît aisément avoir aussi été prise de l'Histoire de Loth sauvé de Sodome par l'avis et le mi- nistère des Anges, en consideration.de sa piété envers Dieu. C'est la fable du Poète Simonide , rapportée par Valère Maxime (1), par Cicéron (2), par Quintilien. (5) Ils content que Simonide soupait cbez un nommé Scopa , homme considérable et opulent , pour qui il avait com- posé un panégyrique en vers , dans lequel il avait mêlé bien des louanges des Dieux Castor et Pollux , pour en relever celles de son Héros et pour orner son Poème. Cet homme avare en prit occasion de lui retrancher la moitié du salaire qu'il lui avait promis, en lui disant d'une manière sordide qu'il s'en fit payer par Castor et Pollux qui y avaient autant de part que lui. Ils n'avaient pas achevé de souper , qu'on avertit Simonide que deux jeunes hommes l'attendaient à la porte du logis pour une affaire fort pressante ; il y court : dès qu'il est de- hors les deux jeunes hommes disparaissent, et dans le moment le logis où l'on soupait est abîmé ; l'hôte avec toute sa compagnie furent écrasés sous sa ruine , et Si- monide seul fut sauvé. Qui ne voit la piété de Loth récompensée , l'impiété, l'injustice et les insultes de ses concitoyens punies , l'en- voi des Anges sous la forme de deux jeunes hommes pour sauver Loth, qu'ils font sortir de la Ville , laquelle d'abord après est abîmée en la manière que nous l'avons vu dans son Histoire ? 11 n'est pas besoin d'autres réflexions. XX. PHILÉMON ET BAUCIS. J-JA Fable de Philémon et Baucis a assez de rapport avec l'Histoire de Loth sauvé de la ruine de son Pays , et avec la Fable de Simonide que nous venons de rapporter, pour leur être jointe ; on y a mêlé cependant tant de circonstances particulières de l'Histoire d'Abraham, qu'elle paraît y avoir plus d'affinité , et qu'elle mérite de (1) Valère Maxime , liv. des Exemples mémorables , ch. 8. des Mi- racles , art. 8. des Etrangers. (2) Cicer. de Oratore , 11. 352 et 353. (3) Quintilien , liv. 11. de ses Institutions , ch. 2. de ta Mémoire. l44 CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. lui être confrontée séparément, pour se convaincre qu'elle en a été tirée. Nous allons mettre ici simplement un extrait de la nar- ration qu'Ovide (1) en fait faire par un homme qui en était instruit, pour justifier et inspirer le respect et la crainte qui sont dus aux Dieux. « On voit , dit-il , au pied d'une colline de la Phrygie , » deux arbres qu'on a enfermés d'une muraille. J'ai été » sur les lieux ; je les ai vus , ( dit celui qui fait ce ré- » cit. ) -Il y a auprès un lac , qui était autrefois une terre » habitée. Jupiter et Mercure , sous la figure d'hommes , » vinrent visiter ce Pays. Ils furent à la porte de mille » maisons voir si l'on voudrait les y recevoir. Ils furent » rebutés partout ; il n'y eut qu'une seule petite maison » d'un bon vieillard, appelé Philémon, et d'une bonne » vieille sa femme , appelée Baucis , où ils furent reçus » avec joie. Ces bonnes gens avaient passé ensemble » une vie sage et pieuse ; ils étaient sans enfans , et se ser- » vaient eux-mêmes , sans chagrin et sans murmure. » Ils marquèrent à leurs hôtes leur empressement, et » dès que ces Dieux déguisés furent entrés dans leur » cabane , ils leur présentèrent les meilleurs sièges » qu'ils avaient ; ils allumèrent du feu ; ils préparèrent » ce qu'ils purent cueillir de meilleur dans leur jardin , » et s'empressèrent de tuer quelque volaille qu'ils avaient » conservée ; ils les entretenaient cependant pour leur » faire attendre plus doucement le repas ; ils l'apprêtè- » rent eux-mêmes le mieux qu'ils étaient capables de le » faire ; ils ajustèrent et couvrirent les lits de ce qu'ils » avaient de plus propre ; ils firent chauffer de l'eau » pour leur laver les pieds. T'jut cela était accompagné » d'un air qui marquait la Jjonne volonté de ces sages » vieillards. » Après le repas , les ï)ieux se firent connaître pour » ce qu'ils étaient ; ils déclarèrent au mari et à la femme » qu'ils allaient châtier et faire périr tout le Pays de » leur voisinage , à cause de l'impiété de ses habita ns , » et qu'ils seraient les seuls sauvés de cette ruine géné- » raie ; qu'il fallait promptement sortir de leur maison , » et les suivre sur une montagne voisine. Ils ne perdi- » rent pas le temps. A peine étaient-ils arrivés vers le » milieu de la montagne , qu'ils virent tout le Pays sub- » mergé et devenu un lac , à l'exception de leur petite » habitation. Ils étaient, d'un côté, pénétrés de douleur, » pour la perte des gens de leur Pays ; et de l'autre , » ravis d'admiration et de reconnaissance pour leur » conservation. Ils craignaient encore et se répandaient (!i) Au 8. liv. des Métamorphoses. 20. Philèmon et Baucis. iZ|5 » en prières , lorsque Jupiter changea leur chaumière » en un Temple. Il dit ensuite à ces pieux vieillards de » lui demander ce qu'ils souhaiteraient ; ils lui deman- » dèrent de pouvoir le servir, et d'être chargés du soin » de son culte dans ce Temple ; d'y vivre et d'y mourir » ensemble : ce qui leur fut accordé. Ils y furent conser- » vés en paix pendant leur vie ; et parvenus à une ex- » trême vieillesse , ils furent tous deux changés en ar- » bres , qu'on y voit encore , que l'on révère, et dont les » branches sont chargées de bouquets , que ceux qui les » vont voir y portent. Je les ai vus , ( ajoute celui qui fait » ce récit , ) et j'ai appris toute cette aventure des vieil- » lards du Pays , gens sincères , qui disaient la bien sa- » voir, et qui n'avaient nul intérêt à me tromper. » Voilà la Fable rapportée par Ovide ; voyons l'Histoire telle qu'elle est décrite dans la Genèse, et par Josèphe dans son Histoire des Juifs. Abraham , âgé de cent ans , et sa femme , âgée de quatre-vingt-dix , seuls et sans en- fans , demeuraient sous des tentes dans la vallée de Mambré, près d^ébron , qui fut aussi appelé Arbée, dans la Palestine. On sait combien ils étaient recomman- dables par leur charité. Un jour qu'Abraham était assis à la porte , près d'un chêne célèbre qu'on appelait le chêne de Mambré , il vit venir vers lui trois Anges sous la figure d'hommes (i); il courut au-devant d'eux, il se prosterna, et leur demanda en grâce de vouloir entrer et s'arrêter dans sa tente. 11 courut à sa femme , et lui recommanda de faire cuire d'abord des pains sous la cendre. Ils ap- portèrent cependant de l'eau à leurs hôtes , pour leur faire laver les pieds , et les invitèrent à se reposer sous le chêne, pendant qu'ils préparaient de quoi manger. Abraham courut en même temps à son troupeau , il y tua un veau tendre et gras ; il donna à ses hôtes tout ce qu'il pût leur offrir de meilleur, et il les servit à table. Après le repas , ces hommes tournèrent les yeux vers Sodome , et parlant au nom du Seigneur , dont ils firent connaître qu'ils étaient les Ministres, ils déclarèrent de sa part à Abraham le sujet pour lequel ils étaient envoyés : que le cri des crimes de Sodome et de Gomorrhe , qui étaient dans ce voisinage , s'était fortifié ; et que leurs péchés étaient parvenus à leur comble ; qu'il avait voulu descendre pour voir lui-même de près ce qui en était, et s'il y restait quelque homme de bien ; mais qu'il n'y en avait point trouvé. Alors deux de ces Anges travestis en hommes prirent le chemin de Sodome ; ils y arrivè- rent le soir. Loth, neveu d'Abraham, alla au-devant (2) Josèphe , au chap. l\. de son Histoire des Juifs. 7 l/j6 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. d'eux , les reçut chez lui avec empressement et piété, et les régala. Ils lui découvrirent leur commission , comme à Abraham ; ils le firent sortir de la ville avec sa femme ; et le firent sauver sur la montagne , d'où il vit tout le Pays inondé par une pluie de soufre et de feu , et changé en un lac affreux. La petite ville de Ségor , où il s'était retiré , fut sauvée en considération d'Abraham , qui , du lieu où il avait auparavant vu le Seigneur , vit les tristes restes de l'embrasement et cette épouvantable des- truction. Tout ce Pays fut changé en un lac plein de bitume , jusques à la petite ville où Abraham s'était lui-même réfugié, appelée Hébron , ou Arbée , qui fut miraculeu- sement conservée. Sara y mourut quelques années après , et y fut enterrée dans une caverne , près de la vallée de Mambré : Abraham y fut aussi enterré. Ils avaient été tous deux religieusement attachés au vrai culte du Sei- gneur, et ils le laissèrent à leur postérité. L'arbre sous lequel ils avaient reçu les Anges et près duquel ils avaient été enterrés , se voyait encore plusieurs siè- cles après, du temps de saint Jérôme , sous l'Empire de Constance ; c'est ce qu'atteste ce saint et grave Doc- teur (1) , soit que cet arbre , dit-il , se soit conservé si long-temps , soit qu'il ai péri , et qu'il en ait poussé d'au- tres des mêmes racines. Ce saint Docteur enseigne , avec les Historiens Ecclésiastiques, que cet arbre étant révéré des Peuples qui venaient y faire des libations et brûler de l'encens , le grand Constantin , pour arrêter ïe cours de ce culte superstitieux, y fit bâtir un Temple superbe. (2) Cela a suffi pour faire dire à la Fable , que ces deux époux avaient été changés en arbres , qui étaient près de leur tombeau, et qui furent l'objet de la vénéra- tion publique. La conformité de la Fable avec l'Histoire est aussi grande et aussi sensible que peut l'être celle d'une copie avec son original. (1) Dans son livre de situ et nominibas Locorum Hebraïcorum. (2) Eusèbe , au troisième livre de la vie de Constantin . ch. 50 et 51 ,' où il donne la lettre que cet Empereur écrivait sur ce sujet à tous les Evoques de la Palestine ; et Histoire Ecclésiastique de Fleury t liv. 11. COTTFERFNC! DE LA FABLE, etc. I \ - *«€€€€€€€€€€©€€©©€€«€©€€€€«€€€€€€€€.€> XXI. N I O B É. JLes adversités de Job et de sa famille , après ses gran- des prospérités, décrites dans le livre de l'Ecriture Sainte qui porte son nom, ne peuvent être une fiction in- ventée pour insinuer une vérité morale. 11 a été reconnu , par des caractères décisifs , que c'est une Histoire véri- table. Le nombre des circonstances suivies , les noms propres des personnes et du lieu de cette Histoire , la ci- tation qui en est faite dans d'autres livres de la même Ecriture (1) pour la donner en exemple de justice et de patience , en établit la vérité ; ce que nous en allons voir peut aussi servir à la confirmer. Elle fut rendue célèbre , vers le temps de Moïse , par cet ouvrage, véritable Poème, où l'on trouve que les entretiens de Job et de ses amis , qui en font la plus grande partie , sont tous en vers dans la langue originale. Eusèbe (2) nous apprend qu'Aristée , dans son Histoire des Juifs , a parlé de Job comme notre livre de Job ; il le fait aussi habitant de l'Idumée et descendant d'Esau. 11 était difficile qu'un événement si singulier, si tragi- que et si éclatant par lui-même , arrivé en la personne d'un Roi , d'une Reine et de toute leur nombreuse fa- mille , et chanté par ce grand Poème, ne fût porté dans tous les lieux où les Israélites , les Arabes et les Phéni- ciens se répandirent. Plusieurs siècles après, les Grecs passionnés pour les choses extraordinaires, ayant reçu par la tradition cette Histoire défigurée par le temps et par la diversité des génies, l'attribuèrent en partie à leur Nation, la placè- rent dans leurs premiers temps , et en composèrent une de leurs anciennes Histoires fabuleuses. C'est leur fameuse Fable de Nïobé ( qu'ils font (5) ce- pendant originaire de la Lydie dans l'Asie mineure ) , sœur de Pélops , fille de Tantale , et femme d'Amphion, un des premiers Rois de Thèbes. On y reconnaît l'His- toire véritable de Job , son original ; illustre et sembla- ble monument l'une et l'autre des grandes prospérités suivies des adversités les plus terribles. Le nom de Niobé , qui est celui de la Fable , en est (1) En Ezcchiel , ch. \h. v. Vx. En Tobie ch. 2. v. 12. Epîtrc de S. Jacques , ch. 5. v. 11. (2) Préparation Evangéliquc, liv. 9. ch. 25. (3) Dans Ovide, liv. C. des Métamorphoses. Hygin. fab. 9. Homère, et tous les Mylhologistcs. l48 CONFÉRENCE DE LA FABLE , -CtC. d'abord un témoignage qui frappe et qui a quelque chose de convaincant. Les Grecs, suivant leur usage de conser- ver la ressemblance ou la signification des noms dans les Histoires qu'ils empruntaient des Nations plus anciennes qu'eux , ont composé ce nom de deux mots Grecs qui ne veulent dire autre chose que la femme de Job ; Nuos , c'est-à-dire épouse ; à quoi l'on a joint le nom même de Job, dont on fait JSuiobou , femme de Job. ( Nt/os iuGw. ) Aussi le caractère qu'on a donné à Niobé est le même que celui de son original , où l'on voit la femme de Job pressant son mari de maudire Dieu (0 , et parlant , ( ainsi qu'il le lui reproche lui-même , ) comme une in- sensée, une furieuse. (2) Ce sont les mêmes traits qui représentent Niobé impie , emportée et blasphémant contre les Dieux. Suivant le témoignage de Dieu même , Job était véri- tablement bien éloigné d'être méchant et impie ; mais comme les jugemens des hommes sont souvent injus- tes et précipités , l'impression de jalousie qui restait de sa grandeur passée, et la vue de ses souffrances présen- tes portaient ses amis mêmes à prononcer contre lui ; quelques-uns de ses discours les y autorisaient en quel- que sorte. Sa femme , moins maîtresse de ses emporte- mens, allait plus loin qu'eux; mais enfin ils le firent éga- lement passer pour un homme méchant, impie, enor- gueilli par ses prospérités. C'est aussi comme la Fable représente Amphion. Les caractères et les traits particuliers de blasphèmes et d'impiété sont les mêmes dans la Fable que dans l'Histoire, On a conservé de la ressemblance jusques dans leurs familles et leurs ancêtres. Job , suivant la plus com- mune opinion , descendait d'Esaû , race maudite de Dieu, dont le nom signifie haï et détesté. Il est connu de tous , combien de même la race de Tantale était impie [et détestée des Dieux. La terre de Hus , Pays de Job , était dans l'Idumée et TArabie. Celle-ci avait été le partage et le séjour d'Esau , 'qui y avait épousé , malgré son père , des femmes de Chanaan. Les Iduméens , ou Nabathéens, dilStrabon (3), jsont des Peuples de l'Arabie pétrée. Il dit aussi qu'Am- Ïihion , avant de régner à Thèbes , habitait un petit vil- age de la Béotie appelé Copés , qui est le nom d'un vil- lage de l'Arabie nommé Copar chez Ptolomée. Job est dit ( ch. 1. ) grand parmi les Orientaux ; il est (1) Job , ch. 2. v. 9. (2) Au môme endroit de Job. [3J Liv. 16. de sa Géographie . ch. 5 et 8 : et liv. 9. ^ii. Niobè. 149 représenté ( ch. 29. ) présidant .aux jugcmens , assis sur un trône dans la place publique ,- environné , comme un Roi , d'une nombreuse garde ; les jeunes gens et les vieillards , les Prince même n'osant parler ni s'asseoir en sa présence. C'était donc un Roi : la Fable fait de même d'Amphion mari de IMiobé , un puissant Roi. L'Histoire et la Fable ont peint des mêmes couleurs la réputation et les prospérités de ces deux Princes : riches, puissans , respectés, craints , admirés, à qui tout réus- sissait; heureux surtout l'un et l'autre par une nom- breuse et florissante famille , mais plus célèbres ensuite par l'éclat de leurs adversités. La Fable a copié dans le portrait d'Amphion', les juge- mens que les amis de Job faisaient de lui. Elle a suivi les idées que présentent les reproches dont ils l'accablaient, fondés en apparence sur quelques-uns de ses discours , ainsi que nous l'avons remarqué. Sophar (ch. 11. ) l'un d'eux , le traite d'homme orgueilleux , rempli d'ini- quité, de cœur endurci , qui voulait être indépendant de Dieu. Eliphaz ( ch. 15. ) l'accuse de s'être élevé con- tre Dieu , de ne le point craindre et de le blasphémer, de s'égaler à lui, et d'avoir élevé son bras contre le Tout- puissant. Ils réitèrent ces accusations et les aggravent ( ch. 20, 22 , Zh et 35. ) par l'imputation de toute sorte de crimes et d'impiétés. Il est vrai que ces sentimens des amis et de tout le Pays de Job étaient injustes et mal fondés , puisqu'ils reposaient sur cette fausse idée , que Dieu n'afflige point les gens de bien et ne châtie que les impies ; d'où l'on concluait qu'il devait être très-méchant et très-impie , puisque Dieu le punissait par des maux si terribles et si extraordinaires. On ne concevait pas que Dieu affligeât les justes pour exercer leur vertu , pour leur donner des sujets de mérite , pour en faire des exemples de force et de patience , et pour montrer que c'est principale- ment après celte vie qu'il récompense la vertu et punit les crimes. L'opinion générale faisait juger suivant les maux apparens. D'ailleurs les malédictions que Job donne au jour de sa naissance et à la nuit de sa conception (1) , le soin qu'il prend de se justifier , où il semble accuser Dieu d'injustice , donnaient lieu à ces jugemens. Pour la femme de Job 3 , on ne peut douter de son im- piété et de ses blasphèmes, qu'elle exprime hautement et avec fureur , jusqu'à exhorter son mari à maudire Dieu , et jusqu'à traiter la soumission à ses volontés (1) Perçai dies in quâ naliis sum, et nox in qua diclum est : Con- ceptus est liomo. Job , ch. 3. v. 3. ï5o CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC. de simplicité et de folie ï ce qui obligea Job à lui dire (1) ïj qu'elle avait perdu , non-seulement la piété , mais la raison. La Fable n'a pu faire plus médians ,~ plus orgueilleux, plus impies Niobê et Amphion ; elle n'a pu leur mettre plus de blasphèmes dans la bouche ni plus d'insolence dans le cœur contre leurs Dieux. Et comme la femme de Job paraît bien plus coupable que son mari, la Fable a conservé cette distinction; elle a chargé Niobé , beaucoup plus que son mari, des em- portemens impies et des blasphèmes qui méritèrent l'in- dignation des Dieux , et qui furent punis par les calami- tés dont l'éclat effaça celui de leurs prospérités passées. Ces imprécations , ces malédictions de Niobê contre Latone , contre Apollon et contre Diane, l'emportement avec lequel elle veut décrier et abolir le culte qu'on leur rendait (2) , qui ont des traits si singuliers , sont des co- pies exactes de ce qui se voit dans l'Histoire de Job ; leur parfaite ressemblance , qui ne peut être l'effet du hasard , fait voir qu'elles en ont été tirées. Job y souhaite la destruction du jour où il est né (3) et de la nuit où il a été conçu : « qu'on ne fasse aucun » compte de la lune qui y a paru ; que bien loin d'être ho- » norée , elle soit oubliée , obscurcie et maudite ; qu'elle » soit laissée seule et désolée ; que personne ne la loue, et » ne la bénisse jamais. » Après avoir invité généralement tout le monde à maudire ce jour et cette nuit, il unit en particulier ses sentimens et ses imprécations avec celles de certains Peuples qui haïssent le Soleil, et qui lancent avec fureur des flèches contre cet Astre , pour l'obscur- cir, s'ils ne peuvent le détruire, il les exhorte à redou- bler avec lui leurs imprécations contre le Soleil et con- tre la Lune. C'est le sensnaturel et unique de ce verset S , en ces termes (4) : Que ceux qui ont la résolution de susciter et d'attaquer Lëviathan , maudissent la Lune comme ils mau- dissent le Soleil. Ce sens est suivi par le Père Dom Cal- met , dans son savant Commentaire sur le livre de Job et sur les autres livres de l'ancien Testament (4) ; et ceux qui ne l'ont pas aperçu, sont obligés d'avouer qu'ils n'y en trouvent aucun. Pour le comprendre , il faut savoir que quelques habi- tans de l'Ethiopie et de la haute Egypte, dans laquelle était la Ville de Tentyre , ne pouvant supporter les ar- deurs du Soleil , qui les brûle , ne haïssent rien tant (1) Quasi unà de stultis mulieribus locuta es. Job. ch. 2. v. 10. (2) Au 6. liv. des Métamorphoses d'Ovide. (3) Dies Me vertatur in tenebras , etc. Job. ch. 3 , v. 3. et suiv. [h] Maledicant ci qui maledicunt diei , qui parât i sunt susciiare Lëviathan. Job . ch. 3. v. 8. 1 1 . Niobè. 1 5 1 que cet Astre , qu'ils le détestent , qu'ils vomissent con- tre lui toutes les injures et les imprécations que la rage peut suggérer, dès qu'ils le voient paraître sur leur ho- rizon. Ces peuples étaient connus et distingués par cet usage de leurs emportemens contre le Soleil. C'est ce que nous apprennent Hérodote, Pline, et Strabon. (i). Ces mêmes babitans de Tenlyre , bien loin de crain- dre les crocodiles , dont leur pays est rempli , les cher- chent (2) , les poursuivent , les tuent et les mangent ; ce sont les crocodiles qui les craignent. C'est à quoi l'ait allu- sion le verset \l\. du Psaume 73. Vous avez brisé les têtes du Dragon , et vous l'avez livré aux Peuples d'Ethiopie pour leur nourriture. Il est enfin assez connu que le nom de Lcviathan signi- fie une Baleine et toutes sortes de monstres marins ; on les trouve désignés sous ce nom en plusieurs endroits de l'Ecriture et dans le même livre de Job , comme Behemot est l'éléphant. (3) Tel est donc le sens de ce verset où Job dit : Que les Peuples qui ont accoutumé et qui ne craignent pas d'atta- quer les crocodiles , ces monstres marins , et qui font égale- ment profession de vomir des imprécations contre le Soleil , s'unissent avec moi pour vomir de concert nos imprécations et nos malédictions contre cet Astre et contre la Lune. Job fournit ensuite à la Fable un autre trait bien mar- qué , lorsqu'il déteste l'usage des Peuples qui adoraient le Soleil et la Lune (4) , et tout le culte de ces Astres déjà établi dans l'Orient et dans l'Assyrie. « Il proteste » qu'il a toujours été bien éloigné de sacrifier et de don- » ner aucune marque de vénération religieuse à ces As- » très, comme faisaient ceux qui baisaient leur main » droite (5) lorsqu'ils le voyaient lever ; » ce qu'il traite de la plus grande impiété. (6) Dans une vision d'Ezéchiel (ch. S. v. 16. ) des hommes tournaient le dos au Temple , et regardant vers l'Orient ils adoraient le Soleil à son lever ; ce qui se faisait en portant la main droite à la bouche. Pline (liv. 28. c. 1.) dit, Quand nous voulons adorer, nous portons la main » droite a la bouche , et nous la baisons. » (1) Hérodote , liv. h. Pline , liv. 5. ch. 8. Strabon , liv. 17. ch. 15. (2) Tentyritœ crocodilos coutcmpiu ci iemeritate superant. Pline , liv. 8. ch. 25. et liv. 28. ch. 3. Hérodote, liv. 2. ch. 69. Sénèquc, liv. U. des Questions naturelles, ch. 2. Strabon , liv. 17. Soliu Poly- hislor , ch. 35. de l'Egypte et des crocodiles. (3) Job , ch. 40 , v. 10 et 20. [li) Si vidi Solem cum fulgeret , et Lunam incedentem clarc. Job, ch. 31 , v. 26. (5) Et tœlatum est in abscondito cor 7neum, et osculatus sum manum tneam orc meo. Ibid. v. 27. (6) Quœ est iniquitas maxima. Ibid. v. 28. l5a CONFÉRENCE DE LA. FABLE, etC. La Fable n'a pu rien ajouter à ces imprécations contre le Soleil et contre la Lune , que ces Peuples adoraient particulièrement , et n'a pu prendre d'ailleurs celles qu'elle a mises dans la bouche de Niobé (1) , avec ses emportemens pour décrier et anéantir le culte de ces deux Astres. C'est le même dans la copie et dans l'original. Les châtimens et les pertes se ressemblent aussi dans l'un et dans l'autre. Job avait sept garçons et trois filles , ce qui faisait sa grande force et la plus belle partie de ses prospérités. Ce fut aussi le coup qui l'accabla. Un vent véhément qui s'éleva du côté du désert , suscité par le Démon , à qui Dieu en avait donné la permission , ébranla et renversa jusques aux fondemens la maison où ces enfans étaient assemblés ( ch. 1. v. 16 et 19. ) , et ils y furent tous écrasés. Le plus grand sujet d'orgueil de Niobé et d'Amphion dans toutes leurs prospérités , était leur nombreuse fa- mille ; on y compte aussi ordinairement sept garçons et sept filles ; (2) Homère ne dit cependant que six garçons et six filles ; d'autres Auteurs en font le nombre inégal , et ne comptent que trois filles. Aulugelle (3) a fait un cha- pitre exprès des variations de la Fable sur le nombre de ces enfans , où il dit que , dans les Poètes Grecs , elles sont surprenantes jusques au ridicule. Dans tous les Auteurs ces enfans furent tués dans le même temps et dans le même lieu , percés ou accablés de flèches d'Apollon et deDiane, sans qu'un seul en échappât. Après ces terribles accidens de Job , quand ses amis furent venus auprès de lui , ils pleurèrent , ils crièrent , ils déchirèrent leurs vêtemens et se couvrirent la tête de poussière , ensuite ils demeurèrent assis durant sept jours et sept nuits , sans qu'un d'eux ouvrît la bouche pour lui dire un seul mot de consolation. ( ch. 2. v. 13. ) C'était un deuil où ils le pleuraient comme mort ; après quoi ils reprirent la parole. Ainsi dans la Fable , après le massacre des enfans d'Amphion et de Niobé , Jupiter rendit pendant neuf jours les hommes de leur voisinage comme morts , sans parole et sans mouvement. Homère (4) dit qu'il les chan- gea en pierres , pour célébrer ce deuil durant cet es- (1) . . . . Car colitur Latona per aras ? Ite sacris , propcrate sacris , lattrumque capillis Ponite. Ovid. Métam. lib. 6. v. 171. 201. (2) . . . . Natas adjice septem , FA totidem juvcucs. Ibicl. v. 182. Et Tantalis hœc ipsa , liœc bis septem pignora eodem Ventre tulit. Autipater , Poète Grec. (3) Chap. 7. du liv. 20. de ses Nuits Attiques. [h) Sur la (iu du 2!x. liv. de l'Iliade. ai. Niobé. i53 pace de neuf jours qu'on avait accoutume de donner aux gémissemens et aux pleurs avant d'enterrer les morts ; et qu'après ces neufs jours ils recouvrèrent la vie et la forme humaine, pour rendre les derniers devoirs à ces victimes de la colère des Dieux. L'Histoire , après les malédictions prononcées par la femme de Job ( en. 2. ) , ne fait plus mention qu'elle ait parlé ni qu'elle ait paru ; et la Fable feint que Niobé fut transformée en une statue de marbre. Tous les Au- teurs ont jugé , comme Cicéron (1) , qu'elle est représen- tée pétrifiée , parce qu'elle était devenue muette et comme immobile par l'accablement de ses douleurs. Ainsi la Fable a feint Hécube transformée en chienne , à cause de ses emportemens enragés et continuels. Le changement de la femme de Loth en statue de sel peut aussi avoir donné l'idée de cette métamorphose de Niobé en statue de pierre. A ces rapports on peut ajouter une conjecture qui ne paraîtra peut-être pas mal fondée. Si nous faisons atten- tion aux éloges de Job dans son Histoire , nous y trouve- rons de nouveaux traits propres et singuliers qui carac- térisent Amphion dans la Fable. Les Poètes ont chanté de lui quïl apprivoisait les lions et les tigres ; que par la douceur de son chant il faisait mouvoir et attirait les rochers, et qu'il avait bùti des Villes au son de sa lyre. (2) On a bien compris que ce langage figuré signifiait qu'il avait ramené des hommes sauvages à une vie civile, qu'il avait adouci leurs mœurs et les avait soumis aux règles de la justice ; qu'il leur avait appris à vivre en société et à s'entre-secourir ; enfin qu'il leur avait fait observer les lois de l'humanité, Telles étaient les occupations de Job , comme nous venons de le voir dans son Histoire. Elle nous le repré- sente élevé sur un Tribunal à la porte de la Ville ; les Grands et les Princes , les jeunes gens éloignés par res- pect et les vieillards debout , qui l'écoutent et sont charmés de l'entendre. Tous reçoivent ses paroles et ses jugemens comme la rosée qui tombe du Ciel. ( Ch. 29. ) 11 secourait , il soutenait , il relevait ceux qui étaient abandonnés et sur le point de périr. Il servait d'oeil aux aveugles , de pied aux boiteux , de main aux manchots , (1) Niobe fingitur lapldea, propter œternum , credo , in luctu silen* tium. Cicéron, Tusculanes, liv. 3. ch. 63. (2) Dictas et Amphion , Thebanœ condilor arcis , Saxa movere sono test udinis , et prece blandâ Ducere quo vellet. Fuit hœc sapientia quondam , Publica privatis secernere , sacra profanis , Concubitu proliibere vago , dare jura maritis , Oppidamoliri, teges incidere ligno. Horat. Art. Poët. v. SOû^ctscq. 1 54 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. de langue aux muets. Il distribuait à tous sa sagesse , et leur faisait connaître , aimer et observer les règles de la justice. Il est encore expressément dit de lui, qu'il entretenait et réglait la joie publique par le son et la mélodie de ses instrumens de musique (chap. 30. v. 31. ) , qui se chan- gèrent en lamentations par l'excès des maux dont il fut accablé. Ainsi, soit qu'on regarde le sens propre ou le sens figuré de la Fable, on trouve dans l'Histoire de Job le fondement de toutes les merveilles qu'elle a racontées d'Amphion. Quand on lit cette belle réflexion de Sénèque sur les adversités des gens de bien : « (i) Voici un spectacle qui » mérite l'attention de Dieu sur son ouvrage, voici un » combat digne de Dieu môme : Un homme courageux » aux prises avec la mauvaise fortune ; je ne conçois » pas qu'il puisse rien voir de plus beau sur la terre , etc.» n'est-on pas porté à juger que cette pensée est une copie ou un commentaire du premier et du deuxième chapitre du livre de Job , où Dieu dans l'assemblée de sa Cour céleste , semble en quelque sorte animer la jalousie du Démon contre Job , et lui abandonne tous les biens de ce saint Homme , dont il voulait exercer et faire éclater la vertu déjà éprouvée dans l'usage des prospérités ? Dans la suite il fait à ce cruel adversaire , des reproches de sa faiblesse , et lui livre même le corps de son athlète. Après quoi il étale avec complaisance le spectacle de ce Héros victorieux sur son fumier de toutes les adversités dont il l'avait laissé frapper; il le couronne de gloire, en prononçant que Job n'a point péché , qu'il est toujours demeuré juste et inébranlable dans ce combat , et il accorde à sa prière la grâce de ses amis. @®®®®®®®®®®®®®©®®®®®®®®®®®®®®@®®®®®® XXII. PHAÉTON. On fait communément Phaéton fils du Soleil ; quelques Auteurs , comme Hésiode dans sa Généalogie des Dieux, après lui Pausanias dans ses Attiques , et Hygin dans ses Fables , le font fils de l'Aurore , et petit-fils du So- leil. C'est aussi un nom , ou une épithète du Soleil môme. (2) Ainsi les Fables varient en s'éloignant de l'unité de l'Histoire qu'elles défigurent. (1) Ecce spectaculum dignum ad qaod respiciat intentas operi suo Deus ; ecce par Dco dignum : Vir fortis cum. malâ fortuné compositus ; non video quid habeat in terris Jupiter puiclirius. Senècjue , clans le livre de Divinâ Providentiâ. (2) Quem dixere Pkancta, Qrpheus , iii Hymnis. 22. Phaétan. 1 55 Quand on lit dans cette Fable célèbre , que Phaéton , pour avoir voulu conduire le Char du Soleil son père , ou son aïeul , fut brûlé d'un coup de foudre par Jupiter , et qu'au milieu d'un grand embrasement qu'il causa , il fut précipité dans l'Eridan , on conçoit aisément que les Poètes ont voulu enseigner par cet exemple, combien les projets téméraires de Tambition sont dangereux et pernicieux à ceux qui s'y abandonnent, et souvent a bien d'autres que ceux-ci entraînent et enveloppent dans leur ruine. On le voit , pour insinuer cette morale , dans les emblèmes d'Alciat. ( n° 56. ) Mais on ne saurait com- prendre qu'une fiction si extravagante eût pu tomber dans l'imagination de ceux qui ont voulu donner cette leçon , pour laquelle ils pouvaient employer ou compo- ser assez d'aventures naturelles e f vraisemblables ; ni que celle-là eût été suivie et adoptée si généralement qu'elle l'a été, si elle n'avait eu quelque fondement dans des traditions et des histoires véritables , altérées à l'ordi- naire parle temps et par la diversité des Peuples et des Auteurs. Lucien a fait sur ce sujet un Dialogue entre Jupiter et le Soleil, pour faire voir, suivant son génie , le ridicule et de la Fable et des Dieux. Diodore de Sicile (i) la rap- porte pour la réfuter ; et après lui Strabon (2) fait aussi voir que dans les lieux dont elle a fait la scène de cette catastrophe et de ses suites , il n'y a rien qui puisse lui servir de fondement. Les premières traditions ont bien pu être ainsi alté- rées et défigurées , mais non pas être entièrement effa- cées jusques dans leur fond , par les ornemens et le merveilleux que la liberté et la magnificence poétiques ont tâché d'y répandre. Voyons d'en démêler l'origine dans l'Histoire Sainte. Les descendans de la tribu de Lévi furent destinés au service du Temple et du Tabernacle (5) sous Aaron et ses Enfans préposés à la tête des autres Lévites et consa- crés par l'onction d'une Huile sainte composée exprès pour les principales fonctions du Sacerdoce ; mais par- dessus tous Aaron fut établi grand Sacrificateur et sou- verain Prêtre , auquel seul il était permis d'entrer une fois l'année dans la partie intérieure du Tabernacle , appelée le Saint des Saints. Les Colonnes , les Tables , les Vases , le Chandelier , les Lampes , et les Chérubins d'or , d'un ouvrage au- dessus du prix de la matière , ornaient ce saint Lieu ; (1) Livre û. de sa Bibliothèque. (2) Livre 5. de sa Géographie. [3j Au ch. 3. des Nombres , et au en. 8. du LOviticrac. l56 CONFERENCE DE LA. FABLE, etc. les voiles et les tapisseries dont il était couvert , y bril- laient des plus belles couleurs de pourpre , de hyacin- the et d'écarlate, travaillées avec l'art le plus exquis; elles le rendaient si éclatant , que les Poètes n'ont su rien dépeindre de plus brillant, quand ils ont épuisé leur imagination pour les descriptions du Palais du Soleil et des charmes de l'Aurore. Cet endroit auguste , qui était dans le milieu du Ta- bernacle , représentait le Ciel où Dieu habite , d'où effec- tivement il parlait et rendait ses oracles , et qui était souvent éclatant et couvert de sa gloire : « Lorsqu'on » découvrait le Tabernacle , ceux qui le voyaient de loin » croyaient voir le Ciel , dit Josèphe.(i) Les autres par- » ties , continue-t-il , qui étaient ouvertes , représentaient » le Ciel et la terre avec leurs ornemens. Les douze » mois de l'année , les douze signes du Zodiaque s les » sept planètes , les quatre élémens y étaient figurés ; les » éclairs et les tonnerres y étaient aussi représentés , » tout en or , ou en argent , ou en pierreries. » Les habits du Grand-Prêtre surpassaient encore en ri- chesse , en pierreries , et par l'art dont tout était mis en œuvre , toute la somptuosité de ce saint Lieu. L'Ephod et le Rational , qui faisaient un troisième vê- tement que le grand Sacrificateur portait sur sa poitrine , attachés par une grosse pierre précieuse sur chaque épaule, étaient garnis de douze pierres inestimables, éméraudes , diamans , escarboucles , et autres qui pa- raissaient jeter du feu , et répandaient une lumière dont l'éclat éblouissait. «Toute la nature ( dit encore Josèphe) y était aussi figurée, la terre, la mer, le Soleil et la » lune , les douze mois , la lumière , le Ciel et la Majesté » de Dieu. » C'est ce qu'on voit décrit (2) dans l'Exode , et dans Josèphe qui en était bien instruit, étant lui-même de la race des Sacrificateurs , et qui en donne précisé- ment toutes les explications que nous venons de rapporter. Cela donne si naturellement l'idée du Palais et du Char du Soleil , qu'il n'est pas difficile de l'y prendre ; aussi trouve-t-on les même images employées dans la des- cription pompeuse qu'Ovide en fait. Ayant ramassé tout ce qu'on en avait pu dire , il n'ajoute rien de considé- rable à ce que nous venons de voir , soit qu'il ait puisé ces idées dans Moïse même , soit qu'il les ait prises ou reçues d'ailleurs. « Ce Palais , dit ce Poète (2) , élevé sur (1) Histoire des Juifs , liv. 3. ch. 5 et 8. (2) Chap. 25, 26, 35, 36, 37, 38 de l'Exode. Et dans Josèphe , liv. 3. de son Histoire des Juifs , eh. 5 , 6 , 7 et 8. (3) Rcgia Solis erat sublimibus alla Columnis , Clara micante auro flammasque imitante pyropo , etc. Ovid. Mctamorph. lib. 2. v. 1. et seg. il. Phaêton. 1^7 » de hautes colonnes est brillant d'or , d'argent , et de » pierreries qui semblent jeter du feu. L'ouvrage néan- » moins en est plus précieux que la matière. On y voit » gravées la Terre et la Mer , avec ce qu'elles contien- » nent , et le Ciel au-dessus orné de ses signes. Les jours, » les mois, les années avec les heures y sont représen- » tées en pierres précieuses ; on y a aussi gravé les » quatre saisons : tout y est or, ou argent, ou pierreries, » qui augmentent la lumière qu'elles reçoivent. » Il n'y a pas non plus oublié les charmantes couleurs de l'Aurore. L'élévation si distinguée d'Aaron et de sa famille leur attira la jalousie des autres membres de la môme Tribu , et même des autres Tribus. Ceux qui n'osaient pas se mettre à la tête d'un soulèvement , piquèrent ceux qui leur paraissaient les plus ambitieux et les plus hardis : Coré (1) , dont le père Isaar était frère d'Amram père d'Aaron ( l'un et l'autre petit-fils de Lévi ) ; et Da- than , et Abiron , frères, fils d'Eliab qui descendait de Ruben frère aîné de Lévi. Faites voir, disait -on au premier , si vous voulez qu'on le croie , que vous êtes de la race de Lévi ; et vous , disait-on aux deux autres, que vous descendez du frère aîné de Lévi. Ces jeunes hom- mes, comme il est rapporté au Livre des Nombres ( ch. 16.) , sensibles à des reproches qui piquaient si vive- ment leur orgueil , s'abandonnèrent à la présomption de s'élever aussi haut qu'Aaron , et d'entreprendre les fonctions permises à lui seul , en offrant également les encensemens au Seigneur. Ils le demandèrent avec hau- teur et s'y disposèrent ouvertement , sans que Moïse pût les en détourner ; quoiqu'il leur représentât de toute sa force les ordres de Dieu , qui ne permettaient ces fonc- tions qu'au seul Grand-Prêtre qu'il y avait établi , et menaçaient de perdre ceux qui voudraient les usurper. Ils n'eurent pas mis tous trois le feu et l'encens dans les encensoirs, que la terre s'ouvrit sous leurs pieds et les engloutit dans un profond abîme avec leurs femmes et leurs enfans , d'où ils furent précipités vivans dans l'Enfer qui s'ouvrit pour les recevoir. Il en sortit en même temps une grande flamme , allumée par le Sei- gneur , qui se répandant aux environs consuma de plus deux cent cinquante hommes qui s'étaient joints à ces trois premiers. L'embrasement s'étendit ensuite si fort, que quatorze mille sept cents de ce peuple y furent en- veloppés , et y périrent; le surplus en fut sauvé par les prières de Moïse et d'Aaron, et par les encensemens que celui-ci fit au milieu de toute la multitude ; on vit aussitôt (1) Au chap. 6. de l'Exode l58 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. s'éteindre ce grand embrasement qui paraissait devoir tout consumer. Voilà l'exposition de l'Histoire Sainte. Quelque temps auparavant , les enfans même d'Aaron , NadabetAbiu , pour avoir mis, àl'insu de leur père, dans leurs encensoirs , du feu qui n'avait pas été pris sur l'Autel , et avoir offert au Seigneur de l'encens jeté sur ce feu, contre les défenses qui leur étaient faites, fu- rent sur-le-champ consumés par un feu du Ciel. Ce sont là les textes de l'Ecriture , qui ont servi et suffi aux Poè- tes , pour en composer, avec les autres secours de leur imagination, la Fable de Phaéton. Ce qui peut encore avoir contribué à donner cette idé -ï , et qui marque même qu'on l'a prise de l'Histoire Sainte, c'est que le nom d'Eliab (1) père de Dathan et d'Abiron, qui , en Hébreu , signifie , Dieu mon père , signifie en Grec le Soleil ; ce qui a fait attribuer cette aventure au Fils du Soleil , qui voulut faire voir que ce Dieu était son père ; et le nom Grec de Phaéton , qui veut dire Placé dans an lieu élevé , est de même sens que celui à'Jbiron, qui en Hébreu , veut dire Père d'élévation. Ce malheureux imprudent , victime de son ambition, est placé par les Poètes dans la Grèce , où ils ont trans- porté toutes les Fables ; ils le font cependant presser et pousser à cette funeste entreprise par la querelle et par les reproches d'Epaphus , qui régnait en Egypte , et qu'Hérodote assure être en langage Grec le même qu'Apis (2) , qui était le Bœuf adoré à Memphis , aussi appelé Sérapis , sous la figure et le symbole duquel on adorait véritablement Joseph, comme le prouve après d'autres le savant Père Thomassin. (3) L'idée de l'adorer sous cette figure venait de ce que les Egyptiens avaient mis sur son tombeau la figure d'un bœuf , pour marquer en leur manière par ce monument hiéroglyphique, qu'il avait garanti l'Egypte delà famine, l'avait nourrie, et avait interprêté le songe mystérieux des vaches que Dieu avait envoyé au Roi Pharaon, et dont il avait donné l'intelligence à Joseph. Ainsi l'on a conservé la Fable dans ce Peuple établi en Egypte par Joseph , et dont les des- cendans passèrent pour Egyptiens , parce qu'ils vinrent de l'Egypte , après y avoir demeuré trois siècles. Tous les déguisemens de la Fable n'ont pu effacer ces traits de son origine. C'est à ce fond et à ces idées qu'on a ajusté la Fable de Phaéton , représentée avec tant d'étendue et tant d'éclat par Ovide , qui a étalé avec tous les ornemens (1) Elios , en grec , le Soleil. (1) Apis , Grœcâ linguâ , Epaphus est. Hérodote , liv. 2. (l) Dans la seconde partie de la Lecture des Poètes , liv. 1. ch. 5. n. Phaèton. i59 de la poésie, tout ce qu'il eu a trouve clans les Auteurs précédons , et dans les différentes traditions : la voici. Epaphus (1) , Prince Egyptien, ( d'origine Hébraïque, comme nous l'avons appris d'Hérodote, ) pour piquer Phaéton , orgueilleux d'avoir le Soleil pour père, lui conteste cette naissance qui le rendait fier ; le Poète feint que Phaéton en porte sa plainte à sa mère, et lui demande de lui justifier la qualité qu'elle lui a fait pren- dre. Elle entre dans sa douleur et dans une querelle qui leur était commune , et après lui en avoir donné toutes les assurances qu'elle pouvait , elle le renvoie à son père pour s'en faire avouer. Phaéton y court. Cela est suivi de la brillante description du Palais et du Char du Soleil , qui reconnaît Phaéton pour son fils. Cette peinture est , comme nous l'avons vu , prise de celle du Tabernacle , au service duquel les Lévites étaient appliqués , et particulièrement de sa partie intérieure appelée le Saint des Saints , dont l'entrée n'était confiée qu'à Aaron grand Sacrificateur. Les Poètes ont suivi dans le détail toutes les parties. Après que le Soleil eut reconnu Phaéton pour son fils , et qu'il lui en eut promis , par un serment que les Dieux ne pouvaient violer , telle preuve qu'il plairait à son fils de souhaiter , celui-ci lui demande de remplir pour un jour ses fonctions , de monter sur son char, et de le con- duire dans la course qu'il fait pour éclairer l'univers. "Voilà les fictions ingénieuses dont le Poète orne la Fable et défigure l'Histoire. Le père emploie tous ses efforts pour détourner son fils de cette entreprise téméraire (2) qui en renversant un ordre immuable, le conduit à une perte certaine. C'est un beau champ à la Poésie pour décrire la course du Soleil , son étendue , sa rapidité , ses difficultés et ses dangers , avec la tendresse et la douleur d'un père qui ne peut détourner son fils de se perdre lui-même. Mais ces remontrances sont vaines et ne peuvent arrêter la fougue de ce jeune ambitieux. Il prétend , puisque le sang qui coule dans ses veines est celui du Dieu qui donne le jour au monde , que la même prérogative ne lui peut être refusée , et que ce que son père fait tous les jours ne peut avoir de danger pour lui : il veut en courir le risque. Son père ne pouvant l'en dissuader, l'oint d'une liqueur ca- pable de le garantir d'être brûlé par les feux de son char. (3) Ce qui paraît bien une idée prise de l'onction d'Aaron et de ses Enfans. (1) A la fin du 1. et au commencement du 2. lir. des Métamorphoses. (2) Magna petis , Phaéton , et quœ nec viribus istis Conveniunt , etc. Mctamorph. lib. 2. v. 5û. (3) Tum pater ora sui sacro medicamine nati Contigit, et rapidœ fecit patieniia flavimœ. Ihid. v. 122. l6o CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. Phaéton monte sur le char ; il prend les rênes en main ; mais il n'est pas plus tôt entré dans la carrière , que les chevaux s'écartent ; ils renversent le char et le malheureux conducteur ; l'air et la terre sont enflam- més du feu du Ciel. Le Poète peint ici au long et à son aise les désordres de l'univers qui s'embrase. Les cam- pagnes et les villes sont brûlées , les hommes même y périssent. Enfin la Terre s'entr'ou vre jusqu'aux Enfers (0, pour demander la vengeance et le secours du Ciel , au- quel elle adresse d'éloquentes plaintes de l'invention du Poète. (2) Jupiter touché de sa prière , après avoir fou- droyé et précipité dans un abîme le téméraire Phaéton , arrête et éteint l'incendie qui semblait menacer de consu- mer l'univers. Ainsi , dans l'Histoire , l'incendie sorti de l'abîme de la terre entr'ouverte , où Abiron et ses compli- ces avaient été précipités , fut arrêté et éteint par les prières de Moïse et d'Aaron. La Fable fait précipiter Phaéton de ce coup de foudre dans CEridan , qu'on veut sans nulle raison être le Pô : mais Strabon (3) cité ci-dessus , assure qu'il n'y a dans l'univers aucun fleuve de ce nom , qui , en Grec , veut dire , apprenez, considérez. Les autres Auteurs , ( comme nous l'avons remarqué , ) ne le trouvent point non plus , et traitent cette Fable de ridicule , aussi-bien que le chan- gement que les Poètes ont feint des sœurs de Phaéton en arbres , dont ils font découler une gomme qu'ils appel- lent de l'ambre , et qu'ils disent être les larmes de ces sœurs. C'est pour donner à la Fable une fin de leur façon , et pour ne pas dire naturellement , comme l'Histoire , que la famille de celui qui avait voulu témérairement s'élever à des fonctions qui lui étaient défendues par la Loi de Dieu , avait été enveloppée dans sa ruine. L'Eridan, qui n'a jamais été dans aucun Pays, n'est qu'une manière hiéroglyphique de désigner l'Enfer (où les enfans d'Eliab dans l'original , et dans la copie Phaé- ton , furent précipités) ; c'est un endroit dont la vue crie à ceux que l'ambition peut tenter de s'élever au-dessus de leur état et de leurs forces : Apprenez et instruisez- vous par cet exemple ; comme Virgile fait sortir la même leçon de ce lieu de tourmens. (4) Aussi les Poètes ont-ils mis sur le tombeau de Phaéton cette épitaphe : « C'est la (1) Penetratque in Tartara rimis Lumen , et infernum terret cum conjuge Rcgem. Ibid. V. 260. (2) Si fréta , si terrœ pereunt , si regia cœli ; In chaos antiquum confundimur ; eripe flammis , Si quid adliuc superest ; et rerum consule summœ. Ibid. v. 298. (3) Livre 5. de sa Géographie. (li) Admonet , et magnâ testatur voce per timbras : Disciti ; justifiant moniti. JEnc'ul. iib. 6. v. G29. il. Phaéton. i3. Iphigénie ,et Idoménêe. 161 » grande ambition de Phaéton , qui pour l'avoir voulu » trop élever, l'a fait descendre ici-bas. (1) » C'est celte leçon qui a fait donner le nom d'Eridan au lieu dans le- quel il fut abîmé. Quelque point d'Histoire éclatant qu'on mette entre les mains des Poètes pour l'accommoder à leur art , ils le refondront, ils l'orneront de Fables de leur invention , ils y ajouteront, ils y changeront pour le moins autant que cette Fable a changé au fond véritable de l'Histoire. XXIII. IPHIGÉNIE , ET IDOMÉNÉE. J_jA Fable d'ïpbigénie sacrifiée par Agamemnon son père, chantée par tant de Poètes (2) , rapportée par tant d'Historiens (5), et célébrée sur les théâtres Grecs et les Français (4) , a été reconnue par tous ceux qui connais- sent nos saints Livres , et qui ont voulu y faire attention , pour une copie de l'Histoire de la fille de Jephté , sacri- fiée par son père. Ayons le plaisir d'en conférer les traits en détail ; ce que nous ne trouvons pas qu'on ait fait ; et commençons par l'exposition de l'original pris du Livre des Juges. ( Chap. 11. ) L'Historien sacré nous apprend que Jephté , fils de Galaad , était très-vaillant et grand Capitaine , et que les Israélites , contre lesquels Dieu était irrité , étant forcés à la guerre contre les Ammonites , ( à peu près dans le temps auquel on marque l'assemblée des Grecs contre Troie , ) s'assemblèrent pour obliger Jephté de venir à leur secours , et le choisirent pour leur Chef contre les Ammonites. H accepta le commandement, à condition que si Dieu lui donnait la victoire, ils le reconnaîtraient pour leur Prince. Ils lui en firent serment, et tout le Peuple l'élut dans la Ville de Maspha de la Tribu de Juda. Aussi-tôt il envoya des Ambassadeurs au Roi des Ammo- nites , pour lui demander raison de ses injustices et du ravage qu'il était venu faire sur les terres d'Israël ; celui- ci prétexta quelque sujet de plainte et de représailles contre les anciens et premiers Israélites , et ne voulut pas se rendre aux justes propositions de ces Ambassa- deurs. Jephté , après avoir invoqué le Seigneur , étant (1) Hîc situs est Phacton currus auriga paterni , Qucm si non tenait, magnis tamen excidit ausis. (2) Virgile, Ovide, etc. (3) Hérodote , liv. h. Pausanias , dans les Bt'oliques ; Dictys de Crète , sur la fin de son 1. liv. Hygin , fab. 98. (4) En l'Hérésie 55. qu'on appela Mclchidéchiemie. IÔ2 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. saisi de son Esprit, marcha contre les Ammonites ; et dans l'ardeur de répondre au choix qu'on avait fait de lui, et pour s'assurer le succès d'une si importante guerre , il fit vœu au Seigneur de lui offrir en holocauste le pre^ mier qu'il rencontrerait à son retour après la victoire , et qui sortirait de sa maison pour venir au-devant de lui. Il combattit ensuite les Ammonites chez eux, et les défit entièrement ; mais lorsqu'il revenait victorieux dans sa maison , Dieu permit que sa fille unique vînt la première se présenter à lui et le recevoir, pour mieux faire éclater sa joie , au son des instrumens. Sa vue cons- terna Jephté , il déchira ses vêtemens , et lui dit : « ïîé- » las , ma fille , faut-il que ce soit vous , pour mon mal- » heur et pour le vôtre ! » Il lui conta l'engagement du vœu qu'il avait fait au Seigneur. Sa fille , pleine de fer- meté et de religion , l'exhorta d'accomplir sur elle ce qu'il avait promis à Dieu , qui pour prix de son offrande lui avait accordé la victoire ; elle lui assura qu'une mort qui rendait son père vainqueur et son Pays libre , lui se- rait très-agréable. Elle lui demanda seulement la liberté d'aller sur les montagnes durant deux fois , pour y pleurer avec ses compagnes le déshonneur dont la sté- rilité était pour lors accompagnée chez le Peuple d'Is- raël , parce que chacun espérait de voir naître le Messie de sa race. Jephté ne put lui refuser cette faveur; il la laissa aller librement durant ces deux mois ; elle parcourut les montagnes en déplorant son infortune : et elle revint au bout de ce terme entre les mains de son père , qui rem- plit l'obligation de son vœu. ïl y a des Rabbins , et même de savans Interprètes Chrétiens, qui croient qu'elle ne fut point réellement immolée , mais qu'elle consacra sa personne et sa virginité à Dieu le reste de sa vie , dans une retraite où elle s'enferma , séparée de toute société avec le monde ; ce qu'ils prétendent être un accomplissement suffisant du vœu de son père , par cette espèce de mort mysté- rieuse, qui lui faisait perdre l'espérance glorieuse d'une postérité d'où le Messie pouvait sortir. C'est de là que s'est formée la coutume observée depuis régulièrement en Israël, qu'en certaine saison de l'an- née, les filles s'y assemblent pour pleurer la fille des Jephté durant quatre jours. On apprend même de saint Epiphane , qu'à Sam a rie et à Sichem on avait fait de la fille de Jephté une Déesse à laquelle on sacrifiait tous les ans. Voilà l'Histoire. Voyons à présent , et mettons , vis-à-vis , la Fable d'Iphigénie dans les principaux traits qui la composent : a 3. ïphigênie , e£ Idoménée. i63 les temps conviennent à peu près ; l'opinion que ie nom d'ïphigénic est pris de la fille de Jcphté , parait très- bien fondée ; la conformité en est sensible , puisqu'il n'y a eu qu'à changer Ipktigénie en ïphigênie , pour en faire précisément la fille, de Jephté , qu'on appelait aussi lephté ou Iiphtali ; ainsi sa fille devait être appelée Ipktigénie, qui veut dire fille de Jephté. Agamemnon, qui est dépeint comme un vaillant guer- rier et un admirable Chef, fut choisi par les Grecs pour leur Général et leur Prince contre les Troyens , du com- mun consentement de la Grèce assemblée dans la Ville et le port iïJulide dans la Béotie. Dès qu'il eut accepté le commandement , il envoya des Ambassadeurs à Troie au Roi Priam , pour lui de- mander satisfaction sur l'enlèvement dont les Grecs se plaignaient ; les Troyens ayant réfusé de leur donner cette satisfaction , Agamemnon , pour mettre dans son parti les Dieux qui paraissaient irrités contre les Grecs et opposés au succès de leur entreprise , après leur avoir sacrifié , eut recours à Calchas leur interprète , qui dé- clara de leur part que les Dieux , et particulièrement Diane , ne pouvaient être apaisés , ni accorder aux Grecs un heureux voyage , que par le sacrifice d'Iphi- génie (1) , fille d'Agamemnon. D'autres , dont l'opinion est la plus vraisemblable (et elle est suivie par Cicéron ) (2) , ont dit qu'Agamemnon , pour s'attirer la protection des Dieux dans la guerre dont il était déclaré le Chef, leur avait dévoué ce qui naîtrait de plus beau dans son Royaume ; et que sa fille ïphigê- nie ayant surpassé tout le reste en beauté , il se crut obligé de l'immoler ; ce que Cicéron condamne , en ju- geant qu'il y avait moins de mal à ne pas tenir sa pro- messe, qu'à commettre un parricide. Voilà ce qui rend la Fahle entièrement conformera l'Histoire. Agamemnon fut frappé et troublé de cette obligation; il y consentit pourtant d'abord; il eut ensuite de grands regrets sur sa fille. On le représente délibérant et dans le doute , si les Dieux pouvaient demander un parricide , et s'il était obligé de croire l'Oracle , ou de tenir sa promesse. Les Poètes (3) onOci ajouté à cette résistance ces (1) Sanguine virginco placandam Virginis iram Esse Deœ. Ovid. Metaiiiorph. Mb. 12..V. 28. (2) Agamemnon , càm devovisset Dianœ quod in suo regno pulcher- rimum natum esset itlo anno , immola vit îphigeniam quà nikil crat co quidem anno natum pulchrius : promissum poiiits non faciendum , quàm tam tetrum facinus admillendtim fuit. Cicéron , au 3. liv. de ses Ofl i ces , 11. 95. (3) Ovide , au 13 livre des Métamorphoses; Euripide; Racine. î64 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. senlimens de la nature , des intrigues qui augmentent les difficultés de l'exécution de ce vœu ou de cet ordre du Ciel , pour former des nœuds qui ornent leurs Poè- mes , et pour étaler l'éloquence qui ramena ce père à exécuter ce qu'il devait aux Dieux. Ils font enfin triom- pher Agamemnon des faiblesses de la tendresse pater- nelle, par les motifs de son devoir (1) et de sa gloire; il prononce l'ordre à sa fdle , qui exhorte elle-même son père à l'exécuter , avec une fermeté et une soumission merveilleuses ; elle le console , et se trouve trop heu- reuse de mourir pour une si belle cause , pour procurer la victoire et la gloire de sa Patrie : avec ces senlimens elle échappe à sa mère ; elle se met entre les mains de son père , pour être conduite à l'Autel . au milieu des pleurs de ses compagnes, et pour y être immolée. Quelques Auteurs ont dit qu'elle fut effectivement sa- crifiée (2) ; d'autres plus humains ont conté qu'elle avait été sauvée et enlevée dans un nuage par les Dieux, con- tens de l'acceptation du Sacrifice (3) , qui envoyèrent une biche pour être immolée au lieu d'elle. (Ils ont pris ce trait du Sacrifice d'Isaac. ) D'autres ont imaginé qu'elle avait été changée elle-même par les Dieux en une Biche ou en une Ourse, (fr) Le premier fond de cette fable était qu'elle avait été enlevée près de l'Autel dans un tumulte, et qu'on avait trouvé à sa place une biche avec laquelle le Sacrifice fut accompli. Dictys de Crète (5) dit que cet animal fut substitué pour sauver Iphigénie. Le point dans lequel ces diverses traditions convien- nent , est qu'lphigénie ne parut plus dans son Pays ; la Fable lui donne à peu de frais une machine qui l'enleva dans la Chersonèse Taurique , où elle consacra le reste de ses jours au service du temple de Diane , dans lequel on immolait à cette Déesse des hosties humaines (6) , en mémoire du Sacrifice de la Prêtresse. Les Poètes ont substitué ces Sacrifices, plus conformes à leur art et à leur Religion, aux pleurs et aux fêtes lugubres parles- (1) . . . Postquam pietatem publica causa , Rexque patrem vicit , castumque datara cruorem Flentibus ante aram stetit lphigenia ministris. Ovid. Metamorph* lib. 12. v. 29 et seq. (2) Sanguine placastis ventos et Virglne cœsâ. Virgile. Aulide quo pacto Triviiaï Virginis aram, Iphianassaïo turparunt sanguine jcede. (3) Victa Dea est ; nubemque oculis objecit ; et inter Officium turbamque sacri vocesque precantum , Suppositâ fertur mutasse Mycenida cervâ. Ôvid. Métamorph. lib. 12. v. 32 et seq. Voyez aussi Hygin ; et Pindare , dans ses Pythiques , Ode 11. (ù) Noël le Comte , au 1. liv. de sa Mythologie , c. 8. (5) En son 1. liv. de la Guerre de Troie. (6) Dœmonem cui immolant ipsi Tauri aiunt esse Iphigeniam Agn- inemnonis fdiam. Hérodote . liv. lu 7.3. Iphiçènie , et Idométiée. iG5 quelles les Filles d'iraël célébraient tous les ans la mort de la fille de Jephté. Cette Biche ou cette Ourse ont été imaginées sur les courses que la fille de Jephté fit durant deux mois sur les montagnes et dans les forêts, qu'elle remplissait de regrets sur elle etsur sa famille, de mourir sans postérité. Les Dieux, après cette obéissance rendue à leurs ordres , donnèrent aux Grecs un départ heureux (1) et une glorieuse victoire. La raison et le succès du Sacrifice, ce Sacrifice même, ou l'enlèvement de ces Princesses sur le point d'être immolées , la figure de Biche courant dans les forêts et sur les montagnes, leur retraite dans un Temple pour y être consacrées le reste de leurs jours au service di- vin , sont d'une môme origine ; le fruit de ce Sacrifice fut également une grande victoire , et la raison en avait été un vœu imprudent , fait par les pères de ces célèbres victimes. C'est ce qui a été copié aussi fidèlement dans la Fable d'Idoménée, Roi de Crète, moins diversifiée dans les différens Auteurs qui l'ont rapportée , et qui roule chez tous , d'une manière uniforme , sur un vœu tout-à-fait semblable à celui de Jephté. Rien ne peut approcher de la représentation qui est faite de cette Fable dans l'incomparable ouvrage des Aventures de Télémaque , qui s'est si fort élevé au-dessus de celui {2) des Aven- tures d'Ulysse son père. La ressemblance de cette copie avec son original est si sensible , que plusieurs l'ont reconnue ; nous n'en rap- porterons que les traits essentiels , sur lesquels on peut aisément la conférer avec l'original. Idoménée , Roi de l'Ile de Crète , et l'un des Princes Grecs qui étaient au fameux Siège de Troie , s'en retournant après le siège fini , fut surpris par une tempête si furieuse , que les plus habiles Pilotes déses- péraient de pouvoir éviter le naufrage. En cet état, où l'on ne se voit aucune ressource humaine , on a recours au Ciel ; chacun faisait des vœux , et Idoménée adres- sant les siens au Dieu de la mer , lui promit solennelle- ment que s'il lui procurait le retour dans son Ile , il lui sacrifierait la première personne qui s'y présenterait devant lui. Sur la nouvelle de son arrivée, le plus empressé , pour aller au-devant du Roi , fut son fils. Ce Prince infortuné (1) Acceptant venlos à tergo mille carinœ , Mullaquc pevpcssœ Pkrygiâ poliunlur arenà. Ovid. Metamarph.' lib. 12. v. 37. (3) L'Odisscc d'Homère. l66 CONFÉRENCE DE LA. FABLE, etC, se présenta le premier aux yeux de son malheureux père , qui ne pouvant le regarder , et fuyant sa vue, fut quelque temps sans oser lui apprendre le malheur commun, qui faisait sa tristesse : après l'avoir déclaré, il voulut se percer lui-même de son épée. Les assistans arrêtèrent sa main ; ils lui représentèrent ensuite que pour satisfaire a une promesse imprudente , les Dieux ne pouvaient agréer qu'un père donnât la mort à son fils , et qu'on pouvait les apaiser par d'autres sacrifices. Le fils cependant faisait voir une constante résolution de mourir pour dégager la promesse de son père ; et pour détourner de sa tête la vengeance du Dieu mé- prisé. Idoménée prend un moment qu'on le laissait libre, et plonge son épée dans le cœur de son fils ; on retient encore sa main qui tournait l'épée contre lui- même. Après ce coup dénaturé , la fureur le saisit. Ce Roi auparavant très-sage ne sait pendant quelque temps ce qu'il fait ni ce qu'il dit. Les Dieux eux-mêmes se décla- rent contre un sacrifice si impie , par une peste qu'ils envoient dans cette lie ; le peuple frappé d'horreur pour cette barbarie , de pitié pour le fds poignardé , et de crainte pour les marques de l'indignation divine, ne re- connaît plus son Roi et ne veut plus lui obéir. 11 n'y a de salut pour lui qu'à quitter la Crète et à remonter sur ses vaisseaux , accompagné de ceux qui lui étaient de- meurés fidèles. Enfin revenu à lui-même, il aborde en Italie , où il fonde un nouveau Royaume , contraint de quitter celui que sa naissance et les lois de son Pays lui avaient donné après Minos et Deucalion son aïeul et son père. Virgile a conté comme ce roi avait été chassé de son Royaume (1), et qu'Enée apprit que le Trône en était vacant. Télémaque parcourant les mers , pour chercher son père, trouva la Crète dans cet état, et les Cretois occupés à s'élire un Roi à la place d'Idoménée. Otez les épisodes , les ornemens et les suites de ces Fables , le fond et l'essentiel ne sont que la copie de l'Histoire de Jephté. (1) Fama volât pulsum regnis cessissc paternis Idomenea ducern , desertaque littora Cretœ ; Hoste vacare domos , sedesque adstarc rclictas. JEneid. lib. 3. v. 121. CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. 1G7 XXIV. SENNACHÉRIB. L'histoire de Sennacbérib Roi des Assyriens , et la défaite miraculeuse de son armée sans combat et sans aucun accident naturel , sont si fort au-dessus du cours de la nature , que leur établissement sert à confirmer la foi due à l'Historien qui les rapporte avec toutes les mer- veilles de la toute-puissance de Dieu , opérées en faveur de son Peuple contre les ennemis de son culte. Ce puissant Roi , dont le nom signifie glaive et destrac- tion , après avoir détruit le Royaume d'Israël , fit des conquêtes dans la Syrie, dans l'Ethiopie et dans l'Egypte, fondit sur le Royaume du pieux Ezéchias Roi de Juda , en attaqua toutes les Villes fortes pour se rendre ensuite maître de Jérusalem. (1) Ezéchias , hors d'état de résis- ter à une si grande puissance, subit les conditions que ce fier conquérant lui voulut imposer , afin qu'il se retirât, comme celui-ci le lui promit, moyennant trois cents talens d'argent et trente talens d'or : mais après qu'Ezéchias eut épuisé tous ses trésors et ceux de la Maison du Seigneur pour payer cette somme , Senna- chôrib , loin de tenir sa promesse , envoya une armée formidable assiéger Jérusalem et sommer Ezéchias de se rendre. 11 lui fit représenter que pour se défendre , il ne pou- vait se confier ni en ses forces, ni en aucun secours humain ; que le Roi d'Egypte son allié , sur l'appui du- quel il avait pu compter , n'était en comparaison du grand Roi des Assyriens que comme un roseau cassé , avec lequel il se briserait lui-même, s'il voulait s'y appuyer. Ses envoyés ajoutaient qu'Ezéchias devait espérer aussi peu du secours de son Dieu , que de celui des hommes ; que ce Dieu n'avait pas plus de pouvoir de le protéger contre les forces de leur Roi , que les Dieux des nations en avaient eu pour les garantir du joug qu'elles avait subi ; enfin après bien des blasphèmes contre le Dieu des Juifs , ils conclurent , avec menaces , qu'Ezé- chias et son Peuple n'avaient d'autres ressource , pour éviter leur entière ruine, que de se rendre à Senna- chérib. Ezéchias consterné avec tout son Peuple , s'étant cou- vert d'un sac pour implorer la miséricorde de Dieu qui (1) Vers l'ail du monde 3270 ou 3280. l68 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etC. était tout leur recours , entra dans le Temple , et députa ses plus considérables Officiers avec les anciens des Prê- tres , revêtus aussi de sacs , vers Isaïe Prophète du Sei- gneur ; ils lui exposèrent leur triste état , les menaces de Sennachérib et ses blasphèmes contre le Seigneur Dieu, et lui demandèrent de prier ce Seigneur tout-puissant, leur protecteur , pour le salut de son Peuple et pour la gloire de son nom. Isaïe répondit à ces députés , que le Seigneur leur or- donnait de ne point craindre les forces , les menaces ni les blasphèmes du Roi des Assyriens , qui serait bientôt réduit à se retirer chez lui , où. même il périrait par le glaive. En effet , Sennachérib ayant dans le même temps ap- pris des nouvelles de l'Ethiopie unie à l'Egypte , qui l'obligeaient de tourner ses forces de ce côté-là , voulut presser l'expédition contre Jérusalem ; il députa de nou- veau à Ezéchias , avec les mêmes menaces et les mêmes blasphèmes contre le Dieu auquel tout Juda se confiait. Ezéchias rentra dans le Temple , exposa à Dieu l'afflic- tion de son Peuple, leur unique confiance en sa puis- sante protection si souvent éprouvée , et l'intérêt de la gloire de son Nom ; il le pria de faire voir qu'il était le Dieu vivant , et le seul Dieu, assis sur les Chérubins, le Dieu des Rois aussi-bien que du reste des hommes : et juon semblable aux faux dieux des nations que le Roi des Assyriens avait détruites. Isaïe envoya dire à Ezéchias , que Dieu avait entendit sa prière, qu'il abattrait bientôt celui qui osait, avec tant d'insolence , lui insulter à lui-même et au Peuple qu'il protégeait (i) ; qu'il ferait voir que cet orgueilleux tenait de lui sa puissance et tout ce qu'il était ; qu'il le mettrait hors d'état de faire aucun mal à Jérusalem, et de tirer une seule flèche sur cette Fille ; et qu'enfin Sennachérib , sans y entrer , serait forcé de se retirer avec confusion. L'effet suivit de près ces promesses ; la même nuit le Seigneur envoya un Ange qui frappa de mort cent qua- tre-vingt-cinq mille Assyriens dans leur camp. Senna- chérib , au point du jour , ayant vu tous ces cadavres étendus sur la terre , se retira au plus vite à Ninive dans ses états , où peu de temps après il fut tué par deux de ses enfans , lorsqu'il sacrifiait dans le temple à son Dieu Nesroch. Cette merveille de la toute-puissance du vrai Dieu est si éclatante et si magnifique , qu'étant établie elle ne laisse aucune ressource à l'incrédulité pour douter de (1) Au k. livre des Rois , ch. 18 et 19. a4- Sennachérib. iûg toutes les autres merveilles qui sont rapportées dans nos saints Livres. Cette Histoire est confirmée par le monument authen- tique qui la représentait , et que le premier des Histo- riens (i) atteste qu'on voyait encore de son temps , près de trois cents ans après ce grand événement (2) ; c'était, dans un temple d'Egypte dédié à Vulcain, une Statue de pierre du Roi Sennachérib, qui tenait un rat en sa main, avec cette inscription : Qui que tu sois, apprends , en me regardant , à craindre les Dieux. Tous ceux qui ont lu cet endroit d'Hérodote , ont été bien persuadés que c'était la même aventure de l'His- toire rapportée dans la Sainte Ecriture. C'est le même nom de Sennachérib Roi des Assyriens , le même temps, et une semblable déroute de l'armée de ce Prince. Hé- rodote fait le Prince assiégé Prêtre de son Dieu, parce qu'on l'avait confondu avec Isaïe , qui dans l'Histoire Sainte est uni au Roi Ezéchias. Ce sont clans l'une et l'autre Histoire , la piété , les prières et l'état de ces Princes , qui obligèrent leur Dieu à les délivrer mira- culeusement. On voit même dans l'Histoire véritable les Egyptiens mêlés avec les Juifs. Une si parfaite ressem- blance ( avec la Statue et l'inscription ) n'a pas laissé lieu de douter que dans l'original et dans la copie ce ne fût le même événement. Mais les traditions populaires ne conservent jamais la pureté de l'Histoire ; elles ne manquent pas d'y mêler de quoi l'altérer et la corrompre. Les Egyptiens, pour s'en faire honneur, l'avaient transportée chez eux ; car, outre qu'ils étaient alliés des Juifs , et particulièrement unis à eux contre le Roi des Assyriens qui étendit ses conquêtes dans la même guerre sur les uns et sur les autres , ils avaient presque autant d'intérêt que les Juifs à cette défaite de Sennachérib , qui se disposait à marcher contre eux avec toutes ses forces , après qu'il aurait pris Jérusalem. Hérodote rapporte donc, comme il l'avait appris des Prêtres Egyptiens , ( suivant une tradition corrompue par l'intervalle de près de trois siècles , et par une mau- vaise explication de l'inscription hiéroglyphique de la Statue , ) queSéthon , Roi d'Egypte et Prêtre du Dieu Vul- cain, se vit abandonné de tous les gens de guerre de son Royaume et sans aucun secours , lorsque le Roi Sennachérib vint envahir l'Egypte avec une armée nom- breuse. Alors privé de tout moyen de se défendre, il se retira dans le Temple où était la Statue de son Dieu ; il y fit ses lamentations sur son état déplorable , et demanda (1) Hérodote , en son Hv. 2. (2) Vers l'an du monde 3540. I^O CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. avec des gémissemens le secours de la Divinité qu'il servait : le Dieu, qui en eut pitié , lui apparut , et lui promit son secours. Avec cette confiance il s'avança , accompagné seulement d'un petit nombre de gens qui n'avaient jamais porté les armes ; et quand les ennemis furent près , une multitude innombrable de rats vinrent dans leur camp, et rongèrent toutes leurs flèches , leurs arcs et leurs boucliers ; si bien que le lendemain ce qui se put sauver de cette nombreuse armée (dont la plus grande partie avait péri) étant sans armes, fut obligé de prendre la fuite. "Voilà ce qu'Hérodote conte de la tradition des Egyptiens , pour l'explication de la Statue de Sennachérib et de l'inscription qu'elle portait. Cette Histoire , qui est la même que celle du Sen- nachérib de notre sainte Ecriture , est défigurée , parce qu'on n'a pas considéré ou entendu le symbole hiéro- glyphique que la Statue tient clans sa main. Il est assez connu que les Egyptiens , entre les autres Peuples , s'expliquaient, (particulièrement pour ce qui regardait la Religion, ) dans des monumens publics et durables , par des caractères et des symboles hiérogly- phiques qui leur étaient propres. Diodore (1) enseigne que leurs premiers caractères n'étaient pas composés de lettres et de syllabes , mais de la représentation de divers animaux, ou des membres du corps humain , ou des instrumens des arts. Dans le traité de la Philoso- phie mystique des Egyptiens , donné sous le nom d'Aris- lote (2) , il est attesté que c'était l'usage des Chaldéens et des Egyptiens. On trouve dans Phérécide de Syros (3) , maître de Pythagore, et dans Hérodote (4), qu'un Roi des Scythes avait envoyé à Darius , qui avait passé le Danube avec une armée pour venir l'attaquer dans ses Etats , ces symboles au lieu de lettres : un Rat, une Gre- nouille , un Oiseau , et cinq Flèches ; ce qui fut. expli- qué par un Mage qui était auprès du Roi des Perses , en cette manière : Si nous ne nous cachons sous ta terre comme des rats , ou sous les eaux comme les gre- nouilles , ou si nous ne nous envolons comme des oi- seaux, nous serons percés par leurs flèches. On dési- gnait notoirement la terre par le symbole des rats. (5) Ainsi ce Rat , dans les mains de la Statue de Sennaché- rib , signifiait probablement que son armée avait été (1) Apud eos litteraria , non compositions syllabarum , scd dcscrip- tàrum imaginian signifwatu. Vers le commencement du liv. 3. de la Bibliothèque historique de Diodore. (2) Chap.-lS. du livre \L\. (3) Rapporté par S. Clément , au livre 5. des Stromatcs. (li) Au l\. livre d'Hérodote. (5) Mures terram dénotant. i[\. Sennachêiïb. i~]i abattue et mise par terre , par la puissance du Dieu qu'il avait méprisé, et que son exemple enseignait de craindre , comme l'inscription le criait à tous ceux qui voyaient ce monument. C'est ce que la tradition populaire avait corrompu dans la succession des temps , en y mê- lant par l'ignorance , ou par l'oubli du hiéroglyphe , une multitude de rats pour ronger et rendre inutiles les ar- mes de l'armée de Sennachérib. Dans le fond l'effet serait le même , mais une pareille explication change le sens véritable du monument , conforme à l'original de l'Histoire. Les rats signifiaient donc , ou être cachés dessous , ou être étendus sur la terre. ®«®«®®®®®®@®®®®®®®®®®®®®®®®®ê®®®®®®® XXV. LES CHANGEMENS DU COURS DU SOLEIL. J_jES Egyptiens avaient aussi conservé dans leurs anti- ques traditions la mémoire et les vestiges de deux grands prodiges arrivés l'un en faveur du Roi Ezéchias (i) , et l'autre en faveur de Josuô Chef des Israélites. Ce Roi étant si malade qu'on désespérait de sa vie , îsaïe, pour l'assurer de sa guérison miraculeuse, qu'il lui promettait de la part de Dieu , obtint que ce Roi , ( comme il l'avait souhaité , ) verrait le Soleil rétrograder de dix degrés , contre son cours ordinaire , et que son ombre retourne- rait en arrière d'autant de lignes sur les cadrans. Ezé- chias fut en même temps guéri ; il alla au Temple en rendre grâces à Dieu , et vécut encore en paix quinze années après. Ce prodige put être remarqué partout ; on aperçut le Soleil revenir et prendre son cours du couchant , comme s'il s'y était levé, et rebrousser vers le levant, comme s'il devait s'y coucher. (2) Le Soleil remonta de dix de- grés , par lesquels il était déjà descendu. Le Roi de Sa- bylone tnvoya des Ambassadeurs (5) à Ezéchias, pour s'instruire particulièrement avec lui du prodigieux chan- gement qu'on avait vu dans le Ciel , et qui avait surpris toute la terre. Dieu avait fait un prodige de même espèce en faveur et sur l'ordre de Josué (4) , qui par sa seule parole arrêta le Soleil et la Lune pour avoir le temps d'achever la dé- fi) Chap. 20. du liv. A. des Rois. (2) Isaïe , chap. 38. v. 8. (3) Ut interro garent de porlcnlo quod déciderai super terrain. 2. Paralip. c. 32. v. 31. (4) Chap. 10. v. 12. de Josué. I72 CONFÉRENCE DE LA FABLE , elC. faite des Amorrhéens , contre lesquels il combattait à la tête du Peuple de Dieu ; ces astres , alors immobiles durant douze heures , firent durer ce jour autant que deux jours ordinaires ; si bien qu'il semblait que le So- leil , comme il fit depuis pour Ezéchias , eût de même reculé durant six heures , et fût revenu dans autant de temps au même point où il s'était arrêté ; sans que cela apportât clans ces deux occasions aucun changement aux choses de la terre , qui semble cependant dépendre si fort du cours des astres. La mémoire en est gravée dans les traditions ancien- nes des Egyptiens , qui confirment la foi de ces prodi- ges par l'attestation de témoins qu'on ne peut soupçon- ner de vouloir favoriser les Juifs et relever leur gloire. Hérodote ( liv. 2. ) rapporte que ces traditions des temps reculés , que les Egyptiens donnaient à leur na- tion , portaient qu'on y avait vu le Soleil changer qua- tre fois son cours ; c'est-à-dire , aller deux fois se cou- cher vers l'endroit où il se lève ordinairement, et se lever autant de fois du côté où il a accoutumé de se cou- cher , sans que ce renversement eût produit aucun chan- gement sur la terre , ni sur les eaux , sans qu'il eût causé des morts ni des maladies ; et il joint ce récit immédia- tement à celui du monument de Sennachérib , comme ils se suivent dans l'Histoire Sainte. Solin (1) Polybistor dit de même que les Egyptiens tiennent des anciennes traditions de leurs ancêtres , qu'ils ont vu autrefois coucher le Soleil où il se lève, et se lever où il se couche. On ne peut souhaiter des té- moignages plus authentiques , pour confirmer la vérité de ces prodiges et la foi de nos Saintes Ecritures. ®®®©®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®€> XXVI. LE HÉROS DE LA. CHARRUE. XL y a d'autres traits particuliers des prodiges que la toute-puissance de Dieu avait opérés en faveur de son Peuple, dont la tradition, conservée parmi les nations, a été insérée par leurs Auteurs dans leurs Histoires fabuleuses , et qui n'ont pu être pris que de ta source de nos Historiens sacrés , plus anciens que tous les profa- nes. Dans le Livre des Juges (2) , il est rapporté que Samgar , Chef du Peuple de Dieu , ( entre le Juge Ahod et la Prophétesse Débora (5) , ) tua dans un combat six cents Philistins avec un soc de charrue. (1) Chap. 35. de l'Egypte. (2) Chap. 3. v. tlcriiici- du liv. des Juges. (i) Vers l'un du monde 2700. a6. Le Héros de la Charrue. i^3 Sur ce prodige l'on a débité qu'à la célèbre bataille de Marathon , où douze mille Athéniens , sous Miltiade , défirent cinq cent mille Perses (1) , parut un homme inconnu vêtu en paysan , qui tua avec \\\\ soc de charrue un grand nombre de Perses , disparut d'abord après , et ne fut point vu depuis. On a facilement adopté, dans les actions extraordinaires , quelque merveille d'après celles que Dieu avait faites , dans les guerres qui étaient proprement ses guerres , en faveur de son Peuple. Pausanias ajoute que les Athéniens, curieux de sa- voir quel était celui auquel ils devaient un si important service, consultèrent l'Oracle , qui leur répondit seule- ment de l'honorer sous le nom de l'inconnu Héros de la charrue (2) ; de même le nom de Samgar , Hébreu , sur lequel ce Héros est copié , signifie en sa langue , l'étonnc- ment ou l'admiration d'un étranger inconnu. Après cette victoire , ( continue Pausanias , ) les Athé- niens élevèrent une pierre blanche, pour monument de cette merveille , dans l'endroit où cet inconnu avait dé- fait tant de Perses avec le soc de la charrue. C'est un usage pris de nos Livres saints. (5) Ainsi Jacob en avait élevé dans le lieu où il avait eu la vision céleste , et Josué (4) en avait fait élever de même pour monument du passage miraculeux du Jourdain par les Israélites. ®®®®®®®®®g®®®®®®®®©®®®®®®®®®®®®®®®®® XXVIL LAOMÉDON. LiA fameuse Troie a été choisie pour servir de théâtre à bien des fictions fondées dans des traditions altérées d'Histoires plus anciennes. Nous voyons dans Ho- mère (5) , dans Diodore de Sicile (6) , dans Ovide (7) , dans ceux qui ont recueilli les Fables , comme Noël le Comte , qu au temps où les Dieux prenaient plaisir de visiter la terre , ( qui est le temps des Patriarches , dont on a fait celui des Héros , ) Apollon et Neptune se louèrent, par l'ordre de Jupiter, au service de Laomé- don , Roi de Troie , père de Priam. Homère conte cette Fable dans la plainte qu'il fait faire par Neptune (8) à Apollon , de ce qu'il est entré dans (1) Pausanias , in Atticis. (2) 'E%iThâ iov "kpaet 9 Heroëm Aratorem. (3) Chap. 28. de la Genèse , v. 18. (Il) Chap. lx. de Josué , v. 8 , 9 et 10. (5) Livre 21. de l'Iliade. (G) Livre l\. de sa Bibliothèque historique. (7) Au livre 11. des Métamorphoses. (8) Iliade , liv. 21. 174 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. le parti des Troyens. « Avez-vous oublié , lui dit-il , ce » qu'ils nous firent souffrir , lorsque , par l'ordre de » Jupiter , nous étions au service de Laoniêdon ? Cet » injuste Roi nous accablait de travaux insupportables. » Je bâtis les murailles de sa Capitale , et vous vous sou- » venez bien que vous gardiez ses troupeaux sur le mont » Ida : quand le temps de payer le salaire de nos longs » services fut arrivé , il nous refusa le prix dont il était » convenu. Avez-vous encore oublié qu'il voulait même » nous lier , et nous vendre , pour être transportés en » des Pays étrangers ? Il nous avait fait mille sermens , » pour nous arrêter dans sa maison; et il nous en cbas- » sait tout nus , après tous nos longs , pénibles et utiles » services. » La Fable ajoute que ces Dieux ainsi trompés , envoyè- rent des fléaux sur la maison et surtout le Pays de Lao- mêdon ; que pour les apaiser il fut forcé d'exposer sur ua rocher sa fille Hésione, qu'Hercule délivra sous la promesse d'une récompense que ce Roi lui refusa de même. Ensuite de quoi ce Héros indigné prit et saccagea Troie , en enleva tous les trésors , et Hésione même , qu'il donna en mariage à Télamon. Le ridicule de ces contes est si sensible , qu'on n'a pu y concevoir aucune raison dans les Mythologistes ; car, quand on aurait voulu dire que Laomêdon avait fait bâtir les murailles de Troie des dons consacrés à Apol- lon et à Neptune, le louage et les travaux de ces Dieux, avec le pillage de Troie et l'enlèvement d'Hésione , ne pouvaient pas venir par-là dans l'imagination. Mais , quand on considère l'Histoire de Laban et de Jacob (1) , on reconnaît qu'elle peut avoir donné l'idée do la Fable de Laomêdon. Le temps auquel les Poètes font descendre les Dieux sur la terre (a) , pour visiter les hommes et converser avec eux , est à peu près celui des Patriarches, Abraham, Isaac, Jacob, et Joseph, soit parGe que les Peuples parmi lesquels ces grands hommes avaient vécu, particulièrement les Egyptiens, les révérèrent comme des Divinités , soit à cause des vi- sites que les Anges envoyés de Dieu rendaient à ces saints Personnages. Jacob, par l'ordre de Dieu, alla delà Palestine dans la Mésopotamie ; il fut favorisé dans son voyage d'une vision céleste (5) et d'une conversation avec Dieu , qui fut tou- jours avec lui et le fit escorter par une compagnie (1) Rapporté dans les chap. 28 , 29 , 30 et 31 de la Genèse. (2) Présentes namque antè domos inviscre castas Scepius , et sesu mortaii ostendere cœtu Cœlicokc, iwndum spretâ pictate , solebunt. Calullus, carmin. 05. (3) Chao. 28. de la Genèse . vers. 12 et suivaus. i*]- Laomédon. i^5 d'Anges (1) ; il lulla contre un Ange, et mérita le nom d'Israël , qui veut dire , fort contre Dieu (2); il donna à divers lieux où il avait passé , en mémoire de ce qu'il y avait vu , à l'un , le nom de Bëthel , Maison de Dieu (5) ; à l'autre, celui de Camp de Dieu (4) ; et à un troisième, celui de Face de Dieu. (5) 11 y en avait là de reste , pour mettre Jacob au rang des Divinités d'Apollon et de Nep- tune, et nous allons voir dans le détail de l'Histoire les traits que la Fable à conservés. Jacob , arrivé au voisinage de Haran capitale de la Mésopotamie, rencontra près d'un puits Rachel fille de Laban ; il leva pour elle la pierre qui fermait le puits et qu'elle ne pouvait lever, et la suivit chez son père. La- ban la lui promit en mariage, après qu'il l'aurait servi sept années. Jacob , au bout de ce terme , demanda , suivant leurs conventions , Rachel à Laban qui feignit de la lui accorder ; mais il mit la nuit dans le lit de Ja- cob Lia au lieu de Rachel, et en donna de mauvaises excuses à Jacob qui se plaignait de cette tromperie. La- ban lui promit par de nouveaux sermons , de lui donner Rachel , à condition de le servir encore autres sept an- nées. Jacob, pour avoir Rachel, fut obligé d'y consen- tir , et continua son service. Après quatorze années ex- pirées , il demanda à Laban son congé , avec la récom- pense de ses longs services , par lesquels Laban recon- naissait que sa maison avait été bénie de Dieu. Mais , par une conduite pleine d'injustice et de perfidie, il ne put se résoudre à faire aucune part à Jacob des grands biens qu'il devait à ses soins et à ses travaux; il voulait le renvoyer , sans aucune récompense , nu et dépourvu de tous moyens. 11 fallut faire de nouvelles conventions. Elles furent, que Jacob servirait encore à garder les troupeaux de Laban ; que tous les agneaux qui naîtraient d'une cou- leur appartiendraient à Laban , et que ceux qui naîtraient de diverses couleurs seraient le salaire de Jacob. Laban employa de nouveaux artifices pour frustrer Jacob de ce qu'il lui promettait , et qu'il violait toujours par le renversement des traités qu'ils avaient faits : il les changea et rechangea jusqu'à dix fois toujours à sa pro- pre perte et à sa confusion. (6) Quoi qu'il put faire , le (1) Chap. 32. de la Genèse , vers. 1 et 2, (2) Au même chap. v. 3û et suivaus. (3) Genèse , ch. 28. v. 19. [h) Malianahim , Camp de Dieu , chap, 32. v. 2. (5) PkanucL , Face de Dieu, même ch. v. 30. (6) Genèse , ch. 31. v. 7 et 41. 1 *]6 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. plus grand nombre des brebis naissaient de la coulent la plus bizarre , que Laban était convenu délaisser à Jacob. Ainsi Jacob acquit des troupeaux sans nombre , avec des esclaves et toute sorte de bêtes de service. Laban el ses enfans en conçurent une mortelle envie contre lui; il comprit, par leurs entretiens, qu'ils étaient résolus d« lui ôter tout ce qui lui appartenait si justement, et qu'il n'y avait plus auprès d'eux de sûreté pour lui. Il prépara donc son départ , qui fut même pressé par un Ange ; et ayant pris le temps de l'absence de Laban , il se mit en cbemin , avec ses femmes , sa famille , et tout ce qu'il avait gagné par ses longs travaux. Laban, averti de cette retraite -, le poursuivit pour le dépouiller. Il le joignit. Mais Dieu s'étant toujours dé- claré pour Jacob (1) , il se contenta de lui faire des plaintes. Jacob lui en fit de mieux fondées , sur les torts qu'il en avait soufferts , et lui remontra les justes droits qu'il avait sur tout ce qu'il emmenait avec lui. Laban fut enfin obligé de le laisser aller avec Racîiel , tous les troupeaux , et toute la suite , que Jacob condui- sit dans son Pays. Avant de se quitter, ils firent et jurè- rent une alliance , en mémoire de laquelle ils dressè- rent un monument d'un grand monceau de pierres, eî appelèrent le lieu , Galaad (2) , qui veut dire , le moncecw, du témoignage. Laban se retira , confus et puni de sei injustices. Confrontons de près cette Histoire avec la Fable. L« caractère de Laomédon est le même que celui de La- ban , dans toute leur conduite ; son nom même a du rap- port avec celui de Laban , qui , en Hébreu , signifie une brique , et Laomédon , en Grec , veut dire une pierre. Les Grecs avaient aussi donné à la fille de Laomédon le nom ù'Hésione , du même sens que celui de Rachel } chacun, en sa langue , veut dire une brebis. Jacob était visiblement assisté de Dieu ; il en avait des communications si fréquentes , il recevait des escortes et des visites des Anges et de Dieu même si familière' ment , qu'il n'est pas surprenant qu'il fût mis au nombre des divinités que les nations adoraient , comme son père , son aïeul , et son fils en ont été honorés en cett« qualité ; Jacob appelé Israël , c'est-à-dire , fort contre Dieu , après sa lutte contre l'Ange , est l'original sur Ie^ quel on a copié Hercule. De ce que Jacob leva pour Ra- chel la grosse pierre du puits , la Fable a imaginé qu'Hô^ sione était attachée à un rocher , et qu'Hercule la déli< livra. Sur ce même original , a été prise la Fable d'An, (1) Genèse , ch. 31. v. '. (2) lbid. v. kl et suiv. i G. Laomèdon. 177 dromède attachée à un rocher pour être exposée à un monstre et délivrée par Perséc (1) ; avec d'autant plus d'apparence , que c'est à Joppé , ou Jaffa , ville de la Pa- lestine (•-;) , que la Fable a placé cette exposition. d'An- dromède. Jacob venait de Gérar , Capitale de la Palestine , dont le nom veut dire , Pèlerinage ; de même on fait voyager les Dieux Neptune et Apollon , en Pèlerins , sur la terre. 11 se loua avec Laban , pour le servir ; il garda ses troupeaux ; il établit et enrichit sa maison par de longs travaux à son service , et fut frustré de la récompense qui lui avait été promise. C'est ce que la Fable a imité dans les longs travaux de ses Dieux au service de Lao- mèdon ; l'un , dans la garde de ses troupeaux ; l'autre , occupé à bâtir et à fortifier la Capitale , et frustrés ensuite du salaire convenu. 11 fallut enfin que Laban se vît enlever sa fille Rachel , après l'avoir promise et avoir violé sa parole et ses ser- mens : c'est la même suite dans la Fable ; Hésione pro- mise , refusée , et enlevée. Les troupeaux , qui naissaient toujours de la couleur que Laban avait choisie pour Jacob , sont les fléaux et les pertes dont les Dieux châtiaient Laomèdon. Jacob emporta ce qui lui avait été promis , et qu'il avait gagné, malgré l'injustice , la perfidie et tous les efforts de Laban pour l'en dépouiller. Laban perdit Rachel , que Jacob avait épousée , et ses troupeaux. C'est ainsi que dans la copie , Laomèdon vit piller sa maison et sa ville par Her- cule , emporter ses trésors , et enlever sa fille Hésione, qui suivit Télamon , auquel elle fut mariée. Neptune, Apollon et Hercule se firent faire justice de tant de frau- des et de perfidies , comme Jacob l'avait fait. Neptune , dans l'endroit de l'Iliade que nous avons cité , ajoute , parlant à Apollon des mauvais traitemens qu'ils avaient reçus de Laomèdon : « Avez-vous encore » oublié , qu'il voulait nous lier , et nous vendre en des « îles éloignées ? » C'est le mélange d'un trait tiré de l'Histoire des enfans de Jacob , qui , après avoir attaché leur frère Joseph , le vendirent à des marchands étran- gers , pour le faire transporter en des Pays éloignés. Les originaux ne sont pas méconnaissables dans ces copies. ' (1) Ovide , au h. Hv. des Mt'-tamorphoses. (2) Pline , liv. 5. ch. 13 et 31. 178 CONFÉRENCE DE LA. FAELE , etc. Cf)f)f)€)f)©©f5€)®®©€)i)®®f)©©f>®®f5€)e€©€)C©e©€-©€) XXVII. PAUIS , FILS DE PRIAM: SON JUGEMENT, ET LA RUINE DE TROïE. Jamais aventures historiques ou fabuleuses ne furent plus célèbres que l'ont été celles du long siège de Troie par les Grecs , la destruction de cette superbe Ville , et la ruine entière du puissant Royaume et de toute la famille du Roi Priam , avec la dispersion des Troyens qui en échappèrent ; on en a fait le sujet des plus grands Poè- mes , et on a orné plusieurs autres des parties qu'on en a prises. Mais on a si fort défiguré ce sujet par les fictions et les ornemens poétiques dont on l'a chargé , que ce qu'on y a laissé d'historique a été couvert et comme enseveli sous la quantité des épisodes fabuleux , qui sont devenus le fond le plus considérable de ces ouvrages. Tels sont le Jugement de Paris entre les trois Déesses , le Palladium fatal auquel les destinées de Troie étaient attachées , la fameuse machine de bois qui se fit ouvrir les murs de cette ville et qui y introduisit les Grecs, et quelques autres que les Poètes ont chantés. Nous les trouvons dans Homère (1) , dans Virgile (2) , dans Ovide (5) , et chez d'autres Poètes et Mythologistes : Lucien en a fait un de ses Dialogues ; Apulée en a donné une représentation. Coluthus en a orné son Poème de l'Enlèvement d'Hélène. (4) Louis Godefroy en a composé un Poème tiré des Auteurs précédehs. On ne trouve rien de ces épisodes dans les Histoires; et même ce qu'on y a inséré des suites de la destruction de Troie , et des établissemens des Troyens en divers lieux , passe, pour des traditions incertaines par les- quelles les Historiens ont voulu flatter la vanité et suivre les opinions des Peuples , qui se faisaient des origines fabuleuses pour y mêler quelque chose de divin. Nous n'avons pas l'Histoire du siège de Troie par Dictys de Crète , qui , dit-on , en avait été le témoin ; celle qui porte son nom est condamnée unanimement comme sup- posée ; le Jugement de Paris n'y est pas même inséré ; il en est fait mention dans ce que nous avons sous le nom de Darès Phrygien , qui avait écrit l'Histoire de ce (1) Livre dernier de l'Iliade. (2) Livre 1. de l'Enéide. (3) Dans ses Héroïdcs. (!i) Au /iv, 10. de ses Métamorphoses. a 7. Paris , fils de Pria m , e/c. 17g siège. Elicn (1) , qui vivait sous l'Empereur Adrien, dit que cet ouvrage existait encore de son temps. Celui qu'où voit aujourd'hui sous ce nom , de la traductiou de Cornélius Nepos , passe pour supposé. On y conte le Jugement de Paris comme un songe employé par ce Prince pour obtenir de son père le commandement "d'une armée navale contre les Grecs. Homère le conte , en passant , pour rendre raison de la haine de Junon et de Minerve contre Paris et contre toute sa maison ; et Virgile en marque les sentimens gravés dans le cœur de Junon , comme la source de tous les malheurs des Troyens. (2). Priam (3) s'était rendu un des plus puissans Rois de l'Asie ; il avait plusieurs enfans légitimes , et d'autres en plus grand nombre de ses concubines; il avait orné et fortifié sa Capitale , où il avait bâti un Palais et des Tem- ples somptueux, avec un autel sur lequel il consacra une Statue au Souverain des Dieux, et il avait placé dans la forteresse, l'effigie fatale de Pallas venue du Ciel. Les Grecs l'appelèrent Priam , c'est-à-dire , racheté , pour s'être racheté des mains de ses ennemis. Paris , ou Alexandre, (car il avait ces deux noms,) qui était un de ses fils , fut élevé parmi des bergers , et fut berger ;4) lui-même. Dans cette profession il avait éprouvé son courage à la chasse contre les bêtes féro- ces, ïl s'y était aussi acquis une si grande réputation de sagesse et de justice , qu'il fut choisi par Jupiter , pour arbitre du mérite et du prix de la heauté, entre la Déesse de la puissance , la Déesse de la sagesse, et la Déesse de la volupté. Ces trois Divinités se présentèrent devant lui, sur le haut mont Ida , ( quelques-uns ont dit que ce fut en songe et dans le sommeil ; les Poètes content qu'il était éveillé. ) Elles lui étalent leurs attraits et leurs avan- tages , elles n'épargnent ni caresses ni promesses pour obtenir la préférence. Junon veut le gagner par la pro- messe d'un grand Empire , de richesses immenses et d'un grand pouvoir. Minerve l'assure qu'elle le remplira de sagesse , de connaissances , de prudence et de vertus. Vénus lui offre les plaisirs de l'amour, et la possession de la plus belle femme de l'univers. Paris (5) écoute et (1) Histoires diverses d'Elien , liv. 11. ch. 2. (2) . . . . Manet altâ mente repostum Judicium Paridis. JEneia. EIHygin, liv. 1. Fab.,92. (3) Darès Phrygien , au commencement de son Histoire. Cicéron au 1. liv. des Tusculanes , n. 85. Apollodore,liv. 3. de sa Bibliothèque. (£l) Ab Joue demissum Palladium, et in Ilio expositum. Apollodore , au liv. 3. de sa Bibliothèque. (5) Pastor ciim tralieret per fréta. Horace , Ode 15. du liv. 1. (6) Uœsitat ergo animo juvenis perptexus et anceps Quidfaciat , de qua judicium illeferat: l8o CONFÉRENCE DE LA. F AELE , etc. compare ces offres et ces avantages ; il hésite , il est retenu quelque temps par l'habitude de la sagesse, dans laquelle il avait vécu, et par l'ambition qu'il avait res- sentie jusqu'alors ; mais enfin entraîné par les caresses de Vénus et par les charmes de ses promesses, il lui donne le prix. Il préféra la volupté à la sagesse et à la puissance, et s'attira l'indignation des Divinités mé- prisées. Quand il fut reconnu fils de Priam , et dans la pros- périté , il enleva Hélène femme de Ménélas Roi de Sparte , qu'il emmena par l'Egypte à Troie. Dès lors il perdit la sagesse , la justice , et le courage ; il causa la destruc- lion entière de cette capitale , qui fut brûlée , de tout le Royaume et de toute sa maison , dont il ne resta que de misérables ruines et une triste mémoire. (1) Les enfans du Roi y furent massacrés sous les yeux de leur père. Les Troyens qui échappèrent aux fureurs de cette lon- gue guerre , et qui survécurent à la ruine de leur Pays , furent exilés (2) , captifs et dispersés chez leurs enne- mis , comme il leur avait été prédit par les devins. Les Dieux conservèrent néanmoins des restes de ce Peuple , en considération de leur piété , pour rétablir la Religion de leurs Ancêtres et fonder un Royaume encore plus florissant que celui de Priam. (5) L'esprit , la suite et l'assemblage de tons les traits de cette célèbre Fable , en font découvrir l'original dans la célèbre Histoire de Salomon , fils du Roi David ; il n'y a qu'à rapprocher ces traits et quelques autres endroits de l'Histoire Sainte ; nous dissiperons ensuite les scrupules de Chronologie qu'on pourrait y former. La Fable a mêlé plusieurs traits de Priam avec ceux de Paris , comme elle a pris de l'Histoire des traits de David et de ceux de Salomon. David avait eu de plusieurs femmes et concubines quantité d'enfans , dans lesquels il fut malheureux ; il tomba dans le crime pour l'enlèvement d'une femme qu'il ravit à son mari ; il en fut puni , il vit tout Israël (4) révolté contre lui , ou ravagé par une peste (5) prodi- gieuse. Il avait été Rerger dans sa jeunesse , ce qui a fait faire Paris aussi Berger dans la Fable , et il donna à tout Vincere erant omnes dignœ , judexque verebar Non omnes causam vincere posse suam. Ovide , clans l'Epître de Paris à Hélène. (1) Et campos ubi Troja fait. Au 3. liv. de l'Enéide. (2) Diversa exilia ci diversas qnœrere terras , Auguriis agimur Divûm. lbid. (3) Dictys de Crète , vers la fin du 3. liv. [Il] Livre 3. des Rois , ch. 20. v. 2. (5) Livre 1. des Rois , ch. 17. 27- Paris y fils de Pria m , etc. 181 son Peuple le nom de racheté (1) , après avoir été chassé lui-même deux fois de Jérusalem. Salomon, son successeur, et paisible possesseur de son Royaume, qui était alors entier et dans sa plus grande splendeur (2) , épousa une fille de Pharaon Roi d'Egypte, et l'emmena à Jérusalem. Il agrandit celte ville ; il bâtit des Palais magnifiques, et le superbe Temple pour y offrir des sacrifices à Dieu ; il y fit porter l'Arche et le Taberna- cle de l'Alliance, dontDieu même avait donné le modèle. Un jour, après qu'il eut sacrifié sur un autel de Gabaon, dont le nom signifie Lieu élevé , pour demander à Dieu ce qui lui était le plus nécessaire , Dieu se fit voir à lui dans un songe ; il lui représenta les avantages d'une longue vie abondante en richesses , et en toute sorte de commo- dités et de plaisirs ; ceux d'un grand pouvoir et d'une vie glorieuse , qui lui soumettrait tous ses ennemis ; et ceux de la sagesse , qui lui ferait gouverner son peuple avec jus- tice et suivant les ordres de Dieu ; ( c'est l'original d'où la Fable a pris ses trois Déesses ; ) il lui donna le choix de ces avantages. Salomon choisit le cœur docile aux lois de Dieu , avec la sagesse pour conduire son Royaume , et pour discerner entre le bien et le mal. Cette demande plut au Seigneur , qui lui donna l'intelligence et la Sa- gesse qu'il avait préférée , et de plus les richesses et la gloire au-dessus de tous les Rois. Salomon (3) fit éclater cette sagesse dans ses jugemens et dans toute sa con- duite. C'est sur quoi on a donné une pareille réputation à Paris avant qu'il se laissât séduire par Vénus. Après qu'il eut fini le Temple , son Palais et tous ses grands ouvrages , le Seigneur (4) lui apparut une se- conde fois , et lui promit que s'il n'abandonnait pas la sagesse , la justice , et l'observation de ses Lois , il éta- blirait son trône pour toujours dans sa postérité ; si au contraire il s'en détournait, Dieu exterminerait sa maison et son Peuple , il rejetterait le Temple , et ferait de son Palais un exemple terrible de sa justice , qui fe- rait crier à ceux qui passeraient devant le lieu où il était bâti : Comment le Seigneur a-t-il fait périr cette terre et cette maison ? Salomon demeura encore quelques années attaché à la sagesse ; ensuite il se laissa gagner par l'amour des femmes (5) ; il en fit venir d'étrangères , non-seulement la fille de Pharaon , mais plusieurs autres de diverses (1) Livre 2. des Rois , cli. 7. v. 23. (2) Livre 3. des Rois , cli. 3 et lx. (3) Au même chap. 3. des Rois. {>{) Livre 11. des Rois , cil. 0. (5) Chap. 11. du même liv. des Rois. Î02 CONFERENCE DE LA. FABLE, etc. nations, de Sidon , des autres Provinces de Chanaan , et d'ailleurs , auxquelles la Loi lui défendait de s'allier. ( C'est d'où a été pris l'enlèvement d'Hélène par Paris , après qu'il eut abandonné la sagesse. ) L'amour de ces femmes acheva de faire perdre la sagesse à Salomon , et le pervertit jusqu'à lui faire suivre des Dieux étran- gers , à adorer Vénus Déesse des Sidoniens (i) , et jus- qu'à lui bâtir des Temples. ( Voilà Vénus, que Paris dans la Fable préfère aux autres divinités. ) Ces crimes allumèrent la colère de Dieu contre Salo- mon; il lui fit annoncer (2) qu'il déchirerait son Royaume et le ferait passer en d'autres mains ; il lui suscita bien- tôt des ennemis , qui firent séparer dix tribus des douze qui le composaient. (3) Roboam son fils ne régna pas long-temps en paix sur les deux Tribus qui lui restaient. La cinquième année de son règne, Sésac , Roi d'Egypte, vint à Jérusalem. (4) îl y entra , emporta les trésors du Temple , ceux du Roi, et pilla toutes les richesses de cette Ville. Ses Succes- seurs (5), à peu d'intervalle près, furent presque tous malheureux. Le Peuple Juif fut dispersé , exilé et captif parmi les nations , comme il avait été prédit. ( La Fable copié ces prédictions et ramassé ces malheurs. ) Comme dans l'Histoire, Dieu irrité abandonna son Peuple , le rejeta avec le Temple et leurs Sacrifices; ainsi dans la Fable (6) , tous les Dieux qui avaient sou- tenu l'empire de Troie , s'en retirèrent et abandonnè- rent les Temples et les autels. (7) Les Divinités de la puissance et de la sagesse , et le Maître même des Dieux se déclarèrent contre ce Peuple et contre ses Princes. Dieu avait aussi prédit en même temps à son Peuple , qu'en considération de la piété de David , des Rois sorti- raient de la même race, qu'il en sortirait un nouveau Peuple et un nouveau Royaume , bien plus étendu et plus illustre que n'avait été celui de David et de Salomon ; que la gloire de la dernière Maison effacerait celle de la pre- (1) Venus Syria Astarte vocatur , quem Âdonidi nupsisse traditum est. Cicero , de naturâ Deorum , lib. 3. n. 59. (2) Par le Prophète Abias , liv. 3. des Rois , ch. 12. v. 29. (3) Chap. 11. du même liv. 3. (ù) Au même liv. 3. ch. 14. v. 25. (5) Livre U. des Rois , ch. 15 , 17 et 20. (6) Excessere omnes , adytis arisque relictis , DU quibus imper ium hoc steterat. Au 2. liv. de l'Enéide.) (7) Apparent dirœ jades , inimicaque Trojcc Numina magna Deûm. Jlic Juno , etc. Jam summas arces Tritonia , respice , Pallas Insedit , etc. lpse Pater Uanaïs animos vircsque secundas SuMcit. Ibid. 27. Paris , fils de Priam, etc. t83 mière (1) ; que ce nouveau Royaume serait éternel, et assujettirait tous les Rois de la terre. Pour imiter ces Prophéties, la Fable a fait prédire de même, que les destins avaient réservé des descendons de ces Princes Troyens en considération de leur piété , pour rétablir ailleurs le culte de leurs Dieux , et fonder un nouvel Empire , bien plus puissant que n'avait été celui de Priam. (2) Le grand Jupiter leur promettait un Empire sans bornes et sans fin ; et tous les Dieux des Troyens firent la même promesse au pieux Enée. L'esprit de la Fable est de représenter , comme a fait l'Histoire (3) , les avantages de la sagesse , et les mal- heurs que son mépris et la passion des voluptés attirent; c'est ce que les Poètes ont copié à leur manière , en sui- vant les traits du fond de l'Histoire. Ils ont même em- belli leur Fable de plusieurs autres traits tirés d'autres endroits de l'Histoire Sainte. La Chronologie de temps si reculés et si obscurs , ne peut être qu'incertaine , puisqu'on n'a point d'Historien qui ne soit postérieur de plusieurs siècles à ces aventures. Les Grecs et les Romains convenaient qu'ils n'avaient rien d'historique, rien que de fabuleux, avant la pre- mière Olympiade (4) qui ne commença que plus de 450 années après la ruine de Troie , de 240 après Salomon, et de 776 avant Jésus-Christ. Plutarque dit (5) qu'on ne trouve aucun monument certain des Grecs avant la Guerre de Troie. Pour le temps de Salomon , rien ne peut être plus cer- tain que ce qui en est rapporté au troisième Livre des Rois (cliap. 6) : que, depuis la sortie d'Egypte sous Moïse , jusqu'au temps que ce Roi commença à bâtir le Temple , il y avait 480 ans. Suivant la commune opinion , la prise de Troie est placée 180 ans avant le règne de Salomon ; mais ce règne a précédé Homère de trois siècles , suivant l'opinion de quelques Savans ; et toujours de plus d'un siècle suivant ceux qui en disent le moins. Ce que l'on a du supposé Dictys de Crète, ne fait aucune mention du Jugement de (1) Magna erit gloria domâs istius plus quàm primœ. An chap. 2 du Prophète Aggée. Cujus regnum scinpitcrnum est, et omnes lièges servient ci , et obedient. Ch;ip. 7. de Daniel. (2) Jlis ego nec metas rerum , nec tempora pono : Jmperium sine fine decli. An 1. liv. de l'Enéide. (3) Nos te, Dardanià incensd , iuaque arma sceuti... Iidem venturos lollcmns in asirà nepotes , Imper itrmque urbi dabimus. Au 3. liv. dePEiwîïdc. [ti] Vsque ad Olympiades niltil exploration in historiâ Grœcorum invenitur, sedomnia confusis conscripla tcmpqribits. Africanus. 3. An- nal, in Eusebio , lib. 10. cap. 3. ( Vairon , de même. ) (5) Au commencement de la vie de Thésée. l84 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. Paris ; et l'on ne sait en quel temps était Darès Phrygien, ni dans quel temps a été supposé ce qui paraît sous son nom , où ce Jugement est rapporté comme un songe. Il y a autant d'incertitude à fixer le temps d'Homère. Pau- sauias (1) y a trouvé tant de variété dans les Auteurs, qu'il n'a su qu'en juger. Il nous suffit que l'on convient que Salomon était au moins plus d'un siècle avant Ho- mère , qui a écrit plus de deux siècles après la prise de Troie , et qui est le plus ancien Ecrivain de ce fameux siège. L'Arche d'Alliance qui était une espèce de coffre fait d'un bois incorruptible par l'ordre et suivant le modèle que Dieu même en avait donné , et dont les prodiges étaient célèbres , a fourni plusieurs idées à la Fable. Les Israélites la gardaient religieusement comme un gage précieux de la protection de Dieu ; mais après qu'ils eu- rent été battus par les Philistins (2) , un mauvais conseil leur suggéra de la tirer du lieu où elle était gardée , pour la porter dans leur camp. Ils furent défaits pour avoir exposé l'Arche ; elle fut prise , et l'on compta dès lors, qu'Israël , en la perdant , avait perdu toute sa force et toute sa gloire. De là s'est formé le fameux Palladium, (effigie de Mi- nerve , ) envoyé du Ciel (5) , placé au haut du Temple qu'on avait bâti dans Troie à cette Déesse. Les Oracles avaient prédit que cette Ville serait imprenable tant qu'elle conserverait ce gage de la protection de la Déesse (4) , et que les Troyens seraient perdus dès qu'ils le laisseraient emporter hors de leurs murailles. Les Grecs instruits de ces Oracles (5) détachèrent deux de leurs Chefs , qui, avec le secours de quelques Troyens , gagnèrent les gardes de cette effigie et se la firent livrer. Aussitôt les Devins (6) publièrent que la ruine de Troie était inévitable. L'Arche , dont la prise avait si fort réjoui les Philis- tins , devint , quand elle fut parmi eux , le sujet de leurs afflictions. (7) Sa présence renversa leurs idoles ; les habitans de la Ville d'Azot où elle fut portée furent frap- pés de plaies et de douleurs horribles dans les parties secrètes du corps. La Ville et le voisinage étaient rava- (1) Dans ses Béotiques. (2) Livre 1. des Rois , c. û. (3) Dictys de Crète , liv. 11. de son Histoire. [U) Apollodore , dans sa Bibliothèque , et Noël le Comte , dans sa Mythologie , liv. Ix. c. G. (5) Au même liv. 5. de Distys de Crète , ch. 22. et au ch. Zh. de Conon , rapporté dans le Code 186. de Photius. (0) Nempe capi Trojam, prohibebant fat a sine Mo. Au 13 liv. des Métamorphoses d'Ovide. H) Liv. 1. des Rois , ch. 5. 27- Paris , fils de Priam , etc. 1 85 gés par la mort , tous les lieux où on la promena en fu- rent également frappés. Enfin les Philistins se virent forcés de renvoyer l'Arche chez les Israélites ; et par l'avis de leurs Prêtres et des Devins ils firent faire des figures d'or des parties dans lesquelles ils avaient été frappés , pour les offrir à Dieu et lui demander grâce en renvoyant l'Arche et ces figures avec tout l'honneur qu'ils purent imaginer. (2) Ils la firent porter jusques chez les Bethsamites, qui la reçurent avec les plus vives démonstrations de joie. Les fléaux des Philistins cessè- rent ; mais les Bethsamites ayant voulu considérer l'Ar- che de trop près , le Seigneur en fit mourir cinquante mille. Voyons les copies dans la Fable. Pausanias , dans ses Achaïques, conte que les Grecs trouvèrent dans Troie une Arche où l'effigie d'un Dieu était enfermée ; que cette effigie avait été donnée à Dar- danus par Jupiter même, et qu'Eurypyle , petit -fils d'Hercule , un des Princes Grecs , ayant ouvert ce coffre , par la curiosité de voir l'effigie , en avait d'abord perdu l'esprit ; sur quoi l'Oracle de Delphes consulté avait répondu , que là où il trouverait des hom- mes qui sacrifieraient avec des cérémonies et un culte différens de ceux des autres Nations, (il ne pouvait enten- dre par-là que les Juifs , ) il déposât cette Arche et la dédiât à la Divinité qui y serait représentée. Ce qu'Eurypyle ayant fait } il fut remis dans son bon sens. On a aussi attri- bué les infortunes des principaux Chefs des Grecs , per- sécutés des Dieux après la ruine de Troie , à l'enlève- ment du Palladium fatal ; qu'on fait rendre à Enée par Diomède , poussé sur les côtes d'Italie, et garder ensuite religieusement à Rome par les Vestales. (3) Les Fables ont ajouté,comme le remarque Bochard (4) , que Bacchus irrité contre les Athéniens qui ne l'avaient pas reçu avec assez de pompe , lorsqu'il leur fut porté de la Béotie, les avait frappés de maladies et de dou- leurs violentes dans les parties secrètes de leurs corps , et que tous ceux qui en étaient attaqués périssaient , jus- ques à ce que , par ordre d'un Oracle , ils offrirent à ce Dieu des réprésentations des mêmes parties dans les- quelles ils avaient été frappés. Peut-on méconnaître dans ces copies l'original des maux envoyés aux habi- tans d'Azot et aux Bethsamites , et des remèdes que Dieu leur fit enseigner ? La Fable semble aussi avoir emprunté des effets prodi- (1) Chap. 0. du môme liv. des Rois: (2) lu Achaîcis. i'3) Dcuvs d'Halicarnassc , en son premier liv. (6) In Chanaau , lib. 1. cli. 18. et Noël le Comte , liv. 5. de sa Mytho- logie., en. 13. de iiacdiw^ l86 CONFÉRENCE DE LA. FABLE, etc. gieux de l'Arche , l'idée du fameux Cheval qui fit prendre Troie ; ce n'était qu'un grand coffre de bois, que Paléphate, très-ancien et docte Grammairien Egyptien ou Grec , met au nombre des narrations fabuleuses qui ne méritent aucune foi. A la seule approche de l'Arche , les murailles de Jéricho tombèrent d'elles - mêmes , comme si les habitans eussent travaillé de leur côté à les renverser (i) ; les Israélites entrèrent dans la "Ville sans résistance ; ils firent un carnage horrible des habi- tans ; ils réduisirent la Ville en cendres; la seule îlahab , avec ses parens réfugiés chez elle , fut exempte de la ruine générale , comme on le lui avait promis , pour avoir favorisé les Israélites. Sur cela la Fable a imaginé ce Cheval suggéré par la Déesse de la Sagesse (2) , comme l'Arche avait été or- donnée par la Sagesse Divine. Il avait aussi été pré- dit (3) aux Grecs , que le dernier coup fatal à la Ville de Troie, d'où suivrait sa prise et sa destruction, devait venir d'un Cheval de bois qui en renverserait les murs. Les habitans qui voyaient sans frayeur approcher cette machine , parurent aider eux-mêmes à détruire les murs de leur Ville (4) pour l'y recevoir ; les Grecs entrés sans obstacle, la mirent à feu à sang : les maisons , les tem- ples et tous les édifices ne furent qu'un bûcher pitoya- ble. Enée et Anténor seuls furent sauvés dans leurs maisons avec ceux des leurs qui s'y étaient réfugiés , parce qu'ils avaient été d'intelligence avec les Grecs. Le rapport de cette copie à l'original est sensible. Jetons les yeux sur la punition d'Oza , frappé d'une mort subite pour avoir eu la témérité de porter la main sur l'Arche lorsqu'elle parut chanceler , dans le temps que David (5) avec tout le peuple jouait des instrumens et chantait en l'honneur de Dieu, devant elle. Considérons ce châtiment , duquel David et tout Israël furent effrayés ; nous y reconnaîrons sans difficulté l'original de la mort de Laocoon , qui , suivant la Fa- ble (6) , courut sur la machine fatale et lui donna un (1) Josué, chap. 6 ; Histoire des Juifs , par Josèphe , liv. 5. ch. 1. (2) Instar montis equum divind Palladis arte JEdificant. Enéide , liv. 2. (3) Suivant l'histoire du prétendu Dictys de Crète, liv. 5. ch. 23. et au ch. 1h de Conon , Code 186. de la Bibliothèque de PhoMus. (Zl) Dividimus muros , et mœnia pundimus urbis. Enéide , liv. 2. (5) 2. Livre des Rois , ch. 6. v. 6 et 7. (6) . . . . Validis ingcntem viribus liastam In tutus , inque feri curvam compagibus alvum Contorsit ; stetit illq tremens , etc. .... Circum pueri innuptœque puellœ Sucra canunt , etc. Tarn verô trcmefacta novus per pectora cunctis Insinuât puvor ; et scelus cxpendisse meventem Laocoonla ferunt. Euélde , liv. 2. 27- Paris , Jiis de Priam, etc. 187 coup qui la fit chanceler , pendant que tout le Peuple Troyen chantait des hymnes à la louange des Dieux ; ce qui fut dans l'instant suivi de sa mort par un châtiment qui épouvanta tous les Troyens. La Fable tournant cette aventure à son système, semble avoir voulu conserver dans le nom de Laocoon (1) , qui veut dire une voix forte, le sens d'Oca , qui , en Hébreu , signifie force. ■ Dans une autre endroit de l'Histoire Sainte (2) , comme le Prophète Balaam allait avec les députés des Madiani- tes pour maudire l'armée des Israélites , l'ànesse qui le portait ayant aperçu un Ange qui venait à son maître, se tourna , sans que tous les coups que celui-ci lui don- nait pussent la faire avancer, et elle se laissa tomber sous lui. Dieu ouvrit la bouche à cette finesse, et lui fit dire avec des paroles bien articulées : Pourquoi me frap- pez-vous si fort ? vous avais-je jamais manqué jusqu'ici, ou rien fait de semblable ? pouvez-vous fuir l'exécution des ordres de Dieu ? Balaam cependant poursuit son chemin , mais il ne put aller contre ces ordres ; les Ma- dianiles furent défaits par les Israélites , passés au fil de l'épée , et Balaam périt avec eux- (3) C'est d'où Homère peut avoir pris l'idée et la har- diesse (qu'on lui a reprochées et qui paraissent contre l'esprit de ses fictions ) , de faire parler un des chevaux d'Achille. (4) Il allait au combat, plein d'ardeur sur son chariot, il pressait ses chevaux d'une voix menaçante, lorsqu'un d'eux lui parla distinctement , dans le même sens de l'ànesse de Balaam , pour se plaindre et s'ex- cuser , en lui représentant qu'il n'avait rien à leur re- procher , mais qu'avec tout leur zèle pour le servir, il n'était pas possible de résister à la volonté des Dieux. Achille continua sa course au combat, et peu de temps après il y fut tué. Les noms que les Poètes ont donné aux fleuves de- Troie sont de leur invention. Celui de Simoïs a été formé sur le sens du nom du Jourdain , qui dans la Langue Phénicienne signifie Fleuve du Jugement. Simoo , en Grec , veut dire reprendre , corriger ; ils ont dit le Fleuve de correction , pour suivre dans sa signification le nom du fleuve de Jérusalem. Le Scamandre , autre ileuve Poétique de Troie , veut dire un canal , une fosse, où tant d'hommes furent ense- velis ; du Grec scamma , qui veut dire canal, et andros, (1) Lako, en Crée , je fais retentir ma voix. (2) Chap. 22. des Nombres ; et liv. tt. ch. 2. de l'Histoire des Juifs de Josèphe. (3) Ch. 23 , 24 et 31. des Nombres. (4) Livre 19. de l'Iliade, sur la fin. I 88 CONFERENCE DE LA. FABLE, etC. homme; on croit que c'est le même qu'ils ont appelé Xantlius , du Grec Xantlws , rouge , comme qui dirait , rougi de sang. Le nom (CHermione donné à la fille de Ménélas et d'Hé- lène , est le nom Phénicien de la femme de Cadmus , du mont Hermon dans le Pays de Chanaan , d'où Cadmus se sauvant dans la Grèce y porta les Religions et les connaissances des Phéniciens , comme Orphée y avait porté celle des Egyptiens, (i) Le nom de Priam , Grec , veut dire racheté; c'est aussi le nom que David avait donné à son Peuple. David, en Hébreu, veut dire aimé , et Alexandre , qui était l'autre nom de Paris , veut dire charitable et secourable. Scdomon , c'est-à-dire, qui aime la paix , et Parisos , Grec, qui aime l'égalité et l'union. C'est aussi le caractère que lui donnent les Poètes qui l'ont chanté : Goûtez (1) , lui disent-ils , les plaisirs de la paix ; laissez les périls de la guerre à ceux qui cherchent de la réputation par une mort sanglante ; on lui fait tenir à lui-même un pareil langage. (2) Le nom de Miclwl , femme de David , veut dire la seule parfaitement belle ; c'est aussi par où a été défigurée et caractérisée Hélène , femme de Paris , connue pour la plus belle de toutes les femmes. David n'eut point d' en- fans de Michol (3) ; la Fable dit que Paris n'en eut point d'Hélène. Le père de David était Isaï, qui , en Hébreu, veut dire être (4) ou existant ,• on a donné au père d'Achille un nom du même sens ; c'est Pelée, formé de Pelo ou Pelo- maï , qui veut dire je suis, et à l'infinitif, être. Le nom de Philistins , sur lesquels David conquit Jéru- salem , veut dire , en leur langue , foulé aux pieds , dis- persé, ruiné. Le nom de Troyen veut dire blessé , abattu du verbe Grec Troo, blesser. (1) Bella gérant alli. Ovide. Otia tutus agas , onerosa relinquc pericla. Poème du Jugement de Paris, par Godefroy. (2) Non sunt mihi bellica cuvce munera , etc. Ibid. (3) Livre 2. des P.ois , ch. 6. v. dernier. [h) Ens vel existens. CONFÉRENCE DE LA. FAELE , etc. 1 89 €€C€€€C€€i:€f€€€f)f;C€€€C€f;€C€€;€€€€€C«f) XXVIII. DES SACRIFICES. Uieu n'avait pas besoin de Sacrifices. Il ne les a vou- lus , que pour donner aux hommes ce moyen de recon- naître sa souveraineté sur toutes ses créatures , par cette marque de leur soumission et par l'aveu de leur néant devant lui : il ne pouvait donc les agréer qu'autant qu'ils étaient accompagnés de la fidélité et de la bonne volonté de ceux qui les lui offraient. C'était, ceux-là dont il dé- clare que l'odeur lui était agréable ; mais lorsqu'ils lui étaient offerts par des esprits révoltés contre lui , ou par des cœurs corrompus, il les rejetait, et il proteste par ses Prophètes, qu'iis lui étaient en abomination. (1) C'est de là qu'un des sages Législateurs Païens (2) , Zaleucus deLocres, disciple de Pythagore, qui avait si long-temps étudié sous les Prêtres Egyptiens les connaissances que ceux-ci tenaient des Hébreux, avait pris ce qu'il inséra dans ses lois : «Que ce n'était pas par des sacrifices somp- » tueux, mais par la justice et par la probité, qu'on » pouvait se rendre les Dieux favorables. » C'est particulièrement par les Sacrifices , que le Démon a voulu , pour ainsi dire , contrefaire Dieu et s'attirer le culte qui n'est dû qu'à la Divinité , en se faisant rendre par les hommes cette reconnaissance de leur soumission et de leur dépendance. Si les hommes n'eussent pre- mièrement sacrifié au vrai Dieu Créateur, par son ins- piration et par son ordre ; ni les hommes ne se seraient jamais avisés de cette espèce de culte pour leurs fausses Divinités , ni les Démons n'auraient pu avoir le désir ni la pensée de porter les hommes à leur offrir des Sacrifi- ces. Ils ne pouvaient les ambitionner , comme l'a remar- qué saint Augustin dans son merveilleux ouvrage de la Cité de Dieu (3) , que parce que ce culte reconnaissait la souveraineté du Maître auquel on le rendait. Aussi les Démons n'étaient pas délicats sur les dispositions de ceux qui leur sacrifiaient ; au contraire , ils témoignaient agréer et désirer de préférence les Sacrifices des hommes les plus dépravés et les plus scélérats. Ils en inspiraient , ou en ordonnaient , pour les desseins les plus mau- (1) Quô milii multitudinem victimarum ? Nolui , etc. Inccnsum abo- minatio est mihi. Isaïe , ch. 1. Victhnœ impiorum abominabiles Domino. Prov. 15. v. 8. (2) Rapporlé au livre 12. de la Bibliothèque de Diodore de Sicile. (3) Non ob aliud fallaccs Dœmones superbe sibi sacrificia exigunt , nisi quia vero Deo ileberi sciunt ; non enim cadaverinis nidoribus sed divinis honoribus gaudent. De Civilate Dei , lib. 10. c, 1° IQO CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. vais et les plus impies. Ils voulaient enfin , de ceux qu'ils tenaient dans leur esclavage , des Sacrifices , non- seulement contre la piété , mais encore contre l'huma- nité, en se faisant immoler même des hommes. Ce sont les suites de la corruption de la vérité et de la Religion. L'Histoire Sainte nous fait connaître l'origine des Sa- crifices ; elle est presque aussi ancienne que celle de l'univers , et remonte aux premiers hommes qui ne pou- vaient s'être égarés du véritable culte , ni méconnaître Dieu qui leur faisait la grâce de leur parler encore fami- lièrement. Caïn fils d'Adam , qui s'adonna à la culture de la terre , offrait au Seigneur les prémices des fruits qu'il recueillait. Abel son frère, qui s'était fait pasteur de brebis , lui sacrifiait des premiers nés et des plus gras de ses troupeaux. Le Seigneur qui discernait les disposi- tions intérieures de ces deux frères , témoigna qu'il agréait les Sacrifices d'Abel , en les consumant par le feu qu'il envoyait du Ciel comme pour en faire monter l'odeur vers lui ; et qu'il n'était pas satisfait de ceux de Caïn , sur lesquels il ne faisait pas descendre ce feu du Ciel. C'est le sentiment commun des Commentateurs de l'Ecriture et des Pères de l'Eglise , fondé sur le témoigna- ge que Dieu donna depuis en plusieurs occasions d'éclat en faveur des Sacrifices quand il voulut faire connaître qu'il les agréait. C'est ce qu'on voit clans le Lévitique (1) , clans les Livres des Paralipomènes (2), et dans le troi- sième Livre des Rois. (5) Quand les eaux du déluge se furent retirées , Noé , au sortir de l'Arche , offrit en holocauste au Seigneur, sur un Autel qu'il lui éleva , des animaux et des oiseaux de chaque espèce, de ceux qui n'étaient pas réputés im- mondes. (Zi) Abraham , dans le temps duquel il n'y avait pas encore de Loi écrite , offrait aussi des Sacrifices d'animaux ; et après que Dieu content de sa soumission , l'eut arrêté sur le point d'immoler son fils , ( suivant l'ordre qu'il ne lui en avait donné que pour l'éprouver , ) il sacrifia en holocauste , au lieu de son fils , un bélier que Dieu fit trouver devant lui. (6) Job de même , avant la Loi écrite , après que ses en- fans avaient fait des festins entre eux, offrait pour eux des holocaustes à Dieu. (6) C'étaient des Sacrifices de bêtes qu'on faisait toutes consumer par le feu; c'est ce que signifie le mot Grec Holocauste. (1) Li'vi tique, chap. 9. v. 24. (2) 1. Liv. ch. 21. v. 26. et 2. liv. ch. 7. V. 1. (3) Liv. 5. des Rois , ch. 18. v. 38. [h) Au 8. ch. de la Genèse , v. 20 et 21. (5) Au 22. ch. de la Genèse , v. 13. (0) Chap. 1. de Job , v. 5. a8. Des Sacrifices. 19 c Il est très-vraisemblable que, dès le temps d'Abra- ham , les Sacrifices s'étaient aussi introduits avec l'Ido- lâtrie dans les \atious en l'honneur des faux Dieux qu'elles adoraient; et sans doute dès que le Démon eut pu faire abandonner à quelques hommes le culte cl la connaissance même de Dieu, pour se faire honorer au lieu de lui sous diverses figures , il ne tarda pas à usurper et à se faire déférer l'hommage des Sacrifices, parce que les hommes , portés par leur nature même à la Religion , ne pouvaient se passer d'un culte extérieur , sans le se- cours duquel le Démon n'aurait pu les retenir dans leurs égaremens. Or il ne pouvait mieux faire que par l'imi- tation du même culte que Dieu s'était fait rendre depuis le commencement du monde , et que la tradition ensei- gnait aux Nations avoir été rendu à celui qu'on avait reconnu pour l'Auteur et le Maître de toutes les créa- tures. Moïse, Législateur des Juifs , trouva donc l'usage des Sacrifices établi non-seulement chez les Hébreux des- cendans d'Abraham, habita ns de l'Egypte depuis trois siècles, mais aussi parmi les Egyptiens d'origine. Cela paraît en ce que les Hébreux mêmes , dès qu'ils furent dans le désert et que la retraite de Moïse sur la monta- gne put leur faire penser qu'ils ne le reverraient plus , immolèrent des victimes à la Statue du Veau qu'ils avaient fait fondre , comme ils l'avaient vu pratiquer dans l'Egypte. (1) Mais par les lois que Moïse donna à ce Peuple , telles qu'il les recevait de Dieu même (a) , il régla l'usage de ces Sacrifices, afin qu'il fût constant, et qu'on ne put ni y ajouter ni en retrancher. Il les commanda premièrement de la part de Dieu par cet ordre : Vous ne vous présenterez pas devant moi les mains vides (5) , dit le Seigneur. Ensuite il leur prescri- vit toutes les règles et les cérémonies des Sacrifices desquelles ils ne devaient pas se départir. Ce qu'il ne fit pas pour leur en donner de nouvelles , mais pour fixer celles qui étaient déjà en usage parmi eux, que leurs prédécesseurs avaient reçues par la tradition et observées religieusement , et pour les prémunir contre les altérations dont les Nations idolâtres avaient cor- rompu ce qu'elles avaient emprunté de la vraie Reli- gion. (4) U n'y a que le Dieu des Juifs , le seul vrai Dieu. (1) Au 32. ch. de l'Exode. (2) Au 12. du DeutOronome , v. dernier. (3) Non apparebis in conspeetu mco vacuus. Exod. c. 23. v. 15. (k) Hic est Detis noster , et non œstimabitur alias adversus eum. Hic adinvenit omnem viam disciplina , et iradidil illam Jacob puero sua, et Israël dilecto suo. Post hœc in terris visas est , et cum hominibas conversât us est. Baruch , cap. 3. v. 30 et scq. I92 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. qui soit l'auteur de la Religion et qui ait enseigné les règles du culte qui lui est du. Il en a donné lui-même la connais- sance à la race d'Abraham et à son Peuple élu , et il est ensuite venu converser avec les hommes , dit le Prophète Baruch. Ainsi, bien loin de copier les Egyptiens, qui n'étaient eux-mêmes que des copistes du divin modèle , Moïse défendit expressément à son Peuple d'imiter leurs céré- monies dans les Sacrifices et dans tous les;exercices de la Religion. Vous ne sacrifierez, leur dit-il (1), ni suivant l'usage des Egyptiens parmi lesquels vous demeuriez , ni comme vous verrez faire dans le Pays de Chanaan où je dois vous établir, et vous ne vous conformerezni à leurs règles ni à leurs coutumes. C'est pour vous en préserver , et pour vous distinguer de ces Nations , que Dieu vous donne par ma bouche ces saintes Lois. Pour se convaincre qu'il n'établissait rien de nouveau et qui ne fût conforme à ce qui avait été pratiqué de tout temps par ceux qui avaient conservé la pureté du culte du vrai Dieu , il suffit de remarquer la distinction des animaux mondes et immondes dans le Sacrifice que Noé fit après le Déluge , de même que Moïse la règle par ses Lois. (2) Dieu avait ordonné à Noé de faire entrer dans l'Arche un bien plus grand nombre d'animaux et d'oiseaux mondes propres à être sacrifiés , que d'im- mondes (5) ; et quand il sortit de l'Arche , il les sacrifia suivant cet ordre. (4) Ainsi non-seulement les Sacrifices , mais également leurs règles , précédaient de tous les temps la Loi de Moïse. On voit aussi par-là qu'il n'y a pas raison de penser qu'on n'ait immolé des animaux qu'après le Déluge , et lorsqu'on a commencé d'en manger , puisqu'Abel im- molait des premiers nés et de la graisse de ses trou- peaux; ce qui peut être confirmé par cet endroit de l'Apocalypse , où le Sacrifice du Divin Agneau , figuré par ceux de l'Ancien Testament, est dit avoir commencé dès l'origine du monde. (6) Noé, sortant de l'Arche , immola des animaux immon- des en holocauste (6) ; et dans ce temps les bommes n'étaient pas encore dans l'usage de manger des ani- maux ; ce ne fut par conséquent ni après l'usage de la (1) Juxta consuetudinem Terrœ Mgypti , in quâ habitastis , non facietis ; juxta morem Regionis Chanaan , ad quam ego introducta- rus sum vos, non agetis , nec in legit irais corurn. ambulabitis. Ch. 18. du Lévitique , v. 3 et 12. (2) Chap. 11. du Lévitique. (3) Chap. 7. de la Genèse , v. 2. [h) Chap. 8. de la Genèse. (5) Agni qui occisus est ab origine mundi , Apocalyse , ch. 15. V. 8. (0) Genèse , ch. 7. 28. Des Sacrifices. io,3 chair des bûtes , ni après l'établissement de l'Idolâtrie, que l'on commença seulement de sacrifier des animaux. L'usage de pareils Sacrifices précède toutes ces époques dans la vraie Religion. Ce sont donc les Sacrifices ordonnés de Dieu et pra- tiqués dans tous les temps , même avant la Loi de Moïse et avant le commencement de l'Idolâtrie , qui sont l'ori- ginal de tous les Sacrifices établis clans la suite ; ceux-là n'ont jamais changé , ni souffert aucune altération , soit par le temps , soit par le mélange des IVations , "jusqu'au Divin Sacrifice dont tous les autres n'étaient que la figure. Au lieu que les Sacrifices offerts aux Démons par les Païens, étant des copies forgées parla suggestion de ces Esprits d'erreur et parles fantaisies des hommes, ont été sujets aux variations , aux excès , aux indignités, aux cruautés , et à tous les défauts par lesquels ils ont corrompu et défiguré ce qu'ils avaient pris du divin ori- ginal. Aussi les Egyptiens et les autres Peuples qui avaient eu et entretenu d'abord plus de commerce avec les Juifs, et, après ceux-là, les Grecs et les Romains, ont conservé plus de conformité dans leurs cérémonies et leurs Sacrifices avec les cérémonies et les Sacrifices des Juifs , comme on le voit dans les Historiens dont nous rapporterons quelques particularités. Au contraire, les Sacrifices des Perses, des Scythes et autres Barbares, comme Hérodote les décrit, en sont bien plus différens, et ont beaucoup moins de rapport avec ces premiers Sacrifices qui sont les originaux de tous les autres, ainsi que nous le verrons. Dans les commencemens de la Religion païenne , on n'offrait aux Dieux que des fruits de la terre , du lait, de la farine , des gâteaux ou des épis de blé rôtis , de l'huile , des fleurs , des parfums. Ce premier usage se conserva quelque temps et avec diversité parmi les Nations. Pline remarque qu'encore de son temps il était observé dans plusieurs Pays. (0 Platon (2) atteste qu'on n'immolait point ancienne- ment d'animauxen l'honneur des Dieux, dans le temps que les hommes n'en mangeaient pas ; qu'on leur offrait seulement des fruits de la terre , des gâteaux arrosés de miel , et des choses de cette espèce , et qu'on regardait comme impie de manger de la chair des bêtes et de souil- ler les autels de leur sang. (5) Pausanias nous apprend (1) Verum et Dits lacté rusiici multœque gentes supplicant , et molâ tanlum salsd litant. Pline , dans la Préface de sou Histoire naturelle. (2) Au 6. liv. de ses Lois. (3) Vcsci carnibus et Dcorum aras imbuere sanguine impium vide- batur. Ibid. 194 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. de même , que c'était la coutume des Anciens (1) , et que Cécrops, qui le premier appela Jupiter Souverain, or- donna qu'on l'honorât dans Athènes suivant cet usage. (2) On en voit la confirmation dans plusieurs autres Au- teurs , et particulièrement dans Ovide , au sujet du culte qu'on rendait à la Déesse Cybèle. « (3) Ce n'était, dit- » il, qu'avec du lait et des fruits que la terre portait » d'elle-même , qu'on lui faisait des offrandes ; on y » mêle du lait caillé avec des herbes bouillies , afin que » cette première Mère des Dieux y reconnaisse la nour- » riture de nos premiers pères. » Plusieurs raisons autorisaient chez les Nations cet usage de n'offrir dans les commencemens que des fruits de la terre , et non des Sacrifices d'animaux. Le culte de la vraie Religion avait commencé de même par Caïn , qui le premier fit des offrandes de ce que lui produisait la terre qu'il cultivait ; et comme les fruits de la terre fu- rent la première et long-temps la seule nourriture des hommes , ils offraient aux Dieux de ce qu'ils man- geaient, et s'abstenaient de sacrifier ce qu'ils s'abste- naient de manger. D'ailleurs cette sorte d'offrande était bien plus aisée à chaque particulier, soit pour l'appa- reil , soit pour la dépense. Enfin il s'y mêla de la croyance ridicule du passage réciproque des âmes , des corps des hommes dans les corps des bêtes , et des corps de celles-ci dans les corps des hommes , et que ces âmes étaient une portion de la Divinité ou de l'âme du monde. Telle fut l'opinion de Pythagore , fort répan- due chez les Nations , rapportée par Ovide (4) , et confirmée par Platon , qui , dans l'endroit que nous avons cité, traite d'impiété de manger ou d'immoler des bêtes. Ceux qui en vinrent jusqu'à les adorer, n'avaient non plus garde de les faire servir à leur nourriture ou à leurs Sacrifices. Ce fut aussi pour combattre ces deux erreurs de la transmigration des âmes et de la divinité des bêtes , comme quelques-uns l'ont cru , que Dieu voulut qu'on lui en immolât. Hérodote , dont la patrie , qui était la ville d'Halicar- nasse dans la Carie , était une colonie des Grecs , et qui (1) Prlsco parenturn ritu. Pausanias , in jEliacis. (2) Cecrops càm primas Jovem cognomine Suprcmum appellasset , nihil vitâ prœditum ei immolandum cluxit , sed libâ tantum patriâ. Pausanias , in Arcadicis. (3) Lacté mero vctercs usi narrantur et herbis , Sponte suâ si quas terra ferebat , ait. Candidus elixœ miscetur caseus herbœ , Cognoscat priscos ut Dca prisca cibos. Ovid , au Zj. liv. des Fastes. (Û) . . . . Quoslibct occupât art us Spiritus, èque feris humana in corpora transit , Inque feras noster , etc. Ovide , au 15. liv. des Métamorphoses: 1 8. Des Sacrifices. ig5 pour s'instruire , à ce qu'il nous dit , avait voyage dans l'Egypte , dans la Phénicie , et à Tharse , colonie des Phéniciens dans la mer Egée , enseigne que les Egyp- tiens furent les premiers qui dirent que l'âme était im- mortelle. ( lis devaient sans doute cette connaissance aux Hébreux (1) comme tous les autres que nous remarquons dans le cours de cet Ouvrage. ) Cet auteur ajoute (2) qu'ils y mêlaient aussi la croyance que cette ame sépa- rée du corps par la mort , passait en divers autres corps durant trois mille années ; que les Grecs s'étaient attri- bué l'invention de ces connaissances , et qu'il sait les noms de ceux d'entr'eux qui ont voulu usurper cet hon- neur. Kous voyons par l'attestation de ce témoin bien instruit et non suspect, que les grandes vérités de la Religion avaient commencé d'être connues par les Egyptiens qui les avaient altérées , et que les Grecs ne les tenaient que des Egyptiens , quoiqu'ils voulussent passer pour en être les premiers auteurs. Cette opinion de la transmigration des âmes était ap- paremment née dans l'esprit des Philosophes Païens par un sentiment confus et par la vue des désordres que le péché originel a causés dans nos âmes , où, parmi les grands sentimens et les hautes impressions de leur di- vine origine , il a répandu des inclinations et des pas- sions semblables à celles des bêtes. Ce qui paraissait incompréhensible à ceux qui , sans connaître cette cause , voyaient tant de bassesse avec tant de sublimité et tant de contrariété dans ces âmes qu'ils reconnaissaient éma- nées de la Divinité , et comme en étant une portion. (3} « Ils étaient, dit saint Augustin, frappés de ce pro- » dige, et ils en ignoraient la cause. (4) » Ils sentaient la noblesse de l'âme , l'élévation de ses sentimens , de ses désirs et de ses lumières ; et avec cela son ignorance, ses faiblesses , ses désordres et son éloignement du sou- verain Bien pour lequel elle se sent faite : ils savaient qu'elle est l'ouvrage de Dieu tout bon et tout juste ; et ce- pendant les misères de la vie et la voix de la nature les instruisaient que cette vie est un état de condamnation et de supplice. Ainsi , à défaut de pouvoir démêler le (1) Il a été déjà observé combien les Hébreux et les Egyptiens avaient été môles ensemble par le long séjour des premiers dans l'Egypte, de sorte que le plus souvent on confondait ces deux na- tions , et que les Hébreux étaient pris pour Egyptiens. (2) Hérodote, dans son second livre, n" 123. (3) Divinœ particulam aurœ unde quidquid venii co iterum redit; spiritus quidcm Cœlo , corpusque terrce. Euripidcs , in Phœnissis. , Ccdit item rétro de terra quod fuit ante , In terrant, ; sed quod missum est ex œt/ieris orix , M rursum Cœli fulgentia tecta rcceptant. Lucretius, lib. 2. (4) Rem viUerunt ; Causant nescierunt, S. Augustin. 9- I96 CONFÉRENCE DE LA. F A. BLE , etC. péché originel qui concilie ces contrariétés prodigieu- ses , ils forgèrent une autre espèce de péché originel conctracté par les âmes avant qu'elles entrent dans les corps des hommes. C'est ce que les Païens ont reconnu eux-mêmes , suivant la remarque de Cicéron dans un dialogue d'Hortensius allégué par saint Augustin , où Cicéron dit « (1) que leurs anciens Poètes et Théolo- » giens ont entrevu quelque chose de la vérité, lorsque » toutes les erreurs et les misères de la vie des hom- » mes leur ont fait penser qu'en naissant nous étions » chargés d'expier , par ces misères , des crimes que nous » avions commis dans une vie précédente , et que ces » crimes avaient obligé la Justice divine d'attacher nos » âmes à nos corps , par un supplice semblable à celui » que des tyrans avaient fait souffrir à des hommes qu'ils » attachaient à des cadavres. » Mais comme cette autre vie avant celle-ci n'est qu'une imagination chimérique , on ne peut, avec saint Augustin , qu'y reconnaître les effets du péché originel. Les Païens passèrent cependant bientôt aux Sacrifices des animaux , pour copier ceux de la véritable Religion. Aussi trouvons-nous dans leurs plus anciens Auteurs , que ces Sacrifices étaient déjcà établis ; ils remarquent seulement qu'ils ne l'étaient pas de même dans ce qu'ils appellent les premiers temps , où l'on n'ensanglantait pas , disent-ils, les Autels du sang des taureaux égorgés avec injustice et avec impiété. (2) Mais comme leurs Sacrifices n'étaient pas réglés par la vérité éternelle, ils furent sujets à toutes sortes de variations. De là , après les animaux, dont on se nourrissait et qu'on avait coutume d'immoler, on en vint à en immoler d'autres qui sem- blaient n'être faits que pour le service des hommes , et non pour leur nourriture , comme des chevaux (3) , des chiens, des ânes, et de toute espèce d'animaux et d'oi- seaux. Moïse au contraire n'avait destiné aux Sacrifices que les animaux dont on mangeait dans l'usage ordi- naire ; ce qui ne changea jamais chez les Ministres de sa loi. Les Sacrifices de cette Loi divine, toujours les mêmes , conservèrent l'offrande des fruits , de la farine , (1) Ut qui nos ob aliqua scelera siiscepta in vitâ super tore , pœna- rum luendarum causa natos esse dixerint , aliquid vidisse vidcantur. Et ( ut quondam apud crudeles Hetruscos ) sic nostros animos cum corporibus copulatos , ut vivos cum mortuis esse conjunctos. Ex Cicé- rone. S. August. contra Julianuru Pelagiaiium lib, 5. c. 15 et seq. (2) Taurorum cœde immeritâ non ara madebat. (3) Quid tuti supcrest ? etc. Plaçât equo Persis radiis Hyper iona cinctum».» Exla canum Triviœ vidi libare Sabœos... Cœditur et rigido custodi ruris asellus.... Tut a diu et volucrum proies tum deniquc ciesa est. Ovide , au 1. liv. des Fastes. a8. Des Sacrifices. 197 des gâteaux avec de l'huile et du sel , mêlés dans le Sacrifice ordinaire des animaux, comme il était réglé dans l'Exode et dans le Lévilique. (1) Cela fut aussi suivi dans les Sacrifices impies, pour y garder quelque res- semblance avec l'original des saints Sacrifices. Le Démon, qui pour s'y conformer et se faire rendre les honneurs divins avait voulu conduire les hommes à lui sacrifier des animaux , s'était servi du secours de leurs passions. Il commença par se faire immoler des bêtes qui leur avaient fait du dommage , sous prétexte quelles avaient fait du dégât aux fruits qui étaient desti- nés aux Sacrifices. Ainsi l'on immola d'abord à Cérès une truie qui avait mangé des grains consacrés à cette Déesse (2) ; et ensuite on sacrifia à Bacchus un bouc qui avait brouté les vignes. Ceux qui avaient remporté des victoires sur les enne- mis , transportés d'orgueil et de joie , se portèrent r.ussi à sacrifier des animaux , d'où leur vint le nom de Victi- mes (5) , comme une suite et une marque de leur victoire ; et le nom d'Hosties , comme étant un monument des hos- tilités par lesquelles ils avaient vaincu leurs ennemis. Mais comme le singe qui veut contrefaire les hommes ne perd pas cependant ses tléfauts naturels et se montre enfin tel qu'il est ; le Démon, en voulant imiter Dieu , a toujours mêlé ses mauvaises inclinations à tout ce qui est venu de lui , et s'y est fait connaître par l'impureté , les bassesses et la cruauté qui conviennent à sa corrup- tion et à sa malice. Après avoir donc mêlé des abomina- tions assez connues au culte qu'il se faisait rendre , il a porté les hommes à sacrifier non-seulement aux astres, mais encore aux animaux , aux fruits de la terre , à des hommes mortels et morts ; et par degré il les obligea enfin à immoler des hommes mêmes. Ce furent d'abord des prisonniers faits dans la guerre, qu'on égor- geait sur le tombeau de ceux dont on voulait venger la mort , qui leur avait été donnée ou par ces prisonniers mêmes , ou par ceux de leur parti. Ainsi dans Homère (4), Achille immole douze jeunes Troyens des plus illustres sur le tombeau de Patrocle , pour venger et honorer les mânes de cet ami ; ce que Virgile imite (5) , en faisant (1) Chap. 2. de l'Exode , v. 2. et ch, 6. du Levitique. (2) Prima Cercs gravidce gavisa est sanguine (jorcœ ,' Vlta suas mérita cœde nocentis opes. Ovide , au 1. liv. des Fastes. (3) Victima , quœ dextrà eccidit victrice , vocatur ; Hostibus à domitis lioslia vomen liabet ; Antè , Dcos liornini quod eonciliare valeret , Far crat , et pari lucida mica salis. Ovide , au 1. liv. des Fastes. (h) Iliade , liv. 23. v. 17G. (5) Viventes rapil inferias quas immolct timbris , Captivoque rogi perfundat sanguine (laminas. Enéide , liv. 10. v. 519. I98 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. réserver à Enée des prisonniers de l'armée de Turnus pour les sacrifier sur le tombeau du Prince Pallas , qui était venu à son secours, et que Turnus avait tué dans le combat. Lorsque le Démon eut ainsi accoutumé les hommes à répandre le sang humain , il lui fut aisé de les faire pas- ser à de pareils Sacrifices réglés et hors des occasions de la guerre. On les offrait à certaines divinités, comme à Saturne , à Jupiter, et à Diane , en certains lieux; enfin on s'en fit des spectacles pour la pompe et le divertisse- ment ; ce qui est si connu et si commun dans les an- ciens auteurs , qu'il serait superflu et ennuyeux d'en rapporter ici les endroits. Il est vrai que les Sacrifices des hommes avaient eu quelque prétexte d'imitation dans le Sacrifice d'Isaac que Dieu avait commandé à Abraham son père ; ( mais il l'empêcha de l'exécuter ; ) et dans celui que Jephté avait imprudemment voué, qui tomba malheureuse- ment sur sa fille ; mais outre que c'était par une préci- pitation inconsidérée de ce père, et non par l'ordre de Dieu , la plupart des Interprètes tiennent que cette fille ne fut point effectivement immolée , et qu'elle se retira seulement du monde pour s'enfermer dans une retraite. Nous avons vu les singularités de ces deux Sacrifices copiées dans celui de Phrixus par Athamas son père, et dans celui d'Iphigénie fille d'Agamemnon. Ce qu'on voit d'hommes immolés , de discours contre la pudeur et l'honnêteté , et d'indignités de toutes les sor- tes dans les autres copies toutes corrompues, n'est qu'une altération, ( comme Plutarque (i) l'a reconnu , ) ajoutée par la suggestion des Démons et non par l'inspiration de quelque Divinité ; ce que cet Auteur a pris de nos Ecri- vains sacrés (2) , où il est défendu aux hommes d'immo- ler leurs enfans et généralement de sacrifier aux Dé- mons. Il remarque au même endroit que les ravissemens des filles , les bannissemens , les querelles et la servi- tude , qu'on attribue aux Dieux dans les Fables et dans les hymnes des Poètes , ne conviennent qu'aux Démons. C'était un sentiment que les Sages païens avaient em- prunté de nos Saintes Ecritures. Après ces généralités , voyons les traits particuliers que le Paganisme a conservés des larcins faits à la vraie Religion. Il y avait des Sacrifices généraux , réglés pour certains temps de l'année ; il y en avait aussi pour des occasions (!) Au traité des Oracles qui ont cessé. (2) Lévitique , ch. 18. v. 21 ; et en. 20. v. V. 17 : Psaume 105 , v. 36. 2. Deutéronome . ch. 2. 28. Des Sacrifices. igg particulières. Les premiers avaient lieu chez les Juifs à trois principales fêtes , dont l'une était la Pâque , en mé- moire de la sortie d'Egypte et des prodiges éclatans par lesquels les Juifs captifs en avaient été délivrés : la se- conde était celle des prémices des fruits provenus de leurs travaux, pour reconnaître qu'on les tenait de la main de Dieu , et pour les lui offrir avant de les recueil- lir ; cette fête était appelée Pentecôte, parce qu'elle avait lieu cinquante jours après celle delà Pàque : et la troi- sième , qui se célébrait avec la moisson pour en rendre grâces à Dieu , était nommée la Fûte des Tabernacles , parce que le Peuple , pour la solenniser , se tenait à la campagne sous des tentes , en mémoire du long voyage de leurs pères dans le Désert. Les Sacrifices particuliers étaient ou pour des purifi- cations des impuretés légales, (c'est-à-dire, marquées par la Loi , ) ou pour obtenir le pardon de quelques fau- tes ; et ceux-ci étaient différens , suivant la qualité des fautes ; il y en avait môme de prescrits pour les fautes involontaires et commises sans dessein. On en faisait enfin pour s'offrir à Dieu , pour lui demander des grâ- ces , ou pour le remercier de celles qu'on en avait reçues. Les Holocaustes étaient une espèce de Sacrifice, où ce que l'on offrait était tout consumé par le feu , sans qu'on en conservât aucune partie. Dans les autres Sacrifices , une partie des victimes^était réservée pour les Prêtres ou pour ceux qui les faisaient offrir. Il y avait des cérémonies communes à tous les Sacri- fices , et de particulières à chaque espèce. A l'imitation du Sacrifice de la Pâque, c'est-à-dire, du passage (1) et du voyage, les Païens, quand ils entre- prenaient et commençaient un voyage , faisaient un Sa- crifice qu'ils appelaient proplcr viam, pour le voyage (2) ; et comme il était ordonné pour celui de la Pâque , que si l'on ne mangeait pas tout l'agneau immolé , le surplus en fût rejeté dans le feu (5) ; dans les mêmes termes , la règle du Sacrifice du voyage chez les Païens était de brû- ler tout ce qu'il y avait de reste du festin du Sacrifice. (4) Dans la fête des prémices des fruits avant la moisson, on offrait et l'on portait au Temple des prémices de tous les fruits. (5) Sur cela Diodore de Sicile remarque (6) que les Egyptiens offraient à la Déesse de la terre , qu'ils (1) A phase , c'est-à-dire , du passage. (2) Propter viamfacerc. Sacrifier pour un voyage. (3) Si quid residuum fuerit , igné comburetis. Exod. ch. 12. v. 10. (U) In sacrifîcio propter viam mos erat ut si quid ex epulis super fuisset, igné combureretur. IWacrob. Satumal. 2. c. 2. cl Turnebus , lib. 9. c. ft. (5) Chap. 25. de l'Exode ,v. 16 et 19. (6) Liv. 1. de sa Bibliothèque , partie première. 200 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etC. appelaient Isis , les prémices de leurs moissons en épis ; et dans les fêtes de Bacchus à Athènes , pour tout ap- pareil du Sacrifice ( chez Aristophane ) une jeune fille porte dans un panier des prémices des fruits avec quel- ques gâteaux , comme le remarque le Scholiaste d'Aris- tophane sur cet endroit. (1) La troisième fête , qui était à la fin de la moisson après la récolte de tous les fruits , était la fête des Taberna- cles ou des Tentes. Pendant sept jours qu'elle durait, le Peuple , pour la célébrer , demeurait sous des tentes ou sous des branches d'arbres , en mémoire du temps que leurs pères avaient été dans le Désert sans maisons et sous des tentes , et y avaient été nourris miraculeuse- ment d'une viande envoyée du Ciel. Cette fête était dési- gnée dans l'Exode , ordonnée et réglée dans le Léviti- tique (2) , pour rendre grâces à Dieu de la récolte des fruits. Josèphe (3) remarque que les Grecs appellent cette fête Scënopégie. C'est en Grec , comme elle était chez les Hébreux , la fête des Tentes. La première partie de ce nom signifie une Tente ou un lieu à se mettre à l'ombre ; et la se- conde partie veut dire ficher ou poser dans la terre. Plu- tarque (4) parle de celte solennité, durant laquelle, dit- il , les Grecs demeurent en repos sous des tentes dans le temps des vendanges , et y dressent des tables couvertes de toutes sortes de fruits. Il nous épargne la peine d'en faire la comparaison avec la même solennité des Juifs ; car il ne peut s'empêcher d'en remarquer la ressem- blance et quant au temps et quant à la manière de les célébrer. Athénée (5) conte que les Lacédémoniens célébraient également cette fête sous des tentes ou des branches d'arbres qu'ils dressaient exprès ; et Casaubon , dans ses notes sur ces endroits d' Athénée , observe , comme Plu- tarque, que cette fête était semblable à celle des Juifs qu'on appelait des Tentes. Ovide (6) décrit une pareille fête. « Une partie , dit-il , demeurent en pleine campa- » gne à découvert, quelques-uns se tiennent sous des » tentes , et d'autres sous des feuillées de branches » d'arbres. » Les Païens avaient aussi imité les Sacrifices d'expia- (1) Scène première del'Acle second des Acharnaniens. (2) Exode , ch. 23. v. 16. Lévitiquc , c. 23. v. 34 , 39 , 42 et 43. (3) Livre 4. de l'Histoire des Juifs , ch. 8. (4) Sympos. lib. 4. Problem. 5. (5) Au liv. 4. ch. 19. de ses Deipnosoph. et liv. 5. ch. 6. (6) Sub Jove pars durât , pauci tenloria ponant ; Sunt quibus è ramis frondea facta casa est. Ovide , au 3. liv» des Fastes. 28. Des Sacrifices. 201 lion , et ils distinguaient ceux qu'on était obligé d'of- frir pour des crimes commis par ignorance et sans des- sein. Nous en avons des exemples dans ceux que Jason offrit à la mère des Dieux après la mort de Cyzicus Roi des Dolions , qu'Apollonius de Rhodes (1) fait tuer par Jason dans un combat de nuit qu'ils donnèrent entre eux sans se reconnaître , pour avoir occasion de faire expier ce meurtre involontaire et d'en faire purger Jason par des Sacrifices. De môme , dans Hérodote (2) , Adraste Prince Phrygien ayant tué sans dessein et par accident un de ses frères , et ayant été chassé de son Pays, va à la Cour de Crésus Roi des Lydiens , afin de se faire pur- ger de ce meurtre involontaire. On en voit d'autres exemples pris sur l'Original sacré , qui avait fait la dis- tinction des Sacrifices ordonnés pour l'expiation de ces fautes d'ignorance. Les cérémonies et toutes les sortes de Sacrifices, selon les différentes occasions , rapportées par Denys d'Halicarnasse (3) telles que les pratiquaient les Ro- mains , qui , dit-il , les avaient apprises des Grecs , comme il en a fait la remarque , et qu il a retrouvées pour la plupart dans plusieurs endroits d'Homère (4) , sont con- formes à celles des Juifs ordonnées par Moïse et réglées suivant leur ancien usage dans le Livre du Lévitique. Il en est de même des purifications et des lustrations des Prêtres et de ceux qui offraient ou faisaient offrir des Sacrifices. La loi des Holocaustes dans le Lévitique , a été la règle des mêmes Sacrifices parmi les Païens : toute la victime devait être consumée par le feu, sans qu'on en réservât rien. Mais sans s'arrêter aux autres ressem- blances de cette espèce , examinons ce qu'il y a de plus singulier dans les cérémonies et dans l'usage des Sacri- fices et du culte divin. La conformité des copies avec l'Original établira d'une manière encore plus convain- cante qu'elles ont été prises sur le divin modèle et sur les usages de la Religion des Juifs. Par la Loi de ce Peuple (5) il devait y avoir devant l'Autel un feu perpétuel que les Prêtres étaient obligés d'entretenir. De même les Prêtres de Delphes étaient obligés d'entretenir un feu perpétuel dans ce Temple ; (Plutarque (6) nous l'apprend; ) et les Vestales avaient (1) Dans son Poème des Argonautes , liv. 1. et suivans* (2) Hérodote , liv. 2. (3) Livre 7. de ses Antiquités , vers la fin. [h] Au 1. et au 2. livre de l'Iliade. (5) Au 16. cb. du Lévitiqne , v. 12 et 13. (6) Au commencement du Traité sur le mot El. a* • 202 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. à Rome le même emploi , comme on le voit dans Vir- gile (1) et dans tous les Historiens. Les Prêtres du vrai Dieu ne devaient pas approcher d'un lieu où était un cercueil , ni toucher le corps d'un homme mort (2) ; ou s'ils l'avaient fait , ils devaient se purifier. Ainsi il était défendu aux Prêtres des Idoles de regarder un cadavre (3) ; et si cela leur était arrivé , ils devaient se purifier, avant de reprendre leurs fonctions. Le Prêtre ne pouvait se revêtir de ses orneméns sacer- dotaux ni toucher les choses saintes , qu'après s'être lavé. (4) De même les Païens n'offraient des Sacrifices qu'après s'être lavés. « Je ne puis sacrifier ni porter les » mains sur ce qui est sacré, qu'après m'être lavé avec » de l'eau pure , dit Enée (5) ; » et Didon à sa nourrice : « Faites venir ma sœur pour offrir un Sacrifice , et » qu'elle s'y dispose en se lavant tout à l'heure dans » de l'eau de la rivière. (6) » Le Prince Turnus se dispose de même à faire ses offrandes aux Dieux. (7) On employait chez les Hébreux les cendres d'une gé- nisse qui avait été consumée par le feu de l'holocauste, pour purifier les hommes en répandant ces cendres sur eux. (8) Cet usage avait été conservé par les Païens ; et à Rome la plus ancienne Vestale , après avoir immolé des veaux et les avoir fait consumer dans le feu , purifiait le Peuple avec la cendre qu'elle répandait sur lui. (9) Tous ceux d'une même Tribu s'assemblaient pour faire conjointement des Sacrifices solennels , comme l'usage en est marqué dans les Livres des Rois. (10) De même à Rome, ceux d'une même famille faisaient des fêtes communes pour sacrifier aux Dieux qu'ils recon- naissaient pour leurs protecteurs ; ce qui était marqué par le nom qu'ils avaient, donné à ces Sacrifices, (11) Il est ordonné par Moïse (12) de la part de Dieu, que (1) JEtcrnumque adytis effert penctralibus ignem... Enéide , liv. 2. Centum aras posuit vigilemque sacrauerat ignem. Enéide, liv. Û. (2) Exod. c. 23. et Levitic. c. 21. v. 2 et 11. (3) Fenestella , cap. 1. de flamine diali. Lucien , de la Déesse de Syrie. (Il) Cum lotus fuerit, induetur. Lévitique , ch. 16. v. 5. (5) Donec me flumine vivo ablucro. Enéide, liv. 2. (6) Die corpus properet fluviali spargere lympliâ. Enéide , liv. û. (7) Ibid. liv. 9. (8) Cinis vitulœ aspersus inquinatos sanctifient ad purificaiioncm carnis. Epître aux Hébreux, c. 9. v. 13. (9) lgnc cremat vitulos , quœ natu maxima virgo est. Lace palis populos purget ut ille cinis. Ovid. au !\. liv. des Fastes , v. 637. (10) Liv. 1. des Rois , eh. 20. v. 6. (11) Proxima cognati dixere Caristia cari ; Et venit ad socios turba propinqua Deos. Ovide , au 2. liv. des Fastes. (12) Au 5. des Nombres , v. 14 et suivans ; et Josèphe , liv. 3. ch. 10. 2 8. Des Sacrifices. 2o3 si un mari soupçonne sa femme d'infidélité , il peut l'obliger d'aller devant le Prêtre, qui , après un Sacri- fice , lui fera boire de l'eau avec des imprécations , et si elle est coupable , elle en recevra sur-le-champ une pu- nition éclatante. De là est pris ce qu'on lit dans Diodore, (liv. 1. ) qu'auprès d'un Temple de la Sicile, dédié aux Dieux du Pays , étaient des lacs d'une eau bouillante dont on faisait boire à ceux qui étaient accusés ; ensuite on les faisait jurer sur la vérité du fait dont on les accu- sait , et s'ils juraient faussement, leur parjure était ac- compagné d'une punition subite du Ciel. Aristote, en son traité des choses merveilleuses , et Macrobe en ses Saturnales ( ch. 17. ) , attestent ce prodige. Pline ( liv. 31. c. 2. ) en rapporte autant de semblables eaux près d'un temple de la Bithynie ; et après eux Alexandre d'Alexan- dre (0 dans ses curiosités. De ce qu'il était défendu au Pontife de découvrir sa tête (2) , les Sacrificateurs Païens tenaient aussi leur visage couvert , comme Virgile (5) le remarque d'Hélé- nus qui sacrifiait ; d'où on leur avait donné le nom de Flamen , à cause du voile qui leur couvrait la tête , dit Fenestella. (4) H leur était défendu d'avoir la tête décou- verte , dit encore Pomponius Lœtus. (5) Comme dans la Loi de Moïse (6) les Prêtres ne pouvaient épouser que des Vierges , il était de même ordonné aux Prêtres Païens de prendre des femmes qui n'eussent pas été mariées. (7) La fille d'un Sacrificateur convaincue d'avoir péché contre son honneur , était brûlée toute vive parmi les Juifs. (8) Ainsi à Rome les Vierges Vestales étaient pour un pareil crime enterrées toutes vives. (9) La défense faite aux Prêtres Païens (10) de se servir de la farine qui eût été mêlée avec du levain , était prise de semblables défenses faites pour les Prêtres et les Sa- crifices des Hébreux. (n> Dieu , pour éprouver et rassurer Abraham (12) , lui fit couper en deux une vache , une chèvre et un bélier qu'il devait immoler , lui en fit séparer les parties en les pla- (1) Alexander ab Alexandre , Genialium dierum , lib. 5. c. 10. (2) Pontifex caput suum non discooperiat. Levit. c. 21. c. 10. (3) Purpureo velare comas adopcrtus amictu. Enéide , liv. 3. [h) Dictas Fiamcn quod capiie velato erat. Fenestella , de Sacerdot* Roman, c. 5. de Flamiue Diali. (5) De Sacerdotiis , cap, de Flaminibus. (0) Chap. 21. du Lcvitique. (7) Aulu-Gelle, liv. 10. ch. 15. Alexand. ab Alexand. liv. 6. ch. 12, (8) Chap. 21. du Lévi tique, v. 9. (9) Fenestella , de Vestalibus. (10) Aulu-Gelle , liv. 20. ch. 15. (11) Au ch. 23. de l'Exode, et au ch. 2. du Lévitique. (12) Chap. 15, de la Genèse. îiO^ CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. çant également de chaque côté , le lit passer 'bu milieu entre ces parties divisées , et lui fit voir en cet état ce qui devait arriver à sa postérité. Ce n'est que de là qu'a pu être pris par les Païens Grecs et Romains l'usage de couper en deux parties égales les victimes , et de passer au milieu de ces divisions. Dictys de Crète (1) représente Agamemnon qui par- tage l'hostie qu'il devait immoler, en place les parties séparées vis-à-vis l'une de l'autre, et marche au milieu d'elles ; il décrit ensuite une pareille cérémonie dans un Sacrifice , pour confirmer par la religion un traité entre les Chefs des Grecs et ceux des Troyens. Quoique l'ouvrage de cet Auteur passe pour supposé , cet endroit fait cependant foi pour les usages des Païens. Ce même usage est attesté par Tite-Live et par Plutarque. (2) Dieu faisait quelquefois descendre le feu du Ciel sur les victimes qui lui étaient offertes , dans des occasions où sa sagesse et sa puissance trouvaient à propos de se manifester , comme on le voit dans le Lévitique (3) , dans les Paralipomènes (4) , et comme il le fit en présence dit Roi Achab dans le célèbre défi que le Prophète Elie donna aux quatre cent cinquante Prêtre de Raal. (5) Les Païens n'ont pas négligé de copier un endroit qui leur a paru et qui est en effet si merveilleux. Pausanias (6) raconte que dans deux villes de la Lydie il y a deux Temples, et sur leurs Autels des cendres d'une couleur différente de celle des cendres ordinaires ; et que le prêtre ( qu'il appelle un Magicien ) y étant en- tré , et ayant placé du bois bien sec sur le foyer , après avoir mis la tiare sur la tête , invoque je ne sais quel Dieu , récite quelques mots d'enchantemens en langue barbare inconnue aux Grecs ; après quoi le bois s'allume de lui-même, sans qu'on y ait porté du feu; ce que cet Historien croit être un effet de la magie. (7) La magie consistait apparemment ea ce que les cen- dres n'étaient pas encore bien éteintes ou cachaient du feu , ce qui leur donnait cette couleur singulière. Telle était la supercherie où les Prêtres avaient été réduits pour imiter le feu miraculeux descendu du Ciel dans les occasions que nos saints Livres rapportent. Solin (8) , de même , conte qu'il y a dans la Sicile une colline consacrée à Vulcain , où, après que les Sacrifica- (1) Liv. 2. de son Histoire de la guerre de Troie. (2) Livre 39. des Questions Romaines de Plutarque. (3) Lévitique , ch. 9. v. 2û. (ft) Livre 1. des Paralip. ch. 21. v. 26. et liv. 2. ch. 7. v. 1. (5) Livre 3. des Rois , ch. 18. v. 38. (6) Pausanias , dans lesEliaqucs, sur la fin. , , (7) Non tamenmagorum artis cvpcrs. Pausanias, au môme endroit» (8) Polyhistor , c. 11. de Sicilià. 28. Des Sacrifices. 20 j teurs ont disposé le bûcher et les victimes , si le Dieu approuve le Sacrifice , le bois s'y allume de lui-même, sans qu'on y ait porté de feu , il embrase le bûcher et consume la victime. Ce sont encore des imitations pri- ses des traditions de l'Histoire Sainte. (1) Apres qu'Abraham eut défait les quatre Eois qui em- menaient prisouier Loth son neveu , et qu'il l'eut délivré de leurs mains, il donna à Melchisédcch Prêtre du Sei- gneur la dixième partie du butin qu'il avait fait sur eux. (2) Cet exemple avait fait un usage chez les Païens. Après les grandes victoires des Athéniens sur les Perses sous leur Général Cimon , les Athéniens offrirent et consa- crèrent à leurs Dieux la dixième partie des dépouil- les ("■) qu'ils avaient remportées sur les ennemis. On le trouve pratiqué de môme en plusieurs endroits par les Romains. Mais pour abréger ce détail , voici quelques exemples de ces imitations , si singuliers et si bien marqués , qu'on ne peut plus méconnaître l'Original que la Fable a copié. Il était expressément défendu aux Prêtres, dans la Loi de Dieu, de monter à l'Autel par plusieurs degrés (4) , de peur de découvrir quelque nudité ; sur quoi les Interprè- tes se sont travaillés à expliquer comment on pouvait donc monter à l'Autel. Les uns ont cru que ce n'était que par trois degrés , les autres que c'était par des de- grés fermés par-dessous et par les côtés , qu'on appelait des degrés Grecs , scalas Grœcas ; et les autres enfin ont dit qu'on montait à l'Autel par une espèce de petite ter- rasse en pente douce sans aucun degré ; et c'est l'expli- cation que Josèphe en donne dans son Histoire des Juifs, ( liv. U. ch. 8. ) , où il rapporte la loi dans ses mêmes termes. Il fut également défendu aux Prêtres et aux Prêtresses des faux Dieux d'avoir des Autels plus hauts que de trois degrés , et ces Prêtresses ne devaient jamais y monter par un plus grand nombre de degrés (5) , comme le re- marquent les Commentateurs d'Aulu-Gelle sur le chapi- (1) Cette vraisemblance est fortifiée par la réflexion qu'Horace fait lui-même sur une tradition de même espèce dont il se moque, et qu'il regarde comme ne devant avoir place que parmi les traditions des Juifs. Gnatia. . . dédit risusque jocosque Dum flammâ sine thura liqucsccrc limine sacro Persuadere cupit. Credat Judœus Apella. Horat. Salyr. lib. 1. (2) Chap. lu. de la Genèse. (3) Diodore de Sicile , liv. 11. [!i) Non ascendes per gradus ad altare meum, ne rcveletur itirpitudo tua. Chap. 20. de l'Exode , v. 6. (5) Aulu-Gelle , liv. 10. ch. 15. où il ramasse quantité ;dc lois des Cérémonies des Sacrjûces chez les Romains. 206 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. tre 15. après Servius sur le vers 645. du sixième livre de l'Enéide. (1). Tout le monde connaît le bouc émissaire que le Prêtre des Hébreux présentait devant l'Autel (2); après avoir mis ses mains sur la tête de ce bouc , il faisait au Sei- gneur une confession de tous les péchés du Peuple , des- quels il chargeait cette tête avec imprécation : après quoi il le livrait entre les mains d'un homme qui le con- duisait dans le désert pour y porter toutes les iniquités du Peuple et y être abandonné. D'après cet original , les Egyptiens amenaient devant l'Autel un animal qu'ils voulaient immoler, et ayant invoqué leurs Dieux, ils chargeaient la tête de la victime d'imprécations et d'exé- crations pour les crimes du Peuple , et priaient le Ciel que tous les maux que ce Peuple méritait fussent détour- nés et déchargés sur cette tête ; après quoi ils aban- donnaient et livraient l'animal à un homme qui le me- nait au marché pour le vendre à des marchands Grecs et étrangers ; ou s'il n'en trouvait pas, il le jetait dans le fleuve ; c'est ce que rapporte Hérodote. (3) Peut-on dou- ter que ce ne soit la copie de ce que nous avons vu dans le Lévitique? La Loi de Moïse (4) , par laquelle les veuves laissées sans enfans pouvaient obliger le frère de leur défunt mari de les épouser , pour avoir des enfans qui porte- raient le nom de son frère mort , était une loi bien sin- gulière , et qui ne pouvait avoir de raison que pour les Hébreux, chez lesquels la stérilité était un opprobre, parce que chacun espérait de voir naître le Messie dans sa postérité ; ce qui étendit cette loi aux autres plus pro- ches parens, et leur fit une obligation d'épouser la veuve de leur parent mort sans enfans , ou de renoncer à sa succession , comme on le voit dans l'Histoire de Ruth. (5) 11 y a bien apparence que Solon , qui avait été long- temps chez les Egyptiens pour s'instruire de leurs lois, comme nous l'apprend Diodore de Sicile (6) , avait pris une des siennes ( rapportée par le même Diodore) des traditions Egyptiennes qui avaient conservé quelque chose de la substance , mais non pas la raison et l'esprit de la loi des Hébreux. Celte loi de Solon portait qu'une fille délaissée sans parens et sans biens pouvait obliger son plus proche parent de l'épouser ou de la doter : et ensuite par une nouvelle loi on retrancha la liberté de la (1) Longâ cum veste sacerdos. (2) Chap. 16. du Lévitique, ch. 8 , 20 , "2.1 et 22. (3) Livre 2. n. 1x0. [h] Chap. 15. du Dculéronomc , v. 5. et suiv. (5) Chap. dernier du livre de Ruth. (0) Livre 1. de sa Bibliothèque. 1 8. Des Sacrifices. ■ 207 doter , et le parent fut absolument oblige d'épouser sa parente orpheline et pauvre. Nos saints Livres sont remplis des protestations que Dieu fait, que les Sacrifices lui sont désagréables, qu'il les rejette, qu'il les déteste , s'ils ne lui sont offerts d'un cœur droit et pur, dont le Sacrifice est le seul qui lui plaise et qui lui fasse accepter les autres ; c'est pourquoi il condamna ceux de Caïn , et reçut avec complaisance ceux d'Abel. C'est ce que les Païens , malgré leur cor- ruption et celle des Dieux auxquels ils sacrifiaient , ne purent s'empêcher de reconnaître : « Portons aux Autels » un esprit de justice et de religion , un cœur vraiment » et constamment pieux, et avec cela sacrifions hardi- » ment aux Dieux de lafarine et des fruits , » dit Perse (1), et avait dit Diodore de Sicile , déjà cité au commence- ment de ce chapitre. Toutes ces règles des Sacrifices et du culte des Dieux étaient venues des Grecs aux Romains , et des Egyptiens aux Grecs. Il est reconnu par les Historiens (a) , qu'Or- phée en porta la plus grande partie de l'Egypte dans la Grèce. Macrobe (3) enseigne que le culte de Saturne , connu pour le premier des Dieux , avait passé , avec ses céré- monies , des Egyptiens chez les Grecs , et de ceux-ci chez les Romains. Comme le Grand-Prêtre des Hébreux portait sur le Rational du jugement couvert de pierres précieuses et attaché sur sa poitrine par des chaînes d'or ces deux mots Doctrixe et Vérité (4) , à son imitation le pre- mier Magistrat des Egyptiens portait sur sa poitrine une image en pierres précieuses pendue à son cou par une chaîne d'or ; on l'appelait la Vérité. (5) Et sur ce que les Juges qui gouvernèrent souveraine- ment les Juifs depuis Josuô jusques à ce qu'ils eussent des Rois , étaient appelés Sophetlm , qui est aussi le nom du Livre des Juges ; ainsi le souverain Magistrat des Carthaginois , Phéniciens d'origine, était appelé Suffètes , à ce que nous apprend Tite-Live. (6) Nous avons dit, vers le commencement, que les Sa- crifices etles cérémonies des nations Barbares , des Perses (1) Composition jiis fasque anhni , sanctosqtie recessus Mentis , et incoctum generoso pectus Iwnesto ; Hoc cedo ut admoveam templis et farre titabo. Persius, Satyr. 2» (2) Denys d'Haliearnasse , au commencement de son prenier livre ; et Diodore de Sicile , liv. 1. (3) Au 1. des Saturnales , ch. 7. (û) Exode , ch. 28. Lévi tique , ch. 8. {') Diodore de Sicile , livre premier. (tij Liv. 8 et 10. de la guerre Punique. 208 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. et des Scythes , avaient beaucoup moins de rapport avec les usages des Juifs. Nous apprenons dans Hérodote ( liv. 1. n. 132 ) , que les Perses avaient institué pour leurs Dieux un culte bien singulier : « Ils n'ont point , dit-il , » d'Autels , ils n'allument point de feu , ils n'emploient » ni libations , ni farine , ni gâteaux , ils ne se servent » ni d'instrumens , ni d'aucun ornement particulier ; » chacun sacrifie à ses Dieux quand et comme il lui plaît; » il coupe les membres de la victime en petites portions » qu'il étend ( après les avoir fait bouillir ) sur un lit » d'herbe tendre ; cependant un magicien chante en » l'honneur des Dieux; ensuite celui qui offre le Sacri- » fice prend toute la chair et en fait l'usage qui lui con- » vient.» Strabon (0 ajoute qu'ils disent que Dieu ne veut pour lui que l'ame de la victime. Pour les Massagètes , qui sont les plus barbares des Scythes , et qui habitent ce qu'on appelle aujourd'hui la Tartarie déserte , le même Historien nous apprend que (2) quand ils sont parvenus à une extrême vieillesse, leurs parens les immolent , avec d'autres victimes prises dans leurs troupeaux, et qu'ils en mangent la chair; ils immolent aussi des chevaux au Soleil. Les autres Scythes , suivant le même Hérodote (5) , n'ont qu'une sorte de Sacrifice et les mêmes cérémonies dans tous leurs Temples et pour tous leurs Dieux. « Ils » attachent les pieds de devant à la victime ; le Sacrifi- » cateur , qui se tient derrière, l'assomme , et lorsqu'elle » tombe il invoque le Dieu auquel il l'immole ; ensuite » il lui jette une corde autour du cou, avec laquelle il » l'étrangle , sans feu , sans prières, sans effusion , sans » oblations ; mais après avoir écorché la bête , il en sé- » pare les os qu'il place au lieu de bois sous les chau- » drons où il a mis les chairs , et il les fait cuire avec » le feu de ces os. Ce sont particulièrement des chevaux » qu'ils sacrifient, et s'ils font des prisonniers sur leurs » ennemis , ils en immolent le centième. » Voilà les manières de sacrifier des Barbares , bien éloignées de celles des Hébreux , et par-là de celles des Egyptiens , des Grecs et des Romains. Pline (4) attribue au RoiNuma l'institution ou l'adop- tion des cérémonies , des Sacrifices et de tout le culte religieux dans Rome. Denys d'Halicarnasse , dans ses Antiquités (liv. 2. ) , en attribue la première institution à Romulus prédécesseur de Numa ; mais il convient que (1) Livre 16. de sa Géographie , n. 1Û. (2) Hérodote, livre 1. n. 126. (3) Livre li. n. 1. [l\) Histoire Naturelle , liv. 18. en. 17 et 18. 28. Des Sacrifices. 209 ce second Roi augmenta beaucoup ce culte et tout ce qui en dépendait , qu'il y ajouta et le fixa par des règles écrites. C'était aussi une opinion commune , que Kuma était très-instruit des livres et de la religion des Juifs (1), parce que les Peuples d'Italie avaient eu bien des liai- sons avec les Grecs et avec les Pbéniciens ; que ce Roi s'était fait une étude de recbereber de tous côtés ce qui regardait les religions , et qu'on aperçoit des conformi- tés considérables dans la religion Romaine avec la Juive, outre ce qu'il avait renfermé dans les livres de la Sa- gesse , qu'il fit ensevelir avec lui , et dont nous avons déjà parlé. Denys d'Halicarnasse , dans l'endroit que nous en avons cité (2) , rapportant les solennités observées par les Ro- mains dans leurs Sacrifices , et après avoir montré qu'elles étaient les mêmes que celles des Grecs , conclut celte description par un raisonnement très-juste , et par lequel nous devons aussi conclure ce que nous avons prétendu établir par tous les rapports que nous ve- nons d'observer « Ce seul argument , dit-il , me per- » suade et me convainc , que les Romains sont descen- » dus des Grecs , que leurs premiers fondateurs étaient » Grecs et avaient porté à Rome leurs observances et » leurs cérémonies ; parce qu'autrement ils auraient » bien pu rencontrer dans quelque petite partie des » observances et des cérémonies qui eussent quelque » ressemblance avec celles des Grecs ; mais il n'est pas » croyable qu'ils les eussent rencontrées et copiées dans » toutes ces parties et dans toutes ces circonstances. » Nous devons conclure par ce même raisonnement, ( outre les autres raisons que nous en avons données,) qu'une aussi grande conformité dans le fond essentiel et dans un si grand nombre de singularités des Sacrifices ne peut venir que de ce que les usages et les cérémonies des Egyptiens , des Grecs et des Romains ne sont que des copies un peu défigurées des usages et des lois des Sacrifices ordonnés aux Hébreux , d'abord sans loi écrite, ensuite par les lois que Dieu donna à Moïse et qu'il fit écrire pour eux , afin qu'ils n'y pussent rien changer par la succession des temps et par leur mé- lange avec les autres Peuples. Saint Justin , dans cette belle Apologie qu'il présenta à l'Empereur Antonin le Pieux , attribue de même les cérémonies des Païens dans le culte de leurs Dieux, à l'artifice des Démons qui ont voulu copier celles du culte (1) Suivant le témoignage de S. Clément, «apporté ci-devant. (2) Livre 7. sur la lin. 9'* STO CONFÉRENCE DE LA. FABLE , CtC. qu'on rendait au vrai Dieu. C'est ce qu'il est aisé de sen- tir et de connaître ; c'est , comme nous l'avons vu , ce qui a paru de môme à saint Augustin , et à tous ceux qui ont voulu et qui veulent l'examiner avec une atten- tion sérieuse accompagnée de bonne foi. .€>@®®®®®®®®®®®®®®®©®®®®®®®®®©®e®®®©©f> XXIX. DES AUGURES. JLe Collège des Augures était à Rome le corps de la plus grande considération et de la première dignité. Ils étaient réellement les maîtres des Magistrats , des Rois et de toutes les grandes affaires de la paix et de la guerre, puisqu'on ne pouvait les résoudre ni les entreprendre que d'après leurs réponses. Ils déclaraient les volontés des Dieux, les secrets du Destin, les évenemens futurs qui dépendent de mille causes étrangères et inconnues , et ils faisaient profession et semblant de prendre ces réponses et la connaissance de l'avenir , de la diversité du vol , et du chant des oiseaux , de leur manière de manger, et des entrailles des bêtes. Cicéron , qui était de ce corps , nous enseigne (0 ce que nous devons penser et ce qu'ils pensaient eux-mêmes de leur profession. Il ramasse le jugement qu'on en doit faire dans ce bon mot de Caton : « Qu'il ne pouvait pas » comprendre comment deux Augures qui se rencon- » traient pouvaient s'empêcher de rire l'un de l'autre. » On ne peut non plus mieux faire concevoir le ridicule de cet art, dont on se servait pour gouverner le Peuple , que par la discussion que cet Orateur philosophe en fait. « Quelle relation , dit-il , peuvent avoir le fiel , le foie » et le poumon d'un poulet et d'un taureau , avec le gé- » nie Divin qui conduit toutes choses , avec tous les » hommes de différentes nations , et avec tous les acci- » de n s d'où dépendent les succès d'une guerre, d'une » négociation , ou de quelque autre entreprise , et quelle » connaissance de l'avenir en doit-on attendre ? » Ne pourrait-on pas trouver les parties de ces ani- » maux belles et saines , et en même temps celles d'un » autre défectueuses ou corrompues ? » Dans le même animal , si un homme qui l'a choisi » trouve le foie ou le cœur gâté , un autre les aurait-il » trouvés sains et entiers ? » Mais , ajoute Cicéron , combien avons-nous de ré- » ponses des Augures, fausses, et qui toutes nous ont (1) Lib. 2. de Divinat. cap. 5. 29. Des Augures. 211 » trompés dans celte guerre civile , dont elles nous pro- » mettaient un succès tout différent ? » Il est vrai, dit -il encore (1) , que la raison et » l'expérience ont bien détrompé les hommes de ces » erreurs , niais la religion , la politique , la coutume , » l'autorité du Collège des Augures en ont soutenu » l'usage auquel nous sommes soumis , pour ne rien » changer à l'ancienne religion , qui contient le Peuple , » et pour conserver le gouvernement établi. Tel est le témoignage de Cicéron ; témoignage irrépro- chable et de la plus grande autorité , dont l'aveu démon- tre que les Augures faisaient profession de répondre sur l'avenir d'après les lumières qu'ils disaient tirer des en- trailles des bêtes , du chant et du vol des oiseaux, quoique obligés de confesser qu'ils n'y pouvaient trouver aucune ombre de connaissance soit naturelle , soit artificielle , encore moins inspirée, d'autant que les objets de leur culte n'étaient que des divinités chimériques. Aussi se- rait-il inconcevable comment l'idée de découvrir l'ave- nir par une voie si éloignée aurait pu naître dans l'esprit des premiers qui feignirent de s'en servir et qui osèrent la proposer, s'ils n'y eussent été conduits par quelque exemple et soutenus par quelque autorité. N'eût-il pas été plus naturel de consulter les astres , quelques phé- nomènes , ou même les élémens répandus dans tout l'univers , plutôt que le vol des oiseaux et les entrailles des bêtes ? Mais on découvre la raison et l'origine de cette prati- que dans un fait véritable pris de l'histoire d'Abraham, d'où l'on peut par conséquent se persuader que les faus- ses religions l'ont empruntée , suivant leur usage de for- mer mille superstitions ridicules sur les anciennes tra- ditions altérées. Aussi tous les Auteurs reconnaissaient (2) que cet art prétendu des Augures était premièrement venu du Pays des Chaldéens , d'où il avait passé aux Egyptiens , ensuite aux Grecs , et par-là aux Toscans ( qui étaient des Grecs amenés dans l'Etrurie par Tyrrhénus , fils d'Atys , Ly- dien ; ) enfin de ces derniers aux Romains. (5) Ceux-ci faisaient profession de reconnaître les Toscans pour leurs maîtres dans cet art ; ils envoyaient leurs jeunes (1) Errabat multis in rébus antiqultas , quas vel usu jam , vel doc- trine! , vel aatiqu.it ate immutatas videmus. Retinentur autem, , et ad Opinionem vulgi, et ad magnas utilitates Reipub. mos , religio , dis- ciplina ,jus Auguvum , Collegii aucloritas. Cicero , lib, 2. deDiviua- tione, O. 70 el 71. (2) Cicero, lib. 2. de Divinat. in princip. Herodotus , in Eulcipe. Diotivs. Ilalicarn. lil>. 1. versus fiuem , el H!>. 2. (3) FeueslelJa, de Saccrdotib. Roman, cap. l\. Pomponius Lxtus, daHouiunis Magistrat, et Sucerdot. can. de Aueur» 2 12 CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. gens les plus qualifiés en Toscane pour l'apprendre (i) ; ils avaient eux-mêmes fait une loi expresse (2) d'avoir recours aux Augures Toscans dans les cas difficiles et qui embarrassaient les Romains. Cet usage est attesté par Lucain. (3) Dcnys d'Halicarnasse nous apprend , au commence- ment de son premier livre des Antiquités Romaines , sur le témoignage des plus anciens écrivains , que Rome et l'Italie étaient composées originairement de nations Grecques qui s'y étaient établies en divers temps ; que les premiers étaient venus d'Arcadie sous OEnotrus , et qu'ils avaient porté les religions et le culte des Grecs dans l'Italie , où ils avaient été perfectionnés. Justin (4) assure que les Grecs avaient occupé , non-seulement une partie , mais presque toute l'Italie ; et Jules Afri- cain, qui vivait dans le troisième siècle, raconte dans sa Chronique rapportée par Eusèbe (5), que les Athéniens étaient une colonie des Egyptiens. i Mais ce que Pline (6) et Alexandre d'Alexandre (7) nous enseignent , nous conduit plus avant dans les connais- sances que nous cherchons. Ils rapportent que les Cariens furent les premiers des Grecs qui apprirent de leur Roi Car ou Caras , l'art des Augures par le vol des oiseaux. Or Hérodote , dans son second livre , nous apprend que les Cariens avaient envoyé et établi des colonies en Egypte , et Bochard (8) fait voir qu'un des premiers établisse- mens des Phéniciens fut dans la Carie , dont le nom et celui de Car , qu'ils donnent à leur Roi , est Phénicien et veut dire agneau ou bélier , de la grande quantité des troupeaux dont cette Province abonde. Ainsi l'on voit commentée sont les usages des Egyptiens et des Phéni- ciens , qui ont passé aux Grecs parles Cariens. Elien;ditque les Barbares ( parmi lesquels il compte les Egyptiens ) enseignent qu'il y a des Dieux , dont la providence veille sur nous , et qui , par leur bonté pour les hommes , leur font part de la connaissance de l'avenir par le ministère des oiseaux, par les entrailles des bêtes , etc. Mais Hérodote assure encore plus précisé- ment , que tout l'art de la Divination était venu des Egyp- tiens , ainsi que les assemblées , les pompes et les (1) Strabon , liv. 5. de sa Géographie. (2) Alexander ab Alexandro , lib. 5. in princip. (3) Hoc propter plaçait Tascos de more vetusto Acciri vatcs. Pharsal. lib. 1. v. 58Zi. [h] Au commencement du livre 20 de son Histoire. (5) Livre 10. de la Préparation Evangélique , ch. 13. (6) Pline , liv. 7. ch. 56. (7) Alexander ab Alexand. gcnialium dier. lib. 5. cap. 13. (8) In Chanaan , lib. 1. c. 7. 29. Des augures. ai3 cérémonies de la religion , et que c'est des Egyptiens que les Grecs les avaient apprises. (1) La véritable Religion nous apprend que c'est Dieu, Seigneur du Ciel et de la terre , qui est l'unique auteur et la cause universelle de tout ce qui se fait dans la na- ture , et que la puissance qu'il a communiquée aux créa- tures se réduit à produire certains effets parleur entre- mise et leur application , suivant les règles générales qu'il a établies ; mais il interrompt ou cliange ces règles quand il le juge à propos, et il produit des effets différens à l'occasion des choses qui , suivant l'ordre commun , n'y ont aucun rapport, afin de convaincre les hommes qu'il est l'auteur et le maître de ces règles générales qu'on appelle la nature. Ce sont alors des miracles qui prouvent la puissance surnaturelle et divine. Ainsi Dieu voulant fortifier la foi d'Abraham, qui lui de- mandait quelques signes pour avoir l'assurance des gran- des et incroyables promesses qu'il lui faisait (2) , daigna lui montrer que ce qui paraissait au-dessus des forces de la nature ne lui était pas impossible , et qu'il n'avait au- cun besoin du secours des causes naturelles. Prenez , lui dit-il, une vache, une chèvre , an bélier , tous de l'âge de Vois ans , avec une tourterelle et une colombe. Abraham prit ces animaux, il partagea, comme il lui était or- donné , les trois premiers par le milieu , il disposa à ses côtés les parties semblables de chacun l'une vis à vis de l'autre , mais il ne partagea point la tourterelle ni la colombe, et il empêcha que les oiseaux de proie qui vin- rent fondre sur ces bêtes mortes ne les entamassent. Au coucher du Soleil , Abraham s'endormit , et fut saisi d'une horreur violente et d'épaisses ténèbres , dans les- quelles Dieu lui apparut , lui parla , et lui fit voir dans l'avenir que sa postérité serait comme exilée et asservie dans une terre étrangère durant quatre siècles , après lesquels Dieu châtierait le Peuple qui l'aurait tenue en servitude et la tirerait de leurs mains riche et puissante ; que pour lui il mourrait en paix dans une heureuse vieil- lesse , et que sa quatrième génération viendrait s'établir dans la terre de Chanaan où il était. Après le coucher du Soleil il s'éleva un brouillard obscur, dans lequel Abraham vit un four qui fumait et une lampe allumée qui passait dans le milieu , et qui séparait les parties des animaux. Alors Dieu renouvela ses promesses , fit al- liance avec Abraham , qui fut ainsi confirmé dans les espérances que le Seigneur lui avait données. (1) Est divinandi in temples ratio ab JEgypto adscita ; ipsi igitur Mgyptii exstiterunt principes conventus et pompas et conciliabula factitandi , et ab iis Grœci didicevunt. JUerodote , liv. 2. n. 58. (2) Chap. 15. de la Genèse. 2l4 CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. Voilà la source véritable et unique d'où l'Esprit de séduction qui tenait les Nations dans l'idolâtrie , leur a fait puisser l'idée qui n'aurait jamais pu naître d'elle- même dans l'esprit des hommes, de chercher la connais- sance de l'avenir dans les entrailles des bêtes et dans le vol , le chant et le manger des oiseaux. Elle est la même dans la copie défigurée et dans l'Original , dans la Fable et dans l'Histoire sacrée , mais ridicule et inconcevable dans celle-là , très- raisonnable et divine dans celle-ci. Au surplus , Dieu défendit par sa Loi (1) toutes sor- tes d'augures et de divinations , soit par les songes , soit pat toute autre pratique. On ne doit pas attribuer à aucune espèce d'augures l'observation des jours qu'on comptait pour malheureux, auxquels les Romains n'osaient entreprendre rien de considérable, ils n'avaient la faiblesse de les craindre , que parce qu'en de pareils jours ils avaient souffert des pertes et qu'il leur était arrivé des disgrâces. (2) ®®®®®®®®®®®®®®®®®®®®©®®®®®®®®®©®®®®® XXX. DE LA BAGUETTE DIVINATOIRE. JLiA Baguette estime autre espèce de divination suggé- rée par le Démon qui Ta empruntée des œuvres de Dieu pour usurper son culte ; il a profité de l'impression qu'un pareil instrument avait fait sur l'esprit des hommes , lorsque Dieu s'en était servi pour opérer des prodiges, et il leur en a fait attendre de semblables effets pour contenter leurs passions et pour les confirmer dans les voies de l'erreur où il les avait engagés. C'est aussi , entre les pratiques superstitieuses, celle qui s'était le plus répandue et le plus accréditée ; elle a séduit , même de nos jours , un grand nombre de per- sonnes et de Savans de toutes les conditions , quoique l'usage n'en ait jamais été approuvé par l'Eglise. On a cherché et l'on a cru découvrir parla Baguette les eaux et les sources cachées , les métaux et les miné- raux , les trésors enfouis dans la terre ou renfermés dans les murs , les bornes qui ne paraissent plus ou qui ont été enlevées , les grands chemins perclus , les vo- leurs , les assassins , les maléfices attachés à certains lieux ; on s'en est servi pour remettre les os disloqués ou rompus ; on en a fait un remède à toutes sortes de maux ; on l'a consultée pour les choses les plus cachées (1) Lévitique, ch. 19. (2) Omen ab éventa est , Mis nam Roma dicbus Damna sub adverso tristia Marte tjilit. Ovide , dans ses Fas'esi 3o. De la Baguette. 21 5 du passé, du présent et de l'avenir ; on l'a interrogée sur les intentions les plus secrètes. Ces recherches ont abusé bien des gens dans tous les siècles et ebez toutes les Nations; quelques-uns les ont approuvées , d'autres les ont combattues. On sait la réputation qu'on leur avait donnée il y a quelque temps , particulièrement dans quelques Provinces de ce Royaume, et combien l'usage en devenait fréquent. Les faits ne sont pas fort anciens. Des personnes de toutes sortes d'états s'y sont laissées séduire par la facilité qu'ont les 'hommes de croire tout ce qui Halte leur cu- riosité et leurs passions. Celle Baguette a été quelque fois appelée Verge de Mercure, ou même Verge de Moïse , d'autres fois Baguette divinatoire ou de divination. On y a affecté quelques bois particuliers , entre autres du Coudrier , dont on a cru que fut la Verge de Moïse ; quelques-uns ont choisi d'autres bois ; d'autres enfin ont pris de toutes sortes de bois sans distinction. Plusieurs ont voulu que la Baguette fût fourchue , ou que le bois en fût cueilli en certain temps. Il y en a qui y ont mêlé des paroles tirées ou des Psaumes ou d'autres endroits de la Sainte Ecri- ture. Certaines Nations invoquaient leurs Dieux ; plu- sieurs ont invoqué Mercure , d'autres Moïse même. On a cherché dans la Physique les causes naturelles des merveilles de la Baguette. On n'a pu y trouver aucun rapport raisonnable avec l'ordre établi de Dieu dans le cours ordinaire de la nature ; d'autant plus qu'on les fai- sait même souvent dépendre de l'intention à laquelle on voulait appliquer la Baguette : ce qui est évidemment hors de l'ordre naturel. Ainsi l'a-t-on jugé ; et un savant Père de l'Oratoire (1) a fait voir dans sa curieuse Histoire des Pratiques Superstitieuses , que ce ne pouvait être que des illusions et des impostures , ou une suite de quelque pacte avec le Démon , qui , par la connais- sance qu'il a de plusieurs choses qui nous sont incon- nues , ou par sa subtilité et par ses prestiges , veut s'attirer le culte qui n'est dû qu'au souverain Créateur. Aussi l'Eglise a dans tous les temps condamné ces usa- ges comme des superstitions et des abus de la Religion. L'antiquité de ces usages paraît dans les plus anciens Historiens et Poètes : Hérodote (liv. h. ) décrivant les mœurs des Scythes , rapporte qu'il y a parmi eux quan- tité de Devins qui se servent de verges de saule qu'ils étendent sur la terre et qu'ils relèvent ensuite , par l'at- touchement desquelles ils prédisent l'avenir ; que leur Roi , quand il est malade , appelle auprès de lui les plus eélèbres de ces devins. (1) Le Père Le Brun. 2ï6 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. Strabon (i) conte que les Prêtres ou Magiciens des Perses font leurs imprécations et leurs prédictions parla vertu d'un faisceau de verges de Tamaris qu'ils tien- nent dans leurs mains ; que c'est aussi la manière des Cappadociens , et qu'il l'a vu lui-même. Dans la Fable , c'est par sa verge magique (2) que la célèbre Circé changea les compagnons d'Ulysse en pourceaux , et qu'elle transforma en oiseau Picus (3) qu'elle aimait. La verge de Mercure a été célébrée par tous les Poè- tes : « C'est par cette verge qu'il conduit les âmes aux » enfers , qu'il endort et qu'il éveille comme il veut, » dit Homère. (4) Ce que Virgile a imité. (5) « Mercure , dit- » il , avec sa puissante verge , évoque des âmes des » enfers , et il y en précipite d'autres ; il endort et il » réveille , il ferme les yeux à la lumière pour toujours ; » il anime les vents et perce les plus épais nuages. C'est » par elle qu'il endormit et ferma les cent yeux d'Ar- » gus. (6) » Cette verge entortillée de serpens , qu'on donne à Mercure et qu'on nomme le Caducée , a toujours été reconnue comme une copie de la verge de Moïse , d'au- tant mieux que l'origine des serpens entortillés autour de cette verge est venue , comme nous l'apprend Ma- crobe (7) , des Egyptiens , chez qui la verge de Moïse fut changée en serpent , redevint verge , dévora d'autres serpens , et ensuite opéra les prodiges les plus éclatans. Nous voyons dans l'Hymne à l'honneur de Mercure, qui a été attribué à Homère , un autre effet et un autre usage de cette verge , qui a contribué à établir Mercure le Dieu des voleurs ( qualité en laquelle il a été reconnu par toute l'antiquité Païenne. ) Il y est peint portant toujours sa verge ; et parmi ses plus signalés ex- ploits il se vante : « Qu'il va percer une maison superbe » dans une campagne de l'Asie appelée Python ( dont » Pline et Solin (8) parlent ) , d'où il enlèvera des meu- » blés et des ustensiles riches et précieux, de l'or, des » métaux et des habits magnifiques (9) ; » ce qui est un (1) Livre 5. de sa Géographie , n. lu. (2) Au 10. liv. de l'Odyssée d'Homère , et au lu. liv. des Méta- morphoses d'Ovide. (3) . . . . Quem capta cupidine conjux Aureâ percussum virgâ versumque venenis Fecit avem Circe. ^Enéide , liv. 7. v. 190. [Il] Livre 24. de l'Odyssée. (5) Au A. liv. de l'Enéide , v. 2Z|2. (6) Languida permulcens medicatà lumina virgâ. Ovide , Métamor- phoses, liv. 1. (7) Lib. 1. Saturnal. cap. 19. (8) Pline, liv. 10. de son Histoire, eh. 23. Solin, ch. 43. (9) Abibo in Pyttiona magnamdomumper/oraturus; liinc qui abîmai 3o. De la Baguette. 217 trait singulier dont on reconnaît l'original comme nous le verrons. Le nom de verge de Mercure, qu'on a donné fréquem- ment et communément à la Baguette , et quelquefois celui de verge de Moïse , ( ce qui est presque égal , ) les serpens entortillés autour de cette verge , et son origine déclarée Egyptienne , font déjà assez sentir que ce n'est au'une copie de la fameuse verge avec laquelle Moïse fit e si grands prodiges premièrement en Egypte. Ce fut par la vertu de celte verge miraculeuse , que Dieu voulut confirmer l'autorité de l'ambassade de Moïse et justifier sa mission auprès de Pharaon ; qu'il l'établit le Dieu de ce Prince (1) ; qu'il lui communiqua sa toute- puissance sur les élémens et sur toute la nature. Et pour le confirmer lui-môme , il lui ordonna de jeter à terre sa verge, qui fut d'abord changée en serpent (2) ; par un second ordre de Dieu , il prit ce serpent par la queue , et il redevint verge. (5) Voilà le fameux Caducée de Mercure. Dieu dit encore à Moïse : (4) Prenez en main cette verge, avec laquelle vous ferez tous les prodiges que je vous al pro- mis. Moïse alla donc en Egypte , portant dans sa main la verge de Dieu (5) , marque et symbole de son autorité. Ainsi la verge , le bâton et le sceptre , qui sont des ter- mes synonymes dans toutes les langues, et particulière- ment dans la Grecque, sont devenus les marques de l'autorité souveraine. Lorsque Moise et Aaron furent en présence de Pharaon qui leur demanda des miracles , pour prouver qu'ils étaient envoyés de Dieu , ils changèrent , comme Dieu le leur avait ordonné , la verge en serpent. Les Magi- ciens de Pharaon , connus sous les noms de Jannés et de Mambrés (6) , jetèrent aussi chacun la leur , et Dieu permit un changement pareil ; mais pour ne pas laisser de doute , la verge de Moïse dévora les leurs. La voilà toujours entortillée de serpens. Ensuite Moïse frappa de sa verge l'eau du fleuve (7) , et elle fut changée en sang avec toutes les eaux de l'Egypte ; ce que Dieu permit encore aux enchanteurs insunt tripodes et lebetes depopulabor , et aurum , et abunde splendi- dam ferrum , et militas vestes, v. 178. et secf. (1) Dixit Dominas adMoysen: Ecce constitui te dominant Pliarao- nis. Exod. c. 7. v. 1. (2) Projecit eam , et versa est in colubrum. Exod. ch. h. v. 3. (3) Versaquc est in virgam. Ibid. v. U. (û) Virgam quoque liane sume in manu tuâ , in quâ facturus es signa. Ibid. v. 17. (5) Portans virgam Dei in manu sud. Ibid. V. 20. (6) Exod. ch. 7 , et suiv. (7) Ibid. v. 19. 10 SI 8 CONFÉRENCE DE LA FABLE, etc. de Pharaon d'imiter , soit qu'ils eussent fasciné la vue , soit qu'ils eussent par le secours du Démon amené des serpens et d'autres matières propres à faire ce dernier effet. Mais Dieu voulant confondre Pharaon , fit que Moïse ayant frappé la terre avec sa verge , l'Egypte en- tière , les hommes et les animaux furent tout couverts de moucherons ; ce que les Magiciens ne pouvant imi- ter , ils se confessèrent vaincus , et dirent à Pharaon , qu'on ne pouvait s'empêcher de reconnaître là le doigt de Dieu, (i) Voilà l'impuissance de la Baguette , qui n'agit que suivant les ordres de Dieu. On sait les autres prodiges que Moïse opéra ensuite avec sa verge (2) , contre Pharaon et l'Egypte , par la vertu desquels il obligea les Egyptiens à livrer au Peuple dont il était le Chef leurs vases d'or et d'argent (3) , des meubles et des habits précieux. Ils se dépouillèrent pour ce Peuple , et le pressèrent de sortir de leur Pays avec ces richesses ; c'est ce qui a été copié dans le prétendu en- lèvement fait par Mercure des meubles , des vases , des métaux et des habits précieux, de l'or et d'autres ri- chesses de la campagne de Python , avec d'autant plus de vraisemblance , que ce nom de Python est le nom d'une "Ville des Hébreux en Egypte (4) , d'où ils enlevèrent en effet , comme il vient d'être dit , les richesses des Egyptiens , sous la conduite de Moïse. L'Ecriture Sainte nomme cette Ville Phithon , ce qui ne fait aucune diffé- rence , le Pi des Grecs répondant au Plié des Hébreux, et le Pi et le Phi étant d'ailleurs très-aisément confondus ensemble dans le Grec. Ainsi la Fable a conservé jus- qu'aux noms des lieux , en empruntant cette aventure de l'Histoire. Cette même aventure a fait attribuer à la Ba- guette le pouvoir de découvrir l'or , l'argent et tous les métaux. D'un coup de verge que Moïse (5) donna sur la mer , il la divisa , et il ouvrit au milieu des ondes un chemin sec aux Israélites ; d'un autre coup ensuite il fit revenir et réunir les eaux séparées, pour envelopper et submer- ger les Egyptiens qui les poursuivaient. De là le pouvoir de la verge de Mercure , d'envoyer les âmes aux enfers , et de les en retirer Dans le Désert de Raphidim (6) , où la disette d'eau (1) Digitus Dei est lue. Ibid. v. 19. (2) Exod. c. 9 et 10. (3) Peiierunt ab jEgyptiis vasa orgentea et aurea , vestemque pluri- mam, et spoliaverunt /Egyptios. Exod. c. 12. v. 35 et 36. (4) JEdiftcaveruntqiie urbes tabernaculoriim Pliaraoni , Phitkom et liamesscs. Exod. c. 1. v. 11. (5) Exod. ch. 14. v. 16 , 21 , 27 et suiv. (0) Exode , ch. 17. v. 5 el 6. 3o. De la Baguette. air) fit murmurer le Peuple , Moïse , suivant l'ordre de Dieu , frappa de sa verge un rocher , et il en sortit une source abondante. La voilà qui découvre et fait trouver de l'eau. Dans le Désert de Mara , où il n'y avait que des eaux amères (0 dont on ne pouvait boire , Dieu fit connaître àMoïse un bois qui jeté dans ces eaux les fit devenir dou- ces. De tous ces endroits s'est formée l'opinion de l'as- cendant de la Baguette sur les eaux. Cette même verge , toute sèche , poussa seule dans une nuit des boutons , des Heurs , des feuilles et des fruits (2) , au milieu de plusieurs autres qui demeurèrent sèches. De là peut être venue l'idée qu'il n'y avait que certains bois propres aux Baguettes , ou qu'ils devaient être cueil- lis en certain temps ; et que les autres bois , ou cueillis hors du temps propre , étaient sans vertu. Il- n'est pas surprenant que sur ces exemples on ait voulu donner à la Baguette la vertu de découvrir des source d'eau cachées ; et que le penchant des hommes vers la curiosité et vers les merveilles en ait voulu trou- ver de toutes les espèces dans cette vertu de la Baguette , qui en avait produit de si différentes. Et parce que Moïse et Aaron qui portaient cette verge , conduisirentles Israé- lites dans le Désert durant quarante années , on a cru pouvoir avec la Baguette reconnaître les chemins per- dus ; comme aussi la même raison peut avoir contribué à faire Mercure Dieu des chemins et des voyageurs. Mais comme tous ces prodiges étaient produits par des ordres particuliers et exprès de Dieu , qui a vu que le Peuple en abusait ; qu'il croyait cette vertu naturelle dans ce bois , et qu'il prétendait que de semblables Ba- guettes de bois devaient opérer de semblables effets et découvrir ce qui était le plus caché ; il se plaint , par son Prophète Osée , Que son Peuple se laissant aller à l'esprit de séduction , a consulté un morceau de bois , et a voulu se faire prédire l'avenir par un bâton. (3) C'est ainsi que Dieu condamne les usages de la Baguette , que son Eglise a toujours aussi condamnés, et dont l'abus est démontré dans l'Histoire des Pratiques Superstitieuses que nous avons citée. (1) Nonne à Ugno indulcata est aqua amara ? Exode , ch. 15. V. 25. et au ch. 38. de l'Ecclésiastique , v. 4 et 5. (2) Nombres , ch. 17. v. 7. (3) Populus meus in Ugno interrogavit , et baculus ejus annuntia* vit ei , spiritus autem fornicationis decepit eos. Osée, c. k. v. 12. a20 CONFERENCE DE LA FALLE , etc. «®®€®®®®©®®®®®®®®®®®®®®®®®e®®®®®®«®® XXXI. DES SORTS. Il en est de la divination par les Sorts , comme des Au- gures : on ne peut naturellement penser ni croire avec aucun fondement de raison , que le Sort , par exemple un dé jeté témérairement , ou un billet écrit au hasard sans connaissance , sans dessein , puisse faire juger sûrement et prudemment d'un fait inconnu , tant à ceux qui ont écrit ou marqué ce billet ou ce dé , qu'à ceux qui l'ont jeté. Comment sur un pareil coup aveugle et imprévu , condamner un homme accusé , ou absoudre un homme suspect ? « Le hasard seul , sans raison , sans » dessein , peut-il décider avec justice et avec autorité , » dit Cicéron (1) ? quelle supercherie ? quelle supersti- » tion ! quelle vaine imagination ! » C'est aussi pour montrer sa toute-puissance , qui n'a besoin d'aucun moyen naturel pour servir d'instrument à ses opérations , que Dieu , dans certaines occasions , a voulu faire découvrir les choses cachées et décider les plus obscures parle sort , qui est devenu sage et éclairé lorsque Dieu l'a ordonné et conduit. Ainsi quand Achan eut dérobé et caché l'argent , le manteau et la règle d'or du butin de Jéricho ( que Josué avait déclaré être tout consacré au Seigneur ) , Dieu ordonna que le sort fût jeté sur les Tribus , puis sur les Familles de la Tribu marquée par le sort , ensuite sur les maisons , et enfin sur les particuliers. (-2) On sait que le sort tomba sur Achan coupable, qui pour lors confessa son crime. Ce fut aussi par le sort ordonné de Dieu (3) , que Samuel fit élire Saûl premier Roi d'Israël. Sur ces exemples , le Démon , singe de la Divinité , fit prendre aux Nations l'idée et l'usage de chercher à découvrir par le sort les choses cachées ; on y consacra certains lieux et certains Temples pour leur attirer de la vénération ; la Yille de Préneste , aujourd'hui Pales- tine, dans la Campagne de Rome, devint célèbre par la magnificence de son Temple dédié à la Fortune , où l'on allait consulter les sorts , dont les Prêtres étaient les directeurs et les interprètes. Pour leur donner plus de crédit , on supposa une origine ou une découverte (1) Quid sors, cui temeritas et casus , non ratio, non consilium, valet ? tota res est inventa fallaciis , aut ad quœstum , aut ad supersti- tionem , aut ad errorem. Lib. 2. de Divinat. n. 85. (2) Josué , en. 7. v. 14. et suiv. (3) Livre 1. des Rois , c. 10. Zi. Des Sorls. 0/11 miraculeuse des caractères qu'on y employait ; on accou- rait de tous côtés pour s'instruire, par les sorts de Pré- neste , de ce qui était le plus obscur dans le présent et dans l'avenir. Cicéron (i) vante leur ancienne réputation. La Ville de Patare , dans la Lycie, était aussi fameuse par un Temple et un Oracle d'Apollon , qui y répondait par la voix des sorts. (2) Quantité d'Auteurs font mention de ces sorts Lyciens comme de ceux de Préneste. On s'avisa dans la suite de plusieurs espèces de sorts. Comme il n'est pas mal aisé d'ajouter , ou de diversilicr, et que la nouveauté est un secours pour attirer le Peu- ple , on s'avisa de jeter dans l'eau de quelque fontaine bien claire des pièces en forme de dé, dont les faces étaient marquées de nombres divers , ou de figures par- ticulières; et suivant le nombre ou la figure qu'on voyait au travers de l'eau sur la face supérieure du dé coulé à fond , on formait les présages et les réponses favora- bles , ou contraires, à ceux qui consultaient ces sorts. Pour augmenter encore le mystère, on attachait cette prérogative à certaines fontaines voisines de quelques Temples , qu'on appelait sacrées , afin de remplir l'es- prit des Peuples de la superstition que les Divinités vou- laient être particulièrement adorées dans ces lieux, où elles rendaient ces sortes d'Oracles ; les mauvais esprits y poussaient les hommes idolâtres , et s'y mêlaient eux- mêmes pour se faire adorer comme des Divinités. Ainsi nous lisons dans la vie de l'Empereur Tibère , parmi la quantité des présages de sa grandeur future re- cherchés dans sa jeunesse , que dans une de ces fontai- nes , appelée Apone , au voisinage de Padoue , près d'un Temple de Géryon , on jeta de grands dés d'or , comme l'Oracle l'avait ordonné ; et que la face qui parut quand ils furent posés au fond de l'eau, se trouva celle qui était marquée du plus grand nombre de points. (5) Ces dés paraissaient encore au même endroit du temps de Suétone, Historien de cet Empereur. Claudien et Lucain célèbrent aussi cette fontaine. La Toscane avait de même un étang que formait près de sa source le fleuve Clitomne, assez chanté par les Poètes , et duquel on avait fait même une Divinité qui avait là son Temple. On allait y jeter pareillement des •1) Lib. 2. de Divinat. n. 86. (2) Alexand. ab Alex. lib. 1. génial, dier. cap. 13. et lib. 0. cap. 2. (2) Juxta Patarium adiit Gcryonis Oraculum , sorte tracta, quâ monebatur ut de consultationibus in Aponi font cm tatos aureos jace- ret. Evenit ut summum numerum jacti ab eo ostenderent ; liodicquc sub aquâ visuntur lu tali. Sue Ion. in Tibcrio , cap. II. 111 CONFÉRENCE DE LA FABLE , etc. dés , pour y lire au travers de l'eau ce que leur face ap- parente présageait de bon ou de mauvais. Pline le jeune rapporte qu'on les discernait encore de son temps , et qu'on pouvait les compter dans le fond de cet étang. (1) On ne s'arrêta pas là , et l'on imagina encore d'autres genres de sorts , par l'ouverture de certains livres et la rencontre fortuite de ce qu'ils offraient d'abord aux yeux dans l'endroit ouvert au hasard et sans affectation. On se servait pour cet usage particulièrement de quelques li- vres fort connus , et dont la variété pouvait fournir quan- tité d'idées et de pensées différentes : tels étaient Ho- mère et ¥irgile. On trouve les sorts Virgiliens célébrés en bien des endroits. Spartian , dans la vie de l'Empereur Adrien , conte que ce Prince , curieux de connaître les sentimens que l'empereur Trajan avait pour lui, con- sulta ces sorts , et ayant ouvert Virgile , rencontra heu- reusement ces vers de l'Enéide (5) , où Anchise faisant connaître à Enée dans les Champs Elysées les âmes de ses successeurs , lui montre Numa Pompilius qui devait être appelé au Royaume de Rome après Romulus ; ce qui fut pour Adrien un présage qu'il serait Empereur après Trajan. Mais la fraude se glissait aisément dans ces sorts , soit par l'ouverture artificieuse du livre, soit par le rapport infidèle de ce qu'on y avait rencontré. Ainsi Hérodote (5) enseigne qu'Onomacrite , banni d'Athènes par Hippar- que, rapportait infidèlement au Roi Xerxès , auprès du- quel il s'était retiré , les sorts de Musée , et qu'au lieu de ce qui s'y rencontrait de désagréable et de mauvais présage , il lui récitait des passages favorables et qui lui promettaient d'heureux succès. La superstition des sorts s'étendit jusques à les tenter et à les pratiquer par l'ouverture du Livre des Evangi- les ; ce qui pouvait séduire les simples parla vénération due à ce saint Livre ; mais c'est ce que l'Eglise n'a ja- mais approuvé ; plusieurs Conciles du cinquième siècle et des suivans en ont défendu l'usage , pratiqué en quel- ques endroits , et saint Augustin l'avait auparavant condamné dans une de ses Lettres à Janvier. Ces divinations par les Augures et par les Sorts avaient déjà perdu tout crédit , du temps de Cicéron (4) , chez les personnes de bon sens , et ne se soutenaient que pour (1) Ut numerare jactas stipes et relucentes calculos possis. Plinius , lib. 8. episL 8. (2) Quis procul Me autcnïramis insignis ollvœ , Sacra ferens ? etc. Missus in Imperium magnum, etc. ./Encid. lib. G. (3) Vers le commencement t'a son septième livre. (-'!) De Divinat. lib. 2. n. 70 et 71. 3t. Des Sorts. zi3 conserver au Gouvernement l'autorité sur le Peuple , comme nous l'avons vu au sujet des Augures. Et pour les Sorts , Cicéron (1) ajoute : « Que ceux do » Prénestc , qui avaient été les plus fameux , et tous les » autres de munie espèce, étaient déjà communément » décrédités ; que le Temple , par sa beauté et par » son antiquité , en retenait encore le nom parmi le vul- » gaire , mais qu'il n'y avait pas un homme de quelque » considération qui s'avisât d'y avoir recours , et que » dans les autres lieux généralement , les Sorts étaient » méprisés et abandonnés. » Il se présente encore dans la plus illustre des super- stitions Païennes une copie de l'original Divin , dont la conformité est si sensible et si singulière, qu'elle ne doit pas être omise en cet endroit. C'est dans la manière dont les Devins , îcs Prêtres , les Prêtresses des Idoles et la Sibylle débitaient leurs prédictions et rendaient les ré- ponses qui leur étaient inspirées par leurs Dieux, c'est- à-dire par les Démons que l'on consultait. Ces Devins étaient saisis et remplis d'un esprit qui les agitait , qui les mettait hors d'eux-mêmes, qui changeait tout leur visage et renversait leurs sens. (2) Dans ces transports de fureur, pressés par l'esprit qui s'était emparé d'eux , ils prédisaient et prophétisaient, sans savoir même ce qu'ils faisaient. Hélénus dit à Enée (5) : «Vous verrez la Sibylle en fureur , qui vous apprendra vos destinées. » Lorsque Enée voulut la consulter, elle commença par crier : « Je » sens le Dieu qui se saisit de moi : «elle changea de couleur et de visage , ses cheveux se hérissèrent ; elle était si pressée , qu'elle ne pouvait respirer (4) ; enfin pleine du Dieu qui la possédait, et ne pouvant le sou- tenir , elle cherchait à le secouer , mais elle n'en était que plus tourmentée , jusque à ce qu'il lui eût fait pro- noncer ce qu'il lui inspirait ; alors la fureur la quitta , elle redevint tranquille. (1) Prœnest inassortes, quœ summâ nobil'tfate fuerunt , et hoc genus divinationis vitajam communes explosif. Fani pulckritudo et vetustas , Prœncslinarum etiam nunc sorlium retinet nomen , atque id in eut- gus ; guis enim magistraius , aut quis vir illuslrior tititur sortibus ? eœteris verà in locis sortes plané refrixerunt. De Diviiiat. lib. 2. n. 86 et 87. (2) Deus , cece Deus ; cul ialia fanli Ante fores , subito, non vuttus , non color anus, Non comptai mansere comœ ; secl pectus anhelum , Et rabie fera corda t ument , major que vider i , IS'cc mortale sonans , afflala est numine quando Jam propiore Dei. jEneid. lib. 6. v. 46. [h] Insanam votent aspicies , etc. /Eucid. lib. 3. v. Û43. (!i) At Pliœbi nondum patiens , immanis in antro Bacchatur vates , magnum si peclore possit Excussisse Deum : tantô magis ilte faligat Os rabidum , fera corda damans , ûngitqae nr*mendo. Ibid. lib. 6. v. 77. 224 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. La Prophétesse Pythie est représentée dans Plutar- que (0 comme entraînée malgré elle dans le trou de l'Ora- cle par un Esprit malin qui la tourmentait et qu'elle ne pouvait supporter ; toute hors d'elle-même , dans des agitations terribles , elle se jetait par terre avec des cris épouvantables. «Ce n'est pas à la prudence ni à la raison » humaine , dit Platon dans le Timée , que Dieu a donné » le don de prophétiser, c'est plutôt à la fureur, puisque » personne n'a ce don divin lorsqu'il jouit de son bon » sens et d'un esprit tranquille, mais seulement lorsqu'il » est hors d'état de raisonner, et que son esprit est » aliéné par un divin transport. » Toutes ces fureurs ridicules et inconcevables , dont les plus habiles Païens , Platon , Cicéron et Plutarque n'ont su trouver aucune raison , ne peuvent être que des co- pies de ce qu'on lit dans nos Saintes Ecritures , où Dieu, pour faire voir que les prédictions des Prophètes ne ve- naient pas d'eux-mêmes , et ne dépendaient ni de leurs connaissances , ni d'aucune vertu qui fut en eux , les mettait hors d'eux-mêmes , et les transportait dans une espèce de fureur, durant laquelle ils prophétisaient. On le voit dans le divin original faire tout ce que nous venons de voir dans les copies. Samuel dit à Saiïl (2) : « Vous trouverez une troupe de Prophètes accompagnés » d'instrumens ; dès lors l'esprit du Seigneur vous sai- » sira , et vous prophétiserez comme eux ; » ce qui arriva de même. Dans la suite trois troupes de soldats , que Saiïl envoya les uns après les autres pour prendre David , l'ayant trouvé avec Samuel et une troupe de Prophètes qui pro- phétisaient, furent eux-mêmes saisis de l'esprit du Sei- gueur, et prophétisèrent avec eux. Saûl transporté de colère , y alla lui-même ; dès qu'il y fut arrivé, la fureur le saisit , il se dépouilla de ses habits , il se jeta par terre, où il demeura couché tout nu durant un jour et une nuit , et prophétisa comme ceux qu'il avait envoyés. (o) Quand les trois Rois , de Juda , d'Israël et d'Edom , pressés par les armes du Roi deMoab, allèrent trouver le Prophète Elisée , pour implorer par son intercession le secours de Dieu ; ce Prophète , après quelque emporte- ment contre le Roi d'Israël , fit venir un joueur de harpe , et à mesure que ce joueur chantait , Elisée , rempli et transporté par l'esprit du Seigneur , prophétisait. (4) Voilà les originaux divins , dont la seule imitation a (1) Sur la fin du traité des Oracles qui ont cessé. (2) 1. Livre des Rois , ch. 10. v. 5 , 6 , et 10. (5) Sur la fin du ch. 19. du premier Livre des Rois. [h) Livre A. des Rois , ch. 3. v. 10 et suivans. 3i. Des Sorts. ii5 fait produire par les démons envieux et recevoir par les nations abusées , les copies que nous leur avons confron- tées dans les prédictions des Prêtres des Idoles. - N'y a-t-il pas dans tout ce que nous avons vu de quoi se persuader raisonnablement que tout ce qui regarde les Sacrifices, les Augures , les Sorts et toutes sortes de Divinations , a été emprunté de la véritable Religion , des lois et des usages des Hébreux ? Les Sacrifices se trouvent chez les ancêtres de ce Peuple avant l'Idolâtrie, dès le commencement du monde , par Caïn et Abel , en- suite par Noô quand il sortit de l'Arche ; les animaux mondes et immondes y sont distingués ; on y voit l'Holo- causte, le principal des Sacrifices, qui détruit toute la victime ; ces Sacrifices sont continués par Abraham et par Job de la même manière. Nous avons même vu , dans Abraham , et la manière particulière des Sacrifi- ces, et l'origine des Augures par le partage des hosties et l'observation des oiseaux. On trouve de plus dans l'Histoire divine de ce Peuple , les véritables et solides raisons de l'établissement des Augures et des Sorts qui paraissent chimériques et in- concevables dans le Paganisme. Ce qu'on en lit dans cette sainte Histoire est donc antérieur à tout ce qu'on peut voir dans les Historiens et les autres Auteurs Profanes. Les usages et les cérémonies en ont été invariables chez les Juifs. Voilà le caractère de l'original et de la vérité ; ils ont été sujets à mille ebangemens et diversités contrai- res parmi les Nations ; et plus différens à proportion dans les Nations qui avaient eu moins de commerce avec les Juifs. C'est le propre des copies et de la fausseté. Le faux culte suppose encore nécessairement et prouve le véritable , sans lequel le faux n'aurait jamais été ima- giné ni reçu , suivant la remarque de M. Pascal (i) , qui fait voir que les faux miracles prouvent et supposent les véritables. Enfin on ne peut penser que le sage Législateur des Juifs eût voulut faire suivre au Peuple auquel il donnait les lois que Dieu même lui dictait, les mêmes lois , les mêmes cérémonies , la même forme de Religion que ce Peuple avait vu pratiquer aux Egyptiens , puisqu'il lâchait de lui inspirer de l'éloignement et de l'horreur pour les mœurs et la Religion de cette nation. Nous avons déjà remarqué que par une loi expresse et réitérée (2) , il lui était ordonné de ne sacrifier ni suivant les coutumes (1) Dans ses Pensées, eh. 27. (2) Juxta consuetudincm terrai Mgypii , in qua habitastis , non fa- ciel is ; juxta mor cm regionis Chanaan , ad quant ego introducturtiS' sum vos, non agetis , nec in tegilimis connu ambulabitis. Levilic. c. 18. v. 3. et Deuteron. c. 12. v. 30. 10* Zl6 CONFÉRENCE DE LA. FABLE , etc. de l'Egypte dont il sortait , ni suivant celles du Pays de Chanaan dont il devait être mis en possession , enfin de ne se conformer en aucun point qui regardât la Religion , ni aux règles ni aux usages de ces Nations. C®®®©©®®©©®©©®®©®©-©©®®®®®®®®®®®®®®®© XXXII. PSYCHÉ, OU L'AME. .Psyché n'est autre chose que l'ame , mais l'ame de l'homme , laquelle unie au corps compose l'homme , comme l'explique Platon , dans son Dialogue intitulé Cralyle , ou de la juste raison des noms , où il enseigne que tuyj, ou Psyché, veut dire l'ame, qui, unie au corps , le fait vivre , respirer et mouvoir. C'est la grande Fable de l'ouvrage d'Apulée intitulée l'Ane d'or , où ce Philosophe Platonicien, pour la mieux déguiser , et pour composer son Roman , l'a mêlée avec des contes ridicules et parmi quelques opinions des Pla- toniciens de son temps. Mais elle a tant de rapport à la première Histoire des Livres de Moïse et à ses principa- les circonstances , qu'il paraît évident que cette même Histoire est la source de la Fable dont il s'agit. Sanchoniathon Phénicien , dans l'Histoire de son Pays , tirée des Registres publics et sacrés , fait mention de l'histoire d'Adam, d'Eve, de l'arbre du fruit défendu , et du Serpent. D'autres Auteurs en ont parlé , et le Rabbin Maimonides, rapporté par Grotius (i) , atteste qu'elle était connue de son temps parmi les Indiens Idolâtres ; ce qui est confirmé par la relation authentique que le P. Bou- chet a donnée des premières traditions de la religion des Indiens , dans sa lettre à M. Huet , que nous avons citée , page 40. De là peuvent être sorties les fables des serpens qu'on a dit avoir eu commerce avec des fem- mes (2) , comme on l'a écrit d'Oiympias mère d'Alexandre. Eusèbe (0) a fort justement remarqué que c'était cette même histoire du serpent qui avait trompé Adam et Eve, que Platon avait copiée et mise dans la bouche de Socrate dans son Dialogue du Banquet, en leur donnant les noms de Porus et de Pénie. Voyons-la dans Platon même. « Un des démons , dit-il, est l'amour déréglé des vo- » luptés , duquel je vais exposer l'origine. A la naissance » de Vénus , les Dieux en célébrèrent la fêle ; avec eux » était Porus , fils de la Sagesse et du Conseil {h) , et qui (1) De la vérité de la Religion chrétienne , ch. 16. (2) riutarque , en la vie d'Alexandre. (3) Préparation Evangélique , liv. 12. ch. 11» [U) Consilii filius. 32. Psjclié , on l'Aine.