s • xP 'i:i;ïU. Ml . I. CURIOSITÉS THÉÂTRALES ANCIENNES ET MODERNES FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES •y W~« Y. FOURNEL ADOLPHE DELAHAYS, LIBRAIRE-EDITEUR i-G, KIE VOLTAIRE, 4-6 1859 Droits tle traduction et do reproduction réservés. Ihmùo- PRÉFACE Ce n'est pas sans raison que nous avons intitulé ce volume Curiosités théâtrales, et non Curiosités drama- tiques. Le lecteur qui confondrait ces deux titres s'exposerait à plus d'un mécompte en lisant notre ou- vrage. En effet, l'extrême abondance des matières nous a forcément restreint au théâtre matériel pour ainsi dire, et ne nous a permis d'étudier les œuvres dramatiques que dans leurs rapports intimes avec la scène proprement dite. On trouvera sans doute qu'il y avait matière à un recueil fort intéressant dans l'examen de toutes ces pièces singulières, bizarres, parfois incroyables, tragédies ou comédies, mélodrames ou vaudevilles, parodies ou parades, etc., qu'a enfantées la muse dramatique de tous les temps et de tous les ii PRÉFACE. pays; dans le développement de certaines questions qu'eût naturellement amenées l'autre titre, telles que celles des types de la vieille comédie, des origines du drame moderne, du rapport ou du contraste entre les pièces et les mœurs du temps, des arts dramatiques et de la guerre des unités , de la polémique religieuse et autre contre le théâtre, etc., etc. Nous le trouvons aussi, et c'est malgré nous que nous avons dû renoncer pour le moment à traiter ces matières : qui trop em- brasse mal étreint, dit le proverbe. Mais ce n'est qu'un ajournement, nous l'espérons. Ainsi il faut bien comprendre notre titre dans son sens précis, pour savoir ce qu'il promet et ce qu'il exclut. Est-il besoin d'ajouter qu'on ne doit pas cher- cher ici toutes les curiosités théâtrales? Le mot tout est infini, et nous n'y avons jamais songé. Néanmoins nous avions rêvé d'abord quelque chose de relativement complet, une sorte de répertoire qui pût donner un aperçu général et résumé du théâtre, considéré au point de vue le plus curieux et le plus singulier. 11 n'y avait qu'un malheur à ce plan, c'est qu'il eût fallu, pour le réaliser, vingt volumes au lieu d'un. A mesure que nous avancions , nous en apercevions de plus en plus l'impossibilité absolue. Il a fallu, après avoir pris nos notes, procéder par éliminations successives, non- seulement de faits, mais de divisions entières. Nous avons éliminé d'abord tout ce qui tenait spécialement aux théâtres de chant et de danse, et au théâtre ita- lien en France, puis une bonne partie de ce qui tenait aux théâtres de la Foire ; ensuite nous avons considé rablement restreint ce qui regardait les scènes anciennes PREFACE. iii et étrangères. Et même encore, dans ces limites il a fallu choisir. Ces sacrifices faits aux nécessités n'ont pas ici l'inconvénient qu'ils auraient eu dans un ouvrage d'une autre sorte, dont les pages se suivent et se tien- nent tout d'un bloc. Le titre et la nature de ce vo- lume laissent naturellement le champ libre à l'arbi- traire de l'auteur. On n'est en droit de lui demander que ce qu'il a voulu donner. Ceci n'est pas une histoire du théâtre ; c'est un recueil qu'on peut toujours ac- croître par juxtaposition, un cadre qui peut s'élargir ou se resserrer suivant les besoins. A côté de nos curio- sités il y en a d'autres tout aussi intéressantes, nous le savons ; mais, comme il fallait choisir, nous avons choisi celles-là. Nous avons tâché du moins de traiter sérieusement et à fond les plus sérieuses et les moins étudiées jusqu'à présent de ces singularités , d'y apprendre quelque chose au lecteur en l'amusant, de ranger ces pages détachées dans un ordre aussi logique que possible, enfin, même avec ces chapitres un peu décousus, et pris de çà et de là, de faire un ensemble qui se rap- prochât d'un livre, et non un simple recueil de traits sans lien. Nous sommes loin de garantir l'authenticité de tous les faits rapportés, surtout dans les chapitres les moins sérieux, qui ne se composent que d'anecdotes légères; mais les autres sont des pages d'histoire littéraire, étu- diées dans les documents authentiques et appuyées sur la citation des sources : nous ne nous en dispensons que dans les cas sans importance, pour ne pas mul- tiplier inutilement en note l'indication de ces ouvrages »v PREFACE. courants et de seconde main que tout le monde con- naît, par exemple, les Anecdotes dramatiques, le Co- mediana, etc. ■ Et, puisque nous parlons ues sources, ceux qui nous liront et qui ont l'idée de ces travaux se convaincront aisément de la multitude de celles que nous avons dû consulter pour ce volume. Nous pouvons assurer qu'elles se montent à plus de deux cents. Les principales, pour les citer très-sommairement, sont d'abord tous les ouvrages classiques et généraux sur la matière : les frères Parfaict, le chevalier de Mouhy, Léris, Mau- point, Beauchamps, la Vallière, les Catalogues Solein- nes, Pont de Vesle, etc., car on trouve amplement à récolter jusque dans ces livres, qui sembleraient ne pouvoir être utiles qu'aux bibliographes; Lemazurier, et les autres travaux calqués sur le modèle du sien ; puis les écrits spéciaux, s'appliquant à telle ou telle époque, à telle ou telle branche du théâtre : pour l'an- tiquité, Aristote, Suidas, Vitruve, Pline l'ancien, Dio- mède, Suétone, Flavius- Josèphe, le Voyage d'Ana- charsis, Rome au siècle d'Auguste de M. Dezobry, M. Patin, le père Brumoy, M. Magnin, etc.; pour cer- taines dates déterminées de notre théâtre régulier, Chappuzeau, d'Aubignac, Grimarest, Sorel, le Roman comique, Boucher d'Argis, MM. Walckenaër, Tasche- reau, Bazin, Régnier, les Mémoires secrets, la Corres- pondance secrète, YAlmanach des spectacles, YAn- nuaire dramatique, les journaux de théâtre, Etienne et Martainville, M. Laugier, etc.; pour le moyen âge et les mystères, MM. Magnin, 0. Leroy, Villemain, Fr. Michel, Ach. Jubinal, etc.; pour le théâtre italien, Rie- PREFACE. v j coboni, d'Origny, etc.; pour la Foire et l'opéra-comi- I que, Desboulmiers, les Mémoires des frères Parfaicl, j Monnet, le Sage et d'Orneval; pour les petits théâtres, Brazier, le Théâtre à quatre sous, de M. J. Janin, le j Recueil des parades (1756), Jacq. Arago, et beaucoup | d'opuscules peu connus, qui sont depuis longtemps ! ensevelis dans les oubliettes des bouquinistes ; pour ! les masques, les costumes, la mise en scène à diverses ! époques, d'abord le traité latin, accompagné de nom- j breuses figures, De larvis scenicis et figuris comicis, , par Ficoroni, puis le Vacher de Chamois, Em. Morice, M. de Mercey, une foule d'articles particuliers dans les Revues, Dictionnaires et Encyclopédies. MM. Sis- mondi,Villemain, encore, H. Lucas, Puibusque, Damas- Hinard, le Voyage amusant de Rojas, etc. etc., nous ont fourni des renseignements particuliers sur les divers pays étrangers. Joignez-y les Annales drama- tiques, les Anecdotes dramatiques, le Dictionnaire des théâtres, les Mémoires français et étrangers écrits par des acteurs ou sur des acteurs, beaucoup d'autres Mé- moires, surtout du dix-huitième siècle, qui abondent en détails curieux sur les comédiens et les repré- sentations (par exemple, ceux de Marmontel, Collé, Grimm, Favart, de la princesse Palatine, elc), la Bi- bliothèque du Théâtre-Français, la collection du Monde dramatique, les Lettres historiques sur les spectacles, Desfontaines et Coupé, les Anas, les Souvenirs anec- dotiques de MM. Ch. de Boigne, Roger de Beauvoir, Jouslin de la Salle, Audibert, Ch. Maurice; les comptes rendus même de nos principaux critiques, surtout de M. J. Janin (Hist. de la litt. dwm.,in-12), sans comp- vi PREFACE. ter les articles disséminés dans une foule de Revues, y telles que la Revue des Deux-Mondes, la Revue de Paris, YAthenxum français, la Revue française, la h Revue rétrospective, et les ouvrages qui n'ont rien de spécial, où j'ai souvent trouvé d'intéressants docu- ments, comme Rabelais, G. Bouchet, Froissart, Oli- vier de la Marche, etc. ; et une infinie multitude d'autres, que j'oublie, ou qu'il m'est impossible de citer, d'abord [ parce que la liste n'en finirait pas, ensuite parce qu'ils \ sont aujourd'hui complètement inconnus. Il nous est - permis, sans doute, de faire ressortir toute l'étendue j de ces recherches, qu'il a fallu ensuite vérifier avec ; soin, car c'est la seule prétention que nous puissions avoir pour ce livre; nous reconnaissons volontiers que ■. ce n'est qu'un mérite secondaire et que tout cela est loin de valoir un bon ouvrage original. D'ailleurs, rien ij n'est plus amusant, et toutes ces excursions nous ont permis de fouiller à fond l'histoire des théâtres, et de t recueillir, en dehors des limites où nous avons dû t! nous restreindre, une foule de notes, qui trouveront \ sans doute leur place ailleurs. Nous ne nous sommes pas fait faute de prendre au j; besoin, à droite et à gauche, les passages qui s'adap- [ taient à notre travail. Ceci n'est pas un ouvrage litté- >■. raire, ce n'est ni plus ni moins qu'une compilation. | Comme le Pauvre Diable chanté par \oltaire, nous n'avons fait que compiler, compiler, compiler. L'a- 1 mour-propre d'écrivain n'a rien à y voir. Nous avons i eu tout au plus à trouver, à contrôler, à coordonner et j mettre en œuvre des renseignements empruntés à tout j| le monde. Il ne faut pas chercher ici des idées phi- PRÉFACE. vu losophiques, des vues d'ensemble, des théories, de la critique proprement dite : nous espérons bien pourtant qu'on en trouvera dans quelques chapitres; mais, en somme, le titre et la nature de ce livre n'annoncent et le plus souvent ne permettent rien autre chose que des faits. En général, nous ne nous occupons point des vi- vants , sans pourtant nous les interdire d'une façon absolue, quand les développements naturels de l'ou- vrage nous conduiront jusqu'à eux; mais cène sera jamais qu'une exception. Parmi les anecdotes, nous avons souvent passé les plus connues, ou du moins nous n'avons fait que les indiquer sommairement. Il en est de même pour tous ces traits scandaleux, con- trouvés, sans vraisemblance et sans intérêt, qui rem- plissent les anas et ne sont bons qu'à amuser un mo- ment les oisifs. Plus que tout autre sujet d'études, le théâtre offre de ces rencontres hasardeuses, et a prêté largement matière à l'imagination des fabricants de bons mots et de traits grivois. Nous ne nous sentons nulle vocation pour nous faire le chroniqueur des pe- tites galanteries de ces dames, et nous croyons pou- voir prometlre que ce volume sera plus sérieux dans sa légèreté même. Il était impossible que plusieurs chapitres ne ren- trassent pas, par quelques points, les uns dans les au- tres : il y en a qui ne sont, pour ainsi dire, que des subdivisions distraites de celui qui les précède, à cause de leur importance , et pour éviter que le premier ne fût trop long : c'est ainsi que nous avons dû morceler ha deux ou trois parties ce qui regardait le parterre. Vin PREFACE. En ce cas, c'est la diversité des points de vue où nous nous mettons pour envisager un même sujet qui ex- plique notre classement. Nous avons cru ces quelques mots d'avertissement nécessaires pour expliquer le but et la nature de ce livre. CURIOSITÉS THÉÂTRALES CHAPITRE PREMIER Des origines du théâtre moderne. — Mise en scène des mystères, moralités, farces et soties. Dans noire intention de nous borner sévèrement à ce qui se rapporte au théâtre proprement dit, pour ne point faire dix volumes au lieu d'un, nous ne nous étendrons pas sur les Fêles de l'Ane el des Fous, les Entremets, les représentations données aux entrées des rois à Paris, etc. Les premières n'étaient que le germe lointain du théâtre ; les seconds, des spectacles à machines, des espèces de féeries usitées seulement dans les cours princières ; les troisièmes, des pantomimes en pleine rue, comme il ap- pert de divers passages de Froissart, eî du Journal dSun bourgeois de Paris. Nous ferons seulement remarquer deux choses relativement à ces dernières représentations, celles de toutes qui se rapprochaient le plus du théâtre 2 CURIOSITES THEATRALES. régulier : la première, c'est qu'il y avait ordinairement, pnr-devant la scène, et un peu plus bas, des personnages ordonnez pour faire déclaration, c'est-à-dire pour expli- quer au peuple les détails des sujets; la deuxième, c'est que chaque échafaud ne représentait qu'une partie de l'action, et que l'ensemble se déroulait, par scènes déta- chées, sur la série des échafauds dressés le long des rues '. 11 fallait qu'il en fût ainsi, pour que le cortège pût jouir de la totalité du spectacle sans interrompre sa marche. En outre, c^ette disposition avait l'avantage de diviser les frais d'une manière supportable entre chaque quartier, et de permettre toujours aux nouveaux-venus de voir la représentation en entier, et de la reprendre à leur guise du commencement à la fin, tant qu'elle res- tait en permanence. Outre ces mystères sur place, il y avait aussi des mystères ambulants 2 . Ces tableaux vivants, accompagnés de pantomimes, furent en usage depuis la fin du règne de Charles V jus- qu'à François I er : inclusivement. Supprimés sous Henri II, ils furent remplacés par les arcs de triomphe aux entrées des rois. Il y avait déjà, dans ces exhibitions, un assez grand déploiement de mise en scène et un appareil assez compliqué ; on le voit par la description que nous en ont laissée les chroniqueurs : ainsi le ciel étoile, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Espril, l'archange saint Michel pesant lésâmes dans sa balance, le Saint-Esprit descendant sur les apôtres, des anges ijui venaient du paradis en terre^ un cerf qui marchait à l'aide d'un homme caché dans l'intérieur de son corps, des combats de toutes façons, le 1 His'oire de Charles Vil, attribuée à Alain CharUer. * Em.lWorire, Essai sur la mise eu seme depuis les Mystère* jusqu'au Cid, cli. î. J'ai surtout suivi cet excellent ouvrage dans ce chapitre, en l'abrégeant beaucoup, en le complétant quelquefois, et en y ajoutant le résultat de mes propres recherches. CHAP. I. — ORIGINES DU THÉÂTRE MODERNE. 3 i sang coulant des plaies du Christ, voilà quelques-unes des choses qui s'y représentaient *. La description même de certains entremets, entre autres de celui qui fut donné en 1578 pendant un festin de Charles V et de l'empereur Charles IV dans la grande salle du Palais de Justice, et de celui que Philippe le Bon fit représenter le 17 février 1453, à Lille, à l'occasion d'une croisade qu'il voulait entreprendre -, suppose des mécanismes ingénieux et fort avai. ces. On trouvera dans une foule d'ouvrages spéciaux les détails de la transformation progressive de ces premiers essais; les débuts des confrères de la Passion, pèlerins de la Sainte-Baume, de Jérusalem et de Saint-Jacques de Com- postelle, etc., louant, en 1398, une salle à Saint-Maur, près Vincennes, pour y changer en actions dialoguées les cantiques qu'ils chantaient auparavant sur les places publiques; leur établissement," en 1402, à l'hôpital de la Trinité, où ils fondent le premier théâtre fixe qu'on ait vu à Paris. Ils y restent jusqu'en 1539, qu'ils émi- grent à l'hôtel de Flandres; et,, en 1545, la vente de ce dernier édifice les détermine à acheter l'hôtel de Bourgogne, qu'ils loueront, en 1588. lorsque les Mystères seront défendus, à une troupe de comédiens, en se réser- vant, pour eux et leurs amis, deux loges grillées, les plus proches de la scène. Mais ce n'est pas à Paris qu'il faut étudier la mise en scène des Mystères, qui ne put jamais se déployer libre- ment dans une salle plus ou moins étroite; c'est dans les provinces, où elle se développait en plein air, dans les conditions les plus larges et les plus favorables. La repré- sentation d'un mystère était une entreprise sérieuse et 1 Parfaict, II, 168. * Olivier de la Marche. C?tte solennité est connue sous le nom île Vœ t du Faisan. 4 ClhlOSITKN THEATRALES. solennelle qui occupait parfois, (huant des années, îles provinces tout entières. On élevait Pécha faud sur une place publique, dans une plaine, à l'extrémité supérieure d'une large rue, et on lui donnait toute l'extension néces- saire, suivant la pièce qu'on voulait représenter ; quant aux spectateurs, ils se logeaient partout où ils pouvaient apercevoir la scène, étendant, au besoin, de la paille et des feuilles à terre pour s'y asseoir. 11 y avait une en- ceinte réservée, garnie de sièges, pour les personnes de marque. Quelquefois le champ du théâtre se trouvait tracé par des accidents naturels de terrain; quelque- fois enfin on ne se bornait pas à construire la scène, mais on construisait un théâtre entier, c'est-à-dire une enceinte régulière et couverte, destinée à recevoir les spectateurs, comme celui qui se fit, en 1516, à Autun, et qui pouvait contenir quatre- vingt mille personnes. Le concours de tous les habitants pour ces constructions en bois de char- pente diminuait J'énormité de la besogne ; et, d'ailleurs, comme la représentation dun mystère durait souvent une dizaine de jours, ou même un mois, on conçoit que ce fût la peine d'élever ces bâtiments. Pour la disposition de la scène, elle est expliquée par la nature même des pièces, qui, ne se souciant aucune- ' ment de l'unité de lieu, embrassaient les événements les plus multiples, avec tous leurs détails, tous leurs inci- dents, sans en élaguer aucun, sans chercher à les réunir dans des localités choisies comme centres d'actions, niais en les laissant dans les temps et les lieux où ils avaient! 1 été accomplis. Avec une intrigue aussi voyageuse, il fallait J donc, ou que le théâtre changeât de décorations pres- que à chaque instant, ce qui eût indéfiniment morcelé l'action, et exigé de la part du machiniste la. plus ex- trême habileté, une habileté presque impossible; ou qu'il offrît simultanément tous les lieux où devait se pas- " <;HAI\ I. — ORIGINES DU THEATRE MODERNE. 5 ser la pièce. C'est là, en effet, ce qui se faisait toujours. Habituellement le théâtre était divisé par étages. Cha- que étage était affecté à une ville ou province, suivant le besoin, et se subdivisait, au moyen de cloisons, en un plus ou moins grand nombre de scènes partielles qui re- présentaient les diverses, localités de cette ville ou pro- vince. Dans son état le plus rudimentaire, et pour les pièces les moins compliquées, le théâtre renfermait trois étages : celui d'en haut pour le ciel, celui du milieu pour la terre, et celui d'en bas pour l'enfer. On voit, par la Chro- nique de Metz, qu'il en avait parfois jusqu'à neuf. Telle était la disposition ordinaire ; mais nous devons mentionner aussi deux autres formes de théâtre : l'une qui n'avait qu'un seul étage, et où toutes les localités s'alignaient de plein pied, de sorte qu'il compensait en largeur ce qui lui manquait en hauteur; l'autre qui se composait de plusieurs échafauds séparés, quand le nom- bre des lieux était trop grand pour être compris en un seul. Chacun de ces échafauds était probablement affecté aux différentes divisions d'une même pièce, par exemple, aux diverses journées du mystère de la Passion, qui ne comprennent pas, en tout, moins d'une centaine de lieux distincts. Les différents étages s'appelaient éta- blies 1 . « - Le paradis occupait toujours la partie la plus élevée, et c'était là que se déployait toute la magnificence du décorateur. Celui du théâtre de Saumur était renommé entre tous par l'art avec lequel l'avait peint l'artiste, qui s'écriait, dans un mouvement de légitime orgueil : « Voilà bien le plus beau paradis que vous vistes ja- 1 V. dan» les frères F'arfaict (11, 495-500), le détail des établies du flyttère de Ylnearnatim, joué à Rmien en 1474. 6 CURIOSITES THEATRALES. niais, ne que vous verrez 1 . » Il y avait toujours là un orgue pour accompagner ou suppléer les chœurs des anges. Le paradis était parfois distingué des deux* ; on en faisait même à deux étages. En outre, le paradis terrestre con- stituait, dans certains cas, une troisième division; le Mystère de la Résurrection donne des instructions détail- lées pour ce dernier lieu. C'est là que s'ouvre la scène d'Adam, drame du douzième siècle, récemment publié par M. Luzarche. Le paradis devait avoir des dimensions très-étendues, car dans plusieurs mystères on y voit fi- gurer plus de cent personnages. Parmi ces personnages étaient les neuf ordres d'anges rangés autour du trône divin, et le Saint-Esprit, en forme de colombe, qui par- lait par la bouche d'un interlocuteur caché. L'enfer, sis à l'étage inférieur, dérogeait à la coutume d'offrir toutes les parties de la scène constamment ou- vertes au regard. Il était généralement fermé, et ne s'ou- vrait, sous la forme d'une énorme gueule de dragon, que pour livrer un passage, après quoi la gueule se refermait en jetant le feu par les yeux et les narines. Il compre- nait, à son avant-scène, le purgatoire et les limbes, qui sont encore minutieusement décrits dans le Mystère de la Résurrection. Rabelais nous apprend 5 le costume herrificque que Villon avait donné à ses diables, quand il entreprit de faire jouer la Passion à Saint-Maixent. Nous voyons dans plusieurs mystères que les malins esprits avaient forme de chiens, surtout noirs, ou de taureaux. A ces diables d'âge mûr se joignaient de petits diables, chargés principale- ment d'égayer la scène en poursuivant les âmes sur le théâtre. Les morts étaient emportés par les démons en 1 Guill. Douchet, Serées, 111' partie, serée 28. 2 Moralité de l'homme juste et de l'homme mondain. 5 Pantagruel, 1. IV, ch. xm. CHAP. I. — ORIGINES DU THEATRE MODERNE. 7 charrette, en brouette, ou dans une hotle. Quant aux jeux de scène en enfer, au feu, aux flambées, aux cla- meurs, noises et grants bruits du lieu, les divers mystères donnent la description des procédés pour arriver au but • le soufre, les brandons enflammés, les canons, coulevrines et arbalètes, les tonneaux pleins de pierres, etc., y jouaient largement leur rôle •. Il n'y avait pas de rideau; le théâtre élait entièrement ouvert. Une exception, la seule peut-être, avait lieu pour le Mystère de la Création, qui fait partie de ceux du Vieil Testament : les establies étaient cachées par des custodes qu'on tirait au fur et à mesure que Dieu créait les diverses parties du monde. Les détailslesplus scabreux, qui étaient fréquemment représentés, ou simulés, sous les yeux des spectateurs, s'abritaient à la rigueur derrière des custodes qui voilaient une partie d'un lieu (par exemple le lit où accouchait sainte Anne), en laissant le lieu lui-même ou- vert aux regards. Des écriteaux, souvent en latin, étaient placés au-dessus de chaque loge, c'est-à-dire de chaque subdivision dès divers étages, pour indiquer ce qu'elle représentait. Voilà le théâtre décrit, nous allons maintenant le voir occupé par une représentation. A Paris, les confrères de la Passion représentaient à de courts intervalles, surtout les dimanches et fêtes, jusqu'à ce qu'on leur eût interdit les jours de fêtes solennelles et les jeudis (1460). Mais, en province, les représentations ayant lieu, en plein vent, on choisissait l'été (juin, juillet, août et septembre), sauf de très-rares exceptions. Chaque représentation était précédée d'un cry, ou pro- clamation par la ville en très-grand apparat 2 , pour an- » V. Em. Morice, 51-74. 2 V. la description détaillée d'un de ces cris, fait à Paris le 16 décem- bre 1540, dans Parfaict, 11,380-5. S CURIOSITES THEATRALES. noneer le projet et trouver des acteurs de bonne volonté : il en fallait beaucoup, car certaines pièces avaient plu- sieurs centaines de personnages. Il y avait souvent aussi des montres où Ton promenait par les rues et les marchés les acteurs du drame, sous leur costume et avec un grand fracas de mise en scène, pour allécher la curiosité publi- que *. Certains rqles étaient très-recherchés, à cause des privilèges qu'ils entraînaient, par exemple ceux des dia- bles. Ainsi, à Chaumont, ceux qui les avaient représentés pouvaient vivre à discrétion pendant huit jours dans le pays; de là ce dicton resté populaire : * S'il plaît à Dieu, à la sainte Vierge et à monsieur saint Jean, je serai dia- ble et je payerai mes dettes 2 . » On donnait le nom de- diablerie à la troupe d'acteurs chargés specialement.de ces personnages dans les Mystères. D'autres rôles n'étaient pas sans danger, tels que ceux des martyrs, battus à chaque instant, brûlés, écorchés, etc. Dans la scène de la tentation, Jésus-Christ était guindé sur le haut du pinacle, et, dans la transfiguration, il res- tait suspendu en l'air à l'aide de contre-poids. Une telle situation, surtout avec un mécanisme imparfait, et lors- qu'elle se prolongeait pendant des treize cents vers, c'est- à-dire près de deux heures, ne laissait pas d'être périlleuse. On' cite des prêtres qui faillirent périr en représentant le Christ en croix ou la pendaison de Judas 3 . Les. candidats étaient soigneusement examinés, puis on commençait les répétitions, qui étaient longues et labo- rieuses. Le rôle du Christ, dans le seul Mystère de la Pas- sion, contient plus de trois mille quatre cents vers. De toutes ces difficultés, il résulte qu'on était obligé d'as- treindre sous serment les acteurs à remplir leur tâche, et 1 Rabelais, Pantagruel, IV, ch. \\\\. 4 Louanche, Hisl. du diable, Revue des Deux Mondes, 15 août 184*2. 3 V. notre chapitre Accidents et malheurs arrivés sur la scène. CHAP. I. - ORIGINES 1)1! THÉATKK MODERNE. 9 j qu'on intentait une action contre ceux qui l'abandonnaient f.près l'avoir acceptée. Les rôles de femmes étaient remplis par des hommes, ! au moins dans certains cas; on voit, par diverses pièces ori- | ginales, qu'il en était ainsi même pour Notre-Dame. Les ! costumes, comme bien on pense, n'avaient rien de la I couleur locale; on .représentait Lazare « en état de cheva- i lier, son oiseau sur le poing. » Dans le drame d'Adam, j Dieu est revêtu d'une dalmatique et Eve d'une robe de | soie blanche '. Dans un mystère, la toilette de la Made- | leine est décrite en détail, comme celle d'une courtisane , du moyen âge, avec les plus naïfs et les plus complets 1 anachronismes. Les représentations commençaient souvent par une sym- phonie et finissaient presque toujours par un Te Deum ou rondel. Un orgue portatif exécutait cette musique, plus avancée qu'on ne serait porté à le croire. Il y avait I des cantiques entonnés par les acteurs et continués par l'orgue et par l'assistance, des jeux d'instruments 2 , des I chœurs chantant des répons, des morceaux d'ensemble non sans art, qui se trouvent indiqués sur les libretti pen- dant les marches, jeux de théâtre, en un mot pendant toutes les pauses où les acteurs cessaient de parler. Outre ces petites pauses, il y en avait une grande au milieu de la journée, pour permettre aux acteurs et aux spectateurs de prendre leur repas A défaut d'une symphonie, on débutait soit par un dia- logue peu important à l'action, soit par, quelque bruyante parade, jusqu'à ce que le silence fût établi. Les acteurs étaient tous à leur poste, visibles dès le début, sauf ceux 1 Athenxum français du 28 avril 4855, p. 545. * Quelquefois, comme dans le premier jour du Mystère de la Résur- rection, le concert musical était remplacé par des bruits de tambour^ d'armes à feu, Ptc, quand la situation du drame l'exigeait. 10 CURIOSITES THEATRALES. de l'enfer dont la gueule restait habituellement fermée. Quand ils avaient fini leur rôle, ils retournaient s'asseoir à leur place, et dès lors ils étaient censés disparus. Les machines, nommées alors secrets, étaient fort en usage : on ne reculait devant rien, pas même devant le dé- luge, et le Mijstère du Vieil Testament, spécialement dans la partie consacrée à la création, où se multipliaient les changements à vue, était rempli des jeux de théâtre les plus compliqués. Aux tfoces de Cana, dans une représentation donnée à Valenciennes (4547), on vit l'eau changée tout à coup en vin, et plus de cent personnes en voulurent goûter. Le figuier maudit parut séché en un instant; la verge de Moïse poussa tout à coup des feuilles et des fleurs. L'éclipsé, le tremblement de terre, le brisement des pierres de la Passion, furent rendus avec succès. Dans le Mystère des Apôtres, une nuée blanche devait Couvrir ceux-ci qui prêchent en diverses Contrées, et les apporter devant la porte de Notre-Dame. On trouve dans différents mystères l'indication d'une idole qui fond, d'un temple qui s'écroule, d'un navire qui fait sa traversée, et est sur- pris par la tempête en plein théâtre, d'une tête qui roule à terre en faisant trois sauts, à chacun desquels coule un ruisseau de sang, d'un palmier qui pousse soudainement, d'un lion, d'un cerf, ou d'un dragon représenté sur la scène, d'une apparition pour laquelle il fallait des trap- pes analogues à celles que nous avons aujourd'hui. (Ces trappes, décrites en maint endroit, se nommaient appari- \ tions.) Il y avait dea machines destinées aux vols et as- ! censions dans les airs. Les épées à lames rentrantes sont indiquées dans le Mystère des Apôtres. On représentait souvent les âmes au sortir du corps. Dans le Mystère de Saint-Crespin, La chaudière cù on a jeté le saint et ses compagnons éclate, tue le tyran avec ses suppôts, et les martyrs en sortent sains et saufs. Dans le Mystère de CHAI», i. - ORIGINES DU THEATRE MODERNE. 1! la Création : « se doivent élever Lucifer et ses anges, dit le scénario, par une roue secrètement faicte dessus un pivot à vis. » Dans'le Mystère des Apôtres ,' où saint André délivre la Grèce d'un serpent monstrueux, « doibt avoir ung chesne planté et se doibt lyer le serpent à l'en tour- du dict chesne, en criant, et doibt jaillir grant quantité de sang, et puis meurt. » Tout cela exigeait quelque habileté. Ainsi, pour ce dernier jeu de scène, le machiniste qui faisait mouvoir le serpent était placé au cintre du théâtre, et en attirant l'animal à lui au moyen d'une corde de crin noir, il le tortillait autour d,u chêne sur l'écorce duquel étaient fixées des pointes de fer qui perçaient la peau du serpent, et en faisaient sortir une eau couleur de sang. Il fallait souvent aussi d'adroites substitutions de personnes, de véritables escamotages, par exemple au moment des supplices, qui sont fréquents et horribles dans les Mystères, et qui se passent toujours sous les yeux des spectateurs. Ces pièces entraient dans chaque détail, et ne laissaient aucune particularité minutieuse sans la décrire; il fallait bien que la mise en scène les suivît sur ce terrain ; aussi le matériel des accessoires était-il nécessairement fort compliqué. On passait ces jeux de théâtre lorsqu'on ne pouvait les exécuter. Les animaux les plus divers et les géants jouaient un grand rôle, les premiers surtout, dans les Mystères. Indé- pendamment de l'art et des difficultés pratiques de son exécution,- la mise en scène déployait souvent une grande pompe : les morts apparaissant, les cortèges nombreux, les costumes éclatants, etc., tout cela était mis en usage, avec plus ou moins de bonheur, comme dans nos drames à grand spectacle. Dans le Mystère de i 'Assomption, Jésus vient trouver sa mère au son des orgues et environné de flammes brillantes « flambées sans cesser; » les apôtres ]>> Cl 1U0SITÉS TIIK ATKALËS. ont en main des cierges, et saint Michel terrasse Salan; puis Jésus monte au ciel avec l'âme de sa mère, au milieu des acclamations. des anges, et le corps de la Vierge est également enlevé par saint Michel, et réuni à son âme dans la gloire" Dans le Mystère de Sainte-Barbe, celle-ci est dépouillée nue sur la scène, et dans celui du Vieil Testament (ffist, de Judith), avant que Judith ne sorte de Béthulie, «icy, dit l'auteur, sera licite d'avoir... certains personnages tout nuds en manière de pénitens. » De même la Satisfa- cion apparaît nue dans la Moralité de bien admsé et mal admsé.: aussi le prologue prie-t-il les spectateurs de ne se point scandaliser. Mais il est plus que probable que ces nudités n'étaient pas effectives, et que le maillot était déjà inventé. Le maître ou meneur du jeu, dont les fonctions cor- respondaient à celles de régisseur, s'appela't protocole ou porteroolle, et remplissait, en outre, l'office de souffleur. Il est assez ordinairement désigné dans les exemplaires des Mystères par cette qualification : V acteur. Il avait pour mission de complimenter le public, d'apnoncer et de ré- capituler la pièce, de rendre compte aux spectateurs des jeux de théâtre qui avaient besoin d'explication. C'était à peu près le rôle du chœur antique '. Les Mystères étaient un spectacle essentiellement reli- gieux, né de l'Église, et même le clergé y intervenait soit pour revoir'la pièce et surveiller les préparatifs, soit pour y jouer des rôles. On avançait quelquefois la grand'messe et on retardait 1 s vêpres, afin que les chanoines et chan- tres pussent assister au spectacle; à Angers (1486), on célébra une grand'messe sur les lieux. Les Mystères furent plusieurs fois représentés, non-seulement dans descime- 1 Parl'aict, 11, p. 473, note ; p. 881, Ut. CM AI». I. — OIUCLNKS Dli THKAÏKK MODKKNK. 15 tières altenanl aux églises, mais dans des églises S même avec accession de personnages bouffons. Un long procès-* verbal cilé par M. Achille Jubinal -, nous montre les 1 acteurs de ces divertissements populaires, après avoir l préludé par une farce, allant, au son des trompettes, \ chanter un salut dans l'église, afin d'obtenir de Dieu un i beau temps pour le Mystère. Ces représentations plus ou moins modifiées, surtout dans leur esprit et leur inspiration première, se prolon- ! gèrent fort tard en certains pays. Charles Sorel nous a ; laissé dans sa Maison des jeux (1 64*2, p. 465) la descrip- tion plaisante de deux mystères ou moralités : le Mauvais 1 riche et V Enfant prodigue, joués alors dans un village. En 1084 seulement fut aboli à Dieppe un spectacle- pantomime, véritable mystère, moins les paroles, mais accompagné de chants et de musique, par lequel on fi- gurait chaque année, dans l'église, l'Assomption de la Vierge. De pareilles représentations "se maintinrent jus- qu'à la fin du dernier siècle dans une foule d'églises de l'Ouest et du Midi. A Limoges, jusqu'en 1820, on simulait les divers épisodes de la Passion dans des processions en marche. Il en était de même surtout dans les Flandres. En 1835, on jouait encore la Passion, tous les ans, les di- manches de carême, à Lincelles, aux environs de Lille, et, quelques années avant, à Werwxk, à Halluin, à Tour- coing, à Comines, et dans les environs de Dunkerque II y avait des concours entre les sociétés de ces divers endroits, héritières des confréries dramatiques d'autre- fois 5 . Mais, pour nous borner aux pièces, en 1772, sui- 1 Mercure de France, décembre 1729, II* volume; avril 175; 698. * Mystère inédit du qainziitne siècle, préface, ilvi-xiaiii. 3 On. Leroy, Ét< de sur les Mystères, etc., p. 450-6. 14 CURIOSITES THEATRALES. vaut les Mémoires secrets de Bachaumont (V'I, 261), il se » forma un projet, qui, malheureusement, ne put aboutir, de représenter un véritable Mystère. M. Em. Morice nous apprend qu'une tragédie primitive des Quatre fils Àymon se montait, il y a quelques* années, dans un chef-lieu de canton des Côtes-du-Nord ; et il nous donne les plus cu- rieux et les plus incroyables détails sur un mystère : le Commencement et la fin du monde, en trente-sept ta- bleaux, joué à la même époque dans le même pays. On peut lire aussi un très-intéressant article de M. Fran- cisque Michel sur les représentations dramatiques du pays basque (pastorales bibliques, pièces tirées de la lé- gende, de la mythologie ou des anciennes chansons de geste), tout à fait dans les mêmes conditions de costume, de mise en scène, etc., que îesanciens Mystères 1 . Comme transition entre ceux-ci et les moralités, nous mentionnerons diverses sociétés provinciales, telles que la Confrérie des Fous de Clèves, des Cornards d'Évreu.r, et la Compagnie de la Mère folle de Dijon. Les Cornards avaient un abbé, qu'on promenait monté sur un âne, et g rôles - quement habillé, en chantant deschansons burlesques; on le réélisait chaque année, quand les arrêts du parlement de Taris, puis du parlement de Rouen étaient intervenus pour autoriser les exercices des Cornards. Us avaient sur- tout pour but de signaler et de railler les infortunes con- jugale?. La hardiesse de leurs censures, le scandale de leurs bouffonneries, finirent par les faire abolir. 11 en était à peu près de même pour la Compagnie de la Mère folle, la plus importante de toutes, dont la physio- nomie scénique ressemblait beaucoup à celle des cha- riots de Thespis, et qui poursuivait de ses quolibets tous les. faits locaux pouvant se prêter à la satire ; en parcou- 1 Athen&um français du 2 décembre 1854. GHAP T. — ORIGINES DU THEATRE MODERNE. fc5 t rant processionnel lement la ville, avec un des leurs, habillé de façon à représenter la charge des héros de l'aventure. Fondée vers 1580, cette confrérie fut entière- ment abolie en 1630 *. Les Mystères jouissaient encore d'une grande vogue, lorsque les clercs de la Basoche vinrent faire une rude concurrence aux Confrères. C'était une compagnie en pos- session de représenter certaines pièces à époques fixes. Voulant étendre leur cadre dramatique et arrêtés par le privilège des Confrères, les clercs créèrent la Moralité, es- pèce de satire allégorique, qui personnifiait les vices, les vertus, etc., en ayant soin de mêler à leurs allégories des personnalités transparentes. Mais nous n'avons pas à nous occuper ici de la nature de ces pièces. Dans le principe, les clercs de la Basoche ne jouaient régulièrement que trois fois par an ; après l'invention des Moralités, ces représentations devinrent beaucoup plus fréquentes, sans qu'on puisse leur assigner des dates fixes, non plus que descendrons attitrés,. ce qui, joint à la nature de leur répertoire, fait supposer que leur mise en scène ne devait pas être très- compliquée. Cette supposi- sition est confirmée par le privilège que leur donne Louis XII, d'établir leur théâtre dans la salle de la Table de marbre au Palais de Justice. En outre, fût-ce dans les Moralités les plus étendues, il n'y avait généralement pas plus de dix personnages, et l'action, peu compliquée, n'exigeait point de changement de décors, ni même, sauf un petit nombre de cas, la représentation de plusieurs accessoires à la fois sur la scène. Il y a pourtant, dans la Moralité de l'homme juste et de V homme mondain, le voyage d'une âme emportée par les diables, tandis que j son bon ange lui explique tout ce qu'elle voit en chemin; 1 Bouclier d'Argis, Variétés hisl.. VJ. 10 <.l UIOSIÏKS TïlKAÏÏtALKS. mais il est probable que la chose se passait principale- ment en récits. Dans la Moralité de [-Homme blasphémateur, on voyait aussi la Mort avec des spectres hideux, et les coupables dans l'enfer. Et puis il y avait les personnifications et les allégories qui exigeaient certaines combinaisons et cer- taines habiletés de costumes. Ainsi, dans les Membres et l'Estomac, Cœur, Chef, Jambes, Ventre, jouaient un rôle actif. Sur le premier feuillet retrouvé dune Moralité per- due, on voit, au nombre des personnages, Tartelette, For- mage, Farine, etc., qu'il devait être assez difficile de repré- ' senler. Ce sont là les cas où il fallait faire le plus de frais d'imagination pou-r la mise en scène. Les soties et les farces, se rapprochant de plus en plus de la comédie, qui allait en sortir, vinrent après les Mo- ralliés. Elles étaient jouées, ordinairement aux Halles, par des fils de famille, nommés Enfants sans souci. Leur nom venait de ce qu'ils avaient jeté leur dévolu sur la sottise humaine. Ils avaient pour chef le Prince des Sols, et au second rang la Mère sotte. Nous trouvons dans une sotie quelques indications qui peuvent nous donner une idée de la mise en scène. Abus, après avoir endormi le Vieux Monde, va frapper à divers arbres, dont les écriteaux indiquent qu'ils servent de séjour chacun à quelque vice. Ces arbres s'ouvrent, et il en sort Sot dissolu, Sot glorieux, Sot trompeur, etc. Après s'être défaits du Vieux Monde, ils bâtissent un monde nouveau, en prenant pour base la table de Confu- sion; chaque sot y dresse un pilier à sa fantaisie, et sur ces piliers on pose une grosse boule de carton qui repré- sente le monde. Puis Sotie Folle annonce qu'elle donnera son amour à qui passera le plus vite à travers ces piliers. Ils courent en se repoussant l'un l'autre, et se débattent si bien, qu'ils renversent l'édifice nouvellement construit. CHAI». II. — MISE E.N SCENE DES PIECES. Il On le voit, il y avait là des jeux de scène assez remar- quables, quoique peu compliqués ; mais c'est une excep- tion, et Faction de la plupart des autres soties n'exigeait rien de tel. Les soties étaient précédées d'un cry ordinairement en vers. Lorsqu'on 1548 le parlement eut défendu de mêler' les cérémonies du culte catholique aux représentations scé- niques, les confrères de la Passion cédèrent leurs privi- lèges à une. société qui entreprit de donner exclusive- ment des farces. Le théâtre construit à cet effet, rue Mauconseil, était en rapport, par la pauvreté de son ma- tériel, à la pauvreté du répertoire. La scène n'avait point de coulisses; trois morceaux de tapisserie décoraient et circonscrivaient en même temps l'espace occupé par les acteurs. Jusqu'au Cid, l'art du machiniste ne lit pas grand' chose de plus pour le théâtre, mais nous allons le voir se développer dans le chapitre suivant. CHAPITRE II De la mise en scène des pièces régulières. Les anciens avaient trois genres de décorations pour leurs trois genres de pièces, tragiques, comiques, et sati- riques : ces trois genres de décorations pouvaient sans doute se varier de bien des manières, mais le fond en restait le même, ainsi que la disposition générale. Ainsi les décorations tragiques représentaient toujours de grands 2 18 CURIOSITES THEATRALES. édifices avec colonnes et statues; les comiques, des bâti- ments particuliers semblables aux maisons ordinaires; les satiriques, des lieux champêtres, arbres, rochers, avec quelques cabanes. Chacune avait cinq entrées, trois dans le fond et deux latérales; toutes ces entrées avaient leur destination particulière: celle du milieu servait au prin- cipal acteur; celles de droite et de gauche au* seconds rôles; les latérales, Tune à ceux qui venaient dp la cam- pagne, l'autre à ceux qui venaient du port ou de la place publique. La perspective était observée dans les décorations ro- maines, carVitruve remarque (liv. Vil) que les règles en furent inventées et mises en pratique dès le temps d'Es- chyle. Servius nous apprend que les changements de décora- tion se faisaient ou par des feuilles tournantes qui trans- formaient en un instant la face de la scène, ou par des châssis qui se tiraient de part et d'autre de même que x ueux de nos théâtres; mais, comme il ajoute qu'on le- vait la toile (la toile se levait chez les anciens pour fer- mer la scène, et se baissait pour l'ouvrir) à chacun de ces changements, il est très-probable qu'ils ne s'exécutaient pas avec tant de rapidité que les nôtres. Longtemps les ornements scéniques ne se composèrent que de châssis qui n'étaient pas seulement peints. Ce fut Claudius Pulcher qui .orna (654) la scène de décorations peintes. Trente ans après, C. Antonius lit voir une déco- ration d'argent, Pétréius une d'or, et Q. Çatulus une d'ivoire. La scène antique, dressée en plein air, sous un ciel éclatant/ri'était pas limitée comme la nôtre à des propor- tions mesquines, et se prêtait au déploiement des pompes les plus vastes et les plus splendides. Il suffit de lire le Prométkée et les Perses d'Eschyle, pour avoir une idée de CHAI». II. - MISE EN SCÈNE DES PIECES. « it» la magnificence du spectacle que devait, à certains nio- ments, présenter le théâtre grec. Ceux qui croient à la simplicité des moyens mis en œuvre par les tragiques d'Athènes se trompent du tout au tout. Ceux-ci appe- laient, en quelque sorte,' la nature entière à leur aide; ils mettaient, au besoin, tous les éléments en action. D'ailleurs la tragédie était la réunion de tous les arts, du chant et de la danse aussi bien que de la poésie, et, si nous voulions y trouver un point de comparaison chez nous, il faudrait le chercher dans notre opéra. On a es- sayé de transporter sur notre scène quelques-unes de ces tragédies antiques avec leurs chœurs et tout ce qu'on avait pu retrouver de leur mise en scène : ce n'a jamais été qu'un succès de curiosité. Les splendeurs du théâtre romain, sous l'empire sur- tout, ne le cédaient guère à celles du théâtre grec. Avec la décadence de la poésie dramatique, vint le triomphe de la mise en scène. Horace nous apprend * que de son temps le plaisir du théâtre était passé de l'oreille aux yeux, et qu'on ne voyait plus qu'escadrons de cavalerie et bataillons de fantassins, cortèges de rois enchaînés, vaisseaux, carrosses, processions triomphales portant les dépouilles de la conquête, exhibitions de girafes et d'élé- phants blancs au milieu des pièces, etc., quelque chose enfin comme les drames à grand spectacle du Cirque -. On parle quelquefois de la richesse et du luxe inouï de nos principaux théâtres, on s'extasie devant la magnifi- cence de nos décors en toile peinte, et on admire l'éton- nante prodigalité des imprésarios, qui se ruinent en 1 Épîtres, 1. II, i. ~ Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans plus de détails; nous nous bor- nerons à renvoyer le lecteur à la Revue des Deux-Mondes, i" sepl. 185'J- 15 avril 18'40. etc., pour les articles de M. Magniu sur la Mise en scène chez les anciens; puis à Dezobry, Borne au siècle d'Aug., IV, lett. 108% et à \'Architectonugraphie des théâres, in-8", t' série, 3-11. 20 CU1UOSITÊS THÉAi HALLS. morceaux de cartons coloriés, représentant au naturel des statues, des colonnes, des arbres, des palais. Hélas! les Romains étaient nos maîtres en cela comme en bien d'autres choses. Pauvres modernes, étriqués et rabougris par notre civilisation mesquine, nous ne pouvons pas plus lutter avec eux sur ce point que les plus splendides repas organisés par nos Brillât-Savarin ne peuvent sou- tenir la comparaison avec ['ordinaire des Vitellius et des Apicius, et la somptuosité de nos plus opulents souverains avec celle de cet Héliogabale qui faisait semer de poudre d'or les chemins par où il passait. Et pourtant .la plupart de leurs théâtres n'étaient, pour ainsi dire, que des tentes dressées un jour et repliées le lendemain. C'était dans ces monuments transitoires et destinés à une destruction pro- chaine que les édiles, pour la satisfaction de leur vanité personnelle ou de leur ambition, jetaient des millions de sesterces sans y regarder. Il fallait bien surpasser son pré- décesseur, sous peine de devenir impopulaire; amuser, éblouir, étonner la plèbe pour conserver sa faveur et pour être réélu. De là ces luttes de magnificence où personne ne voulait être vaincu. Nous allons en citer deux exemples rapportés parJMine l'Ancien, dans son Histoire naturelle 1 . L'édile Scaurus fU bâtir, pour les plaisirs du peuple-roi, un théâtre à trois étages, soutenu par trois cent soixante colonnes. L'étage inférieur était tout entier en marbre, celui du milieu en verre et celui du haut en bois doré. Les colonnes du bas avaient trente-huit pieds de hauteur, et partout étaient distribuées avec symétrie des statues de bronze au nom- bre de trois mille, sans parler des tableaux les plus riches et les plus magnifiques. Tapisseries, tentures, cos- tumes, décorations, tout était en toile d'or, et il y avait J 1 L. mvi, ch. xv. CHAI». II. - MISE EN SCÈNE DES PIÈCES. 21 place en ce splendide théâtre pour quatre-vingt mille speclateurs. Scaurus avait si largement fait les choses, qu'il lui resta pour deux millions et demi d'ornements superflus dont il ne put se servir, et qu'il fallut trans- porter à sa villa de ïusculum, où ses esclaves, qui lui en voulaient, les détruisirent par le feu. Il avait cru fermer la porte à toute rivalité possible de la part de ses successeurs, et néanmoins un autre patricien , Caius Curion, trouva moyen de l'égaler, sinon de le surpasser encore. Il ne pouvait songer à lutter de magnificence avec lui, mais il le vainquit par la hardiesse ingénieuse du plan qu'il imagina. Il s'agis- sait d'honorer les funérailles de son père. Curion fit construire deux théâtres de bois, tous deux fort grands, qui, même étant chargés de peuple, pouvaient se tourner comme on voulait, se joindre ou s'éloigner à plaisir par le moyen d'un seul pivot sur lequel reposait chaque théâtre. Avant midi, pour le spectacle des jeux scéni- ques, ils étaient adossés l'un à l'autre; l'après-midi, ils faisaient tout à coup volte-face, tournaient sur eux- mêmes et venaient se réunir à chaque extrémité, de manière à former un amphithéâtre clos de toutes parts, et prêt pour les combats des gladiateurs. Pline admire la témérité du peuple romain qui osa se confier à un mécanisme aussi compromettant, et se lais- ser promener dans les airs sur un pivot dont le' moindre affaissement pouvait engloutir tous les citoyens dans une mort commune. Il arriva en effet que cette machine se fatigua, et que le dernier jour des jeux elle fut assez dé- rangée pour qu'on ne put la faire mouvoir sans péril ; mais ce ne fut pour Curion qu'une occasion de varier les plaisirs du peuple-roi ; car, gardant la forme d'am- phithéâtre, et coupant l'espace central par le milieu, il fit combattre des athlètes, puis, enlevant la sépa- •22 CURIOSITES THEATRALES. ration, il opposa les uns aux autres ceux îles gladiateurs qui avaient été victorieux. Je ne parlerai pas ici des théâtres permanents, ni du théâtre de Pergame, pavé en mosaïque, ni de ce fameux théâtre de Pompée, que Néron lit un jour recouvrir tout entier de lames d'or l . Si l'on veut trouver chez nous quelque chose d'analogue, ou du moins qui soit digne d'être cité après ces mémorables exemples, il faut arriver au théâtre que le cardinal de Richelieu lit construire dans l'aile droite de son palais pour la représentation de Mirame, en 1641. Cette salle avait coûté deux cent mille écus, qui en vaudraient beaucoup plus du double au- jourd'hui, et plusieurs années de travail. Mazarin, qui n'était alors que Giulio Mazarini, avait reçu la mission expresse, dans son ambassade extraordinaire en Italie, d'y faire construire, pour les expédier ensuite en France, les machines qui devaient manœuvrer sur cette admi- rable scène. Mercier avait donné tous ses soins à la salle, et Lemaire en avait peint le plafond en perspec- tive, y représentant une longue ordonnance de colonnes corinthiennes qui portaient une voûte fort haute, enri- chie de rayons, et cela avec tant d'art, que cette voûte semblait exister véritablement, et que le couvert de la salle en était rehaussé de beaucoup. On employa dans la charpente huit chênes de vingt toises chacun, qu'on avait choisis dans toutes les forêts du royaume, et qu'il en coûta huit mille livres pour amener. Lorsque le rideau se leva, la splendeur des décors excita l'enthou- siasme de tous les courtisans. On vit « de fort délicieux jardins ornés de grottes, de statues, de fontaines, de grands parterres en terrasse sur la mer, avec des agita- tions qui semblaient naturelles aux vagues de ce vaste 1 Dezobry, Rome au siècle d'Amj , t. IV, let. cvin. CHAI». II. — MISE EN SCENE DES PIECES. 23 élément, et deu\ grandes flottes, dont Tune paraissait éloignée de deux lieues, qui passèrent toutes deux à la vue des spectateurs. » Mien plus, on poussa le scrupule et la magnificence jusqu'à marquer, pendant la durée de la tragédie, la succession du crépuscule, de la nuit, de l'aube et du jour, qu'on parvint, à force d'art, à figurer de manière à faire illusion. Puis, après le dernier acte, par une nouvelle galanterie du cardinal, on vit s'abais- ser sur le théâlre une toile peinte en nuages, et s'avancer jusqu'aux pieds de la reine, un pont doré par où. elle passa jusqu'à la scène, alors convertie en un riche salon pour la danse. Cette petite digression ne nous a pas précisément écarté de notre sujet. La beauté du théâtre, c'est encore de la mise en scène. La naissance ou plutôt la renaissance de la mise en scène date chez nous de la représentation de Mirame; je dis la renaissance, car la mise en scène existait déjà, nous l'avons vu, avec les mystères, et c'était la mortelle tra- gédie des Jodelle, des Montchrestien et des Garnier, qui Pavait tuée. La gaucherie des machinistes % d alors était grande, comme on peut croire. Jodelle nous a laissé le récit des tribulations qu'il éprouva-, lors d'une fête donnée à Henri 11 par le prévôt des marchands et les échevins, à l'hôtel de ville, le 17 février 1558. Jodelle en était l'or- donnateur, le peintre, l'architecte, en même temps que le poëte, et Dieu sait ce qu'il dut souffrir en voyant, lors des changements à vue, le machiniste lui amener deux clochers au lieu d'un rocher qu'il avait commandé au peintre 1 . Pourtant, çà et là, par hasard, la mise en scène prélu- dait aux merveilles qu'elle allait accomplir sous Fim- ' Beauchamps, Recherches, in-1-2, t. Ut, p. 410. •24 CURIOSITÉS THEATRALES. pulsion.de Richelieu, mais surtout de Mazarin et de Louis XIV. Ainsi dans le Ballet comique de la Royne, fait par Beaujoyeux (1581) pour les noces tie mademoiselle de Vaudemont et du duc de Joyeuse, on vit un bosquet d'arbres naturels couverts de leurs divinités prolectrices, des nuages dorés portant des dieux dans leurs flancs, et cent autres merveilles. Quinze ans après, le 25 février 1596, Nicolas de Monlreux faisait représenter au château de Nantes VArimène, pastorale, dout les jeux de scène dépassaient de beaucoup ceux du Ballet comique. L'auteur nous a laissé lui-même de très-curieux détails sur la splendide mise en scène de cette pièce ; nous ne pouvons par malheur les citer ici,, à cause de leur longueur 1 , mais nous allons en choisir quelques-uns des plus saillants. Le théâtre portait en face quatre pentagones mus par une vis de fer, qu'un seul homme pouvait tourner sous le théâtre. Chacun de ces pentagones avait cinq faces peintes diversement. A l'un des bouts était la grotte d'un sorcier, d'où sor- taient les démons, lors des enchantements ; et à l'autre un rocher, d'où son pouvoir magique tirait des feux, des fontaines, des serpents, etc. C'était surtout pendant les intermèdes mythologiques alternant avec chacun des cinq actes, que toutes les res- sources de la mise en scène étaient employées. On y voyait, par exemple, Jupiter « en un globe tournant, qui, venant à s'ouvrir, fait voir ce dieu assis sur l'arc du ciel, v£Stu d'une robe de toille d'or; » il lançait son fou- dre ardent contre les géants, au milieu des éclairs, au fracas du tonnerre. A l'instant, hommes et rochers étaient abîmés au fond des enfers,, et le foudre allumé courait 1 On les trouvera dans un article de M. L. Lacour, un Opéra au sei- zième sièJ'c (Hevie française, n" 110 , d'où nous extrayons ces particu- larités. CHAI'. II. — MISE EN SCENE DES PIECES. 25 sur le théâtre. Le ciel se refermait, et les pentagones, mus de nouveau, revenaient à une décoration champêtre pour la suite de la pastorale. Au second intermède, on voyait en perspective la ville de Mycènes, avec ses ports, tours, donjons, palais. La mer coulait sur la scène; il y avait un combat naval dans toutes les règles. Au troisième, on aperçut une mer agi- tée, Andromède enchaînée à un roc, le monstre sortant avec fracas des flots pour la dévorer, et Persée descendant des airs sur Pégase pour le combattre, etc, etc. Ces quelques détails, bien abrégés, suffiront pour don- ner une idée de cette mise en scène vraiment extraordi- naire pour l'époque. 11 y avait là toute la splendeur de nos féeries modernes, et, ce semble, aussi toute la préci- sion des machines actuelles. Quelques pièces contribuèrent encore à développer les progrès de cet art. Il fallait un grand déploiement de | machines pour jouer le Mariage d'Orphée et d'Eurydice ou la Grande Journée des machines, de Chapoton (1640); Or- | phée et Eurydice, de l'abbé Perrin (1647), dont le père Mé- nétrier, dans son Traité des ballets, a exposé les change- ments à vue, les vols, machines et décorations magnifiques; Andromède, de P. Corneille (1650); la Toison d'or, que fit donner Alexandre de Rieux, marquis de Sourdeac, à qui Ton est redevable de la perfection des machines théâtrales; Circé, de Th. Corneille (1675), et beaucoup d'autres piè- ces. C'était le célèbre Torelli qui avait travaillé aux ma- chines à' Andromède, et cet opéra eut tant de succès par la magnificence inouïe du spectacle, que, joué d'abord dans la salle du Petit-Bourbon, il fut. repris ensuite par la troupe du Marais, puis par la grande troupe des comé- diens (1682). Ce fut alors qu'on s'avisa de représenter Pégase par un véritable cheval, et, pour l'exciter à bien jouer son rôle et à mettre de l'ardeur dans ses mouve- : S» CURIOSITES THEATUALES. ments, on avait soin de le faire jeûner sévèrement avant le spectacle, pendant lequel un gagiste vannait de l'avoine dans la coulisse, ce qui faisait hennir et trépigner rani- mai. C'est la première fois qu'un cheval vivant parut sur la scène en France. Quant aux machines de Circé, elles dépassèrent encore celles d'Andromède; elles demandaient même tant de dépenses, conjointement avec les décora- , lions et les habits, que les acteurs en furent effrayés, et L que quelques-uns n'y voulurent contribuer en rien. L'introduction de l'opéra proprement dit en France, la magnificence du règne de Louis XIV et des fêtes qu'il donnait, fêtes où il y avait souvent des représenta- i lions dramatiques, enfin la vogue des ballets royaux, ame- r nèrent bientôt à son plus haut point la splendeur de la k mise en scène. Torelli et Vigarani, tous deux Italiens d'o- rigine, portèrent alors chez nous l'art du décorateur et du , machiniste à un degré voisin de la perfection. Parmi les,< théâtres de Paris, celui du Marais était le plus spéciale- ment, affecté aux pièces à machines, et, comme on dirait aujourd'hui, à grand spectacle. Pour mesurer les progrès immenses accomplis en si peu; de temps, il suffit de comparer ces décorations d'Andro- mède, du Mariage d'Orphée et d" Eurydice, de la Princesse,. dlUide, de Circé, avec ce qu'étaient les décors habituels, du théâtre au commencement du dix-septième siècle, c'est-* à- dire trois ou quatre châssis de chaque côté de l'estrade^ qui servait de scène, une toile peinte dans le fond, quel-j ques bandes de papier bleu pour imiter les nuages, et le , reste à l'avenant. En 1746, dans le Prince de Saler ne, de Louis KiccobuHi pièce toute pleine de machines, il y avait un vol très-, hardi qu'on fut obligé de supprimer pendant le cours des représentations, de crainte d'accident. Arlequin enlevait le docteur du théâtre, et disparaissait avec lui par une CIIAP. II. — MISE EN SCENE DES PIEGES. 27 trappe pratiquée au-dessus du parterre pour donner de l'air à la salle. Ce-fut encore un Italien, Servandoni, qui tint en ce siècle le sceptre de la décoration théâtrale. Il la porta a une hauteur qu'elle n'avait pas atteinte. Durant l'espace de dix-huit ans, il exécuta à lOpéra plus de soixante déco- rations d'une f-plendeur et d'un effet remarquables, et il se surpassa surtout dans celle du Génie du Feu pour l' Empire de Y Air. Certaines pièces classiques de notre théâtre permettent ou même exigent, contre l'usage, un grand déploiement de mise en scène, Athalie, par exemple, dont le dénoû- ment présente un tableau d'une majesté sans rivale, au moment où le voile du temple, en s'ouvrant, laisse voir Joas sur son trône d'or, avec sa nourrice à genoux d'un côté, Azarias debout de l'autre, une épée à la main; Zacharie et Salomith agenouillés sur les degrés du trône, puis la foule des lévites et des guerriers débouchant sur le théâtre en rangs pressés. Au siècle suivant, Voltaire appela plusieurs fois les ef- fets de la mise en scène au secours de sa muse tragique, guidé en cela, on peut le croire, par l'influence de Shak- speare et du théâtre anglais. Il a souvent recours au ton- nerre, aux apparitions, etc., tous moyens qu'il a réunis dans Sémiramis en particulier, acte III, scène vi. A cet endroit l'ensemble et les détails de la mise en scène sont tout à fait romantiques. On sait l'effet produit par Lekain dans cette tragédie, lorsqu'il sortait du tombeau de Ninus, le bras nu et ensanglanté, les cheveux épars, au bruit de la foudre, à la lueur des éclairs, cloué par la terreur à la porte, luttant, pour ainsi dire, contre le tonnerre qui le .repoussait dans le monument funèbre. A la suite de la réforme du costume en 1755 l , on 1 V. le chapitre suivant. 28 CURIOSITES THEATRALES. donna plus d'ampleur à la mise en .scène, qui, malgré les exemples dont nous venons de parler, était généralement mesquine : on multiplia les gardes et soldats qui suivent les héros tragiques; on dressa les comparses ; on exécuta les coups de théâtre avec plus de précision et de faste. Néanmoins les banquettes de la scène gênaient encore tellement, que la môme décoration servait souvent au tra- gique et au comique, représentant tantôt un temple, tan- tôt un salon, tantôt un vestibule public, etc. La suppres- sion de ces banquettes (1759-60) l vint ouvrir un nou- veau champ aux progrès de la mise en scène. Peu de temps après, le roi fit présent de plusieurs décorations aux comédiens, ou, du moins, leur en permit l'usage. En 1769, la Comédie française s'avisa de mettre le dé- noûment d'iphigénie en action, au lieu de le faire racon- ter par Ulysse. Cette idée singulière ne réussit point : on n'y vit qu'une agitation confuee et une mêlée 'sans intérêt. Ce ne fut pas la seule fois que le désir d'allécher le public fit tenter des entreprises de ce genre : il est rare qu'elles aient été plus heureuses. La mise en scène avait aussi ses contresens et ses ana- chronismes, comme le costume. En 1768. le Devin du vil- lage fut joué plusieurs fois à Fontainebleau avec une dé- coration de diamants. Brulus fui représenté dans un tem- ple grec. Le ballet des Horaces, de Noverre (février 1777), quoique se passant aux premiers temps de Rome barbare, se déployait au milieu d'une décoration ornée de tout le luxe de la Rome impériale, avec des do- rures et des broderies partout; et, pendant ce temps, le metteur en scène de la Comédie française montrait au pu- blic, damZnma, tragédie de Marmontel, dont l'action se passe lors de la conquête du Mexique, des soldats avec 1 V. lo chapitre iv. CHAI'. II. — MISE EiN SCEiNE DES PIECES. 39 des fusils armés de baïonnettes l . Mercier se plaignait amèrement tle voir sur notre première scène les Scythes et les Sarmatesdansun palais d'architecture grecque, et le farouche Zamore sous un portique romain. Crébjllon a vertement critiqué aussi la mise en scène du temps dans sa Lettre sur les spectacles. La vérité historique n'avait p;is été recherchée si vile ni avec tant de bonheur dans la mise en scène que dans le, costume. On connaît l'éternel vestibule d'une douteuse architecture, qui sert encore au- jourd'hui de décoration à la plupart des tragédies. En Italie, les progrès de la mise en scène avaient été plus rapides. C'est de là que nous étaient venus ceux qui l'avaient créée, ou, du moins, renouvelée avec éclat chez nous. La magnificence italienne se faisait jour dans l'ap- pareil scénique et dans l'édifice théâtral. Nulle part on ne rencontre de plus grandioses salles de spectacles, et qui se prêtent mieux à toutes les exigences de la mise en scène, que celles de Parme, de la Scala, de San Carlo, de la Fenice, Argentina, Pergola, etc. En 1514, la ville de Vi- cence fit d'énormes dépenses pour placer dans un cadre digne d'elle une des premières tragédies modernes, due au Trissin, et Léon X dépassa encore de beaucoup cette magnificence dans la représentation de la Rosamonda, de llucelaï, à' Florence, et de plusieurs autres pièces. En Espagne, ce fut Lopès de Rueda, natif de Séville, qui créa l'art de la mise en scène et se préoccupa de l'ap- pareil des représentations théâtrales. Avant lui, suivant un ^prologue de Cervantes, tout l'habillement d'un acteur pouvait tenir dans un sac, et se composait de quatre peaux blanches garnies de franges dorées, de quatre barbes, d'autant de perruques, et de quelques houlettes. La scène se formait en posant des planches sur quatre bancs, et on 1 Corrcsp. sccr., iv, 145-6. 30 CURIOSITÉS THEATRALES. l'ornait, pour tout décor, avec une couverture tirée par I deux cordes, derrière laquelle s'habillaient les comédiens I 1 et se tenaient les musiciens, qui chantaient sans gui- ï tares quelque ancienne romance. Il n'y avait alors ni l 1 machines, ni apparitions à l'aide de trappes, ni nuages • descendant du ciel avec des anges ou des âmes. Na- varro, de Tolède, fut appelé l'inventeur des théâtres pour t 1 avoir apporté quelque pompe à la représentation : ce fut ( lui qui mit en avant la musique, jusque-là cachée derrière 'I la couverture, qui inventa les machines, les nuages, les J 1 tonnerres, les éclairs, etc. Cervantes lui-même, qui nous f donne ces détails, se préoccupa beaucoup de la mise en I scène, et il a accompagné le traité de ses ouvrages dra- I matiques de recommandations qui prouvent combien elle | était encore peu avancée à celte époque l . En Angleterre, au seizième et même au dix-septième - siècle, on trouve la mise en scène la plus pauvre avec des > pièces qui auraient justement demandé la plus riche et la ) plus compliquée. Philip Sidney nous apprend, en termes railleurs, que le même lieu, sans changements de déco- rations, était censé représenter successivement un jardin, un rocher, une caverne, un .champ de bataille, etc. Le f rideau s'ouvrait par le milieu, la scène était recouverte $ de joncs. Shakspeare, dont les pièces changent de lieu I cinq ou six fois par acte, était réduit à recourir aux écri. teaux, comme dans nos mystères, pour suppléer par ce moyen naïf à l'extrême insuffisance des décorations 2 . Les charmantes scènes du Songe dîme nuit d'été, où Vilbre- 1 Em. Morice, 289-92. * Nous eûmes chez nous quelque chose d'analogue, au dix-huitième siècle, au théâtre de la Foire, dans ces écriteaux, descendant du cintre, qui n'étaient pas chargé-., il est vrai, de désigner les lieux, mnis les cou- plets que chantait le public sur l'air donné par l'orchestre, lorsqu'on eut détendu aux forains de donner aucune pièce, soit par dialogue, soil par monologue (Desboulm., Opérai-Comique, préface). CHAP lï. — .MISE EN SCÈNE DES PIÈCES. 51 I quin, Mufle, Lecoing, Lanavette, Flûte et Meurt-de-Faim mettent en commun toute leur imagination pour repré- i senler le lion, le clair de lune et le mur avec sa fente, | qui doivent figurer dans leur représentation de Pyrame et Thisbé, peuvent ê're prises pour un tableau comique, j mais point trop exagéré, des ressources dont certains théâtres disposaient alors. L'amélioration matérielle des théâtres d'Angleterre fut lente à s'accomplir. Chappuzeau donne É quelques détails naïfs et bien insuffisants sur la mise en scène anglaise de son époque. Il nous apprend seulement que les acteurs de ce pays visent avant tout au naturel dans l'appareil théâtral ; que, lorsqu'un roi paraît sur la scène, plusieurs officiers marchent devant lui, criant: Place, place! comme lorsque leur souverain passe à Witehall; qu'ils aiment à remplir la scène de personnages muets pour satisfaire la vue; que Mustapha se défendait vigoureusement contre les muets qui voulaient l'étrangler,, toujours par amour du naturel, — ce qui le scandalise. et lui prête à rire. Le théâtre anglais aimait beaucoup aussi le tapage, et ne s'en faisait pas faute quand la circonstance y prêtait- Addison nous apprend, dans le Spectateur, que le bruit des tambours, des trompettes, des hurrahs, lorsqu'il y avait bataille au théâtre de New-Market, était si grand, qu'on pouvait l'entendre de Fautre bout de la ville. L'Anglais Dennis, auteur de plusieurs tragédies, inventa un tonnerre perfectionné pour son Appuis ami Virginia; l'ouvrage n'eut qu'une représentation, mais le tonnerre en eut plusieurs, car, à sa grande indignation, Dennis le reconnut en assistant plus tard à une représentation de Macbeth. Mais ce n'était pas Dennis qui avait créé le tonnerre au * Théâtre fiançais, 1674, 1. 1, cli. xsm. 32 CURIOSITES THEATRALES. théâtre. Il existait déjà dans l'antiquité. Œdipe et Pro- méthée étaient engloutis au bruit de la foudre. A Rome, il y avait ce qu'on nommait le tonnerre de Claudius, parce qu'il avait été inventé par Claudius Pulcher : il se produisait en roulant, derrière la scène et sous le plancher, des cailloux dans des vases d'airain, pour annoncer le spectacle. Aujourd'hui, on imite simplement le bruit du tonnerre I avec un grand châssis de tôle, vivement secoué, tandis qu'un homme, placé au fond du théâtre, tient une Ion- ' gue corde où sont enfilées de nombreuses rondelles de tôle et des douves de tonneaux qu'il remue par inter- valles et qu'il laisse tomber tout à coup sur le parquet lorsque la foudre doit éclater. Des torches de lyeopode enflammées et secouées rendent la lumière vive, instan- tanée des éclairs, à moins qu'on ne préfère jeter de l'ar- canson sur un flambeau allumé. La pluie et la grêle sont parfaitement imitées par de petites pierres qu'on agite dans une vanne métallique. La neige se reproduit au moyen de petits fragments de papier blanc et d'ouate je- tés à foison du haut du théâtre ; le vent venant par les ! coulisses leur communique une oscillation qui ajoute à la ressemblance. A l'aide d'une roue montée comme celle d'un rémouleur, garnie d'un nombre suffisant de palettes en bois, larges de sept à huit pouces, coupées carrément, et d'un taffetas en demi-cercle tendu vers la partie supé- rieure de cette roue et touchant aux palettes, on obtient, en tournant la manivelle, un sifflement pareil à celui du vent 1 . Un des auteurs qui ont, chez nous, le plus attaché d'im- portance à la mise en_scène exacte, scrupuleuse et détaillée, 1 Architectonograpliie des théâtres, 2* série, par Kauttmann, p. 81-8. Jouslin de U Salle, Sour. dram. [Revue française. n e 111). ÇHAIV 111. — DU COSTIME AU THEATRE. 35 c'est Beaumarchais. On suit qu'indépendamment de l'âge, de la physionomie, du caractère, du costume de ses per- sonnages, toujours minutieusement décrits, il a poussé le scrupule jusqu'à indiquer, dans Eugénie, les jeux de scène qui doivent remplir les entr'actes pour relier entre elles les diverses parties de la pièce : « L'action théâtrale ne reposant jamais, dit-il à ce sujet, j'ai pensé qu'on pourrait essayer de lier un acte à celui qui le suit par une action pantomime qui soutiendrait, sans la fatiguer, l'attention des spectateurs, et indiquerait ce qui se passe derrière la scène pendant ' l'entracte. Tout ce qui tend à donner de la vérité est précieux dans un drame sérieux, et l'illusion tient plutôt aux petites choses qu'aux gran- des. » Mais les comédiens n'osèrent pas hasarder cette in- novation. Bouilly est celui qui s'est le mieux conformé à ces préceptes : Beaumarchais ne se 'serait certes pas at- tendu à un tel disciple. CHAPITRE 01 Du costume au théâtre. Ce chapitre n'est qu'un corollaire du précédent, que son importance nous a déterminé à traiter à part. Les anachronismes du costume ont été pendant très- longtemps la grande plaie de l'art théâtral. Nous en avons déjà vu quelque chose pour ce qui regarde les mystères; après les mystères, et jusqu'à Lekain, il en fut à peu.près de même. 3 V* CUK10SITËS THEATRALES. En tête de VÈpithalamc pudique, pièce jouée au collège de Tournon en-1583, l'auteur, d'Urfé, a désigné quel devait être le costume d'Apollon : il avait une grande robe de taffetas cramoisi orange garnie d'argent, un mantelet d'argent flottant sur les épaules, une perruque, etc. A la représentation de la pastorale àWrimàne, dont nous avons parlé au chapitre précédent (159fi). les acteurs « estoient habillez à la forme des pasteurs d'Arcadie, tous de satin de diverses couleurs, enrichiz de clincamp... les habits fort esclatants, riches et bien faicts. Circimant, habillé de satin noir, à la mode des anciens mages d'Egypte. Assave, le pédant, de noir, en robe pedantesque. Orithie, nymphe, de jaulne doré, avec une coiffure pointue, à la mode des nymphes. » Voilà l'idée qu'on se faisait alors deJa cou- leur locale en fait de costumes. Quand vint le théâtre régulier, les premiers comédiens ne se doutaient même pas de ce que devait, être l'accou- trement de leurs rôles. Et d'abord les héros tragiques pri- rent dès lors, et gardèrent un siècle el demi, l'habitude de comparaître en perruques à trois marteaux, qui leur semblaient plus conformes à la majesté de la pièce et du personnage. Mondoryestà peu près le seul que le ridicule de cet usage eût frappé; on le cite pour avoir rejeté les perruques et avoir, toujours voulu jouer avec de petits cheveux courts; sa réforme s'arrêta là. • Les pièces de Rotrou étaient représentées sous le cos- tume contemporain, tel qu'on peut le voir dans les plan- ches de Callot i . Plus tard, Baron et Dufresne se montraient dans Venceslas en habits français et avec des cordons bleus qui ressemblaient à Tordre du Saint-Esprit 2 . Le Cid et Cinna firent leur apparition en costumes de cour >• * Pour ce chapitre, nous avons profile plus d'une fois d'un curieuï article publier par M. Emile Lamé dan« la revue'ln Prêtent, n" 1^. - Journal deCoHlê, II, p. '278. CHAI» III. — 1H COSTUME AI THEATRE de l'époque ; c'est-à-dire que les hommes avaient la fraise plaie, leshauts-de-chausse à bouts de dentelle, le justau- corps à pelites basques, la longue épée, les souliers à nœuds énormes; et les femmes, le corsage court et rond, le sein découvert, la grande, ample et solide jupe à queue, les talons hauts, les cheveux crêpés et bouffants- ou retom- bant en boucles. Auguste portait une couronne de lau- riers par-dessus sa vaste perruque. Les tragédies de Racine étaient jouées aussi eu grands et solennels costumes de cour, qu'on tâchait de modeler sur ceux des empereurs romains, mais en les tournant à la moderne. Les femmes se contentaient, pour toutes mo- difications à leurs habits ordinaires, de hausser leurs ta- lons, de surcharger de broderies le corps de brocart et le manteau à taille de Thabit de cérémonie, enfin de se met- tre sur la tête des voiles, d'immenses panaches et des cou- ronnes. M. Lamé a fait remarquer avec justesse que non- seulement la déclamation et la pantomime des acteurs étaient en rapport avec le costume théâtral et en ont suivi les péripéties, mais que ce* rapport existait souvent aussi entre le costume et les défauts des pièces. Rien n'est isolé au théâtre; au contraire, tout se tient et s'en- chaîne. Lorsque Quinault fait dire à Thomiris : Que l'on cherche partout mes tablettes perdues, il commet un anachronisme aussi naïf que l'actrice qui représentait Thomiris en panier, et on ne concevrait pas ces mots dan: la bouche d'une Thomiris vêtue en vraie reine des Scythes. De même ces costumes de cour appe- laient naturellement la galanterie et le langage choisi des héros de Racine. Corneille avait raison de trouver trop Français les Turcs de Bajazet; mais, sous l'habit du Turc en scène, on devinait le gentilhomme de la cour de S6 CURIOSITÉS THEATRALES, France. La gravure placée en tête de Y Amant libéral, de Scudéry, nous montre quel était le costume officiel des Turcs dans les tragédies d'alors. Sous Louis XIV, il y a un progrès de couleur locale : le Turc porte un turban empanaché ou surmonté d'une corne-, il a une grande ceinture et un sabre recourbé; mais là se bornent l'effort et le progrès, et le reste de l'habit est contemporain. Toutefois il est juste de dire que Racine avait parfaite- ment senti l'invraisemblance et le ridicule du costume théâtral, en homme qui connaissait à fond l'antiquité.' Il essaya plusieurs fois de s'opposer à ces anachronismes, par exemple, lorsque Baron voulut jouer Achille dans Iphigé- ?iie, avec les cheveux frisés et bouclés. Mais il pouvait bien peu de chose à lui seul contre le parti pris des comédiens. Nous avons déjà vu Baron en faute sur ce point, et nous pourrions l'y montrer bien d'autres fois encore : en effet, - ce grand acteur, si digne pourtant de s'élever au-dessus du mauvais goût commun, et de réformer cet usage, comme il avait fait pour la déclamation ampoulée et chantante de ses prédécesseurs, ne semble pas même avoir soupçonné l'absurdité des costumes tragiques, ou, du moins, avoir essayé de la combattre en rien. Plus tard, on le vit jouer le jeune Misaël dans les Machabées de la Motte, vêtu comme eût pu l'être le (ils d'un bourgeois de Paris, avec un toquet d'enfant et les manches pendantes 1 . Baron nous a donné lui-même un renseignement cu- rieux sur les costumes du théâtre à son époque, dans son Homme à bonnes fortunes (IV, se. vin), où Pasquin avoue avoir prêté le justaucorps de son maître pour un jeune homme qui faisait le roi dans une tragédie de collège. 1 On a remarqué qu'il visait toujours à la noblesse dans ses costumes. Ainsi, pour Arnolphe de l'École des Femmes, il s'habillait, contrairement à la tradition établie, avec une sorte de dignité bourgeoise, un babil de velours, des bas noirs, le chapeau siu la tète, etc. CHAI», m. _ [)\] COSTUME AU THEATRE. 57 Or les tragédies étaient jouées alors au collège avec tout l'appareil des représentations publiques 1 . On voit donc que les héros tragiques se montraient en habits de ville; seulement ce devaient être des habits riches. On pouvail coiftempler sur la scène des Grecs et des Romains avec des chapeaux à plumes, des gants blancs à franges d'or, une épée suspendue à un large baudrier. On ne songeait qu'à l'opulence et à la majesté du costume, sans songer à consulter les érudits. Qnant aux guerriers, on avait in- venté pour eux des tonnelets ou petits paniers ronds Rat- tachant au-dessous de la cuirasse, et sur ces tonnelets un court jupon tombant jusqu'aux genoux 2 . Des esprits sensés étaient frappés de ces grotesques travestissements, et les railleries ne firent pas défaut. Sorel s'en est moqué dans la Maison des jeux (Sercy, 1642, in- 8°, p. 454 et suiv.) : « J'ai vu quelquefois passer à Paris de ces gens-là qui n'a voient chacun qu'un habit pour toute sorte de personnages, et nesedéguisoient que par de fausses barbes ou par quelque marque assez faible, selon le personnage qu'ils représentoient. Apollon et Her- cule y paraissoient en chausses et en pourpoint... Cet Hercule, se voulant faire remarquer, avoit seulement les bras retroussés comme un cuisinier qui est en faction, et tenait une petite bûche sur son épaule pour sa massue, de telle sorte qu'en cet équipage Ton l'eût pris encore pour un gagne-denier qui demande à fendre du bois. Pour Apollon, il avoit derrière sa tête une grande plaque jaune prise de quelque armoirie, pour contrefaire le so- leil. » Scarron n'était que rigoureusement exact quanti il montrait, au début de son Roman comique, le Des- tin faisant son entrée au Mans, avec « des chausses trous- 1 Y. le chapitre vi. - Andriane, notice en tête des Mémoires de mademoiselle Clairon. in-8° 58 CURIOSITÉS THEATRALES. « sées à bas d'attache, comme ceux des comédiens quand .( ils représentent un héros de l'antiquité. » Plus loin, le Destin joue le rôle d Ilérode, couché sur un matelas, et un corhillon sur la tête en guise de couronne, et mademoi- selle de la Caverne ne se donné même pas la peine de changer de costume pour jouer ceux de Marianne et de Salomé, parce que, comme le fait observer la Rappinière, avec son habit ordinaire elle peut passer pour tout ce qu'on voudra dans une comédie. La parodie de la Cléopâtre de la Chapelle, au quatrième acte du Hagotin de la Fontaine et Champmeslé, nous ap- prend que la célèbre reine égyptienne paraissait sur la scène en habit espagnol, et les auteurs s'écrient : On va vous prendre ici pour Jeanneton la folle! Le dix-huitième siècle marcha sur ies traces du dix- septième. Il me paraît curieux de citer, à ce propos, le pas- sage suivant du Spectateur anglais ('25 e dise.) : « Tous les acteurs qui viennent sur le théâtre (en France) sont autant de damoiseaux. Les reines et les héroïnes y sont si fardées, que leur teint paraît frais et vermeil comme celui de nos jeunes laitières. Les bergers y sont tout couverts de bror deries... J'y ai vu deux Fleuves en bas rouges, et Alphée* au lieu d'avoir la têle couverte de joncs, conter fleurettes avec une belle perruque blonde et un plumet... Dans Y Enlèvement de Proserpine, Pluton était équipé à la fran- çaise. » Dufresne, représentant Gustave, sortait des cavernes de la Dalécarlie en habit bleu céleste à parements d'her- mine. C'était non-seulement dans un magnifique palais, mais couvert d'un habit de brocart d'or, que Sarraziri- Pharasmane disait à l'ambassadeur de Rome : CHAI'. IJI. — DU COSTUMK Al THEATRE. ?>;> La nature marâtre, en ces affreux climats, Ne produit, au lieu d'or, que du fer, des soldats c_ Du resté, Sarrazin était un des acteurs les moins soi- gneux de la vérité du costume. Pendant la première moitié du dix-huitième siècle, on conserva à peu près l'habit à la romaine du siècle précé- dent, d'après les traditions de Baron; la grande perruque sur laquelle on mettait le casque, au besoin, et le tonne- let de plus en plus bourré, de façon à faire d'énormes hanches au héros. On vit le roi Priam vêtu en marchand arménien. Mais le costume des femmes se modifia davan- tage, suivant les variations de la mode. Adrienne Lecou- vreur abandonna les grands panaches, prit des étoffes de sqje plus légères, la poudre, les paniers (qui, aussitôt après leur invention, furent adoptés par Andromaque et Mérope, aussi bien que par Araminte et,Célimène, et par les héros tragiques aussi bien que par les danseurs), con- serva le corps de brocart, et la jupe de dessus s'étendant derrière elle en manteau de cour 2 . C'est sous cet accou- trement qui ne différait guère de celui des petites maî- tresses que par une coiffure de mauvais goût, laissée à l'imagination de l'actrice, que furent jouées les tragédies de Voltaire à leur apparition. Et chacun de se récrier sur la beauté et la convenance de ces costumes. La comédie n'était pas toujours beaucoup mieux par- tagée. On sait par Lekain que Paulin portait des man- chettes en jouant les paysans. Il est vrai que nous voyons bien pis aujourd'hui encore, avec nos villageois d'opéra comique. C'est avec raison qu'on fait honneur de la première réforme importante du costume théâtral à mademoiselle 1 Encyclopédie, art. Décoration, par Marmontel. *Fm. Lamé, Présent, n° 13. Kl CURIOSITES THEATRALES. Clairon et surtout à Lekiiin: mais ils eurent des précur- seurs qui méritent, de n'être pas oubliés. En 1747, on joua Y Amour castillan de la- Chaussée avec les costumes espagnols, ce qui étonna beaucoup le public. Madame Favart se montra, en plusieurs circon- stances, préoccupée de la vérité du costume. Ainsi, dans le rôle de Bastienne (26 septembre 1755), contrairement a toutes les autres actrices, qui, en représentant des sou- brettes et des paysannes, paraissaient avec de grands paniers (même dans la Martine des Femmes savantes), gantées jusqu'au coude, et souvent même la tête chargée de diamants, elle adopta l'habit de serge comme les villa- geoises en portent, la petite croix d'or, puis la cheve- lure plate, les bras nus et des sabots. Cette dernière partie du costume surtout déplut aux raffinés du par- terre, à qui Voisenon répondit : « Ces sabots-là donneront des souliers aux comédiens. » Comme madame Favart, madame Bellecourt se montra toujours attentive à revêtir le vrai costume de son em- ploi. Abandonnant les plumes, les gazes, les taffetas, elle portait une coiffure simple, un tablier uni dans ses rôles de soubrettes, et, dans ceux de villageoises, une cornette et des étoffes semhlables à celles des vraies paysannes. Suivant les Anecdotes dramatiques (M, 252), c'est à de la Garde, qui fut directeur de fait, sans l'être en titre, des fêtes données par Louis XV à sa cour, dans ses petits ap- partements, qu'on doit l'établissement du costume sur nos théâtres; mais cet ouvrage ne s'explique pas sur la date ni la nature précises des réformes opérées par lui. L'année 1755 peut être considérée comme l'hégire du costume théâtral. Il y avait alors sur la scène deux grands acteurs qui faisaient de leur art l'objet incessant de leurs études, Lekain et mademoiselle Clairon. Tous deux furent frappés en même temps de ces anachronlsmes bouffons LU Ai', m. — Ml COSTUME W THEATRE. 41 acceptés par leurs camarades, et résolurent de faire une révolution dans le costume. Ce fut par le rôle d'Oreste, dans Amlromaquc, que Le- kain commença à exécuter son projet. Il dessina lui- même son habillement, suivant son usage; car, même lorsqu'il n'avait encore que de très-médiocres appointe- ments, il se privait de tout pour se monter une garde- robe de théâtre à son goût. Ce fut uft grand événement dans les coulisses quand le tailleur lui apporta cet habit, bien éloigné de tout ce à quoi Ton était habitué. Néan- moins, l'impression fut bonne en général : « Ah ! qu'il est beau ! s'écria Dauberval en regardant le costume ; le pre- mier habit romain dont j'aurai besoin, je me le ferai faire à la grecque. » Cette naïve exclamation montre où en étaient encore les comédiens sur la question des cos- tumes. * Sans influer autant que Lekain sur cet heureux chan- gement, mademoiselle Clairon y contribua néanmoins beaucoup pour sa part. Marmontel nous a raconté, dans ses Mémoires, comment elle joua pour la première fois Roxanè sans paniers et les bras nus; comment, dans Y Electre de Crébillon, elle parut en simple habit d'es- clave, échevelée, les mains chargées de chaînes. Il y eut là vraiment toute une révolution théâtrale. De ce jour, qu ils se soumissent plus ou moins volontai- rement, les acteurs furent du moins forcés d'abandonner lès tonnelets, les gants blancs à franges, la perruque volu- mineuse et frisée, la culotte bouclée et jarretée à la fran- çaise, et les plus grossiers des anachronismes usités jus- qu'alors. Mais on était encore bien loin de la vérité scru- puleuse. Lekain lui-même s'était arrêté à mi-chemin : « Je me souviens de l'avoir vu dans le rôle d'Oreste, dit mistress Bellamy 1 , roulant entre ses mains, au lieu de 1 Mémoires, lett. xlviu. VI CURIOSITES THEATRALES. casque, un petit chapeau garni de plumes à lespagnole, pendant que le reste de son costume était grec. » C'était toujours la coiffure qui péchait. S'il en était ainsi, même pour Lekain, à plus forte raison pour les autres acteurs. Ils se couvraient, au lieu de casques, de chapeaux à trois cornes, ornés de gigantesques panaches, Andrieux rap- porte 1 qu'il a vu, dans Zuma, de Marmontel, un sauvage en cheveux poudrés, et Ulysse et Théramène avec la même coiffure. L'habit à'Éleclre était toujours â la mode Louis XV, avec quelques modifications. Les paniers mêmes avaient été conservés presque partout, quoique, en 1755, les actrices les eussent bannis de leur- habillement pour représenter VOrphelin de la Chine, de Voltaire, une des premières pièces où Ton ait appliqué la réforme. Made- moiselle Durnesnil, qui devait plus à la nature qu'à l'étude et à l'art, en portait encore dans Sémiramis et Alhalie. Mademoiselle llaucourt et la plupart de ses compagnes en ; portaient également, ainsi que de la poudre, à une épo- que où cette mode avait disparu dans les costumes de ville. La réforme pour les femmes consista surtout à sub- 1 slituer à l'uniformité d'autrefois une grande variété de costumes tragiques, suivant les temps et les lieux, ce qui indiquait une louable préoccupation de la vérité et de la couleur locale. Le corps et la jupe de brocart cédèrent la place à un manteau de soie damassée, froncé, jeté sur une) épaule, revenant sur lui-même, relevé par des nœuds, ayant enfin quelque analogie avec les ajustements des; dames romaines. Pour les hommes, la réforme fut plus radicale, sans être encore à beaucoup près suffisante. Tout en chan-, géant la disposition de» perruques, en en dénouant la 1 Notice sur mademoiselle Clairon. CHAI'. III — IH COSTUME AU THEATRE. 45 queue et eu montrant le cou nu, ils gardèrent la poudre. Le costume moyen âge eut pour signes distinctifs le pourpoint de satin à basques et le court manteau sans manches, fixé au dos comme le petit manteau d'abbé; de plus, et toujours, la culotte de velours, les bas de soie et les souliers à talons rouges, ce qui était bien d'accord" avec la science historique d'alors. Mais ce fut dans les cos- tumes turcs et orientaux que les progrès furent les plus sensibles : l'habit très-riche, et qui serait encore accepta- ble aujourd'hui, comprenait un turban avec plumet, ai- grette et petit croissant, une pelisse à queue presque tou- jours ramenée par devant et passée dans la ceinture 1 . C'est surtout à madame Favart et à la représentation des Trois Sultanes qu'on fut redevable de ce progrès : quand on représenta à la cour, quelque temps après, Topera de Scànderberg, on emprunta l'habit qu'elle avait fait venir de Constantinople pour en tailler sur ce modèle, qu'imita aussi mademoiselle Clairon, en se faisant faire un cos- tume pour ses rôles orientaux à la Comédie française 2 . Parmi les acteurs qui, après la réforme, se firent le plus remarquer par leur attention à la vérité des accou- trements, il faut citer Brizard. Tout le monde sait que, lorsqu'on lui apporta de la part du roi un habit de satin bleu céleste à la première représentation (ïOEdipe chez Admèle, il le refusa pour en prendre simplement un de laine, destiné aux confidents 5 . N'oublions pas non plus mademoiselle Doligny, qui rompit la première avec la tradition de l'éventail et des gants blancs, invariable apanage des amoureuses. ïalma devait, sinon achever, du moins reprendre et poursuivre d'une manière sérieuse la réforme si beureu- 1 Kmile Lamé, Présent, n* lô. - Anecd. (Iran., 11, 18îi. " l.emazurier. Galerie des ucL, I. 173. - H t.llUOSITKS THEATRALES. sèment entreprise par son illustre prédécesseur. Il com- mença, dès 1789, c'est-à-dire à son début, sa longue lutte pour la conquête du vrai costume antique. Il ne s'était guère encore révélé que dans le Charles IX de Chénier, quand, chargé du rôle insignifiant de Proculus, qui n'a pas vingt vers,, dans le Bru tus de Voltaire, il sortit de sa loge avec cet habit austère qui fit criera mademoiselle Contât : « Ah ! mon Dieu ! il a l'air d'une statue ! » En jouant Titus, dans la même pièce, il se fit couper les che- veux sur le modèle d'un buste romain, ce qui introduisit la mode de se coiffer à la Titus. Ce fut surtout pour la coiffure et le caractère de la tête que Talma compléta l'œuvre de Lekain : de ce côté il joignit la beauté artisti- que à l'exactitude historique. L'exclamation de mademoi- selle Contât marque à la fois le mérite et le défaut de sa réforme. Son mérite fut de ne rien donner à la fantaisie, à l'ornementation bizarre et fausse, de chercher, en un mot, à se modeler sur les monuments anciens; son défaut fut de se laisser trop dominer par les idées exclusives de David et de son école, qui", dans l'ardeur de leur réaction, n'avaient vu qu'un coin de l'antiquité, le coin le plus austère, le plus dépourvu de grâce et de soleil, et l'a- vaient rendu avec une roideur majestueuse et gourmée. Il est à remarquer^aussi qu'avec son haut sentiment du costume antique Talma n'eut point celui du costume du moyen âge. Mais faut-il s'étonner qu'il en ait confondu toutes les époques, ou qu'il ait été faux dans l'ensemble même avec des détails à peu près justes, puisque la con- naissance de cette époque difficile date à peine de nos joufs ? Talma rencontra naturellement des esprits mieux dis- posés que du temps de Lekain à accueillir cette réforme. Quelques acteurs toutefois ne se montrèrent pas très-em- pressés à le seconder. Quand on fit quitter à Vanhove CHAI», ttl. — DU COSTUME AU THÉÂTRE. 45 lambrequins et la culolte de soie cramoisie du -costume d'Agamemnon, en cherchant à lui démontrer les avanta- ges d'un vêtement historique : « Le beau progrès, dit-il ; ils ne font pas seulement une poche pour mettre la clef de sa loge ». » C'était à ce point de vue intime qu'il envi- sageait la question. , Sous la Révolution, le patriotisme introduisit un nou- vel anachronisme, qui n'était pas le moins bizarre, dans les costumes de théâtre. Les acteurs tragiques ou comi- ques, hommes ou femmes, grecs ou romains, ne parais- saient sur la scène qu'avec la cocarde tricolore, qui fai- sait un singulier effet sur la tète de Fénelon, dOEdipe ou de Bru tus. D'après le Vacher de Chamois 2 , en 180:2, malgré tous les efforts tentés pour arriver à la régularité du costume, il ne s'était pas encore trouvé sur la scène lyrique une actrice qui eût voulu renoncer, même dans les rôles an- tiques, aux jupons, aux robes plissées, aux fourreaux garnis de bouillons, de dentelles ou de franges, et on les voyait presque toutes persévérer à retrousser leurs vê tements avec des glands et des cordons, à peu près comme on relève les rideaux des alcôves. Mademoiselle Saint-Hu- berli, seule, fit de sérieuses tentatives pour introduire les costumes exact* à l'Opéra. Elle faisait dessiner ses habits sous ses yeux, et un jour, dans un ouvrage dont l'action se passait en Thessalie, elle parut sous un vêtement aussi gracieux que fidèle, qui lui fut aussitôt interdit par ordre, comme peu décent. Même après la réforme de Talma, il restait beaucoup à réformer encore. M. Jouslin de la Salle raconte, dans ses Souvenirs dramatiques *, qu'il fut frappé un jour, pendant ' Ch. Maurice, tlist. (iMctl. dit Ihéât., I, 14. ''.Recherches sur les costumes et les théâtres. s Revue française, n° 114, p. 178. m CURIOSITES THEATRALES: une représentation du ^Misanthrope à la lomédie-l'i-an- caise, de voir Alcesle, Oronte, Acaste, etc., porter des ha- bits du temps de Louis XV et de Louis XVI, tandis que Cé- limène et Éliante étalaient naïvement sur la scène des robes et des châles fabriqués d'après Je Journal des Modes de la semaine. Il y porta remède avec le concours du sociétaire Cuiaud, spécialement chargé de cette partie au théâtre. En 1829, toutes les actrices représentaient Elvire et Célimène en manches à gigot. Ce fut le 15 janvier de la même année, anniversaire de la naissance de Molière, que les |comédiens se décidèrent enfin à représenter Tartufe avec les costumes du temps, grâce surtout à mademoiselle Mars, qui fit en partie, pour les habits comiques, ce qu'a- vait fait Lekain pour les habits tragiques '. Que de détails ne pourrait-on trouver à reprendre en core aujourd'hui, quoique cependant les acteurs ne se li- vrent plus à d'aussi grossiers anachronismes! On aura beau corriger de nouveau, il y aura toujours quelque chose à corriger. D'ailleurs, la vérité des costumes, au théâtre, ne peut être, comme la vérité du langage, des mœurs, de l'observation, de la déclamation même, qu'une vérité, sinon de convention, du moins relative et limitée; mais cette vérité relative, la seule à laquelle ou puisse prétendre, il faut s'efforcer de l'atteindre. L'époque est favorable pour cela, à cause de la curiosité des éludes rétrospectives qui s'est emparée de tout le monde, et de la passion avec laquelle on rétablit les moindres monuments { du passé. Sans doute, indépendamment du costume, et même avec un costume tout à fait opposé à la nature du rôle, un grand acteur peut produire son effet; mille exemples le prouvent, entre autres ce que nous savons de l'im- ; 1 Code théâtral, p;ir J. Ilousseau. CHAP. IV. - DES SALIES DE SPECTACLE. 47 | pression produite par Eckhof en bonnet de nuit, en lu- nettes et en robe de chambre, sur les acteurs les plus dif- j ficiles, successivement dans des scènes de tragédie, de comédie noble, puis de comédie bouffonne *, Mais la I vérité de l'habit aide du moins puissamment à l'illusion, ! et, quand même elle y serait inutile, elle devrait encore être recherchée pour elle-même. Les théâtres étrangers n'étaient pas plus avancés que le nôtre. Lope de Vega se plaint, dans son Nouvel Art dramatique, de voir sur la scène espagnole des Romains en hanls;de-chausses et des Turcs en collerettes à l'euro- péenne. Sur le théâtre anglais, les héros antiques pa- raissaient en perruques in-folio, absolument comme sur le nôtre. Garrick lui-même jouait Macbeth en costume d'officier général moderne, et ce fut Macklin qui réforma ce singulier usage. CHAPITRE IV Disposition matérielle des salles de spectacle aux dix-septième et dix-huitième siècles — Les banquettes sur la scène. Nous ne parlons que des salles de spectacle où se jouaient des pièces régulières, des théâtres en quelque sorte officiels. Ces salles étaient loin d'offrir la commodité qu'on trouve dans les nôtres. D'abord, on était debout au par- 1 Charlotte Ackermann, par Huiler, traduction française, \>. 256-7. W GURI061TES THEATKAIES. terre dans les premiers temps de notre théâtre, et, comme il n'y avait pas de vestiaire, .chacun y entrait avec son manteau, sa canne, son épée (tant qu'il n'y eut pas de règlements pourle défendre), et demeurait entassé, heur- tant, heurté, se haussant sur la pointe du pied, car cet endroit n'était môme pas en talus, et les premier^ rangs seuls pouvaient voir aisément. On conçoit comment une pareille disposition devait favoriser, d'une part, les dés- ordres, les querelles des laquais et' des écoliers, les vols des filous, les tours des pages, etc.; de Vautre, le bruit, les sifflets, les huées, les interruptions, d'autan^plus que c'était là que se réunissaient ceux qui entraient sans payer, et qui, venus seulement à défaut d'autre occupa- tion, ne se souciaient guère d'entendre ce que disaient les comédiens. « Dans leur plus parfait repos, écrit un au- teur du dix-septième siècle, en parlant des mille marauds toujours faufilés au parterre, ils ne cessent de parler, de crier et de siffler. » L'incommodité porte à la mauvaise humeur; les foules pressées se communiquent leurs impressions avec une promptitude et une facilité surprenantes; en outre, il était facile aux perturbateurs et aux cabaleurs de se ca- cher dans h masse. En asseyant le parterre et en le met- tant à son aise, on a muselé la bête féroce ; ce qui ne sem- blait qu'un acte d'humanité se trouve une mesure de haute politique. 11 ne faut pas perdre de vue cette disposition particu- lière du parterre dans l'ancien théâtre pour comprendre plusieurs des anecdotes que nous rapporterons plus loin ; cela seul les explique et les rend possibles, sinon cer- taines. Ce ne fut qu'à partir de 1782 qu'on établit des bancs au parterre dans la nouvelle salle du faubourg Saint- Germain (aujourd'hui l'Odéon). 11 en avait déjà été ques- CHAH. IV. — DES SALLES DE SPECTACLE te Lion plusieurs fois, eulre autres en 1777; mais Jes co- médiens ne s'en étaient pas souciés , el leur mauvaise vo- lonté ou leur inertie avait empêché d'accomplir ce projet. Les théâtres, à l'origine, étaient presque toujours éta- blis dans des jeux de paume disposés en forme de parallé- logrammes. Une des extrémités de ce carré était occupée par une estrade qui servait de scène; aux murailles s'ap- puyaient deux ou trois rangs de galeries en charpente qui suivaient les murs à angles droits. Aux places les plus proches on ne pouvait apercevoir les acteurs et la scène que de côté, et, dans celles de face, on était trop éloigné pour voir ou entendre nettement. Quand on abandonna les jeux de paume du temps de Molière, les salles de spectacle se composaient encore de gradins disposés comme dans nos amphithéâtres, autour du parterre debout, et au-dessous des gradins deux rangs déloges Les violons, ordinairement au nombre de six, furent placés d'abord derrière le théâ- tre, ou sur les ailes, ou « dans un retranchement entre le théâtre et le parterre, » c'est-à-dire à peu près au lieu qu'ils occupent aujourd'hui; puis on les mit dans une des loges du fond 1 , lieu qu'on avait reconnu favorable pour- la sonorité. La scène était couverte de banquettes oU venaient s'as- seoir, de chaque côté des acteurs, les marquis et gens du bel air. On a peine à comprendre aujourd'hui que cet usage absurde ait pu s'établir et subsister si longtemps. Rien n'était plus insupportable pour les acteurs comme pour les spectateurs : les premiers se trouvaient sans cesse gênés dans leurs mouvements et les seconds dans la vue du spectacle; mais c'était le moindre souci des fats qui hantaient les banquettes. Us ne se retenaient pas de causer et rire à haute voix entre eux, de s'en prendre à l'acteur ou au moucheur de chandelles quand ils étaient 1 Chappuzeau, Théâire-Frnnçais. p. 210. 4 ofl curiosités niKvrnAiKs. en gaieté, quelquefois moine d'interrompre la pièce. 11 fal- lait que le comédien fût doué d'un génie bien puissant pour produire l'illusion au milieu de ces têtes poudrées, de ces canons ou &3 ces talons rouges, mêlés de près aux personnages de l'action, qui rappelaient, sans cesse au public qu'il était dans une salle de spectacle. Il arrivait souvent que Ton confondait l'entrée d'un spectateur des banquettes avec l'entrée d'un acteur, et que l'on prenait un marquis pour le jeune premier de la pièce : On attendait Auguste, on vit paraître un fat. H serait difficile d'énumérer en détail tous les incon- vénients de cette incroyable coutume: le rétrécissement du théâtre (à ce point qu'à une représentation de V Acajou de Favarl, vers le milieu du dix-huitième siècle, il ne put paraître qu'un seul acteur à la fois sur la scène, tant elle était encombrée, et que, lors d'une représentation d\4- thalie (16 décembre 1739), il fut-impossible d'achever la pièce, pour la même raison; la gêne qu'elle apportait aux gestes, à la marche, aux évolutions, aux attitudes, par suite aux coups de théâtre, à la chaleur de l'action, etc.; la mesquinerie de la mise en scène, par l'impos- sibilité de meubler ou de décorer, suffisamment un endroit ainsi recouvert par les spectateurs, en voilà quelques-uns encore. Lors des grandes, pièces à ma- chines, on était quelquefois obligé de supprimer les banquettes de la scène, qui auraient rendu impos- sibles les changements à vue : ce fut ce qui arriva à la représentation de Circé, au Palais- lloyai (17 mars 1705) l . Nul doute' qu'il ne faille expliquer en partie par cet usage cette sévère et inflexible unité de lieu de nos anciennes tragédies où comédies, qu'on a voulu, si mal à *'V. ie Registre de ia fi range, cité par M, Régnier dan's^e Monde dra- matique, l" vol. CM4P. IV — DES SALLES DE SPECTACLE. 51 propos, ériger-en loi immuable, tandis qu'elle n'était souvent qu'une contrainte imposée par des circonstances transitoires. Il était difficile, en effet, dans de pareilles conditions, de changer en place publique, d'une scène à l'autre, l'éternel vestibule des tragédies de Racine, ou en salon l'éternelle place publique des comédies de Molière. De là encore, par suite, l'invraisemblance des entrées, des sorties, des rencontres fortuites, etc., et voilà comment de petites causes amènent de graves conséquences, et comme quoi les banquettes de la scène ont gravement influé sur notre art dramatique. Les anecdotes qui démontrent les inconvénients de ces banquettes, pris sur le fait, sont très-nombreuses, et nous en citerons plusieurs. On reprochait à Baron de tourner quelquefois en scène le dos au public; il ne Je faisait que lorsqu'il y était forcé, en quelque sorte, par les spec- tateurs des banquettes, qu'il entendait rire ou causer tout haut derrière lui : c'était alors qu'il se retournait vers eux et leur imposait silence en leur adressant les vers qu'il avait à dire. A une représentation de Cinna, le maréchal de la Feuil- Jade, entendant le comédien, qui jouait Auguste, réciter ces vers : « Mu faveur fait la gloire et ton pouvoir en vient, Elle seule t'élève et seule te soutient, » etc., s'écria à mi-voix : « Ah! tu me gâtes le: Soyons amis, Cinna ! » L'acteur, troublé et croyant que cette apostrophe s'adressait à lui, faillit perdre la tête. Le maréchal lui expliqua après la pièce que c'était d'Auguste lui-même qu'il avait voulu parler. Le marquis de Sablé arriva, un jaur, à moitié ivre, sur le théâtre pendant les Vendanges de Dancourt (16.94). L'ae- teur-auteur était en scène, et chantait ces vers de sa pièce . 52 CURIOSITES THEATRALES En parterre, il hou Ira nos hh's; Nos prés, nos champs, seronl sables. Le marquis, dont la raison était fort troublée, s'imagina que celui-ci l'insultait, et, se levant de sa place, il alla gravement souffleter le comédien, qui dut dévorer cet affront. A la première représentalion de ÏKcole des femmes, Plapisson, qui passait pour un grand philosophe, était sur le théâtre , et à chaque éclat de rire du parterre il haussait les épaules et le regardait en pitié, disant même quelquefois tout haut : « Ris donc, sot de parterre, ris donc l ! »> C'est que ces deux parties de l'auditoire, celle qui s'éta- lait à son aise sur la scène et celle qui se tenait debout à l'autre extrémité de la salle, n'étaient pas toujours d'ac- cord. On le remarqua surtout au Grondeur de Brueys et Palaprat, qui fut sifflé par la première et vivement ap- plaudi par la seconde. De Beauchamps, dans ses Recherches sur les théâtres, a raconté l'anecdote suivante : Des seigneurs riaient avec Visé, sur le théâtre, des beaux endroits de son Gentil- homme Guespin (1670). Le parterre, au contraire, sifflait beaucoup. Un rieur des banquettes s'avança et dit : « Si vous n'êtes pas contents, on vous rendra votre argent à la porte; mais ne nous empêchez pas d'entendre des choses qui nous font plaisir. » On lui cria : Prince, n'avez-vous rien à nous dire de plus? Une autre voix répondit pour lui : Non; d'en avoir tant dit il est même confus. ' Peut-èlre cette anecdote serait-elle mieux rapportée aux Précieuses ridicules. Suivant quelques-uns, c'est fort sérieusement que Plapisson se serait écrié, dans son admiration pour Molière : t |Us donc, par- terre, ris donc ! » CllAP. IV. — DES SALLES DE SPECTACLE. 53 Ces deux vers font partie de VAndronic de Campistron, qui ne parut qu'en 1085 : donc il est à peu près certain que l'anecdote est fausse, ou qu'il faut la rapporter à une autre pièce. Le public, bien qu'habitué à ces abus, n'était pas tou- jours patient, et il avait, rarement il est vrai, ses accès de mauvaise humeur contre ces usurpateurs et ces intrus. Un jour, c'était en 1755, qu'on représentait Abemaïd , tragédie inconnue du non moins inconnu abbé Le Blanc, un officier des gardes françaises, le chevalier de Tintiniac, se tenait debout au milieu du théâtre. « Annoncez! » lui crie un spectateur du fond du parterre. Le chevalier ne fit pas attention à cette incartade, et resta dans" la même position. Aussitôt les clameurs redoublent de toutes parts ; on l'apostrophe de droite à gauche, d'en haut et d'en bas; on l'interpelle en termes grossiers : « Eh! là-bas, l'homme à l'habit gris de fer, galonné d'or, annoncez, annoncez donc! » L'officier se retourne; il n'y avait plus moyen de ne pas entendre, et, s'avançant jusqu'au bord de la rampe : « J'annonce, dit-il, que vous êtes des drôles que je rouerai de coups. » L'histoire ajoute que le par- terre se tut aussitôt. Voilà un parterre précieux ! De nos jours il n'aurait pas été si facile. Ordinairement on est brave en bloc, et, d'ailleurs, le parterre d'alors ne brillait point par sa résignation. L'année suivante, un bon mot suggéré par la présence de ces mêmes banquettes faillit faire tomber le Childêric de Morand. Dans une des plus belles scènes de la pièce, un acteur entrait avec ime lettre à la main ; comme il tâ- chait de se faire jour à travers la foule qui remplissait le théâtre, on entendit une voix qui criait de la salle : « Place au fadeur! » et une hilarité universelle accueillit cette saillie. Les choses durèrent ainsi jusqu'à la clôture de 1759, 54 CURIOSITÉS THÉATHAI.KS. non sans de nombreuses réclamations, mais qui n'abou- tissaient à rien. Dès 16C1 , Molière, dans la première scène des bachçitx, avait décrit tous les inconvénients de cet usage, en homme qui en avait souffert bien des fois. Les acteurs commençoient, chacun prêtoit silence. Lorsque» d'un ait- bruyant et plein d'extravagance, Un homme ù grands canons esl entré brusquement, En criant : lloîà ! ho! un siège promplement! Et, de son grand fracas surprenant l'assemblée, Dans son plus bel endroit a la pièce troublée.. * Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles; Mais l'homme pour s'asseoir a fait nouveau fracas, Et, traversant encor le théâtre à grands pas, Bien que Tans les côtés il pût être à son aise, Au milieu du devant il a planté sa chaise. Et de son large dos morguant les spectateurs, Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs, etc. Cette scène, en ayant l'air de ne s'attaquer qu'au fâ- cheux, s'attaque à la coutume même qui pouvait donner lieu à de tels abus! Nul n'en fut plus choqué que Voltaire; il en parle sou- vent dans ses préfaces. Lekain eut aussi la gloire de con- tribuer beaucoup à la suppression des banquettes, com- mençant ainsi sa réforme de la mise en scène, de la pompe théâtrale et du costume. Il avait présenté un mé- moire à ce sujet; mais les comédiens hésitaient à retran- cher ces sièges parasites, qui leur rapportaient une somme considérable, et, tout en sentant l'absurdité de cette cou- tume, ils l'auraient, sans doute, laissée subsister long- temps encore si le comte de Lauraguais n'eût 'fait géné- reusement les frais de la suppression (1 759), pour laquelle H donna douze mille francs aux comédiens. Pour la première fois, à la réouverture de cette année (51 mars), on vit enfin la scène libre et déblayée. Ce fut vraiment un nouveau spectacle. On avait choisi les CIÎAP. IV. — DES SALUES DE SPECTACLE. o5 îroyennes de Châteaubrun, où il y a un grand nombre d'acteurs, pour mieux faire sentir au public les avantages «le ce changement. Mais cette réforme ne s'était pas faite sans exciter de violents murmures, et même une résistance acharnée, de la part des jeunes seigneurs accoutumés a venir étaler leur fatuité sur le théâtre. II y eut à ce propos une lutte sanglante au café Procope, vis-à-vis le théâtre; les talons rouges y tirèrent l'épée contre les comédiens, et il en coûta la vie à plusieurs lustres et glaces de l'endroit. Toutefois, après cette mesure, l'usage se conserva en- core, à certaines représentations dites décapitation, de rétablir les banquettes sur la scène. Les gens du bel air n'avaient garde de manquer au rendez-vous; moyennant un droit assez élevé, ils pouvaient, ces soirs-là, jouira leur aise d'un privilège disparu, et ils en abusaient sou- vent au point de causer des troubles '. Une coutume analogue exislaildans la Grande-Bretagne : « Un spectateur qui était sur le théâtre, raconte mis- tress Bellamy dans ses Mémoires, un peu pris de vin, pro- bablement, au moment où je passais devant lui, baisa le derrière de mon cou. Irritée de cette insulte, oubliant la présence du lord-lieutenant et celle d'un si grand nombre de spectateurs, je me retournai sur-le-champ vers l'inso- lent et je lui donnai un soufflet. Quelque déplacée que fût cette manière de ressentir un outrage, elle reçut l'ap- probation de lord Chesterfield, qui, se levant dans sa loge, m'applaudit des deux mains. Toute la salle suivit son exemple. A la fin de l'acte, le major Macartney vint, de la part du vice-roi (la scène se passe à Dublin), inviter M. Saint-Léger, — c'était ie nom de l'indiscret, — à faire des excuses au public, ce qu'il lit sur-le-champ. Cette ' Bachainnont. XXV. 254; XXYlli, 217. 50 CURIOSITÉS THEATRALES. aventure contribua â une réforme que désirait depuis longtemps M. Shéridan II fut fait un règlement en con- séquence duquel personne désormais ne devait être admis dans les coulisses 1 , » c'est-à-dire aux places qu'on ména- geait à certains spectateurs sur le théâtre, à l'extrémité des coulisses. Comme on le voit par ce passage et un autre plus loin (lettre XXIII) , il ne s'agit pas de ban- quettes placées de chaque côté de la scène, mais de sièges où Ton se trouvait, pour ainsi dire, moitié dans la cou- lisse et moitié sur le théâtre. CHAPITRE V Théâtres de société. Le théâtre bourgeois ou de société ne naquit guère en France qu'au dix-huitième siècle. Ce n'est pas que, dans le siècle précédent, les grands seigneurs ne fissent sou- vent jouer la comédie à domicile : nous savons même, par une foule de renseignements authentiques, que, dans leurs voyages, ils se faisaient suivre fréquemment de troupes comiques, comme la cour elle-même. Loret nous apprend 8 qu'on ne donnait point, de son temps, de grande fête, ni même de grand repas, sans une représentation théâtrale, et plusieurs passages du Roman comique vien- nent à l'appui de cette assertion. En Angleterre, sous Jacques I" et son successeur, il n'y 1 Lett. xx. *Muse histor.. IV, p. 9-4 et 95; V. p. 19 et 24. CHAI'. Y. — THEATRES DE SOCIETE. 57 avait presque pas un château qui n'eût son théâtre el ne s'attachât son poète ad hffc l . C'est surtout vers l'époque de la Fronde que ce goût prononcé pour la comédie était répandu parmi les hautes classes. Durant la splendeur du règne de Louis XIV, nous voyons les plus grands personnages, le roi lui-même, figu- rer dans les ballets de Benserade, dans les divertissements de Molière, y chanter, y danser, y débiter des vers, y jouer des rôles en un mot. Non-seulement les comédiens vont représenter à la cour, mais souvent même chez les grands personnages. Le 20 août 1668, Molière joue Tartufe chez mademoiselle de Luxembourg. On voit dans le Roman comique (III, ch. ix) un gentilhomme campagnard venir chercher la troupe ambulante, pour représenter chez lui, le jour des noces de sa fille. Mais ce n'étaient pas là des théâtres de société proprement dits, ou du moins ce n'étaient pas des troupes de société. Un des premiers et des plus célèbres théâtres de société fut celui que la duchesse du Maine avait établi dans sa petite cour de Sceaux. M. de Malezieu, de l'Académie fran- çaise, en était le directeur et l'ordonnateur principal, et ce fut pour cette scène aristocratique que l'abbé Genest composa la plupart de ses froides tragédies, qui, après avoir réussi devant des ducs et pairs, vinrent échouer devant l'indifférence du public. Nous le voyons figurer dans les Divertissements de Sceaux (Trévoux, 1712,2 vol. in-12), et plus d'une fois le large nez de Y abbé Rhinocé- ros, comme l'avait surnommé son confrère, fit les frais de ces divertissements sans prétention, plus gais que ses comédies. Du reste, l'auteur de Pénélope s'y prêtait de fort bonne grâce, et il n'était pas le dernier à donner la repartie sur ce riche sujet, dans les joyeux impromptus 1 Histoire abrégée du théâtre anglais, par Desprez. 68 CURIOSITÉS THEATRALES qui servaient d'intermèdes à des représentions plus graves. ' Avant, le départ de Voltaire pour la Prusse la duchesse du Maine voulul faire représenter sur son théâtre de Sceaux la tragédie de Home sauvée, qui n'était pas encore .connue. Dans cette représentation, Lekain était chargé du rôle de Lentulus; Voltaire, de celui de Cicéron; et, à en croire le célèbre acteur, il était impossible de rien enten- dre de plus vrai, de plus pathétique, de plus romain que le poêle sous le costume du grand orateur. On ne peut assigner un ordre chronologique rigoureux aux divers théâtres d'amateurs qui s'élevèrent peu à peu, au dix-huitième siècle, surtout après la paix de 1748, et ne tardèrent pas à prendre une réelle importance. Il y en eut bientôt partout, depuis la demeure des courtisanes,; jusqu'à celle des princes du sang, et même du roi : « La fureur incroyable de jouer la comédie, lit-on dans les Mémoires secrets (17 nov. 1770), gagne journellement, i et, malgré le ridicule dont l'immortel auteur de la Métro- munie a couvert tous les histrions bourgeois, il n'est pas , de procureur qui dans sa bastide ne veuille avoir des ' tréteaux et une troupe. » La première société bourgeoise de ce genre fut établie à 1 hôtel de Soyecourt, rue Saint-Honoré; la deuxième, à i l'hôtel de Clermont-Tonnerre, au Marais; la troisième, à , l'hôtel Jaback, rue Saint-Merry. Cependant, dès les pre- mières années du siècle, et bien avant le théâtre de Thô- i tel Soyecourt, Adrien-ne Lecouvreur s'était révélée sur ; une scène particulière que la présidente Lejay avait fait bâtir dans la cour de son hôtel,' rue Garancière, pour , quelques jeunes gens du quartier, constitués en société ; dramatique. Qu'on nous permette de citer les autres un peu au hasard . Les demoiselles Verrières, « les Aspasies du siècle,» se dis- Cil Al». Y. — THEATRES DE SOCIETE 59 linguaient par des spectacles agréables où elles jouaient avec le plus grand succès. Colardeau était un de leurs plus zélés fournisseurs. Ces demoiselles avaient théâtre de ville et théâtre de campagne, à Auteuil. Leur salle de Paris surtout, grande et haute, était fort jolie et fort or- née. Il y avait sept loges en baldaquin, d'un dessin gra- cieux et richement décorées, puis des loges grillées pour les personnes qui ne voulaient pas être vues. L'orchestre était nombreux et brillant, et le plus beau monde s'y pres- sait à chaque représentation. Mais le théâtre, ou plutôt les théâtres de la Guimard, car elle en avait deux aussi, l'un dans sa villa de Pantin, l'autre dansson magnifique hôtel de la Chaussée-d'Antin, jouissaient d'une bien autre réputation. Cette dernière salle était délicieuse, et décorée avec un goût exquis : des tentures de taffetas rose, relevées d'un galon d'argent, dé- coraient les loges, qu'éclairait une multitude de bougies parfumées. Un splendide jardin d'hiver fournissait la plus agréable promenade pendant les entr'actes. Toute la jeu- nesse à la mode se donnait rendez-vous dans les salons de l'illustre danseuse, et les loges grillées de son théâtre abritèrent même plus d'une fois de grandes dames, qui s'esquivaient ensuite, par une porte dérobée, après avoir assisté au spectacle. Quant aux présidents de parlements, aux seigneurs de la cour et aux princes du sang, loin de se cacher, ils se carraient aux premières places. Carmon- telle était le directeur de ces spectacles, d'une magnifi- cence et d'une renommée vraiment royales. Mademoiselle Guimard jouait elle-même, et jouait avec talent et succès, malgré sa voix rauque, dans sa salle de spectacle. Joseph II alla la voir dans une de ces représen- tations à Pantin, et s'en retourna charmé. Ses camarades d'Opéra et de galanterie, mesdemoiselles Duthé, Der- vieux, etc., la secondaient surla scène, où montaient sou- 60 CURIOSITÉS THEATRALES. ventaussi, et toujours avecleplusgrand empressement, des acteurs du Théâtre-Français. Je ne puis que citer les théâtres de mademoiselle Thé- venin, du comte de Montalembert, de M. de la Garde, de la duchesse de Bourbon, à Chantilly"; du maréchal de Ri- chelieu, à l'hôtel des Menus; du prince de Conti, au Tem- ple et à nie-Adam; du duc de Grammont, du duc de Noailles, de la duchesse de Mazarin, au château de Chilly; de M. Bertin, trésorier des parties casuelles; du comte de Clermont et du prince de Marsan, à Remis; du comte de Rohault, à Auteuil; de madame Dupin, à Chenonceau; de M. d'Épinay, de mademoiselle Dangeville, de la Folie- Titon, etc. Mademoiselle Clairon jouait souvent chez la duchesse de Villeroy, sa protectrice; et chez M. de Ma- gnan ville, garde du trésor royal, d'excellents acteurs re- présentaient des pièces toujours inédites. M. de la Popeli- nière donnait, dans son magnifique château de Passy, des comédies et opéras, presque toujours de lui, où sa femme jouait dans la perfection, et que les excellents soupers de l'amphitryon faisaient applaudir. Le théâtre particulier du baron d'Esclapon est demeuré célèbre par la repré- sentation qui y eut lieu en faveur, de Mole, après sa mala- die (février 1767), et qui produisit vingt-quatre mille livres. Le salon du danseur d'Auberval, à l'aide d'un mécanisme ingénieux, pouvait se métamorphoser instan- tanément en une salle de spectacle, à l'usage des grandes dames et des seigneurs qui venaient s'y exercer à briller dans les divertissements de la cour. Tous les noms, on le voit, se trouvent mêlés et confon- dus dans l'histoire de la comédie d'amateurs. Mais, indé- pendamment de tous ceux que nous venons de citer, il est quelques théâtres de société dont l'importance toute par- ticulière réclame plus de détails. C'est d'abord, à Sainte- Assise età Bagnolet, celui du duc d'Orléans et de madame CHAI*. V. — THÉÂTRES DE SOCIÉTÉ. IU de Montesson, la Main tenon de ce prince, un de ceux que les connaisseurs mettaient au plus haut rang, et dont la Comédie-Française eût pu se montrer jalouse. Il comp- tait parmi ses principaux acteurs le duc d'Orléans qui réussissait parfaitement dans les paysans, les financiers et les rôles où il fallait surtout du naturel; le vicomte de Gand, le comte d'Onesan, M. de Ségur, la comtesse de Lamarck, la marquise de Crest; enfin, madame de Mon- tesson, qui affectionnait, malgré son embonpoint, les rôles de bergères et d'amoureuses. Il était placé sous la direction de madame Drouin, delà Comédie-Française. On y exécutait souvent des ouvrages de la façon de madame de Montesson elle-même. Enfin l'engouement gagna jusqu'à la cour. Madame de Pompadour jouait le Devin de Village dans les petits ap partements de Bellevue. Elle avait 'espéré amuser le roi, en représentant devant lui, sur un théâtre bâti exprès, et que Voltaire espéra un moment diriger, de petits opéras, quelquefois faits pour elle, et où elle brillait par son jeu comme par son chant. La jeune Dauphine, Marie-Antoinette, adorait le spec- tacle; le comte et la comtesse de Provence, le comte et la comtesse d'Artois, partageaient le même goût; mais ni le roi, devenu vieux, ni Mesdames, personnes sévères, ne se prêtaient à ce goût : on débuta donc par jouer en cachette, à l'aide d'un matériel élémentaire qu'on enfermait vive- ment à la moindre alarme. Devenue reine, Marie-An- toinette, qui avait pris des leçons de Dugazon, organisa ces représentations sur une plus large échelle. Peu à peu, elle parvint à habituer Louis XVI à l'idée de la voir mon- ter elle-même sur la scène, et cela n'était pas facile avec un prince ennemi du théâtre, au point de jeter au feu, sans la lire, la liste du nouveau répertoire de la cour, en disant : « Voilà le cas que je fais de ces choses-là ! » Ce fut m ntmioaiTEs thbatralbs. d'abord àChoisy, puis à Tria non, qu'eurent lieu ces re- présentations 1 , qui, destinées, dans l'origine, à un pu- blic très-reslreint, s'adressèrent ensuite à un auditoire nombreux. Cela devint une véritable passion; on cher- ; cha à lutter contre les théâtres rivaux; on se piqua au ; jeu, et les luttes et cabales de coulisses se firent même ; quelquefois jour dans la noble troupe. La reine trouvait moyen de satisfaire à ce goût déclaré j dans presque toutes ses fêtes. « Le 24, veille de la fête du roi, lit-on dans la Correspondance secrète, à la date du ! 20 août 1777, notre jeune reine a surpris très-agréable- i ment son auguste époux Hier, Sa Majesté a donné, au \ Petit-Trianon, une fête plus brillante encore que ia précé- dente. Le parc représentait une foire ; les dames de la cour , étaient des marchandes ;*la reine tenait un café comme ; limonadière. 11 y avait des théâtres et des parades çà et , là, etc. » Les Mémoires de Flêury donnent ainsi la distribution du Roi et le Fermier, joué sur le théâtre de Trianon, et la copie d'une affiche à la main apposée à cette occasion : Les GoftÉuiENs ordinaire* nu.r.oi donneront aujour- d'hui, etc: l'KUSOJNNAGRS. Acteurs. Le Roi. M. le comte d'Adhémar. RlCIIAUD.* M. le comte de Vaudreuil. Un Gaiide. M. le comte d'Artois. Jenny. la Reine. l'>F.ÏIY. * Madame la duchesse de Guis La Mf.fiE. Madame Diane de Polignac. Celte troupe, sans valoir celles de la Guiinard et de :: madame de Mon tesson, surtout dans la comédie, pouvait ( être supportée sans trop de complaisance. Le comte I Mm. srrr. \. |». !tëï chap. v. — iiiKmu.s in: société. or» d'Adhémar n'eût certes pas été admis à la Comédie-Fran- çaise, mais le comte de Vaudreuil était un des meilleurs acteurs de société qu'on pût voir. Tout au rebours de son frère, le comte d'Artois manquait de mémoire pour ap- prendre ses rôles, et y suppléait par des improvisations gênantes. Quant à la reine, malgré un mot bien connu, rapporté dans les Mémoires secrets de Dachaumont : «''Il faut convenir que c'est royalement mal joué, » et malgré le coup de sifflet clandestin que les faiseurs (Vana prêtent à Louis XVI à son adresse, il paraît qu'elle était fort bien en scène, et qu'elle se tirait à ravir de certains rôles naïve- ment coquets, surtout dans l'opéra-comique. iMoiNSiEUR avait organisé aussi un théâtre de société chez lui, et ce n'était le plus scrupuleux ni pour le choix des pièces ni pour celui de l'auditoire. Des acteurs de la Comédie-Française , aidés de quelques autres emprun- tés à diverses sociétés bourgeoises, faisaient surtout le s frais de ces représentations. Celles qu'il donna à son château de Brunoy excitèrent beaucoup de curiosité et quelque scandale. V Amant statue, de Desfontaines; le Ga- lant escroc, de Collé, et Isabelle grosse par vertu, parade fort libre, firent principalement, à la grande joie de Mon- sieur, jouer les éventails de ces dames, quoiqu'elles ne fussent pas, pour la plupart, suspectes de pruderie. L'enchaînement des faits nous a entraîné jusqu'aux der- nières années du siècle. 11 faut maintenant revenir sur nos pas pour parler d'un autre théâtre de société qu'il se- rait impardonnable d'oublier ici : celui de Voltaire à Fer- ney, et auparavant, à Paris, rue Traversière. L'illustre écrivain jouait quelquefois lui-même dans ses pièces, en compagnie de madame Denis, avec un feu, une inspira- lion extraordinaire, mais non sans quelque emphase. Il dirigeait de près les répétitions, instruisait les acteurs, surveillait tout de ses propres yeux. 11 ne badinait pas 64 CURIOSITES THEATRALES. dès qu'il s'agissait de représenter une de ses pièces : quelques anecdotes suffiront pour en donner une idée : « Un jour, raconte Lekain, nous répétions chez lui, rue Traversière, la tragédie de Mahomet : je jouais Séide. Une jeune demoiselle, fille d'un procureur au parlement de Paris, jouait le rôle de Palmire. Elle n'avait tout au plus que quinze ans; elle était très-intéressante; elle était aussi fort éloignée d'exhaler les imprécations qu'elle vomit contre Mahomet, avec la force et l'énergie que la situation de son rôle exigeait. « M. de Voltaire, pour lui montrer combien elle était éloignée du sens de ce rôle, lui dit avec douceur: « Made- « moiselle, figurez-vous que Mahomet est un imposteur, « un fourbe, un scélérat, qui a fait poignarder votre « père, qui vient d'empoisonner votre frère, et qui, pour « couronner ses bonnes œuvres, veut absolument coucher « avec vous. Si tout ce petit manège vous fait un certain « plaisir, vous avez raison de le ménager comme vous fai- « tes; mais, si cela vous répugne à un certain point, voila « comme il faut s'y prendre. » Alors M. de Voltaire, joi- gnant l'exemple au précepte, répète lui-même cette impré- cation, et parvient à faire de celte demoiselle une actrice intelligente et très-agréable. » JNous nous permettrons seulement de trouver quelque peu singulier l'argument ad hominem employé par le poète à l'adresse de cette très-intéressante demoiselle de quinze ans. « En 1762, on joua àFerney VOrphetin de la Chine. Le rôle de Gengiskan fut donné au libraire Cramer. Feu M. Je duc se chargea d'instruire Gengiskan. A, la première répétition, M. de Voltaire sentit que M. le duc n'avait fait de son élève qu'un plat et froid déclamaieur. Il persifla Cramer, qui eut bientôt oublié les leçons de son maître. Quinze jours après, il revint à Ferney répéter son rôle CHAP. Y. — THEATRES DE SOCIETE. H. c . avec M. de Voltaire, qui, s apercevant d'un grand change ment, cria à madame Denis: « Ma nièce, Dieu soit loué! « Cramer a dégorgé son due! » Nous pourrions citer encore ici plusieurs traits bien au- trement énergiques , qui trouveront mieux leur place dans d'autres chapitres. Il exigeait cie tous ses acteurs, comme il le disait lui-môme à mademoiselle Dumesnil, quils eussent le diable au corps. On sait que ce fut lui qui forma Lekain. Il le rencontra pour la première fois, au mois de février 1750, sur le théâtre de l'hôtel de Cl ermont-Tonnerre, auquel s'était réuni celui de l'hôtel de Jaback, un des meilleurs de Paris, où avait joué jusqu'alors celui qui allait bientôt renou- veler l'art du comédien. On donnait le Mauvais riche, de Baculard-d'Arnaud , devant une brillante assemblée. Voltaire se fit présenter le jeune acteur, et, après avoir inutilement voulu le détourner de monter sur les plan- ches en public, le voyant décidé, il le prit chez lui, éleva un théâtre au-desuss de son appartement, et l'y fit jouer avec ses nièces et la société de l'hôtel Jaback. C'était encore ainsi qu'il élevait à la brochette le tyran Paulin, qui ne lui fit pas tant d'honneur. Il ne voulut pas que sa tragédie du Triumvirat parût sur un autre théâtre que celui de Ferney. Tout cela lui amenait des visiteurs des quatre coins de l'Europe, et son auditoire se renouvelait sans cesse. Un peu plus tard, en 1779, madame de Genlis faisait représenter chez elle de petites comédies morales de sa composition, où il n'y avait que des rôles de femmes. Ses filles, âgées l'une de douze, l'autre de treize ans, y jouaient avec une intelligence et une sensibilité au-dessus de leur âge. Ces représentations devinrent célèbres, et la Harpe les chanta dans des vers enthousiastes. On vit même un cordonnier pour femmes, du nom de 5 68 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. Charpentier, établir chez lui un théâtre de société où il jouait, la tragédie, entre autres le rôle d'Orosmane dans Zaïre: « Cette parade fait l'histoire du jour dans ce pays de modes et d'oisiveté, surtout depuis que le duc de Chartres y a assisté avec d'autres seigneurs de la cour. Ce prince y est allé à six chevaux, et c'est à qui aura des billets pour ce spectacle burlesque 1 . » C'est probablement Charpentier dont Mercier raconte l'anecdote suivante dans son chapitre des Théâtres bour- geois (Tableau de Paris), en l'empruntant au Babillard : « Un cordonnier habile à chausser le pied mignon de tou* tes nos beautés chaussait le cothurne tous les diman- ches. Il s'était brouillé avec le décorateur du théâtre. Ce- lui-ci devait pourvoir la scène, au cinquième acte, d'un poignard et le poser sur l'autel. Par une vengeance mali- cieuse, il y substitua un tranchet. Le cordonnier-prince, dans la chaleur de la déclamation, ne s'en aperçut pas d'abord, et, voulant se donner. la mort à la fin de la pièce, il empoigna, aux yeux des spectateurs, l'instrument bénin qui lui servait à gagner sa vie. Qu'on juge des éclats de rire ! » Mentionnons encore, dans un autre genre, la plaisante bévue de cet amateur de Bruxelles, chargé du rôle de Granville dans les Comédiens de Casimir Delà vigne, qui, se creusant la tête pour souligner ses rôles et produire des effets nouveaux, en trouva un superbe pour les deux vers suivants : Le public, dont l'arrêt punit on récompense, S'informe comme on joue et non pas comme on pense. Il se frappa la joue au premier hémistiche du deuxième * Baehaumont, t. 111, p. 30n. CHAP. V. - THÉÂTRES DE SOCIÉTÉ. fi7 vers, et le ventre à la fin. Cette innovation fut accueillie avec le succès qu'elle méritait, et notre amateur en pensa crever d'orgueil. On pense bien que les incidents de toute sorte ne man- quaient pas en ces réunions, favorisés par«l'intimité et la belle humeur des invités. Voici une petite anecdote dont nous laissons la responsabilité à Bachaumont, qui la ra- conte 1 : « On rit beaucoup à la cour d'une plaisanterie que s'est permise M. le duc de Choiseul envers M. l'évêque d'Orléans à un spectacle particulier que donnait chez elle madame la comtesse d'Amblimont. Outre ce ministre et autres seigneurs de la plus grande distinction, il y avait plusieurs prélats. Avant la comédie, 31. le duc de Choiseul avait prévenu quelques actrices. Deux s'étaient pourvues d'habits d'abbé; elles se présentèrent dans cet accoutre- ment à M. de Jàrente (ce prélat tenait la feuille des béné- fices). Ceux-ci, par leur figure intéressante, attirèrent son attention ; ils lui adressèrent leur petit compliment, se donnèrent pour déjeunes candidats qui voulaient se con- sacrer au service des autels, se renommèrent de la pro- tection et même de la parenté de M. de Choiseul qui n'é- tait pas loin et vint appuyer leurs hommages et leurs demandes. Le cœur de l'évêque d'Orléans s'attendrit ; il promit des merveilles, et, par une faveur insigne, ne put se refuser à donner l'accolade à ces deux aimables ecclé- siastiques. Quelle surprise pour le prélat, lorsque, pendant le spectacle, il entrevit sur le théâtre des figures qui res- semblaient beaucoup à celles qu'il avait embrassées. Son embarras s'accrut par une petite parade où il fut obligé de se reconnaître. On y peignait adroitement son aven- ture. Enfin des couplets charmants le mirent absolument au fait. 11 se prêta de la meilleure grâce à la raillerie. » 1 T. IV, p. 322. m CURIOSITES THEATRALES. Un grand nombre d'amateurs se signalaient par leurs talents de comédiens. C'étaient, par exemple, outre ceux que j'ai déjà nommés, les comtes de Sabran, de Gouffier, de Loménie ; la jeune marquise de Folleville et sa sœur, etc., qui se distinguaient sur le théâtre de la rue de Popincourt; la comtesse de Turpin, la marquise de Senne- ville; les marquis de Villars et de Rohan, Montcrif, Coy- pel, la Harpe, Morand, Rousseau, Duché, et plus tard Flo- rian, qui réunissaient le double titre d'acteurs et d'auteurs; enfin M. Hue de Miromesnil, garde des sceaux, le Scàpin le plus comique des théâtres de société, le Dugazon des soirées dramatiques qui se donnaient chez le ministre Maurepas. Ces hautes facultés mimiques étaient tellement notoires, qu'elles donnèrent lieu à une sanglante facétie intitulée: Très-humbles remontrances de Guillaume ISicodème Yo- lange, dit Jeannot, acteur des Variétés amusantes, à Mon- seigneur de Miromesnil, garde des sceaux de France. Le goût de la comédie bourgeoise était donc devenu ufîe vraie fureur : « Rivaux redoutables ou illustres, dit l'auteur des Mémoires de Fleury en parlant de ces théâtres particuliers, ils nous dérobaient la meilleure partie de notre public, notre public des places supérieures. Nous en étions réduits au parterre dans sa plus simple expression, et nos loges officielles étaient vides quand le beau monde affluait dans les loges de riches et puissants amateurs. — Cette mode, introduite dans tous les ordres de l'État, faisait presque de ce talent une partie essentielle de l'éducation de nos petits-maîtres et de nos agréables; il n'était pas de noble fille, pas de femme de cour ou de haute finance qui ne rencontrât dans la rue la Lisette ou la Célimène d'une troupe rivale. On enten- dait souvent les hommes les plus qualifiés s'aborder par leur nom de théâtre le plus habituel : M. le duc était Crispin ; M. le marquis, Dorante; tel grave magis- CHAP. Y. — THEATRES JDE SOCIETE. 69 trat Damis; tel mousquetaire, Purgon ou Sganarelle. » L'armée elle-même n'avait pu se dérober à l'engoue- ment général : « Le goût de jouer à la comédie avait donné lieu à un abus considérable dans les garnisons, où l'on voyait des officiers donner au public ce spectacle indécent en s'associant aux actrices et en paraissant sur lascène avec elles. On en avait vu quelques-uns tellement ensorcelés de cette fureur, qu'ils avaient quitté le service pour se livrer entièrement à l'élat d'histrion. M. le marquis de Monteynard, ministre d'un caractère grave et sérieux, n'a pas cru devoir tolérer un usage autorisé par des exemples du plus grand poids: il a fait un règlement qui défend absolument à tout officier, dans les garnisons, de jouer la comédie 1 (1772). » Deux ans avant, de jeunes officiers, enhardis par leurs succès improvisés , étaient venus louer à Paris la salle d'Audinot et y jouer deux opéras- comiques : le Déserteur et les Sabots, après avoir distribué six cents. billets pour se former un auditoire. Le duc de Choiseul, ministre de la guerre, les eût fait mettre au For-l'Évêque, si le duc de Chartres n'eût assisté à cette re- présentation 2 .' Parmi les auteurs, ce fut longtemps aussi une mode de travailler pour les théâtres bourgeois, et presque tous les noms les plus célèbres tinrent à honneur de faire repré- senter quelques-unes de leurs œuvres par ces nobles co- médiens. Colardeau et la Harpe furent des plus empres- sés, ainsi que le chansonnier de Laujon, et de la Borde 1 M émoiiW secrets, t. V], p. 10o. - En 1751, quelques gentlemen et des dames de qualité, élèves de .Macklin, avaient fait la même chose en Angleterre, et avec beaucoup plus de solennité encore. Ils louèrent pour une soirée le théâtre de Drury-lane, et y jouèrent Othello avec le plus grand succès, devant un public de pre- mier ordre, où brillait une partie de la famille royale. Les dépenses de la soirée se montèrent à plus de mille livres sterling, (idem, de Mac- klin, trad. fr., p. 5"23.) 70 CUHIOSITES THEATRALES. pour la musique; Collé fit toute une série de pièces aussi gaies que libres pour le théâtre du duc d'Orléans, à Ba- gnolet; Carmontelle renouvela le proverbe, qui semblait fait tout exprès pour les spectacles de société, avec ses proportions exiguës, sa" légèreté de trame et sa simplicité de mise en scène. Je dis renouvela, et non créa, parce que, sans remonter jusqu'à certaines idylles dé l'antiquité, par exemple aux Syracusaines de Théocrite, on peut lui trou- ver en France des prédécesseurs. Madame de Maintenon avait déjà fait des proverbes à l'usage de Sainl-Cyr, et, en 1699, xMadame Durand en avait publié onze qui rentrent tout à fait dans le genre de Carmontelle. Celui-ci jouait parfaitement dans ses pièces. La plupart des comédies, des tragédies même, se pro- duisaient sur des théâtres particuliers avant de monter sur une scène publique. La Partie de chasse de Henri IV, par Collé, avait fait le tour de toutes les salles de société, qui se la disputaient,' — comme de tous les théâtres de province, — avant d'avoir pu obtenir la permission de paraître à la Comédie-Française, à cause du rôle, trop fa- milier pour la scène, que Fauteur avait donné au mo- narque. Quant aux pièces spécialement composées pour ces re- présentations en petit comité, elles étaient le plus sou- vent d'une licence extrême. Les mœurs de la société leur donnaient naturellement le ton : la chose était passée en usage, presque en loi, et l'on voyait des hommes du meil- leur monde, parfois même des femmes d'une conduite d'ailleurs irréprochable, comme il s'en trouvait quelques- unes encore, écouter sans étonnementces gravelures ar- rangées en dialogue pour l'édification des courtisanes. A l'étranger, on jouait de même la comédie dans les salons: par exemple, chez le prince Henri de Prusse, pour qui Voltaire avait refait son Adélaïde Duguesclin en CHAI'. V. — THEATRES DE SOCIÉTÉ. 71 trois actes, sous le titre des Frères ennemis, en en suppri- mant le rôle de femme. Les Mémoires de Dazincourt nous apprennent qu'à Bruxelles, dans la maison de Dhanne- taire, le directeur du théâtre, on donnait des pièces im- provisées où se distinguaient le prince de Ligne, les comtes de Lannoy et d'Esterhazy. Mentionnons encore, plus tard, les représentations célè- bres données par M. Demidoff, qui habitait tour à tour Paris et Florence, et avait à sa solde une troupe entière qui portait son nom. Tous les soirs il y avait spectacle dans son palais à Florence,, où tous les genres étaient ad- mis, et le seigneur du lieu, àpeu près impotent, s'y faisait transporter dans un fauteuil. Un hôtel entier était consa- cré au logement des acteurs. La Comédie-Française finit par s'inquiéter d'une mode qui en était venue à lui porter un tort si considérable. Beaucoup de ses sociétaires néanmoins, comme Fleury et Dazincourt, aimaient à se montrer sur ces théâtres aristo- cratiques où leur jeu fin et délicat était toujours apprécié; mais les autres n'en voyaient pas moins avec ombrage cette rivalité dangereuse, et ils ne s'en tinrent pas là. Ils réclamèrent activement. En 1768, défense fut faite aux comédiens français et italiens de jouer sans permis- sion ailleurs que sur leurs théâtres, ce qui réduisit les amateurs à leurs propres forces et répandit encore davan tage la manie de monter sur les planches parmi lesjeunes gens de toutes les classes. Mais, peu à peu, abandonnées ainsi à elles-mêmes, la plupart des scènes de société se fermèrent. Après la Terreur, sous le Directoire et les premières années de l'Empire, de 1798 à 1806, les théâtres bour- geois ressuscitèrent à Paris avec une nouvelle fureur. «Alors, dit Brazier 1 , on en comptait plus de deux cents 1 Chronique des petits théâtres, in-8, II, 28-i. 72 CURIOSITES THEATRALES. dans la capitale. Il y en avait dans tous les quartiers, dans toutes les rues, dans toutes les maisons ; il y avait le théâtre de l'Estrapade, celui de la Montagne-Sainte-Gene- viève, ceux de la Boule-Houge, de la rue Montmartre, de la rue Saint-Sauveur, du cùl-de-sac des Peintres, de la rue Saint-Denis, du faubourg Saint-Martin, de la rue des Aman- diers, de la rue Grenier-Saint-Lazare, etc. On jouait la co- médie dans les boutiques des marchands de vin, dans les cafés, dans les caves, dans les greniers, les écuries, sous des hangars. C'était épidémique, une grippe, un choléra dramatique... De la petite bourgeoisie, ce goût était des- cendu jusque chez les ouvriers. Ils perdaient souvent un ou deux jours de la semaine, sans compter l'argent qu'ils dépensaient, pour avoir le plaisir d'amuser à leurs dépens. J'ai vu des Agamemnons aux mains calleuses, des Céli- mènes en bas troués; j'ai vu jouer le Séducteur par un homme qui avait deux pieds-bots, et le Babillard par un bègue. Cette fièvre, qui dura plusieurs années, étaitdeve- nue inquiétante, et jeta au théâtre un grand nombre de comédiens détestables. » Un des théâtres de société les plus célèbres fut celui qui avait été fondé par Doyen, avant la Révolution, dans h rue Transnonain, et sur lequel Brazier donne les plus cu- rieux détails. Doyen, qui avait la passion exclusive du théâtre, forma un grand nombre déjeunes acteurs : Ligier, Menjaud, Samson, Provost, Bocage, Beauvallet, Arnal. Bouffé, madame Brohan, etc., ont entre autres joué chez lui. La vogue du théâtre Doyen se soutint un demi-siècle. En 1807, un décret ordonna la fermeture de tous ces spectacles bourgeois qui étaient devenus de vrais théâtres payants, et où se dépensaient inutilement le temps et l'argent d'une foule d ouvriers. Ce fut alors que les gens de qualité revinrent à cet usage de l'ancienne cour. Déjà, en 1800, Murât avait, à son château de Neuilly, un théâtre CllAIV Y. — THEATRES DE SOCIETE. 73 de société où jouaient les Bonaparte, et que visitait par- fois le premier consul. Plus tard, l'impératrice Joséphine voulut se montrer dans la comédie à Saint-Cloud, et on prétend que Napoléon la siffla impitoyablement, comme Louis XVI avait sifflé Marie-Antoinette. Cambacérès et le comte Regnault de Saint-Jean-d'Angély, le comte Français de Nantes, et beaucoup d'autres notabilités, donnaient des représentations chez eux. Le théâtre bourgeois de M. Fo- riée, administrateur des postes, était un des plus célèbres. Sous la Restauration, on cite, parmi les théâtres de so- ciété qui ont mérité de laisser un souvenir, ceux du duc de Maillé, au château de Lormois; de madame de la Briche, au château du Marais; de la baronne de la Bouillerie, du marquis de Bellissen, à Royaumont. On jouait le grand répertoire sur le premier, le vaudeville sur le troisième, sur le dernier, l'opéra italien. Mennechet se distinguait parmi les meilleurs comédiens de société. On a bâti, rue Chantereine, une jolie petite salle où, aujourd'hui encore, des amateurs donnent quelquefois des représentations. En 1852, on établit, rue de Lancry, un théâtre analogue, où débuta mademoiselle Plessy. Mais ce fut surtout en 1855 que ce divertissement reprit une nou- velle vogue, lors de l'ouverture du magnifique théâtre de l'hôtel Castellane, décoré par Cicéri, et digne, par h» mise en scène, les costumes, la disposition et les splen- deurs de la salle, des plus beaux théâtres publics de Paris. L'hôtel Castellane était alors desservi par deux troupes, l'une sous la direction de madame Sophie Gaj , l'autre sous celle de la duchesse d'Abrantès. Ce théâtre n'a jamais définitivement fermé depuis lors. Il a servi de modèle à beaucoup d'autres, sur une moindre échelle. On sait quelle extension ont pris, dans ces derniers temps, et prennent encore tous les*jours, les spectacles de société. Il n'y a plus guère aujourd'hui de soirée du grand style sans M CURIOSITES THEATRALES. un marivaudage en un acte, ou sans une opérette. Il s'est même créé une littérature dramatique spéciale, à l'usage des salons 1 . CHAPITRE VI Des représentations dramatiques dans les collèges. On peut dire que la renaissance de la scène s'opéra en France dans les collèges. C'est là que se produisirent les ' premiers drames réguliers, nés vers le milieu du seizième siècle, ceux-là même qui semblaient le moins faits pour un tel théâtre, et cet usage, dont personne ne songeait alors à s'étonner, persista longtemps encore, toutefois en se restreignant et s'affaiblissant par degrés. Ce fut au collège de Boncourt que Jodelle fit jouer, en 1552, sa tragédie de Cléopâtre et sa comédie à'' Eugène, en une représentation solennelle et curieuse, dont Pasquier nous a laissé les détails 2 . « Cléopâtre fut jouée devant le roi Ilenri II, avec de grands applaudissements de toute sa compagnie (dans là cour de l'hôtel de Reims, à Paris), et depuis encore au collège de Boncourt, où toutes les fe- nêtres étoient tapissées d'une infinité de personnages d'honneur, et la cour si pleine d'écoliers, que les portes du collège regorgeoient. Je le dis comme celui qui y étoit 1 V. dans le Catalogue Soleinnes, 111, p. "254-270, une liste assez consi dérable de pièces représentées sur des théâtre» bourgeois. * Recherches, 1. VII. CHAP. VI. - REPRÉSENTATIONS DANS LES COLLÈGES. 75 | présent avec le grand Turnebus, en une même chambre, < et les entreparleurs étoient tous hommes de nom.... Le ! roi lui donna (à Jodelle) cinq cents écus de son épargne, ' et lui fit tout plein d'autres grâces. » Jodelle, avec ses amis Jean de la Péruse et Remy Bel- leau, remplirent les principaux, rôles dans ces pièces, et on rapporte que ce fut notre poëte, alors âgé de vingt ans et doué d'une belle figure, qui fit Cléopâtre. C'est à là suite de cette représentation qu'eut lieu l'aventure du bouc sacrifié à Arcueil. La Trésorière de Jacques Grevin fut jouée au collège de Beauvais, le 5 février 1558, et deux ans après, le 16 fé- vrier 1560, on représenta dans le même collège deux autres pièces du même : César ou la liberté vengée, et les Esbahis, en présence de la cour et de la duchesse de Lor- raine, pour les noces de laquelle avait été composée cette dernière comédie. La licence qui y règne d'un bout à I l'autre n'effaroucha point cette auguste assemblée et ne i l'empêcha pas d'être jouée par des écoliers. L 1 Achille de Nicolas Filleul fut récité publiquement au collège d'Harcourt, le 21 décembre 1563. Cette tragédie ne fait peut-être qu'une avec celle du même nom, attrib. ée dans les Recherches de Beauchamps à un certain Lefebvre, . du reste complètement inconnu, et qui aurait été jouée la même année, dans le même collège. Plus tard, Jean Behourt, régent au collège des Bons- Enfants, à Rouen, fit représenter dans cet établissement la Polixéne, tragi-comédie (7 sept. 1597), Esaû ou le Chas- seur (2 août 1598), Hypsicratée ou la Magnanimité (1 604). Le nombre des ballets et tragédies, comédies ou pastorales, tant latines que françaises, représentés au collège de Rouen durant les dix-septième et dix-huitième siècles, est d'ailleurs très-considérable. On voit que chaque collège, soit de Paris, soit de la province, avait son tour. M r ii m< (sites riii;\iiiALi>. Citons encore le frère Sa mson Bédouin, religieux de l'ab- baye de la Couture, près le Mans, mort en 1565, qui, suivant la Croix du Maine, faisait jouer ses pièces, tragédies, comé- dies, moralités et coqs-à-Vâne par des écoliers du Mans, dans les rues et faubourgs de la ville; Guy de Saint-Paul, recteur de runiversité de Paris, vers 1574, dont le Néron fut représenté au collège du Plessis; enfin Jean Meot, régent du collège de Gourdaine, au Mans, et Pierre de Montchaull, principal du collège de Troyes en Champagne, qui, en raison de leurs titres et de leurs fonctions, choisirent Irès- probablement le môme théâtre pour leurs pièces. En 1587, les écoliers du collège de Nazareth, à Bruxelles, donnèrent une grande solennité dramatique, dont l'affiche, si ce n'est pas là un anachronisme, était singulièrement composée. La fête s'ouvrit par une bizarre comédie de Be- noît Vozon : Y Enfer poétique sur les sept péchés capitaux et les sept vertus contraires: se poursuivit par une tragédie plus bizarre encore, de frère Philippe Bosquier, religieux récollet : le Petit Rasoir des ornements mondains, et se ter- mina par une œuvre allégorique, mystique et incompré- hensible, de Jean-Edouard du Monin : h Peste de la peste. Ce n'est pas ici le lieu d'analyser ces pièces qui dépassent les bornes de la rêverie la plus extravagante, et qui four- millent d'audaces littéraires. Nous n'avons à parler que de la représentation, qui, malheureusement, finit par une épouvantable catastrophe : les loges, surchargées de spec- tateurs, s'affaissèrent tout à coup, et à peine la foule avait- elle quitté la salle en tumulte, non sans laisser sur le car- reau un grand nombre de blessés et de morts, que celle-ci s'écroula elle-même au milieu des flammes, qui des chan- delles s'étaient communiquées aux draperies. Les quelques noms que nous avons cités suffiront pour donner une idée de la vogue dont jouissait alors ce genre de divertissements. C'était là comme une suite et une CHAP. VI. — REPRESENTATIONS DANS LES COLLÈGES. 77 conséquence de la tradition de ces anciens mystères, joués dans les couvents, par exemple des pièces de la religieuse Hroswitha, représentées dans l'abbaye de Gan- dersheim. Au dix-septième et au dix-huitième siècle, ce furent surtout les jésuites qui recueillirent cet ancien usage, pour le continuer, en l'appropriant à leur mode d'éducation. Ils avaient coutume, à certains jours, de faire jouer la comédie à leurs élèves sur un théâtre intérieur. Le Ratio stuiiorum autorisait ces divertissements à certaines con- ditions qui n'étaient pas toujours strictement observées. Du reste, d'autres congrégations religieuses suivaient aussi le même exemple ; ainsi la tragi-comédie de Riche- court fut représentée en 1628 par les pensionnaires des R. P. bénédictins de Saint-Nicolas. Cet usage commença surtout, ou du moins sembla se marquer avec plus de décision, à l'époque de la jeunesse de Racine, par des tragédies latines et chrétiennes, écrites I de la main des jésuites eux-mêmes *, « Il se peut faire, dit Chappuzeau, en parlant des ana- thèmes lancés par les Pères de l'Église contre les spec- tacles, qu'on les cite quelquefois mal à propos, et que les poèmes dramatiques de notre temps n'auroient pas été généralement l'objet de leur sévère censure. Aussi voyons-nous qu'ils ne sont pas tous bannis de nos collèges, où j'ai vu représenter des ouvrages de Plaute et de Té- rence, aussi bien que de Sénèque; ni même des commu- nautés religieuses, où l'on dresse tous les ans de superbes théâtres, pour des tragédies dans lesquelles, par un mé- lange ingénieux du sacré et du profane, .toutes les pas- sions sont poussées jusqu'au bout. On y emploie même, pour de certains rôles, d'autres personnes que des écoliers; 1 Voir la Muse histor. de Loret, 7 et 21 août 1655. 7N CURIOSITES THEATRALKS on y danse des ballets. » Chappuzeau nous apprend encore que, s'il ne paraissait point de femmes sur la scène, il y en avait toujours un grand nombre parmi les spectateurs. Les collèges d'Harcourt, des Grassins, de la Marche, du Plessis-Sorbonne, de Montaigu, surtout de Clermont, appelé ensuite de Louis-le-Grand, se distinguèrent, au dix-sep- tième siècle, parmi les établissements parisiens où l'on avait l'usage de représenter des pièces. On y jouait aussi des pièces historiques : « Et comment fait on dans les collèges où l'on donne des batailles? dit Ragotin dans le Roman comique (I, chap. x). J'ai joué à la Flèche la déroute du Pont-de-Cé; plus de cent soldats du parti de la reine mère parurent sur le théâtre, sans ceux de l'armée du roi, qui étoient encore en plus grand nom- bre. » C'est aussi dans le même collège, sans doute, l'un des plus célèbres parmi ceux des révérends pères, qu'il se vante un peu plus loin d'avoir fait le chien de Tobie, et de l'avoir fait de manière à ravir toute l'assislance. On se doute bien que ces représentations, données par des écoliers sans expérience, et surveillées par des direc- teurs qui n'en avaient pas beaucoup plus, devaient plus d'une fois tourner au burlesque* Ch. Sorel nous a laissé dans le quatrième livre de son Francion* le récit assez comique d'une représentation de' ce genre au collège de Lisieux : « Notre régent, avec toutes ses belles qualités, ne laissa pas de nous vouloir faire jouer des jeux en françois de sa façon. Il y eut beaucoup d'écoliersqui prirent desperson- sages, et le désir que j'avois de me voir une fois prince en ma vie m'en fit aussi prendre un,... et même j'eus tant d'ambition, que je voulus aussi être le dieu Apollon en une moralité latine qui se jouoit par intermèdes. Jamais 1 Page* 159-U2 de l'édition Delahay-,. CHAP. VI. — REPRÉSENTATIONS IHNS LES COLLEGES. 7W vous ne vîtes rien de si mal ordonné que notre théâtre. Pour représenter une fontaine, on avoit mis celle de la cuisine, sans la cacher de toile ni de branche, et l'on avoit attaché les arbres au ciel parmi les nues... Il y avoit le sacrificateur d'un temple païen, quiétoit vêtu, comme un prêtre chrétien, d'une aube blanche, et avoit par-dessus la chape dont Ton se servoit à dire la messe en notre chapelle. Au reste, la disposition des actes étoitsi admi- rable, les vers si bien composés, le sujet si beau et les raisons si bonnes, qu'en ayant trouvé parmi des vieux papiers quelques fragmens, il y a deux mois, je pensai vomir tripes et boyaux, tant cela me fit mal au cœur... « 11 faut que je vous conte quelques-unes des plaisantes impertinences qu'il commit en sa pièce, aussi bien à, la faire représenter qu'à en composer les paroles. Jupiter se plaignoit qu'il avoit mal à la tête, et disoit qu'il s'en alloit coucher, et qu'on lui apprêtât un bouillon. Au reste, il arriva un grand esclandre, que j'avoisété tué à la tragédie par mon ennemi; et après cela je faisois le per- sonnage d'une Furie qui venoit tourmenter l'homicide. Pendant que j'étois sur le théâtre avec celui que je pour- suivois, il y eut un acteur qui, ayant aussi à changer d'habit, ne savoit où mettre ses premiers; et, parce qu'il étoit familier du régent, le voyant nu-tête, il le couvrit d'un turban qu'il avoit, et lui jeta sa casaque dessus les épaules, dont il mit après les manches, quoiqu'il eût sa soutane, à cause qu'il faisoit encore fort froid. En même temps, celui après qui je courois de tous côtés, tenant un flambeau ardent avec des postures étranges, commença d'hésiter en ses plaintes et récita six fois un même vers, sans pouvoir trouver en sa mémoire celui qui devoit suivre; pensant que je m'en souviendrois mieux que lui, il me disoit : « Comment est-ce qu'il y a après? Francion, «souffle-moi. » Notre régent, extrêmement en colère de 88 CURIOSITÉS THKATKALES. voir cette ânerie, sort avec son libelle en l«i main, sans songer au vêtement qu'il avoit pris, et, le venant frapper d'un coup de poing, lui dit : « Va, va, ignorant, je n'ac- « querrai que du déshonneur avec toi; lis ton personnage. » Cet autre prend le papier, et se retire vitement derrière la tapisserie. Moi, voyant mon maître accoutré tout de même que celui qui venoit de sortir (car nos, habits, ve- nant des défroques d'un ballet du roi, étoient presque tous pareils), je crus qu'il vînt là, au lieu de lui, pour achever le personnage qu'il n'avoit pu faire : je le prends donc par une manche, comme il m'avoit été enseigné, et le faisant tourner et courir d'un côté et d'autre, je lui passe le flambeau par devant le nez, tellement que je lui brûlai presque toute la barbe. Tandis mon compagnon qui avoit manqué, n'oyant pas réciter ses vers à mon maître, croyoit qu'il les eût oubliés aussi bien qu« lui, et les lui souffloit si haut, que Ton le pouvoit entendre du bout de la salle .. « L'on me donna la gloire d'avoir le mieux fait de tous les acteurs, qui étoient pour la plupart des caillettes de Parisiens qui, selon les sots enseignements du régent, rempli de civilité comme un porcher, tenoient chacun un beau mouchoir à la main, par faute d'autre contenance, et prononçoientles vers en les chantant, et faisant souvent un éclat de voix plus haut que les autres. Pour bien faire, je faisois tout le contraire de ce que mon maître m'avoit enseigné, et, quand il me falloit saluer quelqu'un, ma ré- vérence étoit à la courtisane, non pas à la mode des enfans du Saint-Esprit, qu'il m'avoit voulu contraindre d'imi- ter. » On connaît les " représentations données à Saint-Cyr. sous la direction de madame de Maintenon. celles entre autres d'Esther (et non iïAthalie, malgré la croyance commune, car cette dernière pièce ne fut exécutée que dans 1,11 Al». VI. — REPRESENTATIONS DANS LES COLLEGES. 81 une chambre sans théâtre); de YAbsalon et du Jonathas de Duché, du Jephté et de la Jiidilh de l'abbé Boyer. Les jeunes filles jouaient tous les rôles. On peut voiries détails dans les lettres de madame de Se vigne et les Souve- nirs de madamedeCaylus. Plus lard ces traditions devaient être renouvelées par madame Campan, dans son institution de Saint-Germain, où Bonaparte, qui y avait placé made- moiselle Hortense de Beauharnais, vint, après son retour de la guerre d'Italie, assister à deux représentations CCEsther. Le père Lallemand composa une foule de petites pièces en un acte et en vaudevilles, que les jésuites jouaient pendant leurs vacances, sous le titre de Turelures. Dans la première moitié du dix-huitième siècle, le père Ducerceau fut un des plus infatigables et des plus heureux fournisseurs de ces théâtres scolaires, et plu- sieurs de ses pièces, sans femmes, restées comme des mo- dèles du genre, se jouent encore aujourd'hui. Il faut citer au premier reng : Grégoire ou les Inconvénients de la grandeur, sujet déjà traité auparavant dans Arlequin toujours Arlequin, au Théâtre-Italien, en 1726, et sou- vent encore ailleurs, mais dont il faut peut-être faire remonter la première idée jusqu'au Dormeur éveillé des Mille et une Nuits, sans oublier les mésaventures de San- cho dans l'île de Barataria. Peu de jours après 'avoir été jouée au collège, cette pièce fut représentée devant le roi, aux Tuileries, par les pensionnaires de Louis-le-Grand, parmi lesquels on remarquait le duc de la Trémouille, MM. de Charost et de Mortemart. N'oublions pas non plus Y Ésope au collège, ni le Philosophe à la mode, du même père Ducerceau. Son Enfant prodigue, qui a devancé le drame moderne, par l'alliance du rire aux pleurs, était d'abord écrit en latin, car l'usage ne s'était pas encore perdu de représenter en cette langue, enveloppe scolastique dont 6 8* CURIOSITES THEATRALES. ou revêtait même des sujets nationaux et purement fran- çais, comme en fait foi le Sanctus Ludovicus in viuculis, du père Baudory, donné en 1755, au collège des jésuites de Valenciennes. On le voit, la province avait également sa part de ces di- vertissements au dix-huitième comme au seizième et au dix- septième siècle : les pièces du père Marion, en particulier* charmaient les échos du collège de Belzunce, à Marseille, vers 1750. Tous les genres et tous les sujets étaient appelés tour à tour à figurer dans ces divertissements : la haute comédie, avec le Misanthrope du père Geoffroy, à Louis- le-Grand, en 1753; la pastorale, avec Daphnis; la mytho- logie, avec Damoclès, au collège deMàcon; la grammaire, avec la Défaite du Solécisme, pièce allégorique et pédago- gique,.du père Ducerceau, ou Ton voyait Aoriste et Supin en a jouer vaillamment leurs rôles. Le Sage s'en est moqué dans son Diable boiteux : « JLes régents de ce collège, dit Asmodée à don Cléophas, y faisaient représenter par leurs écoliers des drames, des pièces de théâtre fades et entre- mêlées de ballets si extravagants, qu'on y voyait danser jusqu'aux prétérits et aux supins. — Oh ! ne m'en dites pas davantage, interrompit Zambulo; je sais bien quelle dro- gue c'est que les pièces de collège. » Il est vrai que le Sage ss vengeait, en écrivant ces lignes, de certain distique où ie père Porée avait éclaboussé le Théâtre de la Foire. Le collège des Quatre-Nations empruntait même à l'Es- pagne la Vie est un songe; bien plus, Voltaire, grâce à sa Mort de César, tragédie sans femme, était représenté- aux collèges d'IIarcourt et de Mazarin. 11 semble que les séminaires aussi se livrassent par^ fois alors à ce divertissement. Il en résulta même, vers la fin du siècle, un scandale qui faillit aboutir à une grosse affaire : « 11 vient de s'élever un orage contre la Gazette ecclésiastique, lit-on dans la Correspondance se- t:H\r. VI. — REPRESENTATIONS DANS LES COLLÈGES. 83 crête (t. Il, p. 398). Elle reproche, dans une de ses der- nières feuilles, à quelques séminaires de Paris d'avoir juiié la comédie dans leurs maisons de campagne pendant les vacances. Monseigneur l'archevêque et la Sorbonne s'en sont plaints au roi, demandant que le fait soit con- staté, et qu'en cas qu'il se trouve faux la feuille soit brûlée par la main du bourreau. Mais ils pourront bien se repentir de leur démarche, car il est certain que les Sulpiciens ont réellement joué chez eux, regardant cela comme un amusement utile et même comme un exercice de collège. » On n'en peut pas moins conclure de là qu'à cette date (mars 1776) l'usage était déjà tombé en désuétude. Il s'est quelque peu relevé de nos jours. On a vu, dans ces dernières années, les petits séminaires de Paris et d'Or- léans représenter le Plutus d'Aristophane, le Philoctète et VŒdipe à Colone de Sophocle par-devant un auditoire qui, tout savant qu'il fût, avait besoin plus d'une fois, sans doute, de suivre sur une traduction les paroles des acteurs. Au début de ce siècle, le célèbre helléniste M. Planche faisait jouer des tragédies en grec à ses élèves, dans son ' institution; M. Villemain sait encore aujourd'hui, dit-on, grâce à sa prodigieuse mémoire, tout son rôle d'Ulysse de Philoctète. Néanmoins les représentations de collège, sans avoir entièrement disparu, ont bien perdu aujourd'hui de leur importance. Sauf les jours de distribution de prix, elles se font à peu près à huis clos et sans solennité : encore n'y a-t-il guère que nos institutions de second ordre qui aient co.iservécet usage, dont on ne trouve plus la moindre trace dans nos lycées. Les exemples que j'ai cités plus haut sont "à peu près les seuls de quelque intérêt qu'on puisse re- cueillir, et qui semblent renouer la tradition interrompue. 11 y a quelques années, les écoliers avaient encore un théâtre à eux, celui de Comte, l'illustre physicien du roi, 84 CURIOSITES THEATRALES. qui, après s'être, des 1 âge de huit ans, constitué, dans le collège où il faisait ses études, directeur d'un théâtre d'ombres chinoises et de ventriloquie, où Ton était ad- mis moyennant la rétribution de deux épingles, avait fini par fonder, dans le passage Choiseul, son Théâtre des Jeunes-Élèves. Mais ce dernier vestige vient de disparaître après tous les autres, et il ne reste plus aux élèves de sixième, dont on veut récompenser les succès, qu'à aller voir les féeries du Cirque ou les cavalcades de l'Hippo- drome*. CHAPITRE VII Le Théâtre-Français en province et à l'étranger. 11 y a eu, naturellement, peu d'acteurs de province qui soient arrivés à la gloire; mais il y en a eu un certain nombre qui ont atteint quelque réputation, surtout au dernier siècle. De ce nombre il faut compter Prévôt, que nous font connaître les Mémoires de Dazincourt 2 . Une cruelle infirmité empêchait Prévôt, malgré ses talents, de jouer à Paris : il avait eu les pieds gelés en Russie, et il avait fallu lui couper les doigts; de là une marche ir- régulière et incertaine que lui passait la province, parce 1 V. dans le Catalogue Solei?mes, Ul, n° 5637 et suiv., une liste de pièces représentées dans divers collèges, depuis le dix-septième siècle inclusi- vement. ■' In-8, p. c 273. CHAP. VII. — THEATRE FRANÇAIS EN PROVINCE. 85 qu'elle y était habituée et qu'elle aimait cet acteur, mais pour laquelle il redoutait les censures du parterre parisien . Mademoiselle Sainval jeune s'était déjà fait une assez grande renommée en province quand on l'appela à Paris, pour y remplir le vide laissé par la retraite de mademoi- selle Dumesnil et la bouderie de mademoiselle Clairon. Après son premier début, en mai 1772, elle retourna en- core quelque temps à Lyon, dont elle fit les délices, en attendant qu'elle revînt se fixer définitivement à Paris. Quant à sa sœur, mademoiselle Sainval aînée, à la suite de sa grande querelle avec madame Vestris, en 1779, exilée en province, elle en courut les principales villes avec des succès de triomphatrice. Rien n'était plus ex- pansif et plus bruyant que la province daus ses admira- tions : bouquets, couronnes et' couronnements solennels, colombes avec des palmes dans le bec, fêtes splendides à la grecque ou à la turque, comme celle qui fut donnée à madame Saint-Huberli à Marseille en 1785; vers, bals et pièces allégoriques, etc., tout était mis en œuvre par elle pour témoigner sa sympathie à ses favoris, comme aussi rien n'était négligé contre ceux qu'elle n'aimait pas. Les petites villes surtout montraient le plus grand em- pressement à aider de leurs personnes, de leurs habits, de leur argent même, les troupes de passage, comme on peut le voir, entre beaucoup d'autres témoignages plus précis, par le Roman comique, ce fidèle tableau de la vie des comédiens de province au dix-septième siècle. Bien d'autres grands acteurs de Paris, sans y être ré- duits, comme mademoiselle Sainval aînée, par une lettre de cachet, l'imitèrent dans ces courses à travers la pro- vince. L'usage, aujourd'hui si répandu, de se faire don- ner plusieurs mois de congé chaque an, pour exploiter les plus grandes villes, date du dix-huitième siècle : Le- kain fut un de ceux qui en abusèrent le plus. si, CURIOSITES THEATRALES. Quand Mole alla donner des représentations a Marseille. Maitelly, sut nommé le Molg de la province, lutta corps a corps avec lui. Tous les rôles joués par celui-là Pelaient par celui-ci dès le lendemain, et Ton peut juger de l'in- térêt qu'avait cette bataille pour les amateurs de l'art dramatique. Martelly, malgré l'amitié active de son com- patriote Dazincourt, ne put jamais se faire admettre au Théâtre-Français, d'où le tenaient éloigné les rivalités ombrageuses de Mole et de Fleury. Un autre grand acteur, Aufrcsne, fut dans le même cas à peu près. En dépit de l'enthousiasme qui accueillit ses débuts, il ne parvint qu'à se faire recevoir aux appointe- ments sur notre première scène. Blessé dans la fierté lé- gitime de son talent, il partit pour aller se fixer à l'étran- ger, en Russie et en Prusse. Au contraire, le frère de madame Préville, Drouin, ne voulut jamais venir jouer à Paris, préférant, à la renommée certaine qui l'attendait, ses modestes et tranquilles triomphés sur les théâtres de province. Il jouait les valets avec une supériorité in- contestable. Noverre nous apprend 1 que Garrick alla le voir à Lyon, qu'il en fut charmé, et qu'il le trouva plus fort et meilleur en tous points qu'Armand. De même" l'excellent Romainville, mort à Dresde (1704)^, comédien du roi de Pologne, qui remplissait dans la perfection les rôles de roi et ceux de haut comique, ne voulut point se présenter au Théâtre-Français, parce qu'il prétendait être reçu sans débuter. Il ne joua jamais à Paris. Vers la même époque, à peu près, mademoiselle Cler- mdude, dont Laffitte dans ses Mémoires de Fleury, nous a tracé en détail la biographie 3 , régnait en véritable sou- veraine à Amiens, sans exclusion des autres villes tour à 1 Lettres sur les arts imitateurs. - Boucher d'Argi*, Variétés liist. philos, et lit t., 11, .')!•!!. t. y. série, in-12, ch. v. CHAR VU. - FHEATRK FRANÇAIS E> PROVINCE NT tour favorisées de sa présence. Elle était devenue l'idole du public par sa beauté comme par son talent. En 1781, mademoiselle Thénard s'était fait une si belle réputation sur le théâtre de Lyon, qu'on la manda par une lettre de cachet au Théâtre-Français, où elle débuta dune manière triomphale. Lorsque les comédiens italiens voulurent profiter du vœu des auteurs pour s'ériger en second Théâtre-Fran- çais, ils engagèrent madame Verteuil, qui avait marqué sa place au premier rang dans le drame, à Bordeaux, puis à Versailles, et qui la confirma et l'étendit encore à Paris. A Bordeaux, Granger excellait tellement dans les rôles de petit-maître et y était si aimé, qu'il gagnait à lui seul dix mille livres, et que, par égard pour lui, on avait reçu dans la troupe son père, sa mère, un de ses frères, tous très- médiocres. On l'appela à la Comédie-Française en 1782; mais Mole se déclara prêt à quitter la scène s'il y paraissait, et il fallut l'envoyer aux Italiens, où il fut placé très-haut par les connaisseurs. Parmi les cabotins qui devinrent les plus célèbres, n'ou- blions pas de nommer ce singulier Plancher-Valcour, le fondateur des Délassements-Comiques, Patrat, Dumaniant, Collot-d'Herbois, qui, avant de devenir un homme poli- tique, avait joué, non sans un certain éclat, à la Haye, Bordeaux, Lyon, etc. Au dix-septième siècle surtout, les troupes de province, véritables bandes de farceurs de bas étage, n'avaient en général ni consistance ni la moindre considération. Il faut en excepter pourtant celle dont Molière dirigea les pérégrinations, de 1645 à 1658, et quelques autres en- core, celles par exemple à la tête desquelles étaient Mon- singe, dit Faphetin, en 1655, à Lyon, et Filandre, à peu près à la même date. Chappuzeau, dans son Europe vivante (1664, in-4°), nous apprend qu'il y avait alors 88 CURIOSITÉS THEATRALES. douze troupes ambulantes qui parcouraient la province. Le Roman comique, confirmé par une foule de chroniques particulières, nous les montre souvent en démêlés avec la police, et le Viage entvetenido de Rojas, ce Roman co- mique espagnol, prouve qu'il en était absolument de même au delà des Pyrénées. Rien de plus suspect que l'honnêteté et la moralité de la plupart de ceux qui composaient ces troupes. Elles se tenaient très-bien au courant de toutes les nouveautés, alors peu nombreuses, surtout des pièces de Corneille, et réussissaient beaucoup mieux, au témoi- gnage de Scarron et de Fléchier {Grands Jours a" Auvergne), dans la farce que dans la tragédie. Une même troupe des- servait presque toujours successivement un grand nom- bre de villes : « Cette sorte de gens, lit-on dans la Suite du Roman comique, éditée par Offray, ont leur cours limité comme celui du soleil dans le zodiaque. En ce pays-là, ils viennent de Tours à Angers, d'Angers à la Flèche, de la Flèche au Mans, du Mans à Alençon, d'Alençon à Argen- tan ou à Laval. » — « Leurs troupes, pour la plupart, dit Chappuzeau 1 , changent souvent, et presque tous les ca- rêmes. Eljes ont si peu de fermeté, que, dès qu'il s'en est fait une, elle parle de se désunir. » Les- comédiens de province, dit-il plus loin 2 , « peuvent faire douze ou quinze troupes, le nombre n'en étant pas limité. Ils sui • vent à peu près les mêmes règlements que ceux de Paris. C'est dans ces troupes que se fait l'apprentissage de la comédie; c'est d'où l'on tire, au besoin, des acteurs et des actrices qu'on juge les plus capables pour remplir les théâtres de Paris, et elles y viennent souvent passer le carême, pendant lequel on ne va guère à la comédie dans les provinces, tant pour y prendre de bonnes leçons au- 1 Théâtre-Français, III, 15. 2 m., ï>;>. • MAI'. VII. — THEATRE FRANÇAIS KN PROVINCE. 80 près des maîtres de l'art que pour de nouveaux traités et pour des changements à quoi elles sont sujettes. 9 On voit par la Comédie des comédiens de Scudéry (1654) que, outre leurs affiches, les troupes de province, même dans des villes comme Lyon, envoyaient un tambour, ac- compagné d'un Arlequin, battre le rappel dans toutes les rues, absolument comme nos saltimbanques. Ce fut Lekain qui introduisit, au dix-huitième siècle, chez les comédiens célèbres de Paris, l'usage des excur- sions dans la province. Il avait pris l'habitude d'aller tous les ans à Ferney, et, chemin faisant, il donnait des repré- sentations dans toutes les villes où il y avait des théâtres. Il lui arriva quelquefois d'en donner deux le même jour. Ces courses réitérées profitaient autant à sa bourse qu'à sa réputation; sa santé seule en souffrait, et la Comédie-Fran- çaise aussi 1 . Il y aurait beaucoup à dire, même après Scarron, sur les habitudes, les stratagèmes, les roueries des comé- diens ambulants. On se doute bien, sans qu'il soit besoin d'y insister, de leur manière de suppléer, en cas de besoin, aux costumes, à la mise en scène, etc. C'est à Pontoise qu'un directeur de spectacle annonçait Joseph, de Méhul, avec la suppression de la musique pour ne pas ralentir la marche de l'action. C'est en province que l'affiche a con- servé toutes les séductions de l'éloquence et de la réclame la plus dithyrambique. L'habileté des directeurs s'exerce principalement sur les titres des pièces, qu'ils changent ou modifient, suivant les lieux, pour agir sur la curiosité. Les Mémoires de mademoiselle Flore- ont là-dessus quel- ques pages spirituelles, sans doute un peu chargées, mais très-vraisemblables et probablement vraies au fond. Il s'a- Lemazurier, Galerie, I, p. 336. T. II, p. 86-9. <> CURIOSITES THEATRALES. « Nom, c'est celui-ci, «dit un] autre soldat, en happant au collet le troisième, qui s'avance un pied chaussé et l'autre nu. Tout le parterre s'était déchaussé le pied gauche : il fallut bien laisser passer tranquillement le parterre'. Voilà la comédie, et voici la tragédie : Extrait d'une lettre de Bordeaux: « Le lundi, 26 mai (1783), les amateurs du théâtre de cette ville demandè- rent les directeurs qui ne voulurent pas se présenter; alors les jeunes gens crièrent qu'ils voulaient Castor et Pollitx par Durand, acteur de l'Opéra de Paris, qui était alors ici... On attendait que Facteur qui s'était présenté pour annoncer le spectacle du lendemain, auquel le par- terre avait marqué son désir, revînt pour rendre réponse: mais nos jurats défendirent et aux directeurs de se pré- senter, et à l'acteur de reparaître. En conséquence, ils fi- rent baisser la toile sans autre annonce. On éteignit les lumières. Le parterre, indigné, cria beaucoup. Les jurats font prendre un des cabaleurs et le font conduire à l'hôtel, de ville. « Le lendemain mardi, Ton se rassemble, à la comédie et Ton prend la résolution de ne point laisser jouer qu'on ne rende le jeune homme et que les directeurs ne vien- nent faire des excuses au public. Les jurats avaient ré- pandu dans le parterre beaucoup d'espions qui sont reconnus. On les ballotte, on les frappe, on les renverse, on les foule aux pieds. On chasse les valets de ville distri- bués pour maintenir le bon ordre et en imposer; on les poursuit à coups de cannes et l'on les fait sortir. Alors, sans ordres, dit-on, cette garde bourgeoise rentre le sabre à la main et tombe à Timproviste sur les plus mutins, blesse quelques jeunes gens, et commence" à se faire crain- dre, lorsqu'un cri d'indignation, sorti des balcons, dupar- 4 Mém. de Fleury, 2 e série, ch. xm. CHAI». VU. — THEATRE [RABAIS EN PROVINCE. 98 quet et des loges, ranime la jeunesse. On demande des armes; on entend de tous côtés: Tue! lue! Enfin les sédi- tieux repoussent la soldatesque et restent maîtres absolus de la salle. » J'abrège le reste des détails. Un jeune homme se fait élever sur les épaulesde ses camarades, donne rendez-vous peur le lendemain au jardin Royal, et fait défense de re- venir à la comédie de trois mois; puis on somme les direc- teurs de remettre la recette du jour à l'hôpital,' le public n'ayant pu jouir du spectacle.— Le lendemain, trois mille- jeunes gens assemblés occupent les avenues de la comédie, forment des barricades, renvoient tous ceux qui se pré- sentent, menaçant les femmes du fouet en cas de réci- dive. Cependant une douzaine d'abonnés étaient parve- nus à se glisser par des entrées particulières : les mutins enfoncent les portes et interrompent le spectacle. Le len- demain, point de comédie. Enfin le parlement rend un arrêt d'information qui en impose aux séditieux ; mais le théâtre n'en resta pas moins désert pendant assez long- temps 1 . La même année, et à la même époque, il se passait au théâtre d'Orléans une autre scène moins grave, mais plus indécente encore. On vit, à une représentation, des jeunes gens du parterre escalader la rampe, s'emparer des actri- ces et leur donner le fouet devant le public, sous prétexte qu'ils étaient mécontents de leur jeu, mais en réalité pour une cause plus intime 2 . Le parterre de Marseille n'était pas plus tranquille et plus tolérant. — Le 29 novembre 1772, il. s'y passa une épouvantable scène à la représentation de Zémire et A%or, affichée par ordre, c'est-à-dire par ordre d'une madame d'Albertus, détestée de la ville. Le public avait sifflé l'an- 1 Mémoires secrets, XXII, p. 575. 2 Mémoires secrets, XXII, p. 575. M CURIOSITES TUEVIUAI». nonce de la pièce ; on persista avec des airs de bravade qui enflammèrent la résistance. La salle fut remplie d'un auditoire ardent et prêt à la bataille, sans compter tous ceux qui n'avaient pu entrer et attendaient frémissants aux abords du théâtre. Après l'ouverture, on cria aux ac- teurs de se retirer, par ordre du parterre. Les échevins s'entêtent; ils font entrer la garde bourgeoise, qui est ex- pulsée. Alors l'échevin Cadière envoie quérir un déta- chement de deux cents hommes armés et les fait entrer dans le parterre avec cette consigne : « Mettez-les à la rai- son, morts ou vifs. » Un coup de feu part, on ne sait d'où. Ce fut le signal. Une décharge générale s'ensuit. Le sang coule de toutes parts ; des jeunes gens sont massa- crés à coups de feu et de baïonnettes, et Dieu sait jus- qu'où les choses eussent été, si un capitaine de dragons ne se fût jeté de l'amphithéâtre dans le parterre, l'épée à la main, au-devant des soldats en fureur. Il y eut des femmes étouffées dans les couloirs et les escaliers. La foule, indignée, voulait d'abord brûlerie théâtre. Du moins, il demeura toujours fermé depuis lors, en attendant qu'on le démolît. L'échevin Cadière prit la fuite, et on le pendit en effigie à tous les réverbères 1 . Un an après, nouveaux désordres. « Un officier du régiment d'Angoumois était dans une seconde loge; il s'était retourné pour parler à quelqu'un: le parterre, piqiié d^celte indécence, a crié: « A bas, cal blanc! » (le blanc est le fond de l'uniforme de l'infanterie). Cet officier s'est retourné et s'est remis en posture convenable. Le soir, des jeunes gens du même régiment ont fait des se- proches à leur camarade de s'être laissé insulter; ils ont prétendu qu'il fallait en tirer vengeance. En conséquence, 1 Le Poêle, pir Desforgos, Vlll* vol., Indiscrétions et confidences d'Au- di Ijcit, p. 2-10. CËAP. VII. — IIIKATKE FRANÇAIS EN PROVINCE. 95 j ils ont été au nombre de quinze dans des loges et ont montré leur cul au parterre; ils y avaient préalablement j envoyé quarante soldats déguisés en bourgeois, avec des 1 sabres sous leurs redingotes. Le public, instruit du com- ; plot, ne dit mot; alors les officiers enragés sont descendus \ dans le parterre, y ont pressé beaucoup, ont, en un mot, { fait* tout ce qu'il a dépendu d'eux pour chercher noise à j leurs voisins et provoquer une querelle. A la fin, on n'a '■ pu tenir à tant d'insultes; on s'est échauffé; il y a eu des j épées tirées, et l'on prétend qu'il y a eu quarante blessés i| plus ou moins gravement. Toute la ville est en rumeur à , cette occasion. On s'est muni d'armes à feu, et l'on tire sur chacun des officiers de ce régiment qui passe dans les rues, en sorte qu'ils sont obligés de se tenir cachés 1 . » Les théâtres du Midi étaient les plus turbulents. En 1815, les représentations du théâtre de Montpellier étaient sans I cesse troublées par les étudiants en médecine. On donna ) un jour le Nouveau Seigneur de village, dont le préfet de la ville, M. Creuzé de Lesser, était un des auteurs. Une cabale s'organisa contre cette pièce au parterre, que la force armée fit évacuer aux applaudissements des loges, et le préfet rendit un arrêté pour interdire le théâtre aux étudiants le reste de l'année 2 . C'est surtout la Russie qui nous enlève maintenant la plupart de nos bons acteurs; autrefois, c'étaient d'autres pays, dont les souverains prenaient des troupes françaises à leur solde. Celle de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, était des meilleures et des plus complètes. L'é- lecteur de Bavière et le duc de Savoie avaient aussi des acteurs français dans leurs Etats et soutenus par leur pro- tection. La troupe du duc de Savoie était fort belle, et Hem. secr., XXVII, p. 184, janvier 1774. Nouv. Biogr. gênée, art. Creuzé. iW OUUlOSlTES THEATHALES. Tune de celles qui avaient eu le plus de succès dans nos, provinces. Elle, allait se fixer tous les hivers à Turin, et le duc lui permettait de repasser les Alpes pendant l'été. Celle des ducs de Brunswick et de Lunebourg, de la bran- che de Gell, était nombreuse et bien montée. Plusieurs pièces françaises furent jouées d'original sur leur théâtre, par exemple Y Amante invisible, de Nanteuil, représentée en 1675 à ilanovre, où l'auteur était alors comédien. Chappuzeau a composé expressément pour la même scène ses Eaux de Pyrmont, où il a intercalé un splendide éloge du duc et de la maison de Lunebourg. La moins considérable était celle du duc de Bavière, à Munich. On peut voir les noms des comédiens qui composaient ces di- verses troupes au dix-septième siècle, dans Chappuzeau 1 . Le roi de Danemark en avait une aussi, dont fit partie Des- mares avec sa femme, Anne d'Ennebaut, avant de paraître sur le théâtre Guénégaud. Hauteroche avait commencé éga- lement par s'enrôler dans une troupe française mandée à Valence par le gouverneur, puis il avait été directeur d'une autre troupe semblable en Allemagne. Au dix-huitième siècle, Genève et la Haye se distin- guaient par le même privilège. D'Hannetaire, comédien renommé, dirigeait à Bruxelles une troupe française, sur laquelle Dazincourt, qui en fit partie pendant quatre ans à ses débuts, nous a donné d'intéressants détails 2 . Outre d'iïannetaire et Dazincourt, Prévôt et Grandménil y bril- laient par leur talent. Gustave III, roi de Suède, forma aussi à Stockholm une troupe française qu'il entretenait avec un luxe vrai- ment royal, et dont Monvel, appelé par lui, devint direc- teur pendant quelques années. Aujourd'hui nous n'avons à Paris qu'un théâtre étran- 1 Théâtre-Français, 1. III, p. 216-24. - Mémoires, p. 258, etc. C11AP. Mil. — USAGES ET TnADITIONS. 9} ger, Je Théâtre-Italien, et c'est à peine si quelques troupes anglaisesou allemandes se montrent de loin en loin, pour subir le pins complet échec. Mais il y a à l'étranger quinze théâtres français, dont celui de San-Francisco, si toutefois il existe encore, est le plus lointain, et celui de îSainf- Pétersbourg,'le plus célèbre et le plus florissant. Près de trois cent cinquante artistes des deux sexes sont employés actuellement par les théâtres français à l'étranger. CHAPITRE YIU Législation théâtrale '. — Usages et traditions. La censure dramatique date de fort loin. On en fixe ordinairement l'institution à la comédie àiiBaltTAuteuil. de Boindin (1702). Le roi ayant fait réprimander les co- médiens par le marquis de Gesvres, pour avoir joué cette pièce trop libre, un censeur fut chargé dès lors d'exa- miner tous les ouvrages qu'on destinait au théâtre. Mais, en réalité, la censure remonte beaucoup plus haut, et on peut même la faire dater du quinzième siècle, où la li- cence dramatique des clercs de la Basoche nécessita l'in- tervention de l'autorité. Nous voyons, en 1442, le parle- ment obligé de réprimer par ses ordonnances les excès des moralités et surtout des farces et soties de celte corporation , en attendant des mesures plus rigoureuses encore, que de- 1 Toute la parue pécuniaire de la législation est rejeter au chapitre suivant, à cause de son importance, qui demandait qu'elle tut traitée à part. "t 98 CURIOSITES THEATRALES. \ ait abroger Louis Xll. En 1609, une ordonnance de police défendit aux acteurs de donner aucune pièce ou farce sans Tavoir communiquée au procureur du roi : on voit que c'est là tout à fait la censure, avec cette seule diffé- rence que les censeurs devaient être plus tard créés en titre et spécialement commis à leur charge. En Angleterre, c'est au ministre Robert Walpole qu'on doit le véritable établissement de cette inquisition pré- ventive. Sans manquer au respect dû à la censure, il nous sera permis de choisir deux ou trois anecdotes parmi la multi- tude de celles qu'on a fait courir sur son compte. Un au- teur avait donné le nom de Dubois à un valet fripon dans une de ses pièces; mais le préfet de police s'appe- lait Dubois, et le censeur écrivit à ce magistrat pour l'a- vertir qu'il avait fait rayer ce mot, par respect pour lui, ne voulant pas permettre que le nom du fléau des fripons fût prostitué à un fripon. Un autre, qui était bien la perle des censeurs, dans une comédie où un jardinier proposait à son maître une salade de barbe-de-capucin, effaça la phrase en écrivant en marge : « Choisir une autre salade; il ne faut pas plaisanter avec la religion. » A la Porte- Saint-Martin, sous la Restauration, je crois, la censure biffa des couplets en faveur du gaz, pour ne pas désobliger le gouvernement, qui protégeait contre cet intrus les droits de l'épicerie et de la chandelle. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'outre cette censure exercée par la police les comédiens français' et les comé- diens italiens en exerçaient eux-mêmes une autre sur les pièces des théâtres du boulevard, dont ils avaient droit, après examen, d'interdire la représentation. C'était sur- tout pour empêcher les empiétements sur le domaine des grands théâtres, qu'on avait conféré ce pouvoir aux deux comédies. CHAI'. Vlll. — I SA(,KS Kl TKAD11Ï0NS. W Eu outre, la Comédie-Française avait le droit souverain d'enlever aux mêmes théâtres les pièces qui lui conve- naient, pour les conlisquer à son profit. Ce droit était une suite du précédent. Elle en usa plusieurs fois, notamment en prenant au théâtre de l'Écluse les Noces houmnles de Dorvigny, qu'elle joua le 50 janvier 1780 pour faire nargue à la coalition de ses auteurs ordinaires, conjurés contre elle. D'ailleurs l'usage, qui avait pris force de loi , était de s'emparer des pièces des autres théâtres après leur impres- sion, quand on les trouvait à sa convenance. Mais tant qu'elles n'étaient pas imprimées elles restaient à la troupe qui les avait reçues des auteurs, sans qu'aucune autre, de Paris ou de la province pût se permettre de les jouer '. Aussi bien que les pièces, la Comédie-Française pouvait enlever les acteurs. Elle se recrutait surtout dans les théâtres de. province. Dès qu'un artiste s'était distingué d'une façon particulière sur une de ces scènes, un ordre de début l'appelait à Paris, soit au Théâtre-Français, soit au Théâtre-Italien. Ces ordres de début étaient expédiés_ parles gentilshommes de la. chambre, arbitres souverains de la Comédie-Française. Ils étaient quatre, choisis parmi les plus grands seigneurs. C'étaient eux qui servaient d'intermédiaire entre le roi ou le public et les comédiens ; ils réglaient tout; rien ne pouvait se décider sans leur approbation, sauf la comptabilité, dont ils ne se mêlaient pas. Ils ordonnaient les spectacles, recevaient les comé- diens, leur accordaient leur retraite, veillaient à l'exécu- tion des règlements, intervenaient au besoin dans la dis- tribution des rôles et les différends de la société. On peut croire que les abus de pouvoir, appuyés du For-l'Évêque, 4 Parfaict, X1I1, 306. Tascher., Vie de Corn., éd Janaet, p. 182. 100 CURIOSITÉS THÉÂTRALES, ne manquèrent pas dans l'administration des gentilshom- mes de la chambre : cette histoire serait trop longue pour que nous entreprenions de récrire. En 1789, le main' de Paris fut investi de l'autorité des gentilshommes de la chambre en ce qui regardait les spectacles. Outre ces quai re officiers, il y avait aussi les intendants des Menus, char- gés de conduire la comédie, comme les gentilshommes de la gouverner, et s'occupant, en particulier, des spectacles de la cour. Dans les villes de province, les gentilshommes de la chambre étaient remplacés par les officiers municipaux, souvent peu experts en matière théâtrale ; aussi broda-t-un souvent de bons contes sur leurs bévues. Un jour, l'un de ces magistrats manda un musicien de l'orchestre^ et le tança vertement sur sa négligence : « Vous vous repo- sez la moitié du temps, dit-il, pendant que les autres vio- lons jouent. — Mais je ne joue pas du violon , monsieur! — Vous meniez, je vous en ai vu un. — Je joue de la quinte. — De la quinte ! de la quinte î Ne faites pas l'in- solent, croyez-moi, et qu'il ne vous arrive plus de rester les bras croisés quand les autres jouent. — Monsieur, je comptais mes pauses. — Qu'est-ce que c'est, compter des pauses? des gaudrioles! — Mais non, monsieur, il y avait un tacel allegro. — Comment, tacet allegro 1 . Je crois que vous me tenez des propos. En prison! Ah! je vous apprendrai à vous moquer d'un homme en place! » Lue autre fois, c'était à Toulouse. Un capitoul venait d assister à l'opéra-comique des Femmes vengées, que le parterre redemanda à l'acteur qui vint annoncer; il s'op- posa à cette seconde représentation, à cause de l'indé- cence de l'ouvrage. L'acteur y substitua Béverley, pièce en vers libres de M. Saurin : « Comment ! s'écria le capitoul indigne, encore une pièce en vers libres, quand c'est pour CHÀP. VIII. — USAMES ET TRADITIONS. KW cela que j'interdis les Femmes vengées ! Relâche au théâtre pour huit jours 1 ! » C'est encore un capitoul qui s'offensa tout rouge de certains vers de la Mélromanie de Piron : Monsieur le capitoul, vous avez des vertiges, et qui voulait faire cesser le spectacle et arrêter l'auteur. N'ayant pu venir à bout de ce dernier projet, parce que le délinquant habitait i^ris, il se vengea du moins en pros- crivante jamais la Mélromanie à Toulouse. Quelques jours après, le même capitoul ordonna l'arrestation du nommé Molière, qu'on lui apprit être l'auteur de Y Avare, parce qu'il avait cru voir une allusion à sa propre histoire dans la scène où Harpagon est volé par sou fils. Quand il ap- prit qu'on ne pouvait mettre son décret à exécution, parce que Molière était mort depuis quatre-vingts ans : « De quels diables d'auteurs se sert-on là! s'écria-t-il. Que ne nous donne-t-on des comédies de gens connus 2 ! » Au dix-septième siècle, les théâtres de Fhôtèl de Bour- gogne, du Marais, du Palais-Koyal, formaient de vraies républiques, avec un président pris dans leur sein. Ce n'étaient point des entreprises particulières, sous la res- ponsabilité d'un directeur, c'étaient des associations où chacun était égal en droits, où chaque membre participait aux profits et aux perles, comme aujourd'hui les socié- taires du Théâtre-Français. Toute troupe complètement montée avait un assez grand nombre d'officiers chargés d'emplois spéciaux et distincts. 11 y avait d'abord les hauts officiers, faisant ordinaire- ment partie du corps de la troupe, et non gagés; puis les bas officiers, aux gages des comédiens. Les hauts officiers étaient le trésorier, le secrétaire et 1 Vie de Piron, par Rigoley de Juvigny. g Correspondance secrète, VI, 13,98. M.ï> CURIOSITES THEATRALES. le contrôleur; les bas officiers ou gagistes, le concierge, le copiste, remplissant aussi les fonctions de souffleur, non pas en se tenant, comme aujourd'hui, dans un trou au milieu de la rampe, mais à Tune des ailes du théâtre : les violons 1 , le receveur au bureau, les contrôleurs des portes, l'un à Ventrée du parterre, et l'autre à relie des loges; les portiers, en pareil nombre, et postés aux mêmes endroits que les contrôleurs. Après les défenses rigoureuses du roi (rentrer sans payer, la charge de portier, rendue surtout nécessaire par les scènes de désordre, disparut peu à peu. En 1674, Thôtel de Bourgogne n'en avait plus qu'un à la porte du théâtre, el, pour le reste, il se servait de soldats du régi- ment des gardes. Ensuite venaient les décorateurs, les moucheurs de chandelles, charge quelquefois remplie par les décora- teurs eux-mêmes. « Ils doivent, dit Chappuzeau, s'acquit- ter rapidement de leur charge pour ne pas faire languir l'auditeur entre les actes, et avec propreté, pour ne lui pas donner de mauvaise odeur. L'un mouche le devant, du théâtre et l'autre le fond, et surtout ils ont l'œil que le feu ne prenne aux toiles. Pour prévenir cet accident, on a soin de tenir toujours des muids pleins d'eau et nom- bre de'seaux. Les restes des lumières font partie des petits profits des décorateurs 2 . » Chappuzeau compte encore parmi les bas officiers les assistants que nous nommerions aujourd'hui comparses, les ouvreurs (et non les ouvreuses) de loges, de théâtre et d'amphithéâtre, le chandelier 5 , rim primeur et l'afficheur. 1 «< Il est bon, dit Chappuzeau, qu'ils sachent par cœur les deux der- niers vers de l'acte, pour reprendre pïomptcmcnt la symphonie, sans at- Icndre que l'on leur crie : Jouezl ce qui arrive souvent. » 2 Théâtre français, 1. 11], ch. lu. 5 « Quand le roi vient voir les comédiens, ce sont ses officiers qui four- CHAP. VÏII. — USAGES ET TRADITIONS 103 Les affiches étaient rouges pour l'hôtel de Bourgogne, vertes pour le théâtre de la rue Mazarine, et jaunes pour l'Opéra. Ne pouvant consacrer un chapitre entier à l'histoire des affiches que nous rencontrons sur notre chemin, nous nous bornerons à en indiquer brièvement les péripéties. L'affiche fut inventée, dit-on, par Cosme d'Oviédo, auteur espagnol qui parut un peu avant Cervantes; comme la distribution des programmes à la porte, par Dryden, en 1667, lors de la représentation d'une de ses tragédies : The Indian emperor. Avant, on annonçait par les rues et les carrefours, au son du tambourin l . Elle était d'abord fort différente de ce qu'elle est au- jourd'hui. Avant Théophile, Racan, Mairet et Gombauld, le nom de l'auteur d'une pièce ne se mettait pas dessus; les comédiens se contentaient d'y annoncer que leur poète avait travaillé sur un sujet excellent. Ce poète était connu, et n'avait pas besoin d'être nommé. On resta bien plus longtemps encore sans désigner les acteurs sur l'afficha : les comédiens y trouvaient leur compte, parce que le publie espérait toujours voir le.- chefs d'emploi; mais souvent cette attente trompée donna lieu à desscènes tumultueuses. On trouve dans la Revue rétrospective - une délibération des comédiens, à la date du 9 décembre 1789, pour sup- plier le maire de Paris de ne pas leur ordonner de mettre les noms des acteurs sur l'affiche, ce qu'ils considéraient comme très-contraire à leurs intérêts. Mais cette affiche, Dissent les bougie-. ■> (lé.) Les chandelles étaient remplacées par des lampions à la rampe et de la cire aux lustres, et ce n'est qu'en 1784 que <-e fit dans la salle de l'Odéon l'essai de l'éclairage à l'huile par les lampes à double courant d'air (invention de Quinquet). Ce fut encore à l'Odéon qu'on appliqua pour la première fois l'éclairage au gaz, en 1822. 1 Cependant l'affiche existait à Rome, et l'on y faisait précéder le titre de la pièce du nom de l'auteur, lorsque ce nom était célèbre et de na- ture à garantir le succès. e Deuxième série, t. IX. 104 CURIOSITES THEATRAEES. sans noms d'auteur et de comédiens, n'en était pas moins souvent fort détaillée : « Elle entretient, le lecteur de la nombreuse assemblée du jour précédent, du mérite de la pièce qui doit suivre, et de la nécessité de pourvoir aux loges de bonne heure, surtout lorsque la pièce est nouvelle et que le grand monde y court 1 . » On y faisait, au besoin, l'éloge raisonné de la comédie du jour; quelquefois môme elle s'exprimait en vers. Dans la Comédie de la comédie, prologue des Amours de Trapolin, par Dorimond (1602), deux bourgeois, Léandre et Lucidor, lisent au coin d'une rue cette affiche qui peut donner une idée du genre : AFFICHE LES COMÉDIENS DE MADEMOISELLE : La pièce que nous vous donnons Mérite vos attentions : Ce sont les amours d'Ignorance. Qu'on confond avec la Science, Et de son brave Trapolin Oui l'aime autant rpie le bon vin. De cette pièce on fait estime, Tant pour la force de la rime Que pour la vigueur des bons mots Qui ne sont pas faits pour les sots, Mais pour la belle connaissance Et les auditeurs d'importance. Qu'ici les uns dressent leurs pas, Que les autres n'y viennent pas. o Oh! oh! l'affiche en vers! s'écrie Lucidor; cette troupe est jolie! » Celle exclamation semble montrer suf- fisamment que ce n'est pas là une simple imagination de l'auteur. D'ailleurs on trouve, dans les Fragments bar- 1 Chappuzeau, p. 2'28. CHAP. VIII. — USAGES ET TRADITIONS. loô laques de Villiers, à la suite de sa comédie des Ramo- neurs (1662), deux affiches en vers pour Y Amaryllis de Duryer, jouée à l'hôtel de Bourgogne, qu'il nous a con- servées parce qu'elles étaient son œuvre. On supprima plusieurs fois l'affiche, quand on crai- gnait la cabale pour une pièce nouvelle. A l'affiche venait se joindre l'annonce faite sur le théâtre, entre les deux pièces, du spectacle du lendemain. Ces harangues des acteurs au public étaient, du reste, beaucoup plus communes autrefois qu'aujourd'hui. Ainsi l'usage était encore qu'à la clôture et à la réouverture du théâtre un comédien fît un compliment aux spectateurs. Ce compliment, véritable discours dans toutes les règles, rendait compte de la situation théâtrale, passait en revue les pièces données et celles qu'on promettait, faisait l'éloge des comédiens morts ou retirés, etc. Au dix-huitième siècle, les derniers acteurs reçus étaient chargés de ces harangues; mais, au dix-septième, on les réservait à celui qui avait dans la troupe la charge d'ora- teur. •L'orateur occupait une des places les plus honorables et les plus élevées dans la troupe. « C'est à lui de faire la harangue et de composer l'affiche. Le discours qu'il vient faire à l'issue de la comédie a pour but de captiver la bienveillance de l'assemblée : il lui rend grâces de son attention favorable, il lui annonce la pièce qui doit suivre celle qu'on vient de représenter, et l'invite à la venir voir. Le plus souvent il fait son compliment court et ne le médite point, et quelquefois aussi il l'étudié, quand ou le roi, ou .Monsieur, ou quelque prince du sang se trouve présent'. Il en use de même quand il faut annoncer une pièce nouvelle qu'il est besoin de vanter, dans l'adieu qu'il fait, au nom de la troupe, le vendredi qui précède le premier dimanche de la Passion, et à l'ouverture du 10«i CURIOSITES THEATRALES. théâtre après les l'êtes de Pâques. Dans Tan nonce ordi- naire, l'orateur promet aussi de loin des pièces nouvelles de divers auteurs pour tenir le monde en haleine et faire voir le mérite de la troupe pour laquelle on s'empresse de travailler... Ci-devant, quand l'orateur venoit annon- i cer, toute l'assemblée prôtoit un très-grand silence, et son compliment court et bien tourné étoit quelquefois écouté avec autant de plaisir qu'en avoit donné la comédie. 11 produisoit chaque jour quelque trait nouveau qui réveil- | loit l'auditeur... Mais, comme les modes changent, il ne se fait plus de longs discours, et l'on se contente de nommer \ simplement à l'assemblée la pièce qui se doit représen- ter ». » L'hôtel de Bourgogne eut successivement pour orateurs [ Bellerose, Floridor et Hauleroche, dont les deux premiers : surtout s'acquittèrent brillamment de leur emploi; le Ma- rais, Mondory, Dorgemont, Floridor, avant qu'il passât à l'hôtel de Bourgogne, et le brave Laroque, qui s'enten- dait plus à haranguer le public, à apprécier les pièces et à donner de bons avis, qu'à jouer ses rôles. Le Palais- Royal eut deux excellents orateurs dans la personne de Molière, qui aimait beaucoup haranguer, au témoignage de plusieurs contemporains, et de la Grange, en faveur duquel il se démit de cette charge, six ans avant sa mort. Le dernier orateur en titre d'office du Théâtre-Français fut Lecomte, qui avait succédé à la Grange. On finit par sentir le charlatanisme de cet emploi, qui se pouvait comparer, dans la plupart des cas, à celui de ces person- nages que prenaient les opérateurs pour vanter leurs dro- gues; et, comme, d'ailleurs, à mesure que Tordre s'éta- blissait dans les salles de spectacle, il devenait de moins en moins nécessaire de haranguer les spectateurs, les fonc- ' Chappnzeau, p. 22fi-9. CHAI'. VIII. — OSAGES Kl TRADITIONS. 107 lions de l'orateur se trouvèrent, réduites à l'annonce du ; spectacle, dont on chargea le dernier reçu, comme des j compliments de clôture et de rentrée, qui ne furent aban- donnés qu'en 1793. Cependant, même après l'abolition de l'orateur en litre d'office, quelques comédiens, comme Dancourt, se firent remarquer par leur habileté et leur éloquence dans les occasions particulières qui exigeaient qu'on porlàt la pa- i rôle. L'habitude de haranguer le public était alors si bien j établie, que les acteurs ne se faisaient nul scrupule, au ' besoin, de s'interrompre pour réclamer le silence. C'était ! un usage reçu'. Autrefois les sociétaires du Théâtre-Français étaient chargés, tour à tour, pendant une semaine, des fonctions de régisseur et investis du pouvoir exécutif, sauf le re- cours au comité. On appelait semainiers ceux qui étaient en fonctions. Les lectures des pièces se faisaient, au dix-seplième i siècle, à peu près comme aujourd'hui 2 . L'auteur commu- niquait d'abord son œuvre à un comédien, et, suivant son avis, il la retirait, ou demandait une assemblée pour l'y lire « sans prélude ni réflexions, ce que les comédiens ne veulent point. » Les femmes se trouvaient rarement à ces lectures, quoiqu'elles eussent le droit d'y assister 5 . On décidait alors de vive voix. Depuis on adopta les bul- letins. On y a substitué les boules blanche, rouge ou noire, pour indiquer les réceptions définitives, réceptions à corrections et refus. On raconte qu'Henri de Latouche 1 D'Aubignac, Pratique du théâtre. - Dans l'antiquité aussi, du moins chez les Romains, où nous trou- vons les comités de lecture déjà organisés. En effet, tout ouvrage dra- matique était d'abord porté au temple d'Apollon, et soumis à l'examen île cinq juges. (Acron, in Horat., I, sat. x, v. 58.) 5 Chappûzeau, 1. II, eh. x et xt. 108 CURIOSITES THEATRALES, venait de lire un acte en vers : Un Four île faveur, et que, parmi les bulletins, le commissaire du roi en lut un d'une grande dame de la Comédie, conçu ainsi : « Cette petite [ acte m'a paru charmante, mais invraisemblable, je la re- fuse. » C'est là, dit-on, ce qui fit prudemment adopter j les boules. Durant le règne des gentilshommes de la chambre, les pièces arrivaient presque toujours à la Comédie-Française sous le patronage de quelque grand seigneur, qui la re- E commandait à un comédien. Mais on finit par ne plus vouloir se décider d'après l'avis d'un seul, et on forma des comités d'examen, d'abord composés dés principaux acteurs, puis mixtes, vers la fin de la Restauration. Au- jourd'hui, on est revenu aux comédiens seuls. La pièce reçue, deux manuscrits en sont envoyés à ïa s " censure, et le souffleur en garde un. Les premières répéti- ' tions se font au foyer autour d'une table, puis sur le théâtre, avec une mise en scène de plus en plus complète, à mesure que le jour de la représentation approche 1 . Autrefois, commeaujourd'hui, c'était surtout de la Tous- saint à Pâques, lorsque la cour se trouvait au Louvre ou à Saint-Germain, qu'on donnait les nouvelles pièces sur les- quelles on comptait le plus. L'hiver était surtout destiné aux pièces héroïques, et l'été aux comédies 2 . C'était tou- jours le vendredi qu'on donnait les nouveautés. On ne jouait alors que trois fois la semaine, le mardi, le vendredi et le dimanche. Après la représentation de Camnia deTh. Cor- neille (1661), on y ajouta le jeudi, à cause du grand con- cours de monde, innovation qui se renouvela par la suite toutes les fois que les pièces avaient du succès. On joua tous les jours à partir du 25 août 1680, où les comédiens de l'hôtel de Bourgogne furent réunis à ceux de la rue 1 Jouslin île la Salle, Sour. drain., Berne française, n" 1 15. 8 Chappuzeau, p. 90. uiw\ vin — Usages et traditions ios Guénégaud. En 1691, XAlmanach ou le livre commode des adresses, d'Abraham du Pradel, nous apprend que les re- ! présentations de l'Opéra avaient lieu les mardi, jeudi, ven- dredi et dimanche; mais on faisait quelquefois relâche le .jeudi, lorsque la pièce commençait à vieillir. Le théâtre était fermé les jours de fêtes solennelles et pendant les leux semaines de la Passion. - , Les représentations avaient lieu en plein jour. En 1609. une ordonnance de police enjoignit aux comédiens de ! l'hôtel de Bourgogne et du Marais d'ouvrir leurs portes à | une heure et de commencer à deux heures précises, de manière à avoir fini à quatre heures et demie, depuis la 1 Saint-Martin jusqu'au 15 février. Les dimanches et fêtes, ils avaient soin de ne commencer qu'après les secondes |vêpres, lorsque l'office entier du jour était terminé. Au 18 e siècle, les représentations avaient lieu de cinq heures à neuf; sous le premier empire, de sept heures à dix et .demie ou onze heures au plus tard. On peut croire que ce furent, d'une part, les représentations à la cour, de l'au- tre, les représentations sur le théâtre de la Foire, où, en dehors de celle du jour, il y en avait une autre à la nuit tombante, pour les spectateurs qui ne voulaient pas se trouver mêlés au public tout à fait populaire; on peut croire, dis-je, que ce fut là ce qui remplaça peu à peu les représentations de jour par les représentations de nuit. De 1705 à 1732, ce fut un usage constant de fermer et de rouvrir les théâtres à la quinzaine de Pâques, par une représentation de Polyeucte. En 1772, il fut décidé qu'à partir du premier jeudi de juillet, et de quinzaine en quinzaine, on ne jouerait que des' pièces de Molière, toujours rendues par les princi- paux acteurs, sans que ni doubles ni débutants y pussent être admis 1 . 1 Bachaumout, VI,2 juin 1Ti2. JIU CURIOSITÉS THEATRALES. En 1764, un arrêté donna ordre aux comédiens de lais- ser jouer les doubles et nouveaux, les mardis et les mmi- dredis, le plus ancien des doubles et nouveaux devant choisir, la première semaine, la pièce où il désirait se j montrer; puis le deuxième, la semaine suivante. Autrefois les acteurs du Théâtre-Français devaient for- mellement jouer dans le tragique et le comique : ainsi l'exigeaient les règlements, qui ne furent abrogés sur ce point que vers la fin du dix-huitième siècle. Un assez I grand nombre d'acteurs célèbres excellèrent dans les deux I genres; mais il arrivait non moins souvent que tel qui brillait dans la comédie se faisait- invariablement siffler dans la tragédie, où pourtant il ne pouvait se dispenser de paraître. Chose bizarre ! les rôles de rois et de paysans restèrent en particulier réservés au même acteur pendant plus d un siècle : Lenoir de la Thorillière, Lafleur, tous' deux contemporains de Molière, Legrand et Paulin avaient spécialement ce double emploi, si contradictoire. Bien plus, comme les pièces du Théâtre-Français furent longtemps mêlées d'intermèdes de chant et de danse, et que, vers le milieu du dix-huilième siècle, on était dans l'usage de i terminer certaines comédies par des ballets (usage qui fut contrarié parles réclamations de l'Opéra), on exigeait des acteurs qu'ils fussent exercés dans ces deux arts. Quand mademoiselle Clairon se présenta, elle fut prévenue par les semainiers que la loi de la Comédie demandait l'as- semblage de tous les talents, et qu'elle devait se tenir prête à chanter et à danser dans les pièces d'agrément ! . | Plusieurs acteurs et surtout plusieurs actrices, comme mesdemoiselles Dangeville et Gaussin, se firent remarquer par la réunion de l'art de la danse et du chant à celui de 1 Mémoires de Clairon (collect. des Meut, dram.), p. 50. CHAI». Mil. — USAGES ET TRADITIONS. 1M la comédie et de la tragédie. Ainsi un seul acteur d'alors devait en représenter quatre d'aujourd'hui. Disons aussi quelques mots des comédiens dans leurs rapports avec la cour : « Ils sont 'tenus daller au Louvre quand le roi les mande, écrit Chappuzeau, et on leur four- nit de carrosses autant qu'il en est besoin. Mais, quand ils marchent à Saint-Germain, à Cambor (Chambord), à Versailles, ou en d'autres lieux, outre leur pension qui court toujours, outre les carrosses, chariots et chevaux qui leur sont fournis de l'écurie, ils ont de gratification en commun mille écus par mois; chacun deux écus par jour pour leur dépense, leurs gens à proportion, et leurs logements par fourriers. En représentant la comédie, il est ordonné de chez le roi à chacun des acteurs et des actrices à Paris ou ailleurs, été et hiver, trois pièces de bois, une bouteille de vin, un pain et deux bougies blanches pour le Louvre, et à Saint-Germain, un flam- beau pesant deux livres; ce qui leur est apporté ponctuel- lement par les officiers de la fonderie, sur les registres de laquelle est couchée une collation de vingt-cinq écus, tous les jours que les comédiens représentent chez le roi, étant alors commensaux *. » Les comédiens français, lit-on dans les Anecdotes dramatiques*, jouent ordinairement à Ja cour depuis la Saint-Martin jusqu'au jeudi d'avant la Passion; mais, lorsque le roi va à Fontainebleau, une par- tie de la troupe suit la cour, et, indépendamment des appointements de douze cents livres, chaque acteur a une pistole par jour durant le voyage. Quoique nous ne nous occupions ici que des curiosités, nous ne pouvons omettre pourtant, dans un chapitre sur la législation théâtrale, de mentionner au moins les Théâtre-Français, p. 162-4. Il, p. 565 (1775). lia CURIOSITÉS THEATRALES. principaux arrêts et règlements rendus par l'autorité, concernant les théâtres, et en particulier, la Comédie-Fran- çaise. On en verra deux, roulant sur des points particu- liers, à la suite de l'ouvrage de Chappuzeau. Le troisième volume des Anecdotes dramatiques se termine par divers règlements relatifs à l'Opéra (1713 et 17 14), à la Comédie- Italienne, surtout à la Comédie-Française (18 juin 1757: quarante articles). Enfin on connaît le décret de Moscou, daté du 15 octobre 1812, décret qui régularisa tout, sans rien oublier, et qui est, encore aujourd'hui, la constitution fondamentale du Théâtre-Français. CHAPITRE IX question financière au théâtre. — Prix des places. Payement des auteurs et des acteurs. A Athènes, dans l'origine, et lorsqu'on n'avait qu un etpit théâtre de bois, l'entrée était gratuite; mais, le désir d'être bien placé faisant naître souvent des querelles, on ordonna que désormais chaque spectateur payerait une drachme, taux qui fut bientôt réduit à une obole, par les soins de Périclès : celui-ci fit, en outre, passer un décret par lequel un des magistrats devait, avant chaque repré- sentation, distribuer à tous les pauvres deux oboles, l'une pour payer sa place, l'autre pour subvenir à ses besoins pendant toute la durée des fêtes. \3n peu plus tard, le prix fut haussé jusqu'à deux oboles, mais les entrepre- neurs donnaient quelquefois des spectacles gratis, ou din- GHAP IX. — QUESTION FINANCIÈRE. 113 tribuaient des billets qui tenaient lieu de la paye ordi- naire '. A Rome, le peuple, loin d'avoir rien à payer pour entrer aux spectacles, qui étaient en quelque sorte partie inté- grante du gouvernement et de l'administration, recevait souvent, après la pièce, des libéralités de l'édile alors en charge, soit de l'huile, des fruits, de la viande, etc.; soit, plus tard, des billets de loterie qu'on lui lançait gratuite- ment du haut du proscenium, et dont chacun portait l'in- dication d'un habit, d'un char, d'un esclave, d'une somme d'argent, etc., gagnés par son possesseur; soit des mar- chandises plus ou moins précieuses qu'on lui permettait de mettre au pillage. Payait-on sa place aux représentations des Mystères en province? Nous n'avons pas de documents positifs là- dessus, mais des conjectures qui valent presque des preuves. D'abord il serait difficile de supposer l'idée d'une spéculation de la part de ceux qui montaient ordinaire- ment ces représentations en province, premiers magistrats, membres du haut clergé, etc. : c'était même, en quelque sorte, impossible, par l'énorrnité des dépenses, que n'eût ja- mais pu défrayer un prix perçu à la porte pour une seule représentation. Et puis, le jeu ayant presque toujours lieu en plein air, sur une place publique, à l'extrémité d"une rue, il eût été facile à beaucoup de spectateurs d'é- chapper à la taxe. Dans la plupart des cas, les places ne devaient donc pas être payées; mais on sollicitait par des quêtes la générosité des habitants, et chacun contribuait volontairement à ces solennités, suivant son désir ou ses moyens, en raison aussi des avantages personnels qu'il pouvait en retirer soit pour son commerce, soit pour le loyer de sa maison aux étrangers, etc. 1 Voyage d'Amcli., ch. lxi.v. 114 f.l IIJOSITKS THEATRALES. Cependant les spectateurs payaient quelquefois, comme on le voit par une ordonnance relative à la représenta- tion de la Passion à Valenciennes (1547), qui nous donne de précieux renseignements sur le budget d'un Mystère. D'après ce document, complété par un autre, les superin- tendants seulement, et non leur famille, avaient le droit d'entrer gratuitement; les spectateurs, grands et petits, devaient payer un liard ou six deniers (peut-être suivant la place, nu suivant rage) chaque fois, et ceux qui Vou- laient monter sur un éehafaud pour mieux voir payaient derechef six deniers. IVaprès la même ordonnance, les joueurs devaient déposer chacun un écu d'or pour subve- nir aux dépens, s'ils voulaient participer aux chances do bénéfice de l'entreprise, et aus?i pour fournir aux amen- des occasionnées par les fautes qu'ils pourraient faire : on leur rendait le reste, s'il y avait lieu. Quant aux joueurs qui ne voulaient pas déposer Vécu d'or, ils devaient se contenter de ce qu'il plairait aux superintendants de leur donner pour chaque journée; à la fin du jeu, s'il y avait gain, on le divisait en deux parts, dont l'une pour ceux qui avaient déboursé leurs deniers (et si l'un avait dé- boursé plus que l'autre, il n'en profitait point davantage), la seconde pour les joueurs et administrateurs, suivant leur mérite établi d'après la décision des superintendants. On distribuait à chaque « superintendant, originateur, joueur et administrateur » la somme de dix-huit deniers tournois pour collationner et se récréer vers le milieu du jour; les petits enfants qui faisaient les anges recevaient aussi six deniers chaque fois dans le même but. Dans le cas où un joueur « ne vouldroit pas faire son emprinse, on se pouvoit retirer sur son corps et sur ses bienf . » Il n'est pas douteux que ce qui n'était qu'une exception 1 Fin. Morire, Essai sur la mise en scène, p. 153-60. GHAP. IX. - (jlESTll)N F1NANC1KMK. 115 en province ne fût la règle à Paris et qu'on n'y payât ses places. Suivant Y Histoire de la ville de Paris, l'usage rie payer pour entrer au spectacle commença à l'occasion d'une représentation particulière à laquelle devait assister Charles VI; comme il ne put le faire, les confrères de la Passion obtinrent de lui la permission de jouer en public, en exigeant un droit d'entrée pour se dédommager de "leurs frais. En tout cas, les lettres patentes accordées aux Confrères par Charles VI, en 1402, disent très-nettement que, « s'ils jouoient publiquement et en commun, ce seroit le profit d'icelle confrérie. » Les Gelosi, que Henri III avait fait ve- nir de Venise, jouèrent dans la salle des États, à Blois, pour un demi-teston par personne, et à Paris, dans l'hôtel de Bourbon, pour quatre sols. Le spectacle des trois farceurs, Gaultier-Garguille, Gros- Guillaume et Turlupin, à la portée Saint-Jacques (si toute- fois il faut admettre cette légende qui a été contestée, non sans raison, ce semble), coûtait deux sols six deniers. Quant aux spectacles réguliers, on ne payait ordinaire- ment que dix sols aux galeries et cinq sols au parterre, et, lorsqu'il fallait faire des frais extraordinaires pourde nou- velles pièces, le lieutenant civil duChâtelet réglait le prix exceptionnel des places. Du temps de Molière, on ne don- nait d'abord que dix sous au parterre de son théâtre, par exemple, en 1659, lorsqu'on joua les Précieuses ridi- cules, dont le succès lit doubler pour la première fois le prix des places à la seconde représentation. Mais le taux augmenta peu à peu, et nous savons qu'au temps où Boileau écrivit sa neuvième satire, c'est-à-dire en 1067, il en coûtait quinze sous au parterre du Palais-Royal : Un clerc pour quinze sous, sans craindre le holà, Peut aller au parterre attaquer Attila. 116 CURIOSITÉS THEATRALES. 11 en était de même dès 1652 à l'hôtel de Bourgogne, el les galeries y coûtaient cinq livres dix sous 1 . On lit dans une affiche en vers du comédien de Villiers pour la pièce d' Amaryllis, probablement celle de Duryer (1658): Venez, apportez voire trogne Dedans notre hôtel de Bourgogne; Venez en foule, apportez-nous, Dans le parterre quinze sous, Cent dix sous dans les galeries. Nous voyons, au dénoûmenl des Chinois, de Regnard et Dufresny (1692), qu'il n'en coûtait encore que quinze sous au parterre à la fin du dix-septième siècle. Tallemant nous apprend que les places sur la scène coûtaient un écu dor ou un demi-louis. Le prix fut haussé, à diverses dates, au profit des hospi- ces, l.e 25 février 1699, un arrêt du conseil l'augmenta d'un sixième en faveur des pauvres de l'hôpital général, et il en coûta alors dix-huit sous pour le parterre. Par un autre arrêt subséquent, il fut ordonné que ce sixième se- rait pris sans aucune charge; et en février 1716 ce chiffre fut encore accru d'un neuvième au profil de l'Hôtel-Dieu, ce qui porta le parterre à vingt sous et augmenta les autres places en proportion: ainsi le théâtre, l'orchestre et les premières coûtèrent alors quatre livres ; l'amphithéâtre el les secondes, deux livres. Par un arrêté du 7 nivôse an IV, tous les théâtres de Paris et des départements furent invités a donner chaque mois une représentation au profit des pauvres. Une loi du 7 frimaire an V (27 novembre 1796) décida qu'il serait perçu un décime par franc en sus du droit d'entrée, pen- dant six mois, au bénéfice des indigents qui n'étaient pas 1 Parfaict, Vil, 355. CHAP. IK. — QUESTIOJS FlNAiNClEHi;. i 17 dans les hospices. Les dispositions de cette loi furent in- définiment prorogées par des décrets successifs. Les théâtres de Paris augmentèrent de nouveau le prix des places en conséquence, et y gagnèrent plutôt qu'ils n'y perdirent; mais, en province, ce furent généralement les administrations théâtrales qui eurent à porter tout le far- deau de celte loi. La taxe mise sur les spectacles en faveur des hôpitaux a pour origine une imposition de huit cents livres parisis que les acteurs de la Passion furent obligés de payer par arrêt du parlement de 1541, pour indemniser les pauvres de la grande diminution qu'avaient soufferte les aumônes depuis rétablissement des théâtres. Par arrêt du 17 juin 1757, ce droit fut fixé aux trois- cinquièmes du quart, ou neuvième du total, sans aucune déduction, pour l'hôpital général, et au dixième en faveur de l'Hôtel-Dieu, après déduction des trois cents livres comptées pour les frais de chaque représentation. — En outre, lorsqu'ils passèrent de la rue Guénégaud à la- rue des Fossés-Saint-Germain, le 18 avril 1689, les comédiens français avaient réglé d'eux- mêmes qu'on prélèverait chaque mois sur la recette une certaine somme destinée aux couvents ou communautés religieuses les plus pauvres de la ville de Paris. Les capu- cins en profitèrent les premiers; puis, sur leur demande, les cordeliers et les augustins réformés du faubourg Saint- Germain furent associés au même bienfait. Une ordonnance rendue le 14 avril 1768, concernant les spectacles des foires et boulevards, portait que, ces spectacles étant faits pour le peuple, il était défendu aux directeurs de mettre les premières places à un taux plus élevé que" trois livres, les secondes vingt-quatre sous, les troisièmes douze sous, et les quatrièmes six sous. Vers le milieu du dix-huitième siècle, il s'en fallait de beaucoup que le prix des places égalât le taux qu'il 148 CURIOSITES THEATRALES. a atteint aujourd'hui; il était, pour le Théâtre-Français, de quatre francs à l'orchestre, amphithéâtre ibalcon). premières loges et banquettes de la scène; de vingt sous seulement au parterre, où, il est vrai, Ton se tenait en- core debout. Les jours de nouvelles représentations et de spectacles extraordinaires, les prix augmentaient d'un tiers aux premières places, mais ils ne variaient jamais au parterre*. En 1782, lors de l'ouverture de la nouvelle salle de la Comédie-Française, — aujourd'hui Odéon, — le parterre fut porté à quarante huit sous L'orchestre, les premières lo- ges el le balcon coûtaient six livres, et l'amphithéâtre trente sous. L'abonnement à une place des petites loges était fixé à cinq cents livres par an. Pendant la Révolution, on diminua les prix de plusieurs places au Théâtre-Français: ainsi, à partir du 27 mars 1791 , le parterre fut mis à trente-six sous, et la galerie réduite de quatre livres seize sous à trois livres Le prix le plus haut pour entrer à la comédie en Italie, lit-on dans les Mémoires de Goldoni, dont la première édi- tion est de 1787, ne passe pas la valeur d'un paole ro- main, dix sous de France. En Angleterre, dit l'annotateur français des Mémoires de Maeklin, le prix des loges est partout le môme, quel que soit l'étage. Presque toujours les prix sont augmentés aux premières représentations. Au dix-septième siècle, beaucoup de gens avaient ou s'attribuaient le droit d'entrer gratuitement : ainsi les mousquetaires, les gardes du corps, les gendarmes et les chevau-légers de la maison du roi, qui firent cette terrible émeute en 1 075, lorsque Molière leur eût fait retirer par Louis XI Vie privilège qu'ilss'étaient arrogé. Lespagesaussi 1 Léris, Divt. des théâtres, 1754, p. uvi. CHAI'. IX. - QUESTION FINANCIÈRE. 110 se faufilaient souvent sans payer, à la suite des grands sei- gneurs. Le nombre des entrées gratuites-était encore fort grand, même postérieurement à cette époque, et Ton trouve, dans les Mémoires de Lekain, une réclamation longue et motivée contre cet usage, avec une liste des noms et qua- lités de ceux qui s'arrogeaient ce droit sans titre. Sous l'empire, les comédiens se plaignirent aussi au maître, par l'intermédiaire de M. de Rémusat, de l'abus des en- trées de fonctionnaires. Napoléon répondit en s'inscrivanl pour douze mille francs d'augmentation sur le prix de sa loge, et en donnant ordre que toutes les personnes atta- chées au gouvernement imitassent proportionnellement cet exemple. Indépendamment des entrées gratuites, au dix-septième siècle, le registre de la Grange 1 prouve que beaucoup de gens, bourgeois ou grands seigneurs, avaient l'habi- tude de venir à crédit à la Comédie. L'usage était admis et finissait souvent par équivaloir, on s'en doute, à des en- trées gratuites. Le prix des places était naturellement en rapport avec celui qu'on payait aux auteurs et aux acteurs, et vice versa. Parlons d'abord des auteurs. On voit, par une quittance récemment retrouvée à la Bibliothèque impériale, que « la somme de dix escus d'or avoit esté payée pour avoir le jus (la pièce) de la Passion, à Paris, à maistre Arnoul Grebain. » Ce jus renferme en- viron vingt-cinq mille vers. Un passage d'un historien de Valenciennes, d'Outreman, contemporain des Mystères, qui, dans la liste donnée .par lui de tous les personnages ayant concouru à l'une de ces représentations, nomme 1 Mém. iucd. sur la Com. franc., par M. Kégnier, dans le Monde dram. première année. 1-20 CURIOSITES THEATHALES. l'auteur (f'abricateur) après le charpentier, indique bien la place subalterne qu'occupait récrivais et combien ses travaux devaient être peu rétribués, lorsqu'ils Tétaient 1 . Un sonnet, imprimé après la préface des six premières comédies de Larivey (qui furent certainement représen- tées, et probablement en public), dit qu'il retirait de ses œuvres de théâtre plus d'honneur que d'argent, et rap- pelle, en manière de comparaison, que Térence vendit son Eunuque Si grand' somme d'argent qu elle nous est eslrange 2 . Rien de si connu et de plus souvent cité que le mot de mademoiselle Beaupré, rapporté pour la première fois par le Segraisiana : « M. Corneille nous a fait un grand tort; nous avions ci-devant des pièces de théâtre pour trois écus, que l'on nous faisait en une nuit ; on y était accou- tumé, et nous gagnions beaucoup. Présenteinent, les piè- ces de M. Corneille nous routent bien de l'argent, et nous gagnons peu de chose. »> Corneille est excellent, mais il vend ses ouvrages ! s'écriait, d'unautrecôté, le poëte-laquais Gaillard, en Irjôi. 1 0. Leroy, Études sur les Mijst., p. 120. - En effet, selon Suétone, l'Eunuque, joué deux fois en un jour, rap- porta à l'auteur huit mille petits sesterces, ou environ seize cents francs. L'édile, qui s'occupait de chercher les acteurs et de faire prix avec eux pour toute la durée des jeux, recevait aussi la proposition des auteurs dramatiques. Si, d'après une première lecture faite par l'écrivain, la pièce était jugée convenable, il la lui achetait, prenant, la plupart du temps, un acteur pour en faire l'estimation ( l'ezohry , Home au siècle d'Auguste, IV, 160-1). « Le poëte ne voulut pas qu'on recommençât sa pièce, dit le premier prologue de VHéci re, afin d'être en droit de la ven- dre une seconde fois. » Il dans le second : « Faites, dit le chef de la troupe, que je puisse apprendre avec succès de nouvelles pièces, payées d'après mon estimation; pvelio r»ipt«s »iro. » ClIAlVÎX. - QUESTION FINANCIÈRE. 121 Avant lui pourtant, on les vendait aussi, même d'après le témoignage de mademoiselle Beaupré, mais beaucoup moins cher, et pour cause. C'est surtout à Hardy que la comédienne fait allusion, lorsqu'elle regrette le bon lemps des pièces à trois écus, bâclées en une nuit. Celui-ci, a-t-on dit souvent, fut le premier qui relira un bénéfice de ses œuvres dramatiques. Nous venons de. voir, par l'exemple de Larivey et d'Arnoul Greban, que l'assertion n'est pas tout à fait exacte, du moins exprimée aussi ab- solument. Avant lui, les pièces représentées, soit dans les collèges, soit dans des châteaux et aux frais des seigneurs, ne procuraient pas à leurs auteurs un bénéfice régulier. Parfois même ils se bornaient à les faire imprimer, et les jouait qui voulait, sans avoir aucun droit à payer 1 . ^ A la même époque, Lope de Vega, qui lit, dit-on, dix- huit cents pièces, c'est-à-dire douze cents de plus que Hardy, recevait pour chacune cinq cents réaux, environ cent trente francs. Trois écus, c'était maigre, même en prenant la somme comme approximative; mais, quoi qu'on en puisse croire d'après le mot de la Beaupré, les pièces de Corneille n'é- taient pas encore très-chèrement payées elles-mêmes, et l'on étonnerait beaucoup les membres de notre Société des auteurs dramatiques, qui se font quinze mille francs avec un vaudeville en trois actes, en leur apprenant ce qu'ont produit à nos grands poètes classiques les chefs-d'œuvre dont ils ont enrichi la scène : « Je suis saoul de gloire et affamé d'argent, » disait Corneille à Boileau, qui mit cette réponse en vers 2 . « Corneille, écrit Voltaire dans ses Re- marques sur l'épître dédicatoire iïRorace, demeurait à Rouen, et ne venait à Paris que pour y faire jouer ses Garnies, Avis, en tête de sa Bradamante. Art poétique, IV, noie de Brosselte. ]^2 CURIOSITES THEATRALES. pièces, dont il tirait un proiit qui ne répondait point du I tout à leur gloire et à l'utilité dont elles étaient aux co- médiens. » Cependant il faut dire que, du inoins vers la , fin de sa carrière, sa haute renommée le faisait traiter beaucoup mieux que la plupart de ses concurrents. Attila j et Bérénice, qui ne sont pas ses chefs-d'œuvre, comme on j sait, lui furent payés deux mille livres chacun, au -théâtre de Molière, c'est-à-dire plus cher que la plupart des pièces | de Molière lui-même. Ainsi les comédiens ont commencé par acheter les pièces moyennant un prix fait d'avance, et naturellement j ce prix était modique, le succès étant incertain. L'établis- sement du droit d'auteur, prélevé sur la recette de chaque représentation, remonte à 1655. Tristan l'Henni te, pour rendre service à son élève Quinault, s'était chargé de I lire aux comédiens ses Rivales. Ceux-ci, croyant la pièce de Tristan, en offrirent cent écus, mais ils se rétractèrent \ en apprenant qu'elle était d'un jeune poète inconnu, pré- s tendant qu'ils ne pouvaient plus dès lors hasarder que cinquante écus sur sa réussite. Après avoir insisté vaine- ment pour les faire revenir à leur première décision, Tristan leur proposa d'accorder à l'auteur le neuvième de la recette de chaque représentation, tous frais déduits, tant qu'on jouerait sa pièce dans la nouveauté; après quoi elle appartiendrait aux comédiens. Cet arrangement fut ac- cepté et donna naissance à la part hauteur. Néanmoins, même après cette époque* le prix à forfait se conserva encore dans plusieurs cas, quoiqu'il tombal par degrés en désuétude devant l'usage de payer des droits proportionnels. On voit dans le Registre de la troupe de Molière, tenu par la Grange, que Racine céda le manus- crit d Andromaque pour deux cents livres 1 , et que plu- 1 Tlicayeiie et Cliuriclée, qui ne fut jamais l'ait, ou du moius jamais CHAi'. IX. — UUESTIO» FINANCIÈRE. 123 sieurs pièces de Molière et des deux Corneille furent ache- tées à un prix fait d'avance, après la date de 1G53. Mais la convention acceptée par (Juinault et la plupart des autres auteurs fui sanctionnée en 1697 par un arrêté royal qui donnait aux auteurs le neuvième de la recette pour les pièces en cinq actes, le douzième pour les pièces en trois actes, déduction faite des frais journaliers du théâtre, comptés à cinq cents livres l'hiver et à trois cents l'été. « La plus ordinaire condition et la plus juste de côté et d'autre, écrit Chappuzeau, en 1674, est de faire entrer l'auteur pour deux paris dans toutes les représentations de sa pièce jusqu'à un certain temps. Par exemple, si l'on reçoit dans une chambrée (la recette du jour) seize cent-soixante livres, et que la troupe soit composée de quatorze parts, l'auteur, ce soir-là, aura pour ses deux parts deux cents livres, les autres soixante livres, plus ou moins, s'étant levées par préciput pour les frais ordinaires. (Quelquefois les comédiens payent l'ouvrage comptant, jusqu'à deux cents pistoles et au delà, en le prenant des mains de l'auteur, et au hasard du succès. Mais le hasard n'est pas grand, quand l'auteur est dans une haute répu- tation et que tous ses ouvrages précédents ont réussi, et ce if est aussi qu'à ceux de cette volée que se font ces belles conditions du comptant ou des deux parts. Quand la pièce a eu un grand succès, et au delà de ce que les comédiens s'en étaient promis, comme ils sont généreux, ils font de plus quelque présent à l'auteur. Cette généro- sité des comédiens se porte si loin, qu'un auteur des plus célèbres et des plus modestes força un jour la troupe roya le de reprendre cinquante pistoles de la somme qu'elle lui joué, lui valut, d'après les mêmes registres (cités par 31. Tasehereau), une somme de cinq cents livres à titre d'avance. m CURÎOSIÎES THEATRALES. avait envoyée pour son ouvrage. » Oh! les honnêtes gens que les comédiens du dix-septième siècle! « Mais pour une première pièce et à un auteur dont le nom n'est pas connu, ils ne donnent point d'argent, ou n'en donnent que fort peu.... Enfin, la pièce lue et acceptée, le plus sou- vent Fauteur et les comédiens ne se quittent point sans se régaler ensemble, ce qui conclut le traité. » Après rétablissement de la part d'auteur, les comédiens eurent soin de se ménager une porte dérobée pour entrer en possession absolue d'une pièce. Ils établirent qu'ils au- raient le droit de s'approprier désormais et définitivement toute œuvre dramatique qui serait tombée dans les règles, c'est-à-dire dont la représentation aurait produit une somme inférieure à un chiffre fixé, (le chiffre varia plu- sieurs fois : il fut d'abord de cinq cents livres l'hiver et trois cents l'été, et il fallait que la pièce tombât deux fois de sufte au-dessous de cette somme, suivant la saison, pour que les comédiens eussent le droit de la retirer du ré- pertoire courant; mais il n'était pas dit encore que, dans le cas d'une reprise plus heureuse, elle dût leur apparte- nir. Gela dura ainsi de 1653 jusqu'à 1757, où les comédiens firent substituer à ces chiffres, dans un nouveau règlement non communiqué aux auteurs, ceux de douze cents livres l'hiver et huit cents livres l'été; mais il fallait encore que la pièce tombât deux fois de suite, ou trois fois en diffé- rents temps. Alors non-seulement ilspouvaient la retirer, mais ils la confisquaient à leur profit 1 . Depuis (176(3), en- hardis par le succès, ils essayèrent derechef d'accroître la rigueur de ces dispositions léonines, d'abord en suppri- mant clandestinement les mots de suite après les mots 'Les Mémoires secrets (I, 212), nous apprennent que le comte de Schowalow, pour empêcher Jes Burmécides de la Harpe de tomber dans les règles, envoyait chaque fois le supplément de la somme requise. CHAP. l\. ~ QUESTION FINANCIERE. 125 ' deux représentations, de sorte que l'alternative seule des ! grands et des petits jours devait amener bientôt cette j double chute séparée, tandis que deux chutes de suite se j présentaient bien plus difficilement, la pièce tombée dans le petit jour ayant chance de se relever dans le grand j jour; puis en faisant décider par surprise (1780) que pour I le calcul de ces douze cents et de ces huit cents livres on ne pût demander d'autre compte que celui de la recette de la porte, c'est-à-dire défalcation faite de la location des l loges, qui se montait en moyenne à huit cents livres ! par jour et des entrées par abonnement 1 : On sait avec quelle vigueur Beaumarchais engagea la ! lutte contre cet abus, qui ne fut définitivement déraciné que sous la Révolution. Il était toujours possible, à l'aide i de certaines manœuvres, de faire tomber une pièce. dans les règles, et cela était surtout facile quand ces deux chutes n'avaient plus besoin de se succéder immédiatement. Les comédiens avaient intérêt à le faire, puisque après cela la pièce leur appartenait à jamais, quelle que fût l'abon- dance des recettes qu'elle produisît à la reprise. On déro- geait quelquefois à cette règle, mais très-rarement, et par pure bonne volonté de la part des comédiens : cela arriva à la reprise de la Veuve de Malabar, de Lemierre, en con- sidération du succès extraordinaire qu'eut cette reprise-. Aujourd'hui ce privilège des comédiens a complètement disparu, et l'auteur a droit, tant qu'on joue son œuvre, au Théâtre-Français, au douzième brut de la recette si la 1 Beaumarchais, Compte rendu aux auteurs dramatiques?, 2 e partie. Il faut compléter ce que nous disons ici par la partie du chapitre xxi, qui a rapport à la querelle île Beaumarchais avec les acteurs. Bernai quons, à propos de ces locations, que les grands seigneurs avaient l'habitude do ne les payer qu'au bout d'une ou plusieurs années, et qu'ils ne les payaient pas toujours (Jouslin de la Salle, Souv, dram., Revue française. n" 109). 2 Bachaumont. XV, p. 258. 186 CURIOSITÉS THÉÂTRALES.. pièce est en cinq actes, au dix-huitième pour trois actes, au vingt-quatrième pour un acte, sans autre déduction (fin 1 celle du droit des pauvres; ou bien, en prélevant le tiers pour les frais, au huitième, au douzième et au sei- zième, suivant le nombre dictes. C'est là aussi le taux généralement adopté dans les théâtres secondaires, mais depuis peu d'années; et sans préjudice des conventions particulières que peut imposer le directeur. Avant la création de la Société des auteurs dramatiques, Saint-Ro- main, le directeur de la Porte-Saint-Martin, achetait un vaudeville deux cents francs, ou donnait neuf francs par représentation pour une pièce de trois à cinq actes. Son successeur, Lefeuve, se montra plus généreux : il payait un vaudeville huit francs chaque fois qu'on le jouait, et un mélodrame quarante-huit francs. En 1855, les droits d'auteur, à l'Ambigu, étaient réglés à trente-six francs pour un drame en trois actes, pendant lès vingt-cinq premières représentations, et à vingt-quatre francs pen- dant les autres; à quarante-huit et à trente-six pour les drames en quatre et cinq actes. Les parts d'auteur furent déclarées insaisissables en 1749, à propos de Crébillon qui ne pouvait toucher ce qui lui revenait des représentations de son Catilina, parce que ses créanciers avaient assigné les comédiens pour en être mis en possession. En,1775, les comédiens italiens précédèrent les corné diens français dans la voie de la justice, en arrêtant de donner aux auteurs pendant toute leur vie les honoraires de leurs pièces, chaque fois qu'elles seraient représentées. Il arrivait souvent que les écrivains abandonnassent leurs parts, soit à la comédie, soit à tel ou tel comédien, afin que leur pièce n'attendît pas trop longtemps, ou fût jouée avec un soin tout spécial, ou enfin pour se faire un avocat de l'acteur intéressé. Saint-Foix ne se faisait jamais i.IIAP. [X. _ QUESTION MNANGIERE. J-27 paver. Rochon de Chabannes avait renoncé à ses droits pour la pastorale A'Hylas et Sylvie. Beaumarchais n'avait également rien touché pour ses Deux Amis ni son Eugénie, et c'est pour cela que les comé- diens furent si consternés de lui voir réclamer avec insis- tance le compte des représentations du Barbier de Séville. « L'un d'eux me demanda, dit Beaumarchais, si mon in- tention était de donner ma pièce à la Comédie, ou d'en exiger le droit d'auteur. Je répondis en riant, comme Sganarelle : — Je la donnerai si je veux la donner, et je ne la donnerai pas si je ne veux pas la donner. Un des pre- miers acteurs insiste, et me dit : — Si vous ne la donnez pas, monsieur, au moins dites-nous combien de fois vous désirez qu'on la joue encore à votre profit, après quoi elle nous appartiendra. — Quelle nécessité, messieurs, qu'elle vous appartienne? — Beaucoup de messieurs les auteurs font cet arrangement avec nous. Ils s'en trouvent très- bien, car, s'ils ne partagent plus dans le produit de leur ouvrage, au moins ont-ils le plaisir de le voir représenter plus souvent : la Comédie répond toujours aux procédés qu'on a pour elle. » Voilà les habitudes d'alors. S'il faut en croire le Dictionnaire dramatique, les écri- vains allemands étaient encore plus maltraités. On lit dans cet ouvrage 1 , à la date de 1776 : « Les comédiens allemands sont, pour l'ordinaire, les auteurs des pièces nouvelles qu'on représente sur le théâtre. Si un particu- lier en composait, il n'en retirerait aucun honoraire, et serait obligé d'en faire présent à un acteur ou à une ac- trice. Le comédien auteur ou possesseur de la pièce pré- lève, lui et ses héritiers, un certain droit qui lui appar- tient toutes les fois que la pièce se représente. On n'im< prime point les pièces nouvelles, parce que l'impression 1 T. II, p. 217, 128 CURIOSITÉS THEATRALES. ôterait, suivant le droit germanique, la possession de la pièce aux particuliers pour la donner au public. » En Italie, Goldoni recevait trente sequins pour chacune de ses pièces, applaudies ou non, et il en faisait beaucoup. Gozzi, son rival, donna ses premiers ouvrages drama- tiques pour rien 1 . Il y a des anecdotes curieuses sur certains prix payés pour certaines pièces. Hotrou venait de terminer Venceslas, lorsqu'il fut arrêté et conduit en prison pour dettes. Voulant se tirer d'af- faires, il envoya offrir sa tragédie aux comédiens pour vingt pistoles. Le m arche fut conclu, maison ajoute qu'a- près le grand succès de la pièce ceux-ci crurent devoir joindre un présent honnête au prix convenu 2 . Le Sourd de Desforges, qui fit la fortune du Palais- Royai, et qu'on reprendra éternellement sur toutes les scènes de ce genre, fut payé cinq cents francs a-fauteur 3 , , suivant la plupart, ou six cents francs, comme il semble résulter d'une lettre de Desforges lui-même 4 . Madame An- got, qui rapporta cinq cent mille francs à la Gaîté, avait également été vendue six cents francs par l'auteur. « On , achetait alors (dans les premières années de ce siècle), dit Brazier 5 , en parlant des théâtres des boulevards, une co- , médie en un acte deux cents francs une fois payés; on donnait neuf cents francs pour une pièce en trois actes. Ainsi le Jugement de Salojnon, Tékéli, qui ont mis dan> la caisse de l'administration cinquante mille écus chacun, dans l'espace de quatre mois, ont rapporté à leurs auteurs neuf cents francs. » 1 Mémoires de Goz-z-i, ch. xv; éd. Charpent. - Anecd. dram., Il, 2G1. •> r< Et non cinquante francs, comme le dit la Nouvelle Biographie yéite- rule. * Citée par M. Ch, Maurice, Eiét. anecd., 1, 19. 5 Chron. des pet. th., t. 1., p. 60. CHAP. IX. - QUESTION FINANCIÈRE. l k 2 l J Dans Jantiquité, les grands acteurs paraissent avoir été bien payés. Le comédien Polus, d'Athènes, recevait un talent en deux jours (cinq raille quatre cents livres) l . Nous apprenons de Macrobe * que Roscius recevait par jour, pour lui seul, du trésor public, mille deniers ro- mains, c'est-à-dire près de neuf cents livres. Le comé- dien instruit par Roscius, nous apprend Cicéron dans son plaidoyer, pouvait gagner dix-huit pistoles par jour. Et ailleurs : « Croirez-vous, dit-il, qu'un homme aussi désintéressé que Roscius veuille s'approprier, aux dépens de son honneur, un esclave de trente pistoles; lui qui, en nous jouant depuis dix ans la comédie pour rien, s'est ainsi généreusement privé d'un gain de quinze cent mille livres. Je n'apprécie pas trop haut le -salaire que Roscius aurait reçu : on lui aurait au moins donné ce qu'on donne à Dyonisia. » On voit par cette dernière phrase, que cette fameuse comédienne touchait cinquante mille écus par an. Malgré ses immenses prodigalités, causées surtout par le luxe inouï de sa table, OEsopus laissa à son fils vingt millions de sesterces (près de cinq millions de francs), amassés uniquement dans la même profession. Jules César donna cinq cent mille sesterces à Labérius, pour l'engager à jouer dans une pièce qu'il avait compo- sée. Un acteur de grand talent pouvait gagner sans peine cent mille sesterces par an, ce qui n'était que la cin- quième ou sixième partie de ce que gagnait Roscius en moyenne. Chappuzeau donne d'intéressants détails sur la question liuancière au théâtre pendant le dix- septième siècle : « Ils ne veulent point souffrir de pauvres dans leur estât, écrit-t-il des acteurs, et ils empeschent qu'aucun de leur corps ne tombe dans l'indigence. Quand l'âge ou quelque 1 Voyage d'Ame k., ch. l\x. ~ J Salunuit., 1. 111, ch, xiv. 130 CHUOSITKS THÉÂTRALES indisposition oblige un comédien de se retirer, la per- sonne qui entre en sa place est tenue de lui payer, sa vie durant, une pension honneste, de sorte que, dès qu'un homme de mérite met le pied sur le théâtre à Paris, il peut faire fond sur une bonne rente de trois ou quatre mille livres tandis qu'il travaille, et d une somme suffi- sante pour vivre quand il veut quitter. Coutume très- louable, qui n'avait lieu cy-devant que dans la troupe royale, et que celle que le roy a établie depuis peu veut prendre pour une forte base de son affermissement. Ainsi, dans les troupes de Paris, les places sont comme érigées en charges, qui ne scauroient manquer; et à l'hôtel de Bourgogne, quand un acteur ou une actrice vient à mourir, la troupe fait un présent de cent pis- toles à son plus proche héritier. » Ce fût, dit-on, la pension de mille livres accordée à Louis Béjart par ses camarades, lorsqu'il quitta la scène, en 1670, qui fut l'o- rigine des pensions de retraite de la Comédie-Française. A la clôture de l'année 1681, le roi ordonna qu'il serait acccordé à l'avenir une pension de mille livres de retraite à ceux de la troupe royale qui seraient obligés de quitter le théâtre, pour cause d'infirmité ou de vieillesse 1 . Chappuzeau nous apprend encore (page 475) que le compte de la recette du jour étant fait tous les soirs, et, les frais prélevés, on partageait le reste aux comédiens, suivant leur nombre et leurs droits, et que chacun empor- tait sur-le-champ ce qui lui revenait. La troupe royale de l'hôtel de Bourgogne avait du roi une pension de douze mille livres. Lorsque la troupe de Molière se mit sous le patronage de Monsieur, celui-ci pro- mit trois cents livres de traitement annuel à chaque ac- teur; mais ce ne fut qu'une promesse. ' Meuhy, Abrégé rie l'Hist. du Th.-Fr.. III, 50. CHAP. IX. — QUESTION FINANCIÈRE. 131 L'origine des représentations au bénéfice d'un comédien remonte, en France (car en Angleterre cet usage exis- tait depuis Jongtemps), à Tannée 1741 , où la recette d'un dernier spectacle l'ut entièrement consacrée, sur le théâtre Italien, au profit d'un petit garçon et d'une petite fille de Poitiers, qui avaient exécuté avec un succès extraordi- naire les ballets des Enfants jardiniers et des Sabotiers. Rien n'est plus curieux que de constater la progression toujours croissante des salaires accordés aux acteurs, a Lekain, écrivait Voltaire au maréchal duc de Richelieu, le 2 avril 1755, ne tire pas plus de deux mille livres par an de la Comédie de Paris. » S'il ne faut point prendre cette assertion tout à fait à la lettre, elle n'est pourtant pas loin de la vérité. Ce que Lekain aurait gagné aujourd'hui, on peut le conjecturer par ce qu'exigeait mademoiselle Rachel : l'un n'était guère moins avide que l'autre. Ma- demoiselle Rachel, engagée au Théâtre-Français, sans débuts, sans auditions officielles, à raison de quatre mille francs par an, en 1838, stipulait, en 1840, un ulti- matum de vingt-sept mille francs de fixe, soixante-quatre feux de deux cent quatre-vingt-un francs vingt-cinq cen- times chacun, ensemble dix-huit mille francs, une repré- sentation à bénéfice, estimée quinze mille francs (soixante mille francs en tout); plus trois mois de congé, qui n'é- taient pas la partie la moins fructueuse 1 . Depuis, le taux de ses exigences haussa bien autrement encore. A côté de mademoiselle Rachel à son début, mademoi- selle Mars, au déclin de sa carrière, mais non de son ta- lent, ne se faisait, tout compris, que quarante mille francs de revenu : ce que est relatif, bien entendu. Mais, en comparaison de celles des chanteurs .et dan- seuses, ces prétentions sont les plus modestes du monde. 1 LaugieF, De la Comédie française depuis 1850, p. 148. 132 CURIOSITÉS THEATRALES. En 1702, mademoiselle Guimard avait obtenu, comme premier sujet de la danse, un engagement de six cents li- vres par an, à l'Académie royale de musique. Comparez ces six cents livres aux traitements que touchent les pre- miers sujets d'aujourd'hui. Les chanteurs et cantatrices ont commencé de meilleure heure à coter fort haut leur don ou leur talent. Vers 1770, la Gabrielli demandait cinq mille ducats d'honoraires à l'impératrice Catherine II, et, comme celle-ci se récriait, disant : « Je ne paye sur ce pied-là aucun de mes feld-maré- chaux, — Eh bien, répliqua-t-elle, Votre Majesté n'a qu'à faire chanter ses feld-maréchaux. » Cette réponse audacieuse convainquit Catherine : elle était bien bonne de se laisser si aisément convaincre. Le premier venu, un cordonnier ou un danseur de corde, en pourrait dire autant : faut-il en conclure pour cela qu'il ait le droit de se faire payer plus qu'un feld-maréchal? Par décret du 1 1 septembre 1790, l'Assemblée nationale rejeta du compte du trésor public, à partir du 1 er janvier suivant, la dépense relative aux pensions des comédiens français et italiens*. Le 22 janvier 1794, un décret mit à la disposition du ministre de l'intérieur la somme de cent mille francs, pour être répartie, suivant leur impor- tance, aux vingt théâtres de Paris, en compensation des quatre représentations gratuites que chacun d'eux devait donner pour le peuple. 1 Par une série de lois et d'arrêtés des années 1791, 92 et 93, l'Assem- blée et la .Convention nationales réglèrent aussi les droits pécuniaires des auteurs. On peut voir ces arrêtés, ainsi que l'Instruction concernant les propriétés dramatiques pour les correspondants de MM. Framery et Pria, fondés de pouvoir de divers auteurs (décembre 1807), où l'on trou- vera des renseignements curieux sur la matière qui fait l'objet de ce chapitre, dans les Théâtres, par un amateur (Grille), Paris, in-8, 1817. CHU'. X. — ACCIDENTS ET TROUBLES. 133 CHAPITRE X Accidents et troubles dans la salle. L'hôtel de Bourgogne, sous les Confrères, devint peu à peu, vers la fin du seizième siècle, une sorte de lieu sus- pect, dont les désordres n'étaient pas le moindre grief qu'on alléguât contre eux. On s'en plaignait de toutes parts, et les honnêtes gens avaient même abandonné leur spectacle. « Il y a encore un autre grand mal qui se com- met et tolère en vostre bonne ville de Paris, lit-on dans les Remomtrances très-humbles au roy de France et de Po- longne, HenrilIIdu nom (1588) 1 , aux jours de dimanches et de festes; ce sont les jeux etspectaclespublicsquisefont lesdits jours de festes et dimanches, tant par des étrangers italiens que par des François, et par-dessus tout, ceux qui se font une cloaque et maison de Satan, nommée l'hôtel de Bourgogne (sic)... En ce lieu se donnent mille assigna- tions scandaleuses, au préjudice de l'honnesteté et pudi- cité des femmes, et à la ruine des familles des pauvres artisans, desquels la salle basse est toute pleine, et les- quels, plus de deux heures avant le jeu, passent leur lemps en devis impudiques, en jeux de dez, en gourman- dises et yvrogneries, d'où deviennent plusieurs querelles et batteries» » etc. L'hôtel de Bourgogne n'avait guère changé dans les premières années du dix-septième siècle, et, dans sa Doctrine curieuse (1625), le père Garasse pou- vait, sans trop d'exagération, en parler comme d'un lieu de perdition et de débauche. 1 Citées par les frères Parlàict, t. III, p. 238, note. lui Cl UIOSITES THEATRALES. Les gens de la maison du roi jouissaient autrefois de l'entrée gratuite à la Comédie, el le parterre en était tou- jours rempli ; Molière obtint de Louis XIV la suppression de cet abus. Mais ces messieurs, se croyant outragés et ne voulant pas renoncer à leur privilège, résolurentde forcer Tentrée de la salle. Ils se rendirent en nombre au théâtre de Molière, attaquèrent les gardiens et tuèrent le portier, quoique, accablé par le nombre, il eût fini par jeter son épée pour qu'on l'épargnât. Rendus plus furieux encore par cette résistance, ils cherchaient partout la troupe pour la traiter de même; déjà la plupart des acteurs com- mençaient à s'enfuir, et les femmes étaient demi-mortes de frayeur. Réjart, qui se trouvait habillé en vieillard pour la pièce qu'on allait jouer, osa se présenter sur le théâtre devant ces forcenés, en leur criant : « Eh! messieurs, épargnez du moins un pauvre vieillard de soixante-quinze ans, qui n'a plus que quelques jours à vivre. » Ces paro- les, dans la bouche d'un jeune acteur aimé, excitèrent un éclat de rire, et Molière acheva de les ramener à l'ordre en leur parlant vivement de la volonté du roi, de sorte qu'ils se retirèrent, et que, depuis, ils payèrent comme les autres spectateurs *. Ces désordres sanglants se renouvelèrent plusieurs fois . au théâtre du Marais, pour les mêmes causes. On força l'entrée; des portiers furent tués, après avoir couché sur le carreau quelques-uns des assaillants. Heureusement, il y avait là un acteur nommé Laroque, fort brave, qui, se jetant dans la mêlée, l'épéeà la main, s'opposa avec cou- rage aux séditieux, les défiant nominativement au com- bat. Il sut si bien unir l'adresse à la valeur et se faire craindre des spadassins, qu'il finit par apaiser ces espèces de révoltes 2 . 1 Anec. dram., 1, 509; Lemazurier, 1, 155- * Lemazurier, I, 316. CHAI». X. - ACCIDENTS ET TROUBLES. 135 Le portier était souvent exposé à des scènes analogues. D'autres personnes encore, outre les gens de la maison du roi, voulaient s'attribuer le droit de ne pas payer en entrant, et c'étaient des rixes continuelles. Aussi Cbap- puzeau nous apprend que pour cette charge on faisait toujours choix d'un brave, capable de croiser le fer. On trouve souvent, dans le registre de la Grange, des frais de pansement pour portiers blessés. Le Roman comique tfous rend témoignage de diverses scènes de ce genre. « Par une disgrâce qui nous est arrivée à Tours, dit le Destin, où notre étourdi de portier a tué un des fusiliers de l'in- tendant de la province, nous avons été contraints de nous sauver un pied chaussé et l'autre nu. » (I, ch. n.) Et plus loin : « Votre valet, dit Léandre, fut tué à la porte de la comédie par des écoliers bretons. » (II, ch. v.) Gueret fait dire à la Serre, dans le Parnasse réformé, qu'on tua quatre portiers du théâtre, à la première repré- sentation de son Thomas Monts : « Je lui céderai volon- tiers le pas, ajoutela Serre en parlant de Corneille, quand il aura fait tuer cinq portiers en un seul jour. » S'il en est ainsi, il doit au moins céder le pas à Scudéry, dont f Amour tyrannique fit, dit-on, étouffer cinq portiers par la foule immense qu'attira la première représentation 1 . Parmi les pièces où le concours du public occasionna des troubles dans la salle, on peut citer Acajou, de Fa- vart, joué en 1744 à la foire Saint-Germain. Le jour de la clôture, il y eut tant de monde, que la barrière qui sépa- rait l'orchestre du parterre se brisa. Pour la racommoder, on dut faire évacuer le parterre à grand'peine ; mais les spectateurs qui étaient sur le théâtre y descendi- 1 Suivant les Nouvelles à la main mss. de Pidansat de Mairobert (Bibl. Maz., H. 2803, H.), il y eut deux personnes étouffées vis-à-vis le bureau du parterre, dans l'extraordinaire affluence causée par les débuts écla- tants de mademoiselle Baucourt (11 février 1*773). 150 rilRiOSITES ÎHËATIULÈS. rent, faisant place à de nouvelles personnes qui comblè- rent entièrement le lieu de la scène. Il n'avait pas été. possible, dans la confusion, de rendre l'argent. Plusieurs l'exigeaient avec menaces. On arrêta six des plus mutins; mais le directeur les fit relâcher. Malgré l'augmentation du prix des places, la scène même était si remplie, qu'il n'y pouvait paraître qu'un acteur à la fois. Il n'y eut- point de symphonie, point de ballet ; on n'entendit rien, et on applaudit tout le temps 1 . Le parterre d'autrefois fourmillait de pages, filous, la- quais et autres ordures du genre humain, ditScarron 2 . De là des disputes et des désordres continuels. On fut obligé en 1635, d'interdire aux pages et laquais d'entrer à la comédie avec leurs épées. Mais cela ne mit pas filiaux querelles. En 1729, à une représenlalion du Corsaire de Salé, opéra-comique deLesageet d'Orneval, une violente discussion s'éleva entre les pages du roi et les pages des prin- ces, si bien que l'un d'eux, âgé de dix à douze ans, fut jeté à bas de son siège, et emporta dans sa chute la perruque d'un grave personnage, qui lui dit d'un ton important : « Morbleu, mon pntit bonhomme, prenez donc garde à ce que vous faites quand vous tombez.— Excusez-moi, mon- sieur, je ne l'ai pas fait exprès, » répondit le petit page Plus tard, cette interdiction s'étendit plus loin encore. Un ordre de la municipalité de Paris, le 12 janvier 1791, décida que le public du théâtre de la Nation n'entrerait plus que sans « cannes, bâtons, épées, et sans aucune espèce d'armes offensives. » Mais cette défense ne tarda * Deslioulm, Huit, de l'Opéra-Comique, 1, p. 455. On raconte qu'à la quatrième représentation de l'Intéressé, par Jacques Rohbe (1682 , il y eut une telle aflluence, qu'un sprctateur, ayant voulu ôter son épée, de peur qu'on ne la lui volât, ne put plus la remettre, et que le bras et l'é- pée restèrent en l'air tout le temps de la pièce. • Rom. corn., II, ch. vm. CllAP \. - ACCIDENTS ET TROVBLfcS. 137 pas à tomber en désuétude. La tumultueuse représenta- tion du Germanicus, circonstances, parmi les plus indisciplinés. C'est lui qui, de tout temps, rappela le mieux les traditions de ce bruyant parterre romain, qui savait témoigner son mé- contentement d'une façon si décidée, et qui réclamait les ours ou les danseurs de corde au milieu d'une comédie qui ne lui plaisait pas. Le 3 mars 1852, on dut faire éva- cuer la salle parce qu'on demandait obstinément les pas- sages d'Une Révolution d'autrefois, supprimés par ordre. On a aussi conservé le souvenir du tapage infernal qui se fit au même théâtre lorsqu'on y joua Conaxa, d'où Etienne avait tiré, sans le savoir, beaucoup de vers des Deux Gendres. Chaque alexandrin dévalisé, ou cru tel, était accueilli par des tonnerres d'exclamations, de rires, de vociférations. Il fallut laisser le désordre s'éteindre de lui- même 1 . A la première représentation de Stockholm, Fon- tainebleau et Rome, d'A. Dumas (50 mars 1850), le specta- cle se prolongea fort tard. Il était une heure du matin quand le rideau se baissa sur le cinquième acte. 11 restait encore l'épilogue, que les spectateurs demandaient à grands cris. Enfin le rideau se leva au milieu d'un ef- froyable vacarme. C'était le moment où Christine, sentant sa fin prochaine, interroge son médecin, qui lui répond : Il vous resle un quart d'heure .. A ces mots, un étudiant tire sa montre, et, debout sur une banquette du parterre, s'écrie : « Il est une heure un quart; si, à une heure et demie, ce n'est pas fini, nous nous en allons. » Il s'éleva un tel éclat de rire, qu'on ne 'put terminer l'épilogue, qui fut retranché à la deuxième représentation, ce qui entraîna le changement du titre de la pièce 2 . Si nous voulions énumérer toutes les autres 1 Ch. Maurice, II, 32, 368. s Jouslin de la Salle, Souveu. dram., Rrvi:c française, n° 107. 14* CURIOSITES THÉÂTRALES. scènes de ce genre qui se passèrent à l'Odéon, nous n'eu Unirions pas. Généralement les exhibitions d'acteurs anglais qui ont été essayées en France n'ont pas été heureuses : nous en avons déjà vu un exemple. Mais peu le furent moins que la troupe qui, vers la fin de juillet 1822, voulut repré- senter Othello à la Porte-Saint-Martin. Les interruptions et les quolibets aboutirent bientôt à de véritables scènes de boxe. Des pommes, des gros sous, des œufs, des frag- ments de pipes, tombèrent sur la scène; la soubrette an- glaise reçut près de l'œil une pièce de cuivre et s'éva- nouit 1 . Une double haie de gendarmes vint se ranger sur la scène. Alors on lance les banquettes contre eux; un spectateur s'empare d'un tambour à l'orchestre et bat la charge; le parterre se précipite à l'escalade du théâtre. Un commandement de : Apprêtez armes! joue..., lit reculer les assaillants, bientôt ralliés et reconduits à l'assaut : la lutte s'engagea alors corps à corps au milieu du plus épouvan- table tumulte, et force finit par rester aux représentants de la loi. Du reste, le parlerre français ne faisait, en cette cir- constance, qu'appliquer aux acteurs anglais la mode de leur pays, et surtout que leur rendre bien faiblement le traitement qui accueillait toujours les comédiens français à Londres. Monnet avait essayé, au siècle précédent, d'y établir une troupe française. Au lever de la toile, les acteurs furent d'abord accablés d'une grêle de pommes, pierres, oranges, chandelles. Us tiennent bon; le tumulte redouble.. Les loges et la garnison prennent leur parti : une bataille horrible s'engage dans la salle; les ducs se collètent avec les portefaix; on s'assomme de coups de 1 Cli. Maurice, 1, 284. Suivant M. Jouslin de la Salle, ce fui le 1" août, à la représentation de l' École du scandale, de Shéridan, que se passa cette scène. CttAP. \. - ACCIDENTS ET TROUBLES. 145 poing, on s'arrache les cheveux, ou se casse les cannes sur le dos; on tire l'épée. Une centaine de gentilshommes, les armes à la main , s'élancent sur la scène pour garan- tir les acteurs, puis les reconduisent chez eux. Le lendemain, malgré un arrêt du parlement lu en plein parterre par un juge de paix, le tumulte continua, et il fallut que les officiers et la noblesse assommassent les gens du peuple pour rétablir le silence. Mais cette pro- tection n'y fit rien en somme : la politique s'en mêla, et on en fut réduit à fermer le théâtre 1 . Quelques années après, les mêmes scèues recommencèrent a\ec tout autant de violence au théâtre de Drury-Lane, où Garrick avait engagé Noverre et une troupe de danseurs français pour y donner le ballet des Fêtes chinoises (1763). Malgré la présence du roi George 11, le ballet fut sifflé, et on cria : « Point de Français! » A la deuxième représen- tation, les lords sautèrent dans le parterre, le bâton à la main, pour châtier les siffleurs, et le sang coula. A la troisième , on profita de l'absence des pairs, alors à la première séance du parlement, pour arracher les bancs et les décors, casser les glaces et les lustres, et tenter de mas- sacrer les acteurs. Ce fut une perte de quatre mille livres sterling pour le théâtre. On faillit même démolir la mai- son de Garrick. A la quatrième, la noblesse prit sa re- vanche : ce fut quelque chose d'épouvantable et d'indes- criptible, surtout quand une troupe de bouchers eut forcé les portes du parterre pour seconder la noblesse. Force fut de renoncer au ballet et aux danseurs français 2 . Mêmes scènes encore, quoiqu'un peu moins violentes, lorsque Garrick s'avisa de vouloir abolir l'usage de l'en- trée à moitié prix pendant les pièces nouvelles. Appelé 1 Voir les détails, Aneed. dram., 11, 55 v 2-5. - Xnced. d ram., 529-51; Vie de Garrick. par Murphy. {BiblioLb. de.s Mémoir., t. VI, Didot, in-12., ch. vu 10 14* CURIOSITES THEATRALES. à grands cris parle public, il fui obligé de comparaître et de rétracter sa mesure le lendemain. Les mutins allèrent répeter cette tragi-comédie au théâtre deCovent-Garden, dont le directeur, moins soumis, eut recours à la justice. Sur le premier théâtre, un des acteurs, Moody, avait lulté contre un des émeutiers qui s'efforçait de mettre le feu aux décorations. On l'appela sur la scène; on lui cria de demander pardon. « Si, dit-il, en préservant le théâtre et en sauvant la vie de plusieurs d'entre vous, je vous ai offensés, je vous demande pardon. » (lette fière réponse irrita les mécontents, qui crièrent : A genoux ! « Si je le faisais, reprit-il, je serais indigne de reparaître devant vous! » A une pareille injonction, un acteur irlandais, Evans, répondit avec non moins de dignité, mais avec la dignité d'un comédien :« Je ne plie les genoux que devant Dieu et ma maîtresse. » Des troubles aussi vifs eurent lieu vers la même époque au théâtre de Dublin, à propos d'un tapageur nommé Kelly, chassé des coulisses par le directeur Shéri- dan. Kelly rentra au parterre et se vengea d'abord en jetant ou faisant jeter à Shéridan, qui était en scène, une orange si bien visée qu'elle lui enfonça dans le front le crochet de fer du faux nez qu'il portait pour son rôle. Shéridan s'avança pour interpeller l'insolent, mais on baissa la toile au milieu du tumulte, et Kelly, étant allé demander satisfaction au directeur, la reçut à coups de bâton. Plein, de rage, il s'en fut ameuter, dans un café voisin, quelques Irlandais qui, après avoir vainement es- sayé, ce soir-là, de forcer les portes du théâtre, se donnè- rent rendez-vous dans la salle pour la représentation du lendemain. Là, ils.commencèrent par crier aux dames de sortir, puis sautèrent sur le théâtre, et se mirent à la re- 1 Murphy, id. CflAP. X. — ACCtDENTS ET TROUBLES. 14? cherche de Shéridan, enfonçant toutes les portes et per- çant les mannequins à coups de poignard. Heureusement ils ne le trouvèrent pas, et furent obligés de se retirer. Les magistrats ordonnèrent la fermeture momentanée du théâtre 1 . A Venise, une pièce de Gozzi, les Drogues de V amour, excita de grands troubles. L'auteur y avait introduit, sous le nom d'Adonis, une caricature d'un jeune secré- taire du sénat nommé Gratarol, son rival préféré au cœur d'une actrice, et le comédien chargé de rendre ce personnage avait encore ajouté à la hardiesse de la satire en copiant les habits et les allures de la victime. Cela fit grand bruit; Gratarol se fâcha, le parterre prit le parti de la pièce, applaudit violemment les allusions, siffla, hua, et injuria l'actrice amante du secrétaire, qui s'obstina à dire son rôle si bas, qu'on ne l'entendit point. L'auteur lui-même voulut retirer sa pièce; mais ni le directeur ni le public n'y consentirent. Le comédien Vitalba, — celui qui s'était chargé du rôle d'Adonis, — étant parti pour Milan quelque temps après, reçut un soir dans les rues le contenu d'une fiole pleine de matières chimiques, qui heureuse- ment n'atteignit pas son visage et ne fit que brûlerie haut de ses habits. Cet acte fut attribué à la soif de vengeance de Gratarol. On peut lire, dans les Mémoires de Gozzi 2 , le long détail des négociations, informations, lettres, dé- marches de tout genre, menaces, impertinences, etc., aux- quelles donna lieu cette affaire, qui finit mal pour le jeune secrétaire, car, cassé aux gages et destitué, il s'enfuit du territoire de Venise. !Sous bornerons là un chapitre qui pourrait s'allonge, à l'infini, mais que nous n'avons voulu qu'effleurer en courant. 4 Mémoires de mislreas Bellamy, lettre kxiii. 1 Ch. xxiv, édit. Charpentier. 14S CUKÎOSITÈS THÉÂTRALES-. CHAPITRE XI Les cabales au théâtre. — La claque et les sifflets. Chez les Romains, le privilège d'applaudir était con- cédé à une compagnie particulière, d'après des statuts fixés d'avance. Les claqueurs sont nommés juvenes par les his- toriens ; ils étaient dirigés par des chefs appelés curatores, ayant un traitement de quarante mille sesterces. Suétone nous apprend que, sous Néron, il y avait un bataillon de cinq mille jeunes gens robustes destinés à l'applaudir. Tout cela était fort savamment organisé, et les nuances étaient à peu près aussi délicatement observées qu'aujour- d'hui. Les applaudissements se divisaient en trois classes principales : bombus, bruit sourd et continu; teslx, le claquement des mains ; imbrices, le tonnerre d'enthou- siasme 1 . On applaudissait aussi en faisant claquer ses doigts, à la manière des gamins qui imitent les castagnettes. Puis il y avait les rires, les acclamations comme aujourd'hui, ou bien encore on agitait en l'air un pan de sa toge, comme nos élégantes font de leur journal, de leur mouchoir ou de leur éventail. L'empereur Aurélien poussa même la précaution jusqu'à faire distribuer au peuple des bandes d'étoffe pour remplacer le pan de la toge dans ce dernier 1 Suétone, Vie de Néron, ch. xx; Annales de facile, Sénèque, Dion Cas- ^ius. Cependant on interprète autrement ces trois mots, et suivant plu- sieurs, ils expriment le creux des mains frappées Tune contre l'autre; la paume de la main gauche frappée avec les doigts de la droite; les mains frappées à revers. CHAP. XI. — CABALES Aï! THEATRE. 140 office. On jugera de l'extension qu'avait dû prendre la claque à certaines époques, par ce seul fait que, lorsque Néron daignait se montrer sur la scène, tous ks specta- teurs étaient tenus d'applaudir, sous peine de mort. Chez nous, la claque, sans avoir atteint cette extension formidable, n'en est pas moins une institution de haute importance et qui se développe tous les jours. On a vu fonctionner à la fois, dans certains théâtres, jusqu'à deux troupes complètes de claqueurs, ayant chacune son chef. La savante organisation de la claque comme institution officielle et patentée, en quelque sorte, ne date guère chez nous que du parterre assis. Les applaudisse urs à gages, dit Andrieuxdans une note des Mémoires de mademoiselle Clairon, ne pouvant plus, depuis que le parterre a cessé d'être debout, se cacher et se perdre dans la foule, ont pris le parti de se montrer à découvert, et de se consti- tuer en corporation jurée : « La claque est aussi nécessaire au milieu du parterre, disait Elleviou, que le lustre au milieu de la salle. » Beaucoup d'autres pensent comme lui. On a vu, dans ces derniers temps, une charge de chef de claque se vendre cinquante mille francs. Parmi les chefs de claque qui sont arrivés à une haute réputation, il faut citer au premier rang MM. Saulon et Porcher. On a publié les Mémoires d'un claqueur, con- tenant la théorie et la pratique de l'art des succès, etc., par Robert (Castel), ancien chef de la Compagnie des assu- rances dramatiques, chevalier du Lustre, commandeur de l'ordre du Battoir, membre affilié de plusieurs sociétés claquantes, etc. (Paris, Constant Chantpie, 1829, in-8.) Quant aux cabales, il n'y a plus guère aujourd'hui que les auteurs tombés, comme Figaro, qui trouvent com- mode de mettre ce mot en avant. Mais pourtant il faut reconnaître qu'elles ont souvent existé. C'est une espèce 150 CURIOSITES THEATRALES. de cabale que Richelieu avait montée contre le CAd, en quoi il fut vaillamment secondé par Mairet, Scudéry et vingt autres. Des bourgeois avaient organisé une cabale contre YA- grippine de Cyrano (1655), et ils étaient allés au théâtre dans l'intention de se récrier contre les impiétés que con- tenait cette pièce. Ils les laissèrent passer 'toutes sans y rien comprendre; mais, quand Séjanus, résolu de faire péri)- Tibère, s'écria : Frappons, voici Yliostie. ils se soulevèrent en masse, pleins d'une indignation candide, braillant :« Ah! l'athée! ah! le parpaillot ! Voyez, il insulte le saint sacrement. » Quelle que fût la conduite du parterre à son égard, Cy- rano ne pouvait s'en plaindre, car il était un de ceux qui avaient le plus abusé lui-même des licences d'alors. Il avait, je ne sais pourquoi, et peut-être ne le savait-il pas bien lui-même, conçu une haine féroce contre le comé- dien Montfleury. 11 se rend un jour à l'hôtel de Bour- gogne, et, en voyant l'acteur, il lui intime l'ordre de se retirer au plus vite et de ne pas reparaître avant un mois. Deux jours après, .Montfleury ose se remontrer dans le Cloreste de Baro; mais Cyrano était à son poste, et, irrité de la désobéissance de l'histrion : «Décampe tout de suite, lui cria-t il, si tu ne veux pas que je plante du bois sur tes épaules! » 11 était si furieux, que Montfleury, connaissant son homme, disparut pour ne revenir qu'au terme fixé 1 . Le grand Condé, assistant à une pièce dont il favorisait l'auteur, mais qu'attaquait une cabale acharnée, finit par 1 Mcnagiana. CHAP. XI. — CABALES Al! THEATRE. tr»l s'impatienter du tumulte, et, désignant aux garde* un des plus bruyants, il leur dit : « Prenez moi cet homme-là! » Le spectateur se retourna fièrement vers Condé, qui venait de lever le siège de Lérida : « Je m'appelle Lérida, dit-il, on ne me prend point. » Et il se perdit dans la foule. La plus fameuse et la plus incontestable cabale du dix- septième siècle fut celle à la tête de laquelle se mirent le duc de Nevers, la duchesse de Bouillon et madame Des- houlières, pour faire triompher la Phèdre de Pradon sur celle de Racine. Suivant Boileau, la cabale fit retenir poul- ies six premières représentations toutes les premières loges des deux théâtres où se jouaient les pièces rivales, et eut soin de les laisser vides à l'hôtel de Bourgogne, tandis qu'elle les occupait à l'autre théâtre : cette petite ruse leur coûta quinze mille francs, mais faillit faird tomber la pièce de Racine. Puis madame Deshoulières lança contre celle-ci un sonnet qui fut retourné contre le duc de Ne- vers par Racine et Boileau. Le duc répliqua lui-même par un troisième sonnet, toujours sur les mêmes rimes, qui finissait par des menaces de coups de bâton : il les aurait donnés, en effet, sans l'intervention du prince de Condé. Mais, si les uns faisaient des cabales pour Pradon, les autres en faisaient aussi contre lui, et il nous a lui-même donné là-dessus d'irrécusables détails dans les préfaces de ses pièces, où il accuse ses ennemis de basses et honteu- ses manœuvres. D'autres auteurs du même temps, comme Boyer et Quinauit, par exemple, eurent aussi à souffrir plus d'une fois de la cabale. Au dix-huitième siècle, Dorât, attribuant à la même cause la froideur avec laquelle on avait accueilli son tié- gulus et sa Feinte par amour, joués le même jour, conçut l'idée de se faire soutenir par des admirateurs d'office. Il remplissait la salle aux dépens de sa propre bourse, et il se ruina complètement à ce manège. Ce fait était bien connu, 152 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. el tout le monde l'en plaisantait. A rhaque nouveau demi-triomphe obtenu ainsi, on lui appliquait le mot de Pyrrhus : « Encore une victoire pareille, et je suis perdu ! » Voltaire fut souvent accusé d'avoir organisé des cabales en faveur de ses propres pièces. Cela lui urriva en parti- culier pour Oreste. Collé, dans son Journal*, ne l'épargne pas là-dessus : il nous le montre animant ses partisans, distribuant ses fanatiques et ses applaudisseurs soudoyés à toutes les représentations, s'indignant contre le parterre insensible aux beautés de sa pièce, apostrophant un spec- tateur, parce qu'il avait les mains dans son manchon et n'applaudissait pas, se retournant vers ses séides et leur criant, avec exemple à l'appui : «Applaudissons, mes chers amis, c'est du Sophocle. » Mais on faisait aussi des cabales contre lui, et une let- tre du président Hénault nous donne des détails sur celle qui avait été organisée contre son Adélaïde Duguesclin*.- « C'était un combat à mort, dit-il.... L'abbé Desfontaines, le violon Travenol et sa clique, secondaient les mouve- ments de MM, de Rohan-Chabot et du duc de Sully; le poète Roy était avec eux. On a prétendu que Jean-Bap- tiste Rousseau était venu en plein incognito de Bruxelles pour exciter par sa présence le zèle des combattants. » Il donne ensuite le bulletin détaillé de la bataille. Dans le camp opposé aux cabaleurs se tenaient Thiriot, le cheva- lier de Mouhy, Linant, le marquis de Thibouville, le marquis de Villars, le comte d'Argenson et Hénault lui- même; ils se relayaient dans la loge de Voltaire, qui al- lait et venait sans cesse, dévoré d'inquiétude. Au premier acte, murmures causés par l'étrangeté du spectacle ei des costumes; au deuxième, la cabale reçoit un échec, « T. 1, p. 154. in-8". * Mémoires de mademoiselle QuinauH, t. 11, p. 526. CHAP. XI. — CABALES AU THEATRE. 155 on applaudit, Voltaire espère; mais Nemours gâta tout par son costume et sa tenue excentrique. Puis la vue d'un prince du sang fratricide indigna; le coup de canon-fit rire, et le chevalier de Rohan se mit à crier : Pam, pa- rapatapam! Enfin les cabaleurs exploitèrent si bien les maladresses des acteurs et les singularités de la pièce, que leur victoire finit par être complète, et qu'Adélaïde Du- guesclin tomba au milieu des rires, des sifflets, des trépi- gnements, des cris ironiques. Voltaire usa quelquefois de subterfuge pour déconcerter les intrigues hostiles qu'il redoutait contre ses pièces : il donna à l'improviste Y Enfant prodigue, en place du spec- tacle annoncé. On avait affiché Brtiannicus, et on pré- texta l'indisposition d'un acteur pour le remplacer par la comédie de Voltaire. Cailhava fit la même chose pour son Tuteur dupé, qu'on substitua à Phèdre. Marivaux prit la précaution de ne pas faire afficher son Illustre amante (Th. ilal.), et Boissy en usa plusieurs fois de même. Ximé- nès donna son Amalazonte la veille du jour pour lequel elle avait été annoncée. C'est encore à peu près ainsi que l'abbé Boyer, attri- buant la chute de toutes ses pièces à une cabale acharnée contre lui, avait, en 1681, donné son Agamemnon sous le nom de Pader d'Assezan. Heureux s'il n'eût changé les applaudissements en sifflets par son empressement à pro- clamer sa gloire ! A Vtnès de la Motte, un spectateur, -payé pour faire tomber la pièce, dit à un de ses voisins en pleurant : « Tiens, mon ami, siffle pour moi, je n'en ai pas la force. » Celui-là était consciencieux. Il nous rappelle cet autre qui, à Y Accommodement imprévu de la Grange (1757), applau- ; dissait de toutes ses forces, criant en même temps : « Ah ! jque c'est marnais! » Et comme on lui en demandait la I raison : « C'est, dit-il, que j'ai reçu un billet pour applau- 154 CURIOSITES THEATRALES dir, et que, d'un autre côté, étant homme d'honneur, je ne puis trahir mon sentiment. » Au dix-huitième siècle, ce que l'on appelait les coins du roi et de la reine (le premier à droite et le second à gauche), correspondant à peu près à ce qu'on a nommé depuis la loge infernale à l'Opéra, décidaient souvent du sort d'une pièce. Vers 17:20, un nommé de Fontenai exerçait au Théâtre-Français une sorte de dictature. Co- médies et comédiens dépendaient de lui : il était l'arbitre du succès et de la défaite. Le beau temps du café Procope, sis juste en face de la Comédie, était aussi le beau temps des cabales. C'était là que toutes les fortes têtes venaient pérorer sur la pièce nouvelle , et parfois enrégimenter des troupes pour le combat. On s'y battait pour ou contre la comédie du jour; on y jouait parfois aux dés la chute ou la réus- site d'une pièce, et ce fut, dit-on, à un brelan de six que Dorât dut le triomphe de quelques-unes de ses œuvres. C'était là aussi que trônait le chevalier de la Morlière, en attendant qu'il allât s'asseoir à son poste, au parterre de la Comédie, parmi ses séides obéissants. La Morlière fut longtemps la terreur de ce lieu, grâce aux forces dont il disposait. Suivant Favart, il avait à sa solde plus de cent cinquante subalternes qui manœuvraient avec un en- semble formidable, d'après ses moindres signes. Aussi était-il craint et recherché à la fois. La Morlière pratiquait ouvertement le plus cynique chantage : il vendait les triomphes ou les revers. Enfin l'effroi qu'il inspira de- vint si grand, qu'on lui interdit l'entrée du théâtre*, sur- tout d'après les instances de mademoiselle Clairon, son ennemie la plus décidée. Mais ses menées furent retour- nées contre lui, et sa Créole tomba en 1754, à peu près 1 I'achaumont, I, 91; XVI, 262, 279. CHAP. XI. — CABALES AU THEATRE. 155 de la môme manière qu'il avait fait tomber tant d'autres pièces. Vers le même temps, les théâtres anglais avaient aussi leur la Morlière dans la personne de Chitty, surnommé M. Town (M. le public), à cause de son influence dans les salles de spectacle et du pouvoir absolu qu'il y exerçait*. Si nous voulions entrer dans le détail des cabales or- ganisées par les acteurs et actrices contre leurs camarades, ce serait à n'en pas finir. On peut lire, dans le Neveu de Rameau, comment s'y prenait ce roi des drôles, avec l'ar- gent du trésorier des parties casuelles, pour faire triom- pher mademoiselle Hus, la sultane de son maître, sur les autres comédiennes. Il y aurait bien à dire aussi sur les intrigues formées par les auteurs contre les pièces de leurs confrères, et cela remonte haut, car Térence se plaint dans tous ses prologues de celles qu'un vieux poète ourdit con- tinuellement contre lui. Allons nous réjouir aux jeux de Melpomène, dit Voltaire dans sa satire des Cabales (1772) : Bon ! j'y vois deux partis l'un à l'autre opposés : Léon Dix et Luther étaient moins divisés. L'un claque, Pautre siffle, et l'antre du parterre Et les cafés voisins sont le champ de ia guerre, etc. Et il ajoute en note: « Lest principalement au parterre de la Comédie-Française, à la représentation des pièces nouvelles, que les cabales éclatent avec le plus d'empor- tement. Le parti qui fronde l'ouvrage et le parti qui le soutient se rangent chacun d'un côté. Les émissaires re- çoivent à la porte ceux qui entrent, et leur disent: « Ve- 1 Mémoires de mislress Bellamy ^irâducl. franc., in -8°, i. 1. p. 58, '203. etc. 156 CURIOSITES THEATRALES. « nez- vous pour siffler? Mettez-vous là. Venez- vous pour « applaudir? Mettez-vous ici. » « La même manie a passé à l'Opéra, et a été encore plus tumultueuse. » Carrion-Nisas a placé devant sa tragédie de Pierre le Grand , tombée avec éclat (an XII), une curieuse préface sur les cabales de théâtre; malheureusement elle est suspecte sous sa plume et en tête d'une pièce sifflée. Une des plus curieuses et des plus violentes cabales mo- dernes fut celle que montèrent les commis de nouveautés contre la pièce de MM. Scribe et Dupin, le Combat des Mo?Uagnes, où les auteurs avaient introduit le type d'un jeune commis-marchand prétentieux, appelé Calicot, dont le nom est resté proverbial. Une masse de jeunes gens, appartenant à la profession qu'ils croyaient insultée, fi- rent crouler la pièce au milieu des sifflets et menacèrent le directeur d'un mauvais parti, s'il continuait à la donner; mais elle se releva bientôt, à Taide d'un prologue de cir- constance, et, sur un certain nombre de perturbateurs ar- rêtés, il y en eut quatre qui comparurent en police cor- rectionnelle. Les cabales anglaises y allaient de bien autre façon en- core. En voulez-vous avoir une idée? Lors de la querelle entre Macklinel Garrick, un club qui s'assemblait à la ta- verne de Horn, dans Fleet-street, épousa la cause du pre- mier, et tous ses membres se rendirent en force au spec- tacle. Dès que Garrick parut, on ne lui laissa pas prononcer un mot; les cris : .4 bas! à bas! retentirent de tous côtés, et la pièce entière dut être jouée en pantomime, Garrick ayant soin de se tenir au fond du théâtre, pour y éviter la grêle d'œufs gâtés et de pommes pourries qu'on lui jetait. Mais, le surlendemain, un ami de Garrick s'assura de trente vigoureux boxeurs, les fit entrer d'avance, avec l'autorisa- tion du directeur; et, au moment où on allait lever le rideau, l'un d'eux se leva et dit: « Messieurs, il paraît CHAI». Kl. — CABALES AU THÉÂTRE. 157 que certaines personnes sont venues dans l'intention de ne pas entendre la pièce; comme je suis venu pour l'en- tendre, et que j'ai payé pour cela, je prie ceux qui se proposent d'interrompre le spectacle de vouloir bien se retirer. » Ces paroles furent le signal d^une scène tumul- tueuse, à la suite de laquelle le parti de Macklin se vit violemment expulsé du parterre 1 . Une autre cabale, très-violente, se forma contre Macklin lui-même, quand, en 1773, il aborda les rôles tragiques de Shakspeare , surtout Macbeth. On soupçonna Garrick d'avoir pris part secrètement à cette cabale, contre laquelle l'acteur vint, avant la tragédie, implorer la protection du public. Parmi les siffleurs, ayant remarqué ou cru remar- quer deux acteurs de Drury-Lane, ' il s'en plaignit, et ceux-ci tirent insérer dans tous les journaux une décla- ration sous serment qu'ils n'avaient pas sifflé. Macklin s'obstina à reparaître dans ce rôle ; on le hua; on lui de- manda compte de son accusation contre les deux acteurs, et on ne le laissa pas répondre. Le tumulte augmenta à chaque tentative nouvelle. Eniin, pour faire sa paix avec le public, il rentra par son meilleur rôle, celui de Shylock; mais la cabale redoubla de violence : il fut accueilli par une grêle d'injures, suivies des projectiles ordinaires; après quoi on brisa les banquettes, qu'on jeta sur le théâtre, et le tumulte ne s'apaisa que lorsque. le directeur l'ut venu promettre que cet acteur ne paraîtrait plus sur le théâtre de Covent-Garden. Tout se termina par un ju- gement prononcé, à la requête de Macklin, contre six des principaux perturbateurs 11 rentra, deux ans plus tard, sous un autre directeur, et fut très-bien accueilli 2 . Lord Wharton ne dédaigna pas de se mettre lui-même à la tête de ses commis de la Banque et des politiques les 1 Vie de Garrick dans la Collection des mémoires dramatiques, ch. ni- * Mémoires Se Ch. Macklin, traduction française, in-8% 551-5. 15S CURIOSITES THEATRALES. plus résolus des tavernes de la Cité, pour assurer au théâtre le succès du Caton, d'Addison. Le révérend James Miller, ayant déplu aux étudiants du Temple par son Café, ceux-ci formèrent une cabale pour faire tomber toutes ses autres pièces, et ils tinrent parole. Il en fut réduit à cacher son nom pour sa traduction de Mahomet, qui réussit. Brandes rapporte, au tome II de ses Mémoires, les dé- tails d'une cabale organisée à Leipsick contre Seyler et sa troupe. Les ennemis de celui-ci étaient parvenus, avant l'ouverture du théâtre, à détacher quelques bancs de la galerie, et à les disposer de manière qu'assez fortement secoués, ils devaient faire du bruit et même s'écrouler en partie. Ce fut ce qui. arriva. On jeta un cri d'alarme ; les spectateurs effrayés s'enfuirent dans le plus grand désor- dre, et plusieurs même se précipitèrent ;des loges dans le parterre. L'acteur Eckhof seul resta en scène et tâcha de rassurer le petit nombre de spectateurs encore présents. Enfin le spectacle continua quand on se fut convaincu que c'était une fausse panique. Peu de temps après, on essaya d'une nouvelle tentative, et l'on cria : Au feu! en jetant quelques haillons enflammés du haut de la galerie; mais tout cela ne réussit pas à éloigner la troupe de Seyler. On connaît toutes les cabales qui furent organisées contre Mozart, et dont on peut voir les détails dans sa Correspondance. Revenons en France. En 1815, les gardes du corps organisèrent une cabale j terrible contre mademoiselle Mars, connue par ses senti- | ments napoléoniens. Prévenue de leurs projets : « Qu'est- ce que messieurs les gardes du corps ont de commun avec ( Mars?» avait-elle répondu. Ce persiflage envenima les co- lères. L'actrice ayant paru sur la scène, dit-on, avec une robe semée d'abeilles et des violettes, symbole adopté par CHAI'. XI. — CABALES Al" THÉÂTRE. 459 I les napoléoniens pour marquer leur espoir du retour de | l'Empereur au printemps, l'exaspération fut montée à son comble. Elle ne consentit point à parler au public pour ! s'expliquer sur le propos qu'on lui imputait, malgré le ., tumulte des tapageurs. On voulut lui faire crier : Vive i le roi! Et comme on insistait avec un fracas qui ne pré- j sageait rien de bon : « Eh bien, dit-elle, j'ai crié; j'ai crié ! pendant le bruit. » Et la représentation eut lieu sans en- 1 combres 1 . Delrieu, l'auteur d'Ârtaxerce, s'était fait une renommée ! par son ardeur à nourrir ses propres succès. M. Ch. Mau- rice raconte, à ce propos 2 , une piquante anecdote dont il I fut témoin à l'une des représentations de cette pièce : « Delrieu, descendu de l'encoignure des premières loges» où il va savourer le bonheur de se voir passer, entre (au balcon), regarde sa femme assise sur la seconde îianquette, et lui fait toutes sortes désignes de mécontentement. Elle, qui voulait admirer et soutenir jusqu'au dernier vers de la pièce, continuait à battre des mains, tout en regardant son époux d'un air étonné. Et Delrieu de paraître de plus en plus en colère. Enfin, le rideau baissé, sa femme vient à lui en disant : « Mais qu'as-tu? Tu ne voyais donc pas comme j'applaudissais? — Oui, sans doute, répondit-il sans se calmer; mais, malheureuse, tu avais tes gants! » C'étaient de vraies cabales, mais des cabales enthou- siastes et convaincues, qui s'organisaient, aux grands jours d'Hernani et des Burgraves, dans la salle du Théâ- tre-Français. Les Jeune-France y applaudissaient frater- nellement, côte à côte avec les scieurs de long de Frédéric jSoulié, prêts, aussi bien qu'eux, à assommer le bourgeois, le pleutre qui aurait préféré ce polisson de Racine à M. Yic- 1 Anecdote ramenée à de moindres proportions par M. Ch. Maurice, Ilist. anecd., 1, 193; — Audibeit, Indiscret., p. -2*2. - Bist. anecd., I, "243. iGO CURIOSITES THEATRALES. ' tor Ilugo. La représentation des burgraues fut une bataille complète entre les siffleurs et les enthousiastes. Le fait suivant, cité par M. Laugier 1 , pourra donner une idée des précautionsprises par certains auteurs pour assurer le suc- cès de leurs pièces: « Un chef célèbre de l'école dite ro- mantique, demandant le nombre des places comprises dans la salle du Théâtre-Français, et ayant obtenu pour réponse-: « Le théâtre contient à peu près dix-sept cents « places, » exigea, pendant les cinq ou six premières re- présentations de son œuvre, dix-sept cents billets ou stal- les numérotées. » 11 y aurait à écrire la monographie du sifflet. Quand et où prit-il naissance? Une épigramme de Racine nous le dit: Ma!S> quand sifflets prirent commencement. C'est (j'y jouais, j'en suis témoin fidèle) , C'est à YAspar du sieur de Fontenelle. Et Roy a confirmé la chose en disant de cet écrivain : Auteur d'Aspar, œuvre immortelle Par le sifflet qui sortit d'elle. Mais les épigrammes sont sujettes à caution, et ne peu- vent guère être admises comme renseignements histori- ques. S'il faut en croire les Anecdotes dramatiques, ce serait le Baron de Fondrières, comédie de Th. Corneille (1686), qui aurait fait naître pour la première fois l'idée du sif- flet. Prenons donc cette date, ou la précédente (1680). En toutes choses, il n'est que le premier pas qui coûte > Le sifflet, à peine inventé, prit donc une rapide exten- sion, si rapide qu'il fallut s'en préoccuper. Le sifflet fut 4 De la Comédie française depuis I85U, p. 75. CHAP. XI. — CABALES AU THÉÂTRE. 161 interdit, dès 1600, à propos de Topera d'Orphée, par du Boulay, musique de Lully fils. Le public se vengea par un rondeau, une chanson et une épigramme. Voici un frag- ment du rondeau : Non, non, je sifflerai, l'on ne m'a pas coupé Le sifflet. Un garde, à mes côlés planté comme un Jocrisse, M'empêche-l-il de voir ces danses d'écrevisse, D'ouïr ces sots couplets et ces airs de jubé? Dussé-je être, ma foi, sur le fait attrapé, Je le ferai jouer à la barbe du suisse, Le sifflet. L'épigramme et la chanson ne sont pas meilleures, et je n'en citerai rien 1 . De tout temps, la garde royale avait été. établie à TOpéra; elle ne le fut aux deux Comédies qu'à la rentrée dès spectacles en 1751, le 26 avril. Cette garde avait pour but de contenir les cabales et d'empêcher de faire violem- ment justice des mauvaises pièces et des mauvais acteurs. Le sifflet éprouva encore diverses péripéties ; il fut per- mis, défendu, repermis et redéfendu plusieurs fois. Préville, dit-on, regrettait vivement cette défense, re- gardant le sifflet comme un avertissement utile : cela est aussi rare que les auteurs et acteurs détestant la claque, comme Crébillon et Arnal. Un détachement des gardes françaises était chargé de veiller à l'exécution de la loi, en surveillant le parterre. Mais, malgré toutes ces précautions, un soir qu'on jouait la Cléopâtre de Marmontel (1750), un coup de sifflet terrible partit vers la fin, et ce fut en vain que les gardes se mirent à la recherche du coupable. Cette aventure égaya beau- coup la représentation d'une tragédie peu gaie par elle- même. * On peut les voir, Annal, dram., VII, p. 165-G. 11 162 CURIOSITES THEATRAÛES Là garde ne put empêcher davantage d'Alainval d'être sifflé et hué à outrance, un jour qu'il doublait Auger dans Tartufe. Le public ne manqua pas de lui faire l'application des vers les plus désobligeants de son rôle. <( Mais la vérité pure est que je ne vaux rien.. « Je vois qu'il faudra que je sorte. » Ce fut la première fois que les sifflets se firent entendre bien distinctement, depuis l'établissement de la garde dans l'intérieur des spectacles. Ou reste, le parterre savait parfaitement, au besoin, suppléer au sifflet, qui lui était interdit, en s'aidant de ses pieds, de ses cannes, en éternuant, en toussant, en se mouchant, par des rires et des applaudissements ironi- ques, etc. 11 n'épargnait même pas toujours, tant s'en faut, les acteurs les plus aimés et les plus illustres, indépendam- ment des cabales et des motifs particuliers qu'on pouvait avoir de les maltraiter. Je ne parle ici que des sifflets s'a- dressant au jeu et au débit de l'acteur. Lekain, Quinault- Dufresne, Fleury, mademoiselle Clairon, mademoiselle Duchesnois, Potier, mademoiselle Contât, mademoiselle Mars, commencèrent à être siffles (ou peu s'en faut) plus ou moins longtemps, et le premier eut à lut'er contre une partie du public qui ne pouvait le souffrir, tandis que l'autre partie le portait aux nues. Dazincourt, sifflé un jour, au moment où, dans le rôle de Pasquin, de Y Homme à bonnes fortunes, il inonde son mouchoir d'eau de Colo- gne, le tord et en exprime le contenu sur la tête du souf- fleur, qui fait le plongeon, s'avança sur le boid de la scène : « Messieurs, dit-il, lorsque Préville jouait ce rôle, il faisait ce que je viens de faire, et il était applaudi par CHAP. XI. — CABALES AU THEATRE. 163 tout ce qu'il y a de mieux en France *. » On nous per- mettra de ne pas trouver la réponse suffisante. Mademoiselle Contât, à l'apogée de sa gloire, fut sifflée deux fois dans la même pièce, le Chevalier à la mode, d Sa- bord pour un manque de mémoire, puis pour un gros pataquès. Souvent c'est l'humeur du public contre la pièce qui rejaillit jusque sur les acteurs, comme il arriva à la Champ- meslé dans la Judith de Boyer, à Lekain et à mademoi- selle Clairon dans la première et dernière représentation de Namir (1759), etc. Parfois les sifflets n'étaient pas plus raisonnables que les applaudissements. De tout temps il est arrivé au pu- blic de s'enflammer pour ou contre, sans trop savoir pour- quoi. Un des exemples les plus singuliers que Ton puisse citer est celui du comédien Grammont, tour à tour ap- plaudi, puis hué, puis réapplaudi avec frénésie; un jour comparé à Lekain, et le lendemain rabaissé au dernier rang. Mademoiselle Connell, qui remplissait au Théâtre-Fran- çais les rôles de confidentes et de secondes amoureuses, fut tellement prise en aversion par le parterre pour la froideur de son jeu, et tellement sifflée, qu'elle en con- tracta une maladie de langueur dont elle mourut à trente- cinq ans, le 21 mars 1750. Notons seulement, sans vou- loir rien enlever à cet exemple de sa portée, que, peu de jours avant sa mort, elle avait été obligée d'aller jouer à Versailles avec un rhume assez violent et un accès de fièvre, et qu'elle était revenue dans la nuit plus malade encore qu'en partant. Lema/.urier, 1, 225. 161 aiiuosmss theatiiai.i*. CH1PITRB XII Les gaietés du parterre. Le Mithridate de la Calprenède fut joué, pour la pre- mière fois, le jour des Rois (1635). Au moment où Mithri- date prend la coupe empoisonnée en disant : Mais c'est trop différer... Un plaisant acheva le vers : Le roi boit! le roi boit! On raconte la même chose de la Marianne de Voltaire; de sorte que le lecteur, au lieu de croire aux deux anec- dotes, peut douter de toutes les deux. Cette dernière pièce fut suivie, le premier jour, du Deuil, circonstance qui fournit à un autre rieur l'occasion de s'écrier : « C'est le deuil de la pièce nouvelle. » A la première représentation du Germanicus de Pradon, les spectateurs, étonnés de n'avoir vu paraître que des hommes dans les deux premiers actes, s'entredisaient : « Voilà une vraie tragédie de collège; il n'y a point de femmes. » Au commencement du troisième, on vit sortir tout à la fois du fond du théâtre deux princesses et deux confidentes, et l'on entendit en même temps dans la salle une voix perçante et gasconne : « Quatorze de dames; sont-ils bons? » ce qui excita un battement de main gé- néral. Un mauvais acteur, nommé Tonnelier, débuta en 1775, CHAP. XII. — GAIETES DU PARTERRE. 105 et le parterre lui chanta en chœur ce refrain connu du Tonnelier de la Comédie-Italienne : «Travaillez, travaillez, bon tonnelier. » Un nouvel Arlequin, débutant, à Bruxelles, dans les Deux Arlequins de Grenoble, fut mal accueilli du par- terre. Après la représentation , il annonça qu'il jouerait encore le lendemain dans la même pièce, et que, s'il n'a- vait pas le bonheur déplaire, il brûlerait ses habits et se retirerait. Le lendemain, dès qu'il parut, on ne manqua pas de lui jeter, du parterre, plusieurs bottes d'allumettes. Il est arrivé souvent au parterre de saisir au vol cer- tains passages de la pièce jouée, pour les appliquer comi- quement à l'acteur en scène ou à la pièce elle-même. Le- grand s'était chargé, dans ses Amazones modernes (17*27), du rôle de maître Robert. Vers la fin du second acte, il se disait à lui-même : « Eh bien, monsieur maître Robert, vous voyez que vous n'êtes qu'un sot! » Il fut pris au mot par le publie, qui avait déjà manifesté son mécontentement, et la salle retentit d'applaudissements ironiques, mêlés d'un rire injurieux. « Je commence à être las de Sancho, » dit le duc, au troisième acte de Sancho Pança de Dufresny. « Et moi aussi, » cria-t-on du parterre. Ce mot arrêta la pièce. Dans la Revue des Théâtres de Chevrier (1753), l'auteur introduit une danseuse. Elle arriva justement comme la pièce chancelait. Quel motif en ces lieux vous fait porter vos pas ? lui demande la Critique. Et elle répond : Je viens tirer un auteur d'embarras. « Ma foi, il était temps! » repartit quelqu'un. Et de rire. ! \m CURIOSITES THEATRALES. Mais parfois ce qui perdait la plupart était précisément ce qui sauvait les autres. Nous allons le voir par l'exemple de Martin, le célèbre chanteur. Le public lui en voulait pour avoir fait manquer par un caprice, au moment même où on allait ouvrir les portes, la première repré- sentation de Topera de Gulisian, depuis longtemps annon- cée. Il se promit une vengeance. En effet, le jour enfin venu, lorsqu'on aperçut, au lever du rideau, Martin- Gulistan couché et dormant, les huées éclatèrent avec fu- rie : « Des excuses! » criait-on. Trouvant invraisemblable de sommeiller plus longtemps au milieu d'un tel tapage, Martin se frotte les yeux, étend les bras et commence son monologue : « Ah! qu'un moment de sommeil m'a fait de bien! J'ai reposé tranquille, sur cette pierre, mieux que dans le lit d'un courtisan, » etc. Ces mots offraient un si étrange contraste avec le vacarme infernal qui ve- nait d'avoir lieu, que la salle entière fut prise d'un rire étourdissant, précurseur du pardon. Aussitôt Martin aborde son grand air, et les bravos succèdent aux sif- flets 1 . Dans la Créole de la Morlière (1754), un valet, après avoir fait à son maître le détail d'une fête, lui demande ce quil en pense : « Que tout cela ne vaut pas le diable ! » répond celui-ci. Le parterre répéta ces mots en chœur, et la pièce ne fut pas achevée. Beaubourg jouait Mithridate. Monime (mademoiselle Le- couvreur) lui dit: « Seigneur, vous changez de visage.— Laissez-le faire! » cria-t-on de la salle. On sait que Beau- bourg était fort laid. Mais, contrairement aux Anecdotes dramatiques, Lemazurier rapporte cette anecdote à l'ac- teur Dumirail. C'est une chose fâcheuse pour un acteur, et qui ne 1 Audibert, Indiscret, et confia., 113. CHAI'. XII. - GAIETES DE PARTERRE. 107 manque jamais de frapper le public, que la dissemblance entre sa figure et son rôle. Ce fut ce qui rendit les débuts de Lekain si pénibles. Les Mémoires de Préville nous ont conservé la mésaventure de ce comédien de taille exiguë, qui, ayant choisi pour début l'Achille d'iphiyénie, ne put être sauvé des risées du parterre ni par la protection du maréchal de Richelieu, ni par la cabale qui le soutenait, ni par son propre talent, quand il arriva à ce vers, assez mal placé dans sa bouche : Rendez grâce au seul nœud qui retient ma colère. La salle s'égaya si bien, surtout en comparant cet Achille pygmée à Eimposant Agamemnon, représenté par Larive, qu'il fallut baisser le rideau. Dans E Adélaïde Diiguescliri de Voltaire, telle qu'elle fut donnée d'abord, il y avait un personnage qui demandait à Coucy : Es-tu content, Coucy? A quoi tout le parterre se hâta de répondre : Coussi, coussi. Les applications n'étaient pas toujours si gaies. Ainsi, le jour où mademoiselle Raucourt rentra par Phèdre y le public lui appliqua avec une juste, mais bien cruelle sévérité, certains vers de son rôle. Lorsqu'elle dit : De l'austère pudeur les bornes sont passées, on lui prodigua sans pitié les plus terribles applaudisse- ments. Quand elle en fut à ce passage : Je sais mes perfidies, Œnone, et ne suis point de ces femmes hardies Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix, Ont su se faire un front qui ne rougit jamais, 168 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. « Oh! je vous demande pardon ! » luicria-t-on de toutes parts. De même, la Terreur passée, Dugazon, rentrant par le valet des Fausses Confidences, fut souffleté d'une triple bordée d'applaudissements lorsque son maître lui dit : « Nous n'avons pas besoin de toi, ni de ta race de ca- nailles. » On donnait VAndronic, de Campistron, pour le début d'un acteur arrivé de Lille, qui déplut souverainement. Quand il vint à réciter ce vers : Mais pour ma fuite, ami, quel parti dois-je prendre? une voix, qui n'était pas celle de l'acteur en scène, lui répondit : L'ami, prenez la poste, et retournez en Flandre 1 . Un jour, une actrice laide et désagréable se trouvait en scène. Depuis longtemps elle agaçait les nerfs des specta- teurs. Enfin elle arrive à ce passage : Que faites-vous, seigneur, et que dira la Grèce? On lui répond du fond de la salle : Que vous êtes, madame, une laide b ! Je n'ose achever, mais la voix acheva tout à cru. Au début de YArgélie (1675), de l'abbé Abeille, une actrice demandait â une autre : Ma sœur, vous souvient-il du feu roi notre père? 1 Ce vers est tiré de la Fille capitaine, de Montileury ^1669) : Demain je prends la poste et je retourne en Flandre, dit Angélique, acte IV, scène ix. CHAR. XII. GAIETES DU PARTERRE. 169 Celle-ci hésita un moment. Il n'en fallut pas davantage pour qu'un plaisant (c'est le terme reçu) se chargeât aus- sitôt de répondre à sa place par ce vers du Geôlier de soi- même, de Th. Corneille : Ma foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère. L'anecdote est devenue populaire. La Mégare de Morand (1748) finit par la mort de pres- que tous les personnages. Le parterre, dit Collé 1 , a de- mandé au seul qui restait la liste des morts et des blessés. Mais la rigueur et les sifflets de l'auditoire, en cette occa- sion, pourraient bien avoir été la vengeance du peu de respect que l'auteur lui avait témoigné, dix ans aupara- vant, à la première représentation de son Esprit de di- vorce, où il avait peint sa belle-mère et sa femme, avec lesquelles il était brouillé. Après la représentation, il en- tendit critiquer le rôle de la belle-mère comme hors de toute vraisemblance; en sa double qualité d'auteur et de méridional, il ne se put contenir et s'avança sur le bord du théâtre : « Messieurs, fit-il, il me revient de tous côtés qu'on trouve que le principal caractère de ma pièce n'est point dans la nature : ce que je puis vous assurer, c'est qu'il m'a fallu beaucoup diminuer de la vérité pour vous le présenter. » Cette harangue donna matière à bien des 'questions qui éclaircirent l'histoire que l'auteur avait eue en vue dans sa comédie. Malheureusement, quand, à la fin du spectacle, on annonça la même pièce pour le lende- main, quelqu'un se mit à crier : « Avec le compliment de l'auteur; » ce qui irrita si bien notre Provençal, qu'il prit son chapeau et le jeta dans le parterre en disant : « Celui qui veut voir l'auteur n'a qu'à lui rapporter son chapeau. » Un exempt vint arrêter le poète, et lé lieu te- 1 Journal, I, 14, in-8. 170 CURIOSITES THEATRALES. liant de police lui défendit de se montrer à aucun spec- tacle pendant deux mois 1 . Lorsqu'on eut fini de jouer le Jaloux de Beauchamps, au Théâtre-Italien (1725), le troisième acte n'ayant fait que répéter les situations des deux autres, on demanda du parterre : « Le dénoûment! le dénoûment! » Un mot analogue el plus joli fut prononcé dans la salle quand on donna VÊponine de Chabanon (1762). L'exposi- tion du sujet n'a lieu, à proprement parler, qu'au troi- sième acte, et les deux premiers languissent sans but déterminé. A la fin du second : « Je m'en vais, dit froide- ment un spectateur, puisque décidément ils ne veulent pas commencer. » Chabanon tenait beaucoup à ce sujet, puisque, onze ans après, il en fit un opéra sous le nom deSabinus, qui ne fut pas plus heureux. De cinq actes, il le remit en quatre , sans plus de bonheur. « Le public est bien ingrat de s'ennuyer, disait à ce propos Sophie Arnould, quand on se met en quatre pour lui plaire. » A la représentation du Fabricant de Londres, de Fenouil- lot de Falbaire (1771), on vient annoncer sur la scène la banqueroute du marchand : « Ah ! morbleu ! s'écria alors un spectateur, j'y suis pour mes vingt sous ! » Jamais peut-être le parterre ne s'amusa si bien, ou du moins jamais il ne s'amusa mieux qu'à la représentation des Arsacides de M. de Beausobre, tragédie en six actes, que les comédiens avaient reçue dans un moment de. dis- traction. Préville fut si frappé de Yéternelle déraison de cet ouvrage, qu'il décida ses confrères à offrir une forte somme d'argent à l'auteur pour qu'il retirât sa pièce. Mais celui-ci, qui avait alors soixante ans, et qui en avait passé trente à la faire, ne voulut rien entendre. Les Arsa- cides furent hués d'un bout à l'autre; les comédiens vou- 1 Des Boulm., Hisl. de "Op. -Corn., IV, p. 314. C 11 Al'. XI t. — GAIETÉS DU PARTE IU\E. 171 laient se retirer au deuxième acte; mais on les força d'a- chever, tant cela était plaisant. Le lendemain, l'auteur vint à l'assemblée des acteurs, prédisant le plus briilant succès à sa tragédie, si ces messieurs voulaient lui per- mettre de les faire répéter, et surtout lorsqu'il y aurait adjoint un septième acte. On aima mieux s'en débarrasser par une indemnité qu'il accepta enfin », La représentation du Jeune Homme, de Bastide (1764), fut marquée par les mêmes incidents, quoique la pièce eût été applaudie aux premières scènes. A partir de la lin du premier acte, les huées et les rires ne discontinuèrent pas. Au commencement du troisième, un spectateur des troisièmes loges ayant élernué d'une façon retentissante, il ne fut plus possible de poursuivre. Après cette pièce, il faut mentionner encore une pasto- rale de madame Chaumont, où l'hilarité convulsive et les applaudissements ironiques dépassèrent toutes les bornes -. Une représentation qui put rivaliser avec celles-là, ce fut celle de Dumouriez à Bi-uxelles, d'Olympe de Gouges (23 janvier 1 795). Au moment où mademoiselle Candeille allait nommer l'auteur de la pièce, qui avait été cruelle- ment située, on vit sortir d'une première loge une tête de femme mûre, le bonnet placé de travers, les cheveux en désordre : « Citoyens, s'écrie-t-elle, vous demandez l'auteur : c'est moi, Olympe de Gouges. Si vous avez sifflé ma pièce, ce n'est pas qu'elle fût mauvaise, c'est qu'elle a été horrible- ment jouée. » Mademoiselle Candeille s'empressa de pro- tester contre cette déclaration, accueillie par de gigan- tesques éclats de rire. Olympe protesta à son tour, se 1 Mémoires de Prêville, p. 55-8. 2 Bachaumoiit, XXIV, p. 316. 17-2 CURIOSITES THEATRALES. débattant comme une furie; mais il lui fallut quitter la partie, et elle prit la fuite, escortée par les couloirs de huées et de sarcasmes. A la secondé représentation, le parterre jugea à propos d'interrompre la pièce en s'élançanl sur le théâtre, où il se mit à danser la Carmagnole autour de l'arbre de la liberté en carton, qu'on y avait inauguré. Quelquefois ce qui excitait la jubilation du parterre ( j t suffisait à y faire naître des scènes de fou rire et d'inex- tinguibles applaudissements, c'était, dans telle pièce nou- velle, l'un de ces vers baroques comme ceux dont on a conservé la mémoire : Crois-tu d'un tel forfait Manco-Capac capable? [Manco-Capac de Leblanc). On m'appelle à régner... Mon père, en ma prison, seul à manger m'apporte... J'habite la montagne et j'aime à la vallée. (D'Aulincourt, le Siège de Paris.) Il arrivait souvent au parterre, chez nous, soit dans les opéras, soit dans les comédies mêlées de couplet, telles que la Partie de chasse de Henri W, le Déserteur, etc., de joindre sa voix à celle des acteurs, et de répéter Pair en chorus. Les Anecdotes dramatiques rapportent souvent des traits pareils, et le Spectateur, anglais l vient encore à l'appui en écrivant : « Cette envie de chanter de concert avec les acteurs est si dominante en France, que, dans une chanson connue, j'ai vu quelquefois le musicien de la scène jouer à peu près le même personnage que le chantre d'une de nos paroisses qui ne sert qu'à entonner le psaume, et dont la voix est ensuite- absorbée par celle de tout l'auditoire. » 1 Vingt-troisième discours. CHAP. \IU. — ACCIDENTS COMIQUES. 173 On nous pardonnera de n'avoir pas traité plus grave- ment un chapitre intitulé les Gaielés du parterre. CHAPITRE XIII Accidents comiques , maladresses , bévues sur la scène. Chutes de pièces amenées par de petites causes. Molière jouait le rôle de Sancho dans un Don Quichotte peu connu, qui n'est pas la pièce de Guérin de Bouscal. Il attendait dans la coulisse, monté sur son âne, le moment d'entrer en scène, quand l'animal, opiniâtre comme tous ceux de son espèce, et pris de la soif de débuter, se mit dans la tête d'avancer sans en avoir reçu le signal. Mo- lière essaye de le retenir, mais en vain : la bête s'obstine de plus en plus, en dépit de la bride et des coups; elle passe la tête, elle tire; toute la salle aperçoit bientôt l'auteur du Misanthrope luttant contre le maudit âne et appelant en vain au secours. Enfin, vaincu, il est obligé, Absalon volontaire, de rester suspendu à une branche à laquelle il s'était accroché pour mieux résister, et l'âne, satisfait de son triomphe, se pré- cipite sur la scène en poussant de petits cris de bonheur 1 . Baron, ayant pris à soixante-hiiit ans (1721) le rôle du jeune Misaël dans les Machabées, de la Motte, ne put se relever lorsqu'il se jeta aux pieds de Salmonée. Pareil ac- 1 f.rimarest, Vie de Molière. 174 CURIOSITES THÉÂTRALES. cident lui arriva en jouant Rodrigue du Cid, et, connue il restait trop longtemps aux genoux de Chimène, deux garçons de théâtre furent obligés de venir le remettre sur pied en le prenant par-dessous les bras. Mistress Hamilton était si puissante, que les valets de théâtre pouvaient à grand'peine enlever le fauteuil où elle s'était jetée pour mourir, dans le rôle d'Aspasie, de Tamerlan. Ce que voyant, la compatissante morte leur dit de replacer le fauteuil à terre, fit une belle révérence au public et s'en alla sur ses pieds. Un acteur, dans le rôle d'Harpagon, se laissa tomber en courant et en criant: Au voleur! à la scène de la cassette. •Mais il eut la présence d r espritde continuer son rôle par terre, comme un homme écrasé par le désespoir. Cette chute n'est-elle point même passée en tradition? J'ai vu du moins jouer cette partie du rôle ainsi. 11 y a plusieurs jeux de théâtre qui n'ont eu que des hasards pareils pour origine. La jarretière de Baron se détacha un jour, dans le Comte d"Essex; comme il ne se trouvait alors en scène qu'avec le traître Cecil, qu'il pouvait traiter avec hauteur, il en profita pour la remettre en lui parlant, dans une at- titude dédaigneuse; et, depuis, beaucoup d'acteurs ont essayé de l'imiter au môme endroit 1 . Mademoiselle Duclos, jouant Camille, dans Horace, tomba sur la scène, après ses imprécations, en fuyant trop précipitamment. Beaubourg, qui représentait Horace, ôte civilement son chapeau, tend la main à Camille pour la relever, en vrai chevalier français ; puis, redevenant Romain dans la coulisse, il la poignarde. La chute de mademoiselle Duclos nous rappelle celle de mademoiselle Beauménard, dite Gogo, qui est restée his- torique, et aux suites de laquelle sa compagne de scène 1 Anecd. drain., III, 490-2. CHAP. XIII. — ACCIDENTS COMIQUES. 175 s'empressa de .remédier, en rabaissant pudiquement sa robe. Un acteur dont le talent ne répondait pas à la suffi- sance, débutant par le rôle du Glorieux, s'embarrassa dans le tapis en sortant avec Lisimon, à la fin du second acte, et se laissa choir. Au même instant, Pasquin, resté seul sur la scène, eut à dire ce vers de son rôle : Voila mon Glorieux bien tombé ! . . . ce qui, appliqué à la double chute de l'acteur, provoqua un rire universel 1 . Puisque nous en sommes sur ces aventures, en voici une autre qui serait parfaitement placée dans un roman de Paul de Kock Elle se passa aux débuts de Bellecourl, à Besançon. Il jouait Nérestan avec un costume superbe et plein de couleur locale : une culotte de velours, qui avait servi à mademoiselle Clairon dans une pièce à travestis- sements, une bourse à cheveux garnie en dentelles noires, et des souliers à talons rouges avec une belle paire de boucles de diamants faux. « Au moment le plus pathéti- que de la reconnaissance, lorsque Nérestan se jette aux pieds de Lusignan, cette culotte de velours, qui n'avait point été prise sur les proportions opulentes de Bellecourt, se déchira en deux, de manière que Nérestan ne put se relever qu'en tenant à deux mains le malencontreux vê- tement, dent il fallut refaire la couture dansVentr'acte 2 . Les lapsus lingux des acteurs fourniraient à eux seuls un des chapitres les plus amusants de l'histoire du théâtre. Sur la scène athénienne, llégelochus faillit faire tomber 1 Anecd. dram., III, 495. - I.emazurier, Galerie, eic, 1. 157. I7« CURIOSITES THÉÂTRALES. VOreste d'Euripide par une iuadvertance.de prononcia- tion, à l'un des endroits les plus dramatiques. Dans la scène où ce prince reprend l'usage de ses sens, après ses accès de fureur, n'ayant pas ménagé sa respiration, il fut obligé de séparer deux mots qui, selon qu'ils étaient élidés ou non, formaient deux sens très-différents. Il avait à dire: « Après l'orage, je vois le calme, -yaXwà ô'pa>; mais, obligé de s'arrêter après le premier mot, il prononça -yaXr,v ô'pw, je vois le chat. » On juge de l'effet produit 1 . Certains acteurs s'amusent, pendant les répétitions, à substituer à quelques mots de leurs rôles des variantes plus ou moins comiques et assez hasardées. Il est arrivé plus d'une fois que, le jour de la représentation venu, ils ont été les dupes de cette habitude. Scarron, dans le Roman comique (11, ch. m), rapporte un exemple qui est certainement la reproduction d'un fait réel. C'est celui de ce page qui, chargé de jouer par occasion dans la Bradamante, de Garnier, et n'ayant que deux vers à dire dans toute la pièce, les arrangea ainsi : Monsieur, rentrons dedans, je crains que vous tombiez; Vous n'êtes pas trop bien assuré sur vos jambes. La princesse palatine, dans sa lettre du 18 mars 1701, cite un trait de distraction analogue, qui serait encore plus plaisant, s'il n'était un peu grossier, de la part d'un acteur jouant le rôle de Géronte dans le Médecin malgré lui. La même princesse raconte aussi l'anecdote suivante, à la date du 46 juin 1719. A Dunkerque, il arriva à un acteur, qui jouait Mithridate devant la cour, de laisser échapper un mot grossier en parlant à Monime. Il se re- ' Anacharsis, VI, 168. CHAI'. Mil. - ACCIDENTS COMIQUES. 177 tourna aussitôt, tout honteux, vers la loge occupée par la Dauphine, en disant: « Madame, je vous demande tiès- humblement pardon; la langue m'a fourché. » Le prince de Conti, assis au-dessus de l'orchestre, fut pris d'un tel accès de fou rire, qu'il en tomba. Dans sa chuté, il veut se rattraper à la corde du rideau : le rideau s'abat sur les lampes et prend feu . On éteignit aussitôt ce commencement d'incendie, niais il resta un grand trou au rideau. Les co- médiens ne firent semblant de rien et continuèrent la pièce, quoiqu'on ne les vît qu'à travers ce trou. si Citons encore, sans prendre le moins du monde la res- ponsabilité de ces anecdotes courantes, l'écolier qui, dans une pièce de collège, ayant un rôle de deux mots: «Son- nez, trompettes! » s'écria, dans son émotion : « Trompez, sonnettes. Et ce comédien de profession, né pour moucher les chandelles, qui, ayant à dire: C'en est l'ait, il est niorl, s'écria avec componction : C'en est mort, il est fait. Et cette actrice de province, jouant Camille, qui dit à son frère et à son amant : Que l'un de vous me tue et que l'autre me mange 1 . Et cette autre qui, chargée du rôle d'Àgrippine, au lieu de: Mit Claude dans mon lit, et Rome à mes genoux, 4 Anecd. dramat., II, 579; 1, 43o. 1-2 J7N CURIOSITÉS THÉÂTRALES. se trompa ainsi : Mit Rome dans mon lit, et Glaude à mes gehouk; Un jour, Quin, jouant le juge Balance, dans l'Officier recruteur, de Foote, eut Une singulière distraction : en in- terrogeant mistress Woffingtoh, qui faisait la fille du juge: « Sylvia, lui dit-il, quel âge aviez-vous quand votre mère se maria? » L'actrice restant interdite, il se reprit: « Je vous demande quel âge vous aviez quand votre mère naquit. » — « Je regrette de ne pouvoir répondre à cette question, répliqua celle-ci; mais je puis vous dire, si vous le désirez, quel âge j'avais quand elle mourut. » Un -singulier cas de lapsus linguœ fut commis par Facteur Mengozzi aux Variétés. On jouait la Pièce sain A, d'un nommé Rondel, et le public était accouru pour voir ce phénomène d'une comédie tout entière, probablement exécrable, mais où il n'y avait pas un seul a. La toile se lève: Duval entre sur la scène d un côté, et Mengozzi de l'autre. La première phrase que prononce celui-ci est : « Ah ! monsieur, vous voilà! » Tout le monde part d'un éclat de rire. C'était mal débuter pour une pièce sans a. Heureusement, Mengozzi tend l'oreille au souffleur, et recommence : « Eh ! monsieur, vous voici ! » Auger, excellent valet de comédie, eut plus d'une fois de ces lapsus, et de moins pardonnables encore, qui sont restés célèbres au théâtre. C'est lui qui disait candidement, en plein Théâtre-Français: Et si, dans la province 11 se donnait en tout vingt coups de nerf de bœuf,. . Mon père, pour sa part, en enipocjiait dix-huit. Auger, avec tout son esprit, n'avait jamais pu se mettre dans la tête ce que c'est qu'un vers, et il lui arriva main- CHAP. XIII. - ACCIDENTS COMIQUES. 179 tes fois d'allonger ou cTaccourcir incongrûment ceux qu'il avait à dire. C'était autant chez lui manque d'instruction que manque de mémoire. Et, à propos de manque de mémoire, voici quelques traits de présence d'esprit que doivent méditer ceux qui y sont sujets. Un acteur de province, nommé Le Cocq, jouait Achille dans Iphigênie, et il avait remporté les applaudissements universels, lorsque, au dernier acte, après ce vers : Le prêtre deviendra ma première victime, la mémoire lui manqua tout à coup. Mais, au lieu de s'interrompre pour écouter le souffleur, et de perdre par là l'effet d'une sortie brillante, il continua avec la même impétuosité jusqu'à la fin, déclamant à tort et à travers des mots sans suite; enfin, il termina ainsi sa tirade avec tant de véhémence qu'il fut frénétiquement applaudi. Ce n'est pas là chose si incroyable qu'on pourrait pen- ser. Il est facile de duper les oreilles et les esprits de la foule par le geste, le débit, l'expression du regard et de la voix. Un des plus singuliers exemples est la mystifica- tion suivante de Dugazon (1793), enfant gâté du public, surtout à cette date: et se permettant tout : « Il était dans les coulisses, raconte M. Charles Maurice 1 , au moment d'un entr'acte de tragédie. Tout à coup il s'engouffre dans le manteau rouge d'Othello, fait lever la toile, et s'avance en capitan jusque sur le bord de la scène. Les spectateurs se taisent et attendent. Alors, les yeux hagards et fixés sur la rampe, Dugazon prononce d'abord d'une voix ca- verneuse : « Un quinquet!... Deux quinquets /... Trois quinquets!... et ainsi jusqu'à dix, en marchant et en im- primant à chaque exclamation une vigueur ascendante 1 Hist. aneed.duth., 1,58. 180 CURIOSITES THEATRALES. si bien accentuée, si sérieuse, qu'il tient l'auditoire stu- péfait et comme enchaîné sous la pression d'une puissance magnétique. La scène jouée, peut-être la gageure gagnée» Dugazon se drape avec fierté, et s'éloigne en héros qu'a- giterait la passion la plus fougueuse. Alors un tonnerre d applaudissements l'accompagne. » Mademoiselle Fanier, se trouvant arrêtée au second acte de la Métromanie (deuxième scène), où elle jouait Lisette, après ce vers : Et je prétends si bien représenter l'idole... ajouta ce vers, d'autant plus en situation, qu'elle faisait en' effet une soubrette étudiant un rôle qu'elle va jouer sur un théâtre de société : Mais j'aurai plus tôt t'ait de regarder mon rôle. Elle le tira alors tout naturellement de sa poche, tel qu'elle l'avait déjà montré dès la première scène (où elle disait: Témoin ce rôle encor qu'il faut que j'étudie). Ainsi elle eut le temps de se remettre et de rafraîchir ses sou- venirs, sans que le public se doutât de rien. Un vieux comédien était si habitué à faire sonner la rime et à cadencer les vers, qu'une fois, dans ce passage de Milhridale : Quand le sort ennemi m'aurait jeté plus bas, Vaincu, persécuté... ne se rappelant pas assez tôt le dernier hémistiche du se- cond vers, il continua, en y substituant machinalement : tati, tatou, tala 1 . Comediana, 2S. CHAP. XIII. — ACCIDENTS COMIQUES. 181 On a conservé le trait de Bonneval qui, dans Y Avare, dissimula, avec un sang-froid si ingénieux, le manque de mémoire de mademoiselle Doligny qui faisait Marianne. A la scène vu du troisième acte, Géante témoigne sa sur- prise du choix que son père a fait de Marianne; Harpagon se récrie contre ce compliment, et Marianne répond à son tour. Comme elle ne disait rien, et que personne ne son- geait à l'aider : « Elle ne répond rien, elle a raison, reprit sur-le-champ Bonneval, à sot compliment, point de ré- ponse. » 11 est vrai que le souffleur est là pour secourir la mémoire troublée des acteurs ; mais le souffleur ne suf- fit pas toujours. Du reste, il a aussi sa légende dans l'histoire comique des accidents de la scène. On jouait à Lunéville la Mélanide de la Chaussée. L'acteur qui repré- sentait Darviam manqua de mémoire à tel point, au mo- ment de la déclaration d'amour, que le souffleur fut obligé de réciter toute la tirade à haute voix. Lorsqu'il eut fini, Darviam se tourna, sans se déconcerter, vers l'actrice : « Mademoiselle, reprit-il, comme monsieur vous a dit... » etc., en montrant le souffleur. On peut juger de l'hilarité-du parterre à ce beau sang-froid. Un autre, dans le même cas, dit naïvement au souffleur, assez haut pour être entendu : « Taisez-vous ! laissez-moi rêver un moment. Morbleu! je le savais si bien ce matin M » Voyez- vous comme cela était propre à entretenir l'illu- sion scénique! Un des principaux acteurs de la Comédie-Française s'arrête court, dans une tragédie, à ce passage : J'étais dans Rome alors... Il eut beau recommencer deux ou trois fois, il ne trou- 1 Annal, dram.. VIII, 585, 209. 182 CURIOSITES THEATRALES. vait pas la suite. Voyant que le souffleur, distrait ou dé- concerté, ne le tirait pas d'embarras : « Eh bien, maraud, lui dit-il avec dignité, que faisais-je dans Rome ? » Un jour Firmin, qui avait peu de mémoire, jouait dans une pièce nouvelle le rôle de Camille Desmoulins. C'était dans la scène où Fouquier-Tinville, représenté par Gef- froy, refuse la parole aux accusés : « Misérable! s'écrie Camille; scélérat de... Monstre de...» Le nom ne lui venait pas : le souffleur inexpérimenté, beaucoup plus occupé du jeu de physionomie de Geffroy que du manuscrit, et s'aperce van t tout à coup de l'em- barras de Firmin, perd la tête et lui lance le nom de Gef- froy. Et Firmin de répéter : « Monstre de Geffroy ! » Ce qui termina par un long éclat de rire l'acte le plus pathétique de la pièce '. On connait cette délicieuse historiejte, racontée par Tal- lemant des Réaux, d'un amateur de province qui, voulant jouer à toute force dans une pièce, obtient le rôle du sang d'Abel, et traverse la scène couvert d'un manteau rouge, en criant : Vengeance ! vengeance ! Voici un autre trait qui rappelle celui-là par quelques points. Des Boulmiers le raconte trop bien 2 pour que je ne lui laisse pas la pa- role, en m'excusant près du lecteur au sujet de certain détail peu attique : « Un nommé Léger, domestique de Favart, animé par l'amour des arts, et voulant consacrer les siens au théâtre, débuta dans la parodie de Thésée à la foire Saint Germain (1745), parla moitié d'un bœuf. Pour faire entendre ceci, il est nécessaire d'expliquer que, dans le triomphe de Thésée, la monture de ce héros était le bœuf gras, figuré Jouslin de la Salle, Sonv. dram. [Revue française, n° 109. Hist, de V Opéra-Comique, I, 457. CHÀP. XIII. - ACCIDENTS COMIQUES. 183 par une machine de carton qui se mouvait au moyen de deux hommes renfermés dans l'intérieur, le premier de- bout, mais un peu incliné ; le second, la tête appuyée sur la chute des reins de son camarade. Léger obtint la pré- férence pour faire le train de devant. Gonflé d'aliments et de gloire, il lâcha une flatuosité qui pensa suffoquer son collègue. Celui-ci, dans son premier mouvement, pour se venger de l'effet sur la cause, mordit bien serré ce qu'il trouva sous ses dents. Léger fit un mugissement ' -♦«Wû. le bœuf ffras *p fe*iyr* ~~ J eiiuuv«iii ^^ , -. . _ -.,r ^ wpaia en ueux : une moi- tié s'enfuit d'un côté, une moitié de l'autre, et le superbe Thésée se trouva à terre étendu de son long. On eut beau- coup de peine à continuer la pièce. A peine était-elle achevée, que l'on entendit une grande rumeur : c'était Lé- ger, qui, prétendant que son camarade lui avait manqué de respect, se gourmait avec lui sur le cintre. Après avoir disputé sur la prééminence du train de devant et du train de derrière, ils en étaient venus aux coups. Le pauvre Léger pensa en être la victime : il tomba du cintre; mais, par bonheur, il fut accroché par un cordage qui le sus- pendit à vingt pieds de haut. » Pendant une représentation de la même pièce, une ac- trice écoutait dans la coulisse les fleurettes d'un amou- reux sexagénaire. Tout à coup, elle entend sa réplique au moment où celui-ci se précipitait à ses genoux pour lui baiser la main : elle l'écarté brusquement, et entre en scène sans s'apercevoir que la perruque du vieil Adonis s'est, dans ce mouvement, accrochée aux paillettes de sa robe. Un applaudissement général s'éleva à la vue de ce trophée chevelu, et devint convulsif quand on vit sortir d'une coulisse une tête pelée, à l'enquête de sa dépouille. Sans se déconcerter, l'actrice détacha la perruque, qu'elle avait aperçue en s'inclinant pour remercier les specta- teurs de leurs applaudissements, et elle continua majes- tueusement son rôle. W* CI MIOSITKS THÉÂTRALES. ïl arriva pis encore à un autre Céladon, non moins sexagénaire, à l'Opéra. C'était un financier qui inquiétait le machiniste en rôdant trop souvent autour de made- moiselle Saulnier, que celui-ci aimait. Aussi, voulant se venger, il profita du moment où : la toile étant baissée, son rival posait le pied sur un nuage, pour donner le coup de sifflet qui était le signal de l'élévation de ce nuage vers les frises. Au lever du rideau, tout le public de l'Opéra put admirer le majestueux financier, en perruque et en grand «îlpt. mordoré, montant dans les airs, à côté de Minerve. o représentée par mademoiselle Saulnier. L'insuffisance du matériel et de la mise en scène a sou- vent donné lieu à des incidents comiques, comme celui que rapporte Otto Mûller, dans sa Vie de Charlotte Ac- kermann. C'était lors d'une représentation d'Hamlet à Al- tona. Le théâtre n'avait point de trappe, et on y avait suppléé, dans la scène où l'ombre doit s'évanouir sous terre, en levant une planche et en disposant par-dessous une petite échelle. Le fantôme était représenté par le di- recteur, gros réjoui à face rebondie; si bien que, désespé- rant, avec sa taille et des mo} r ens si peu commodes, de pouvoir disparaître assez promptement après son dernier mot, il prit ses précautions d'avance, et descendit d'abord le premier échelon, gesticulant et déclamant toujours. Les jambes, puis le ventre passèrent, non sans difficulté; ce fut seulement lorsqu'il fut parvenu au quatrième éche- lon que fénorme tête disparut, en même temps que ces- saient les grimaces et la déclamation du fantôme. La chronique des petits théâtres nous fournirait par milliers des anecdotes semblables; nous nous bornerons à quelques-unes. On jouait Roméo et Juliette aux Délas- sements, sous la Révolution. Madame Deharme, au cin- quième acte, était couchée sur son tombeau et faisait ad- mirablement la morte. Mais il pleuvait à torrents, et la CHÀP. XIII. — ACCIDENTS COMIQUES. 185 pluie filtrait à travers les ardoises du pauvre théâtre, fort mal couvert. Une goutte vint tomber sur le nez de Juliette qui remua la tête en faisant une grimace; seconde goutte, seconde grimace. Roméo se tuait à lui dire à voix basse : « >"e remue clone pas. » Mais la goutte d'eau, qui tombait de très-haut, lui donnait chaque fois une assez forte chi- quenaude. Elle se mit à l'épier, et au moment où elle ar- rivait, détourna la tête. \z goutte lui tomba dans l'œil. Pour le con^ on s ' a p er ç U t dans la salle de ce qui se "passait. Chacun se mit à contempler les gouttes qui fil- traient au plafond. « La voilà! disait l'un. — Gare l'eau! disait l'autre. — Madame, cria un malin en se levant, vou- lez-vous accepter mon parapluie? » La tragédie finit très- gaiement 1 . Quelquefois, c'était le désir de trop bien faire qui ame- nait sur la scène des accidents risibles. Un trait rapporté par les Mémoires d'ifland montre qu'il est dangereux de vouloir imiter trop scrupuleusement la nature. En- gagé au théâtre de -Gotha, il était allé faire avec deux camarades une promenade nocturne aux environs ; tous trois se trouvèrent dans un village, au pied du clo- cher, à l'instant où l'horloge sonnait minuit. L'apparition du fantôme dans Hamlet, qu'ils étudiaient' alors, leur vint aussitôt à l'esprit : il leur sembla que le battement mo- notone du balancier et le bruit lugubre des rouages avant la sonnerie, feraient merveille sur la scène, et, le lendemain, ils firent adopter leur idée au machiniste en lui recommandant le secret envers tout le monde. La représentation venue, au moment où Hamlet et l'esprit sont en scène en face l'un de l'autre, et où l'esprit com- mence à parler, un bruit désagréable et uniforme se fait entendre. Hamlet se retourne, l'esprit regarde autour 1 Mémoires de mademoiselle Flore, I, p. 169. 186 CURIOSITÉS THEATRALES. de soi ; le public rit. Le machiniste, ignorant ce qui se - passe, continue de plus belle; la rumeur et les rires du public arrivent à leur comble, et les acteurs ne peuvent plus se faire entendre. On court au machiniste, qui se dé- fend, en citant ses autorités, et frappe toujours plus vite, ,i dans le feu de son apologie, sa baguette de fer sur ses , deux planches, ï/esprit fut obligé de quitter la scène, et ■ le directeur de faire baisser io ICll*;- Powell, acteur anglais renommé, eut 1*a&£, un soir > ; en sortant de scène, d'un certain Warren, qui rhabillai* J et le coiffait dans la Belle Pénitente, de Rowe, et il se mit à l'appeler dans les coulisses, où celui-ci se tenait ordi- ] nairement à sa disposition. Mais cette fois, Warren, ayant voulu employer ses loisirs, et pris de la soif des débuts, s'était proposé pour remplacer le cadavre de Lothario. Il était donc couché dans le cercueil en face du public. Il tressaillit en entendant la voix de plus en plus furieuse de Powell, qui ne brillait point par sa patience: «Où es-tu, misérable? » criait celui-ci. 11 ne put s'empêcher de se relever un peu et de répondre : « Ici, monsieur. — j Viendras -tu ! reprit Powell, ignorant d'où partait la voix, — ou je te brise les os ! » Warren, l'en sachant ca- pable, s'élança, effrayé, hors du cercueil, traînant son linceul après lui, et renversant sur son passage l'actrice qui jouait Caliste, aux éclats de rire du public 1 . Mistriss Farrel, maltraitée par le public dans le rôle de Zaïre de la tragédie the Mourning bride, surtout au mo- ment où elle mourait, étendue sur la scène, se releva, et, s'avançant vers la rampe, dit aux spectateurs qu'elle était bien fâchée de ne pouvoir mériter Jeurs suffrages, mais que, n'ayant accepté ce rôle que par complaisance, elle espérait qu'on voudrait bien l'excuser. Après quoi eile 1 Lucas, Curioftil. dram., p. 309. CHAP. XIII. — ACCIDENTS COMIQUES. 187 s'alla recoucher au milieu des muets, qui couvrirent son visage du voile funèbre. A une représentation du Roi Lear, à Londres, lorsque Garrick fondait en larmes sur le corps de Cordelia, on s'a- perçut que sa physionomie prenait tout à coup une ex- pression bien éloignée de celle qu'il devait avoir. Tous ceux qui l'environnaient parurent agités au même moment d'une égale hilarité, qu'ils pouvaient réprimer à peine. Cordelia elle-même, ayant ouvert les yeux par curiosité, finit par se sauver en éclatant de rire, avec Albani et Kent Les spectateurs les crurent atteints d'un accès de folie; mais voici ce qu'ils avaient vu : Un boucher était venu s'asseoir à l'orchestre, accompagné de son boule- dogue, qui, ayant l'habitude de se placer sur le fauteuil de son maître, crut pouvoir user du même privilège au spectacle. Le boucher était très-enfoncé sur son banc, de sorte que le chien, sautant entre ses jambes, se tenait accroupi sur la partie antérieure de ce banc, les deux pat- tes appuyées sur la rampe de l'orchestre. Son maître, gros et gras comme un boucher qu'il était, se sentit oppressé par la chaleur, et, voulant s'essuyer le crâne, il ôta sa per- ruque qu'il plaça un moment sur la tête du chien. Dans cette posture et sous ce costume, le boule-dogue se mit à considérer fixement les acteurs, avec autant de gravité que s'il eût compris. Ce fut alors que Garrick l'aperçut. 11 y avait bien là de quoi faire rire un roi, si infortuné qu'il fût 1 . Une revendeuse de vieux harnais, qui se trouvait aux premières loges, lors d'une représentation au bénéfice d'un acteur de second ordre, à Drury-Lane, s'endormit pendant la pièce. Au moment le plus pathétique, tandis que Garrick et mistriss Bellamy étaient en scène, elle se ' Mémoires- de Préville. [Biblioth. des Mém., chez Didot, in-12, l. VI.) 190-2. 188 CURIOSITÉS THEATRALES. réveilla en sursaut, et se mit à répéter machinalement son cri de toute la journée : « Croupières à vendre ! croupières à vendre ! » ce qui produisit un si bel effet, que la pièce en resta là. Un incident de bien peu d'importance, mais assez co- mique, causa la chute du Callisthène de Piron (l 730), s'il faut en croire son témoignage un peu suspect. A la pre- mière représentation, le poignard qu'on présentait à Cal- listhène, et dont il devait se percer le sein, se trouva en si mauvais état, qu'en passant de la main de Lysimaque dans la sienne, le manche, la poignée, la garde et la lame, tout se disjoignit. L'acteur reçut donc l'arme pièce à pièce, et fut obligé de tenir tous ces morceaux le mieux qu'il put, à pleine main, tandis qu'il déclamait, en gesti- culant de cette main, les vers qui précèdent la catastro- phe. La risée générale éclata surtout au moment où le comédien se poignarda d'un coup de poing et jeta au loin l'arme meurtrière en quatre ou cinq morceaux. On venait de donner, dans une ville de parlement, la tragi-comédie de Samson, où Arlequin a coutume de se servir d'un gros dindon pour parodier le principal per- sonnage, lorsqu'il emporte son père sur ses épaules. Mais le dindon, s'étant échappé de l'endroit où on l'avait en- fermé, parut sur le théâtre, au milieu de l'opéra de Lucile, qui avait suivi la première pièce, et, tout effrayé, s'envola dans une loge occupée par un magistrat, avec toute sa famille, qui ne passait point pour la plus spiri- tuelle du pays. Quelqu'un s'avisa alors de chanter, sur l'air du premier quatuor de cet opéra: Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille? ce qui fut sur-le-champ répété en chorus par le parterre. A la Porte-Saint- Martin, sous la Restauration, on avait imaginé, dans je ne sais quelle pièce, 'de représenter un troupeau de moutons au naturel, afin de produire plus CHÀP. XIII. — ACCIDENTS COMIQUES. J89 d'effet. Mais, lorsqu'ils parurent sur la scène, les applau- dissements éclatèrent avec tant de force, que les maudites bêtes se sauvèrent en bêlant, qui dans les avant-scènes du rez-de-chaussée, qui dans l'orchestre. Ce fut un tableau du dernier comique; les femmes criaient, les musiciens se dé- fendaient avec leurs instruments. Il fallut une heure pour rallier le troupeau, et on revint aux moutons en carton. On sait que les acteurs prennent grand soin de leur per- sonne dans les coulisses, surtout pendant la rude saison, Lafon, le rival de Talma, avait la précaution de se garan- tir les pieds par d'énormes chaussons de lisière. Un soir (13 février 1813), pressé par son entrée, il s'élança sur la scène vers Agamemnon, sans penser aux malencontreuses' pantoufles. Averti par les rires des loges voisines, il des- cendit précipitamment la scène, dissimula ses pieds der- rière le trou du souffleur, et effectua sa sortie avec une précipitation que motivait d'ailleurs la colère de son rôle. Ce héros grec en chaussons de lisière vaut le valet du Menteur en costume de garde national, tel qu'on le vit un jour représenté par Dugazon, arrivé trop tard de son ser- vice pour changer d'habits, et réclamé impatiemment par le public, tout prêt d'ailleurs à prendre la chose comme une preuve de patriotisme. Adolphe Berton , jouant Charles VII, à' Olivier Basselin,. au théâtre de la Renaissance (15 novembre 1838), portait- un casque emprunté au Musée d'artillerie. A un moment dramatique, la visière de ce casque se baissa subitement, et, soit la rouille, soit un secret mécanique, l'acteur ne put le relever, et dut continuerson rôle ainsi. Mais la joie de la salle ne connut pas de bornes en entendant la voix comiquement sépulcrale qui s'échappa de ce globe défera On a l'habitude de se servir, au théâtre, dans les repas, 1 Ch. Maurice, Hist. anecd. du th., I, 17b; II, 18o. 198 QUMOSITÈS ÏÏŒATKALKS. de bouteilles où on a laissé quelque temps séjourner de l'encre, pour que le public ne s'aperçoive pas qu'elles sont vides. Un jour que le magasinier de l'Opéra-Comique avait oublié, volontairement ou non, de vider préalable- ment ce liquide, l'acteur Milhès s'en versa un demi-verre au lieu de vin de Chambertin, et en avala une gorgée. Un comédien du Théâtre -Français avait imaginé de remplacer l'encre par un crêpe noir qui produisait le même effet. 11 avait à déboucher la bouteille en scène : le moment arrivé, il pousse avec trop de vigueur le tire- bouchon qui traverse le liège, saisit le crêpe et l'attire à tous les regards au milieu des éclats de rire 1 . Une autre fois, c'est un célèbre et vieux acteur qui, dans Tragaldabas, laisse choir son râtelier au milieu d'une tirade, le ramasse et le remet en place adroitement, sans discontinuer son rôle 2 . On jouai tl es DeuxChasseurs sur un théâtre de genre. Il faisait un orage affreux. Au moment où le comédien chargé du rôle de l'ours entrait en scène et passait devant le trou du souffleur, un grand coup de tonnerre ébranle la salle. Voilà notre ours tellement effrayé, qu'il se dresse sur ses pieds de derrière et fait le signe de la croix, à la jubilation des spectateurs 3 . Un jour, les amateurs d'une petite ville de province Voulurent décerner une ovation à mademoiselle Georges, qui avait donné quelques représentations sur leur théâtre; ils s'entendirent avec le machiniste, et convinrent que, tandis qu'elle monterait sur le bûcher (dans le rôle de Didon), une couronne descendrait du cintre sur sa tête. Malheureusement, au signal donné, le machiniste se 1 J. Rousseau, Code théâtral, p. 96. - J. Janin, Hist. de la litt. dram., II, 26U. * Brazier, Chron. des pet. th., H, -46. CHAP. XIV. — ACCIDENTS TRAGIQUES. 191 trompa de corde, et fit arriver sur la figure de Didon la seringue de Pourceaugnac. On avait affiché, dans quelque chef-lieu d'arrondisse- ment, la Femme à deux maris. L'acteur qui devait faire le père aveugle s'étant trouvé subitement indisposé, on vint proposer une autre pièce au public, qui n'accepta pas ce changement. Alors un comédien s'offrit à lire le rôle ; on y consentit, et on eut le curieux spectacle d'un aveugle qui lisait avec ses yeux. Arrêtons-nous sur ce beau trait, puisqu'il faut s'arrêter enfin. CHAPITRE XIV Accidents tragiques et malheurs arrivés Sur la scène. Les mystères, avec leur mise en scène excessivement imparfaite et l'inhabileté de leurs acteurs, devaient né- cessairement entraîner assez souvent des accidents plus ou moins graves. Un jour, à Metz, monseigneur Nicolle, curé de Saint-Victor, qui représentait Jésus-Christ , prit tellement son rôle au sérieux, qu'il faillit mourir en croix : heureusement on s'en aperçut à sa physionomie, et on parvint à le décrocher à temps. Un autre, messire Jean de Nicey, chapelain de Métrange, qui faisait Judas, se pendit avec tant de maladresse, que ce ne fut point sa faute s'il en échappa 1 . Mais voici quelque chose de plus 1 L>. Calmet, Hisl. de Loir., il, p. 225. 192 CURIOSITES THEATRALES. complet, qui efface de beaucoup tous les autres exemples que nous pourrions rapporter. On jouait devant le roi de Suède Jean II le Mystère de la Passion. L'acteur qui représentait Jésus-Chrisl était en croix , et celui qui faisait le rôle du centurion Longus, au lieu d'effleurer simplement de sa lance le flanc du crucifié, se laissa emporter par la chaleur de l'action jus- qu'à l'enfoncer, sans s'en rendre compte, dans le corps du malheureux. Celui-ci tombe mort et écrase, dans sa chute, la sainte Vierge. Le roi, indigné, s'élance sur Longus, et, d'un coup de sabre, lui tranche la tête sur les cadavres de ses deux victimes. Mais, à son tour, la foule des spec- tateurs, qu'avait charmés la vérité du jeu de Longus, irri- tée de la brutale intervention de Jean, se jette sur lui et le tue sans sortir de la salle *. C'est chez un peuple et dans une époque encore bar- bare qu'un pareil fait se serait accompli, ce qui en sauve un peu l'invraisemblance; mais il n'est pas besoin de dire que nous n'entendons pas du tout nous en porter garant. Gaubier de Banault, ambassadeur en Espagne, assistant dans ce pays à une représentation de la bataille de Pavie, et voyant un Espagnol terrasser un Français en l'obli- geant à lui demander quartier dans les termes les plus humiliants, sauta sur le théâtre, et, en présence de tout le monde, passa son épée au travers du corps à cet acteur. ; Mondory, le chef de la troupe du Marais, mit un jour i tellement d'ardeur et d'énergie dans le rôle d'Hérode, de la Marianne, de Tristan l'Hermite, qu'il fut surpris d'une ! attaque d'apoplexie pendant la représentation et qu'il resta dès lors paralytique d'une partie du corps. 11 n'en mourut pas toutefois, comme l'ont dit quelques histo- riens du théâtre et comme l'ont répété beaucoup d'autres ,! 1 Encyclopediana. * Anecd. dram., 111, 516. CHAP. XIV. — ACCIDENTS TRAGIQUES. 1-95 car on le voit reparaître, en 1G57, dans V Aveugle de Smyrne, tragi-comédie des cinq auteurs; mais il ne put dépasser le deuxième acte. Le cardinal lui tint compte de sa bonne volonté, en lui donnant une pension de deux mille livres, exemple que plusieurs autres grands sei- gneurs s'empressèrent d'imiter, si bien que Mondory de- vint riche, grâce à sa maladie. Baron le père fut victime d'un accident singulier qui lui arriva sur la scène. Il jouait don Diègue dans le CAd; en repoussant du pied l'épëe que le comte de Gormas lui avait fait tomber des mains, il se piqua. Cetle bles- sure, qui semblait peu de chose, ayant été négligée, s'en- venima peu à peu, et la gangrène s'y mit. Il ne voulut pas qu'on lui coupât le membre malade, disant qu'un roi de théâtre se ferait huer avec une jambe de bois : il aima mieux mourir. Zacharie Montfleury mourut par suite des efforts qu'il avait faits pour représenter au naturel les fureurs d'Oreste, dans Andromaque. Suivant d'autres, il est vrai, ce fut simplement par suite d'une attaque de nerfs qui lui ôta la respiration l ; « Il n'y aura plus de poêle, disait-on à propos de la mort de Mondory et de Montfleury, qui ne veuille avoir l'honneur de crever un comédien en sa vie. » Un peu plus tard, Brécourt se rompait une veine en jouant le rôle principal de Timon, lune de ses pièces, et payait de sa vie l'excès de son zèle dramatique. La longueur et la violence du rôle que joua la Champ- meslé, dans la Médée, de Longepierre, lui causèrent, dit-on , une maladie dont elle mourut , après avoir langui quelque temps. Cependant, la première repré- sentation de celte pièce est du 15 février 1694, et la 1 On peul voir le récit fantastique de «a mort, d'après sa pet i to-tlMe , mademoiselle Desmares (Parfaict, VI, 128*. 13 m CURIOSITÉS THÉÂTRALES. Champmeslé ne mourut qu'en juillet 1698. J'aime donc mieux adopter la version qui rapporte cet événement à la quatrième représentation à'Oreste et Pylade, de la Grange (1697), où elle se serait tout à coup trouvée mal, de manière à ne pouvoir continuer. Peut-être faut-il voir dans ces quatre célèbres acteurs autant de victimes de l'ancienne déclamation théâtrale, si vigoureuse et si ampoulée. On sait comment Molière, ayant persisté à jouer, mal- gré sa toux et son affection de poitrine, qui lui faisaient cracher le sang, se rompit un vaisseau en prononçant le juro du Malade imaginaire, et mourut presque aussitôt après. Comme celui qui avait été son maître, le grand acteur Baron fut, pour ainsi dire, frappé aussi par la mort sur la scène. Il jouait Venceslas (3 septembre 1729); ar- rivé à ce vers ; Si proche du cercueil où je me vois descendre, il ne put aller plus loin et fut obligé de s'arrêter, soit qu'alors, dit Lemazuiïer, il se sentît oppressé par son asthme, soit plutôt par une triste réflexion sur son grand âge, que ce vers lui rappelait. Il se trouva mal ; on l'em- porta, et son rôle fut achevé par Dumirail. Le 22 décem- bre suivant, Baron était mort. Auparavant, il avait failli être victime' de la jalou- sie d'un de ses camarades, Dauvilliers : celui-ci, jouant avec lui la neuvième scène du quatrième acte de Clêopatre, où Éros, après s'être frappé de son épée, la passe à An- toine, lui en présenta une qui avait une pointe ; mais le coup glissa et ne fit qu'effleurer la peau. On attribua ce trait à un dérangement d'esprit de cet acteur, qui, en ef- fet, devint entièrement fou quelque temps après, du cha- grin d'avoir tellement déplu à la Dauphine, que celle-ci, CHAP. XIV. — ACCIDENTS TRAGIQUES. 195 pendant une représentation, avait exprimé tout haut son aversion pour lui. La perfidie de Dauvilliers en rappelle une autre, d'une nature analogue, quoique beaucoup moins grave, qui eut pour théâtre la scène des Italiens, vers les dernières an- nées du dix-huitième siècle. La. voici, racontée par les Mémoires secrets : « Dans Richard Cœur-de-Lion, l'acteur Clairval faisait un rôle d'aveugle auquel servait de con- ducteur, suivant l'usage, un petit garçon, représenté par mademoiselle Rosalie. Cette actrice, soit par espièglerie, soit par vengeance, s'avisa de faire une pelote de sa man- che, en la lardant d'épingles dont les pointes sortaient en dehors. Lorsque Clairval s'appuya sur son bras pour en- trer en scène, il se déchira horriblement la main et re- connut la malice; sur quoi, mademoiselle Rosalie, sou- riant ironiquement, lui répondit : « En effet, ce n'est pas « aussi doux qu'un peigne, » faisant allusion au métier de perruquier qu'exerçait cet acteur dans le principe. Le maréchal duc de Richelieu, informé de cette scène, a exigé que mademoiselle Rosalie fît des excuses à Clairval, et l'a fait conduire ensuite à l'hôtel de la Force. » Clairval fut plus d'une fois tourmenté par ces importuns ressouvenirs de sa première profession. On connaît les deux vers, fort injustes du reste, que Guillard inscrivit au bas de son portrait, pour se venger du refus d'un opéra- comique, qu'il attribuait à son influence : Cet acteur minaudier et ce chanteur sans voix Écorche les auteurs qu'il rasait autrefois. Fermons cette parenthèse, et revenons à notre sujet. La môme analogie de destinée, qui avait existé entre Mo- lière et son élève, rapprocha encore de notre grand poète comique l'acteur Guérin d'Estriché, qui avait épousé sa 190 CURIOSITÉS THEATRALES, veuve. ïl fut frappé d'apoplexie (juillet 1717), au.momeitt où i! allait monter sur le théâtre pour remplir le rôle d'Exupère dans Héraclius, et il resta dès lors paralysé de la moitié du corps 1 . Ces accidents de paralysies, d'apoplexies, de morts su- bites, furent toujours fréquents parmi les comédiens. C'est encore ainsi que décéda (1708) Champmeslé., le mari de la célèbre actrice. 11 venait de commander deux messes aux Cordeliers, Tune pour sa mère, l'autre pour sa femme ; il remit trente sous au sacristain, qui voulut lui en rendre dix: « Gardez-les, dit-il; la troisième sera pour moi: je vais l'entendre. » Au sortir de l'église, il s'assoit à la porte du cabaret de Y Alliance, situé proche de la Comédie; en attendant l'heure de l'assemblée, il cause avec quel- ques camarades, leur donne rendez-vous pour dîner, et, en disant ces mots, prend sa tête entre ses mains, jette un cri, et s'affaisse sur lui-même. Il était mort. Ce fut sur la scène que l'acteur-auteur anglais Foote fut atteint d'une attaque de paralysie qui le força à quit- ter le théâtre, et qui ne tarda pas beaucoup à être suivie de sa mort. Puisque nous sommes en Angleterre, nous y trouvons un accident plus grave et plus singulier, arrivé à un comédien amateur. Un Anglais, nommé Bond, qui s'était enthousiasmé de Zaire, s'avisa de la traduire, dans l'intention de la faire représenter sur le théâtre de Drury-Lane. « Mais, malgré deux ans de sollicitations, n'y pouvant parvenir, il loua la grande salle des Yorks- ftuddmgs, distribua les rôles de la tragédie à ceux de ses amis qu il crut propres à les bien remplir, et choisit pour lui celui de Lusignan, comme le plus convenable à son âge de soixante ans. Il n'épargna rien pour que le théâtre qu'il avait fait élever eût tout l'éclat que méritait la pièce, 1 Ppanrhamps, Recherches. III, 37"». CHAP. XIV. — ACCIDENTS TRAGIQUES. 197 et lorsque tout fut à son gré, il la fit jouer. — Jamais as- semblée ne fut plus nombreuse ni plus brillante. Lorsque Lusignan parut, les battements de mains recommencèrent avec plus de chaleur. M. Bond le méritait : indépen- damment de sa figure, qui intéressa tout le monde, il ren- dit, son rôle avec tant de vérité, qu'il charma tous les spectateurs. Soit que son âme fût pénétrée ou que les en- couragements le rendissent sublime, il se livra au point que, la force lui manquant, il s'évanouit. Tout le monde crut d'abord que cette faiblesse était un excès d'imitation de la nature; après avoir attendu quelque temps, ceux qui rendaient les rôles de (ihâtillon, de Nérestan et de Zaïre, l'avertirent qu'il était temps de continuer la pièce ; mais de quelle surprise l'assemblée ne fut-elle pas frappée, lorsqu'en l'approchant, l'acteur tomba de son fauteuil et fut trouvé sans vie'. » Un autre Anglais encore, Je célèbre Palmer, acteur du théâtre de CoventGarden, fut victime d'un accident ana- logue, que bepucoup de lecteurs auront sans doute peine à croire, tant il est mélodramatique et peu vraisemblable. Ayant perdu une femme et un fils qu'il adorait, il en avait conçu la plus profonde et la plus inconsolable dou- leur. En 1798, jouant YÊtranger dans une pièce de Kot- zebue (Menschenhass and rené), la physionomie et les sen- timents de son rôle influèrent par degrés sur sa disposition d'esprit; de sorte qu'au troisième acte, ayant à répondre, en entrant en scène, à une question sur la santé de ses en- fants, il tomba par terre, poussa un grand soupir, et ex- pira 2 malgré les soins les plus empresses. 11 n'est guère possible, à cause du nombre et de la précision des détails , de douter de ce fait vraiment extraordinaire. 1 Mouhy, Abrégé de l'hist. du thèât. franc., lit, 157. 2 Extrait du Magasin encyclopédique, à la fin des Mémoires de mislrcsm Bellamy. 198 CURIOSITES THEATRALES. Macklin, jouant, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans, le rôle de sir Archy dans Y Amour à lamode, et de Pertinax, dans Y Homme du Monde, fut d'abord pris d'un frisson et d'un violent mal de tête en s'habillant. Après la première scène, il ne voyait plus le parterre. Au milieu du deuxième acte, il fut saisi d'une indisposition subite, et on # dut l'emporter. Mais il reparut quelques jours après, le 7 mai 1789. Agé de cent ans, il jouait Shylock; le premier acte alla bien, mais, dans le cours du deuxième, il s'a- perçut que les forces lui manquaient, et fut obligé de de. mander au public la permission de se faire remplacer 1 . « Les comédiens du théâtre Saint-Luc, raconte Goldoni 2 , avaient fait l'acquisition d'un excellent acteur appelé Angeleri, qui était de la ville de Milan, et qui avait un frère dans la robe et des parents très-estimés dans la classe de la bourgeoisie. » Cet homme était sujet à des vapeurs extravagantes. Combattu quelque temps entre l'envie de montrer la supériorité de son talent et la honte de paraî* tre sur le théâtre dans son pays, « il cède enfin à la violence de son génie. Il s'expose au public; il joue, il est ap- plaudi; il rentre dans la Coulisse et tombe mort dans l'instant. » Une actrice allemande, qui promettait de monter bien vite au premier rang, Caroline Beck, fit une chute ter- rible pendant la représentation d'Émilia Galeotli, en tom- bant des bras d'Odoardo la tête contre terre. Cette chute et un excès de travail auquel elle se livra aussitôt après furent probablement la cause de sa mort, déterminée dix jours plus tard par une attaque d'apoplexie foudroyante. Un jour -aussi, mademoiselle Clairon tomba en faiblesse, tandis qu'elle jouait Ariane; mais son évanouissement 1 Mi-ni. de Macklin. 564, 368. 2 Mémoir. 2* part. (Bibliolh. des Mémolr., chez Diilot, i. VI, p. 412 CI1AP. XIV. — ACCIDENTS TRAGIQUES. 116 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. contracté au théâtre Mademoiselle Dumesnil seule se livra sans réserve à tous les élans d'une nature que Part ne peut asservir. Comment les acteurs de cette époque, et Lekain lui-même, voulant plaire à un public habitué, depuis la naissance du théâtre, à cette psalmodie pom- peuse, auraient-ils osé hasarder des innovations trop har- dies? Le succès de ces tentatives trop brusques eût été fort douteux. Les contrariétés, les critiques qu'essuyait mademoiselle Dumesnil, leur faisaient peur, et, tout en l'admirant, ils n'osaient imiter son audace. Ces règles de convention pesaient alors sur tous les genres de talents. Comment les acteurs s'y seraient-ils soustraits plus que les auteurs eux-mêmes? » Plus loin, Talma s'étend particulièrement sur la voix de Lekain, et raconte comment .cet acteur était venu à bout d'assouplir son organe roide et un peu voilé, si bien qu'il le maniait comme un instrument, et qu'il pou- vait même émouvoir l'étranger qui ne comprenait pas le sens des paroles. « Le talent de mademoiselle Gaussin, ajoute-t-il, celui de mademoiselle Desgarcins, consistaient principalement dans cet heureux don de la nature. J'ai vu, à Londres, des Français qui n'entendaient pas un mot d'anglais, s'at- tendrir et pleurer aux seuls accents de la voix touchante de miss O'Neill. « Dans le commencement de sa carrière, Lekain fit ce que font tous les jeunes acteurs: il s'abandonna aux mouvements violents et aux cris... Aussi, souvent, épuisé clans des scènes longues et violentes, prenait-il soin de dérober au public le dernier terme de ses efforts. Dans les moments mêmes où ses moyens étaient le plus fati- gués, il en paraissait encore conserver toute la force et toute la puissance. « On a aussi reproché à Lekain un peu de lourdeur CHAP. XVf. — HISTOIRE DE LA DECLAMATION. 217 dans son débit ; mais ce défaut provenait d'abord de sa nature lente, posée et réfléchie; ensuite, Voltaire, dont il était particulièrement l'acteur, n'eût pas peut-être facile- ment consenti à sacrifier la pompe et l'harmonie de ses vers à un débit trop naturel et trop vrai. Il voulait qu'on frappât fort, si l'on ne frappait juste, et, comme il avait un peu enflé la tragédie, il fallut bien que l'acteur suivît le système que le poète avait adopté *. Mais, au reste, son débit, d'abord lent et saccadé, s'animait par degrés, et, une fois qu'il avait atteint la haute région des passions, il étonnait par la sublimité de son jeu. » Dans cette belle notice, dont nous avons cru devoir dé- tacher d'assez nombreux extraits, parce que, tout en nous faisant connaître la déclamation de Lekain,elie nous fait connaître en même temps celle de l'époque, Talma nous montre ensuite le grand acteur sachant se réformer au besoin d'après l'étude et les conseils, croissant en talent d'année en année, et arrivant enfin à la perfection, à la suite d'une longue maladie dont on le croyait pour jamais affaibli et brisé. A ces détails donnés par Talma, nous en ajouterons quelques autres sur les acteurs les plus connus du même temps. Mademoiselle Clairon, à la déclamation solennellement ampoulée, à la voix lourde, parfois entrecoupée de ho- quets dramatiques, était l'art incarné, si bien qu'elle par- venait à faire croire qu'elle avait des entrailles. Elle a raconté dans ses Mémoires, un peu sujets à caution, comment elle changea tout à coup son débit de convention 1 Cette remarque est très-vraie, et ce qu'on nous rapporte de la dé- clamation de Voltaire, soit lorsqu'il jouait sur son théâtre, soit lorsqu'il instruisait ses acteurs, la confirme pleinement. Il lui fallait du brillant, de l'effet avant tout. Cependant, n'oublions pas que ce fut au retour d'un voyage à Ferney que Lekain étonne le public par sa nouvelle et admirable manière de comprendre Gengiskan. 218 CURIOSITES THEATRALES. pour un autre tout à fait contraire, dans son voyage à Bordeaux, en 1752. « Je pris le rôle d'Agrippine, et je jouai pour moi, depuis le premier vers jusqu'au dernier. Ce genre simple, posé, d'accord, étonna d'abord. J'enten- dis distinctement, au milieu de ma première scène : Mais cela est beau. Le couplet suivant fut généralement ap- plaudi (couplet : ce terme singulier n'indique-t-il pas la nature de sa déclamation, ou plutôt de son chant habi- tuel). Je donnai trente-deux représentations de rôles diffé- rents, toujours à ma nouvelle manière. » Mademoiselle Dumesnil était l'inspiration et l'inégalité même. Elle déblayait ses rôles des détails insignifiants, pour se donner tout entière aux endroils pathétiques. Elle se préoccupa surtout de la vérité et de la passion, et on prétend que ce fut elle qui, la première, o?a courir sur la scène dans une tragédie ; c'était lorsque Mérope vole au secours d'Égisthe, en criant: « Arrête, c'est mon fils*. » Il ne faut pas oublier non plus un acteur excel- lent, quoiqu'il ne soit pas parvenu à se faire recevoir à la Comédie-Française, Aufresne,qui avait pris pour prin- cipe de tout ramener au simple, au naturel, à la vérité. Ce débit, absolument le contre-pied de celui qui prévalait encore plus ou moins, gênait beaucoup les comédiens, et fut cause qu'ils ne voulurent point l'admettre. Ce fut aussi et surtout la préoccupation continuelle de Talma d'arriver à faire, disparaître lacteur par la vérité, le naturel, la sobriété, la profondeur de son jeu. Il ne faut pas croire qu'il y réussit du premier coup : il eut bien des transfor- mations et des tâtonnements causés par ses études inces- santes. Vers la fin de sa vie surtout, il arriva à une sorte de perfection, parce qu'il avait compris que le défaut gé- néral de nos personnages tragiques est d'être un peu hors 1 Anerfl. ilram., I, 549. CHAP. XVI. — HISTOIRE DE LA DECLAMATION. 219 nature, d'avoir quelque emphase dans l'attitude et le style, et que par conséquent l'effort de l'acteur devait être de les ramener à la vérité par la simplicité du débit, au lieu de les exagérer encore en voulant chercher l'éclat. Les Mémoires de M. deVaublanc renferment un curieux passage où l'auteur, examinant les principaux comédiens de son temps, en fait connaître et en apprécie la déclama- tion d'une façon piquante, quoique avec trop de sévérité et de mauvaise humeur. Ce passage, qui fait naturelle- ment suite à celui deTalma, roule sur les acteurs qui ont suivi Lekain. « La première fois que je vis mademoiselle Raucourt, je crus que sa manière de déclamer était une mauvaise plaisanterie, qu'elle avait parié de faire les gestes extra- ordinaires qui m'étonnaient. En effet, quelle fut ma sur- prise de la voir, dans la sublime imprécation de Camille contre Rome, en disant ce vers : Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie, tendre à sa droite une main, tendre l'autre à sa gauche, et les unir ensemble par un mouvement singulier qui semblait unir TOrient et l'Occident. A cet autre vers : Et de ses propres mains déchirer ses entrailles, elle portait ses mains sur son ventre et lui imprimait un mouvement d'autani plus désagréable qu'il était alors d'une grosseur un peu démesurée. Je vis mademoiselle Fleury, dans le beau rôle RAndromaque, le défigurer par une pantomime de cette espèce. Rien de plus frappant que la réponse d'Andromaque à Céphise, quand celle-ci ose lui conseiller d'épouser Pyrrhus. Ne croyez pas que cette actrice adresse cette belle réponse à Céphise : elle s'en garde bien ; c'est au public qu'elle va répondre. Elle regarde les loges, range bien sa longue robe pour 220 CURIOSITÉS THEATRALES. qu'elle ne la gêne pas, et crie aux habitants des loges : Songe, songe, Céphise, à celte nuit cruelle Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle! A ces mots : Ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé elle fit le geste d'embrasser; et, quand elle vint à ce vers: Et traîné sans honneur autour de nos murailles, elle appuya longuement sur ce mot traîné, et, reculant d'un pas, en repoussant sa longue robe, elle fit avec ses bras un geste circulaire pour exprimer autour de nos murailles. Ce dégoûtant spectacle mettait les loges dans un enthousiasme impossible à rendre... « Je vis aussi Damas, avec ses jambes et ses épaules de Crispin, oser s'appeler Hippolyte; et, dans la belle décla- ration qu'il adresse à la jeune Aricie, où se peint un amour timide qui s'échappe avec peine de Son cœur, je l'ai entendu hurler de toute sa force : Mes seuls gémissements font retentir les bois • Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix. ... Larive lui-même, qui souvent était heureux dans sa déclamation, se conformait quelquefois à ce goût de hurlement. Je l'ai vu dire ainsi le fameux: Qu'il mourût! Après avoir entendu ces mots : Que vouliez-vous qu'il fit contre trois? 11 fit une pause, serra les dents, ferma ses poings mis en avant, leva la jambe droite comme s'il voulait donner un coup de pied à son interlocuteur, et de ce même pied frappant la terre avec force, il cria enfin le Qu'il mourût! dans un véritable accès de fureur... CHAP. XVI. - HISTOIRE DE LA DECLAMATION. 221 « Longues années après les temps dont je parle, made- moiselle Duchesnois donna de nouveaux exemples de cette manière détaillée et imitative. Dans le rôle de Phèdre, à ce vers : Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors Entrer dans le vaisseau qui le mit sur ces bords? elle fit un geste très-expressif pour exprimer l'action d'entrer, et allongea le mot entrer tant qu'elle put en ap- puyant sur la première syllabe. « J'ai vu Monvel, sur le théâtre de Saint-Cloud, dans le rôle de Wardochée, dire avec une grande colère ce beau vers: Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble. Bonaparte fut frappé d'un ton de colère si ridicule, et le témoigna quand il fut rentré dans ses appartements. Il n'aimait pas ces cris; il le dit à ïalma la première fois qu'il l'entendit exprimer ainsi les fureurs d'Oreste ; mais ce fut M. Brifaut, de l'Académie française, qui réussit, par ses conseils, à lui ôter le goût de ces cris forcenés. Talma s'en corrigea, et prononça depuis ce jour ces vers terribles avec un accent concentré qu'on ne pouvait entendre sans frémir. « Les acteurs ont toujours eu une idée bien fausse sur le ton que l'on doit donner aux passions énergiques.... Presque tous avaient un autre défaut qui me paraissait insupportable : ils avaient pris l'habitude de débiter quelques vers avec lenteur, et tout à coup ils en précipi- taient sept ou huit avec rapidité, sans qu'on pût savoir quelle raison inspirait la lenteur ou la rapidité. C'était une mode : c'est tout dire. k Mademoiselle Bourgoin faisait le rôle d'Iphigénic en 982 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. Aulide. Elle disait son rôle d'un ton doux, mélodieux, sans effort, sans fatigue, et surtout sans aucun de ces ho- quets convulsifs qui déchirent les oreilles délicates. Je m'éciiai : « Voilà une véritable Iphigénie ! — Comment pouvez-vous dire cela ? Il' n'y a point d'art dans sa décla- mation. — Eh! messieurs, c'est précisément parce qu'il n'y a point d'art que. je l'aime tant. Iphigénie pouvait être toute semblable à cette actrice, et surtout elle devait parler avec cette simplicité... Si elle avait mis de l'art dans ses gestes et dans son langage, je me serais enfui. » « Je n'ai pas assez vuLekain pour pouvoir en parler. Je dirai seulement que, dans les derniers temps où je lai vu ,. il était lourdement compassé, qu'il faisait des pauses bien longues, et que tout était artifice en lui, depuis les pieds jusque la. tête. J'ai vu des lettres de M. de Vennes, homme de beaucoup d'esprit, dans lesquelles il se plai- gnait à Voltaire de ce que cet acteur faisait durer les piè- ces trop longtemps par ses pauses continuelles ». 1 On comptait sur une demi-heure de spectacle de plus quand il jouait. Une fois, il mit six minutes à dire quatre vers. Le débit de lalma, au contraire, était quelquefois trop rapide. Les Annules dramatiques, re- cueil d'ailleurs irès-superficiél et rempli d'erreurs, ont tracé, à l'article Ta;ma, un bon parallèle de ces deux grands acteurs : « Lorsque Lekain avait ad.ipté un rô.e, il le reproduisait toujours sous les mêmes cou- leurs; on aurait pu noter sa déclamation ; je crois même que qiu lques personnes l'ont, en effet, notée. La déclamation de M. Talma est variée à l'infini : jamais il ne dit le même rôle de la même manière. M. Talma semble s attacher heaucoup plus à la pensée qu'à l'expression; Lekain pe^alt plus sur l'expression que sur la pensée : il faisait ressortir les plus minces d.étails avec une attention minutieuse; il disséquait le vers, si l'on pi ut s'exprimer ainsi, l.ekain était trop compassé a ans ses gestes, dans sa marche, et surtout dans ses attitudes, qu'il étudiait sur des mé- dailles antiques; aussi, comme je viens de vous le dire, ses attitudes, ses gestes et ses intonations étaient toujours les mêmes. 11 croyait, par telle ou telle inflexion, par tel ou tel mouvement, avoir trouvé la per- fection, et il ne s'en écaituit jamais. Lekain était toujours brûlant. )J. Talma est aussi toujours ou presque toujours brûlant, mais il a f né- galité du génie. La manière ironique, plaisamment sublime dont Lekain rendait le rôle de INicodème, avait fait croire qu'il joueiait très-bien la comédie, et peut-être y aurait-il réussi, mais il*ne voulut jamais sortir CHAP. XVI. — HISTOIRE DE LA DECLAMATION. 225 « J'ajouterai encore que Larive imagina très-malheureu- sement, dans Je rôle de Philoctète, qu'il devait représenter avec la plus grande vérité les souffrances corporelles de ce malheureux prince; qu'il fallait donc se traîner sur la scène en poussant des cris douloureux, accompagnés de gesles et de mouvements plus douloureux encore. Ce n'était qu'une pantomime désagréable, et plus d'une per- sonne en fut indignée Au reste, je suis convaincu que tous ces hurlements, ces beuglements, ces efforts convulsifs, en accoutumant les spectateurs à ce hideux spectacle, ont engendré insensiblement la tourbe des dramaturges et toutes ces représentations que nous voyons depuis les dernières années de la Restauration. » Ce que M. de Vaublanc reproche à* Larive dans le rôle de Philoctète était une habitude sur la scène anglaise, où les acteurs, pour plus de naturel et de vérité, se livraient sans hésitation à ces débauches de pantomime, se roulant à terre, au besoin, avec des hurlements, pour mieux rendre le désespoir. Malgré ses exagérations et son éclat, Larive était froid en général, et bien éloigné d'avoir les entrailles de Bri- zard.^ Il appartenait à Lekain, le premier qui ait complète- ment introduit sur la scène la vraie et naturelle décla- mation (il faut bien se servir, à défaut d'autre, de ce mot qui est très-impropre, puisqu'un des premiers principes de la vraie déclamation est de ne pas déclamer), d'être compté parmi les fondateurs du Conservatoire. L'idée d une pépinière où on dresserait de jeunes acteurs dans les vrais principes de l'art avait frappé son esprit, et il de sa sphère. M. Talma joue très-bien la comédie, et surfout le drame. Que faut-il en conclure? Que Lekain était un excellent acteur, et que M. Talma est un excellent comédien. » 224 CURIOSITES THEATRALES. fut un des plus ardents promoteurs de ee projet, On trouve, dans ses Mémoires, une pièce intitulée : Idée des principaux statuts et règlements d'après lesquels on pourra rédiger la forme convenable à Vëcole royale dramatique, établissement aussi utile que désiré. 11 y a dix articles, portant en substance que Sa Majesté sera suppliée 1° d'af- fecter un fonds de vingt mille livres annuelles pour cet établissement, et d'accorder pour l'usage de l'école les ha- bits de son magasin des Menus-Plaisirs' qui ne sont plus de la première fraîcheur; 2° de permettre la construction d'un petit théâtre pour les exercices des élèves dans la grande salle du Luxembourg; 5°qu'on puisse faire choix de huit hommes et de six femmes comme pensionnaires, en n'admettant nul homme au-dessous de seize ans, et nulle femme au-dessous de quatorze; le noviciat sera de trois ans, au bout desquels les sujets jouiront d'une pension de deux cents livres, avec le brevet de pensionnaires du roi et d'élèves de ï école royale dramatique. Une clause demandait que les jeunes gens sortis de cet établisse- ment fussent astreints à ne pouvoir jamais s'engager pour chanter dans les opéras comiques, — ce dernier genre étant le plus incompatible avec la bonne comédie, — sous peine d'être privés de leur pension, de leur titre et bre- vet 1 . Nous voyons dans les Mémoires secrets, à la date du 27 juin 1774, que Lekain et Préville venaient d'obtenir un privilège pour cette entreprise, où ils devaient remplir le rôle de professeurs, le premier pour le tragique, et le second pour le comique. D'après le même recueil, la première idée de cette école ou académie de déclamation serait venue à mademoiselle Clairon, que nous avons déjà vue associée à Lekain pour la réforme du costume au théâtre. 11 fut même question, en ' T. 1, p. 2G8. CHAL\ XVI. — HISTOIRE DE LA DECLAMATION. 225 1763, conformément au projet suggéré par cette actrice, de donner l'hôtel de Conti à la Comédie-Française, et de faire de la vieille salle « iin magasin d'élèves. » S'il en est ainsi, c'est par une étrange inconséquence que ma- demoiselle Clairon a fait, dans ses Mémoires, une violente sortie contre les écoles théâtrales , vertement relevée comme tout le reste, dans les Mémoires de m;»demois lie Dumesnil *. « Croire, dit-elle dans l'article intitulé École, que Préville peut former des Orosmane et des Sémiràmis, que Mole p^ut créer des acteurs dans tous les genres, c'est une erreur dont sûrement eux-mêmes riaient sous cape. Se donner de l'importance, se composer un sérail, amas- ser de l'argent et faire trembler tous ses autres camarades, est tout ce que ces messieurs veulent et peuvent faire. » Mais mademoi elle Clairon av.'it sans cloute des motifs de parler ainsi, après avoir parlé tout autrement. La Correspondance secrète nous apprend aussi (24 juillet 1782) que Fierviile, alors régisseur par intérim du. spec- tacle forain des Variétés, demanda, a\ec des Mémoires précis à l'appui, la création, d'un théâtre qui servirait d'école de déclamation et serait un séminaire d'acteurs pour la Comédie -Française. La fondation du Conservatoire eut lieu définitivement en 1786 -. Taima fut le premier élève qu'il produisit sur la scène : ce nétaii pas mal débuter. Cette école avait alors pour professeurs Mole, Dugazon et Fleury. La classe de déclamation fut instituée au Conservaioire le 5 mars 180G, avecMonvel, Dugazon, Fleury, Dazincourt, Talma et Lafon pour professeurs 5 . ÎVous n'avons pas prétendu donner ici un chapitre com- plet sur 1 histoire de la déclamation au théâtre. Ceux qui . * In-8% p. 160-4. - Bucliaumotjtjll, 341. 3 CI). Maurice, Ilmt. aneal. du théâtre, 1, 10!. 13 Sfe CURIOSITES THÉÂTRALES voudront se renseigner plus amplement pourront, à dé- faut d'ouvrages spéciaux, consulter l'article Déclamation dans 1 Encyclopédie du dix-huitième siècle et ÏEncyclopé- die moderne. CHAPITRE XVII Moyens employés par certains acteurs pour se préparer et s'animer. Polus, acteur d'Athènes, ayant à représenter le rôle d'É- lectre, quelque temps après avoir perdu son fils unique, alla prendre l'urne qui en renfermait les cendres, et s'en servit sur la scène, au lieu dune urne vide, pour rendre sa douleur plus pathétique et plus naturelle. Avant de paraître devant le public, Baron avait tou- jours soin, selon l'expression vulgaire, de se battre les flancs dans la coulisse, de s'échauffer en interpellant bruyamment ceux qui passaient, en querellant ses cama- rades, en leur disant même des injures au besoin. Fana- tique de son art, il entrait dans de violents transports de colère au moindre manquement, comme ce jour où les personnes placées sur la scène le voyaient attendre dans la coulisse, sous les habits du grand prêtre Joad, et crier en fureur, parce que les comparses qu'il avait fait h?iiller en lévites n'arrivaient pas assez vite : « Un lé* vite! un lévite! Comment, par la mordieu! pas un b de lévite ! » Ce qui n'était pas un style très-empreint de couleur locale. CHAP. XVII. - MOYENS EMPLOYAS PAR LES ACTEURS. W Talma, je crois, nous apprend, dans son introduction aux Mémoires de Lekain, que ce grand acteur, éperdu- ment épris de madame Benoît, la faisait placer à Tune des ailes du théâtre, pendant qu'il jouait, pour puiser de nou- velles forces et une plus haute inspiration dans sa vue. On a prétendu qu'une des plus grandes tragédiennes de nos jours,. madame Adélaïde Ristori, mettait pour la même raison ses enfants dans la coulisse, tandis qu'elle était en scène. Mademoiselle Dumesnil, dit-on, puisait son inspiration dans le vin; elle buvait largement à chaque entr'acte, et môme toutes les fois qu'elle sortait de scène, pour s'ani- mer et reprendre des forces. C'est à un excès involontaire occasionné par cette habitude qu'il a plu à Marmontel d'attribuer la chute de ses Héraclides, où elle jouaitun des principaux rôles. On a essayé de décharger mademoi- selle Dumesnil d'une accusation si peu honorable, et les Mémoires de Fleury *, entre autres, rapportent que cette boisson dont elle se réconfortait n'était qu'une méchante drogue composée de bouillon de poulet chaud avec un peu devin. Pour quelques autres actrices, la même accusation peut aussi, et avec plus de certitude, être taxée de calomnie ; ainsi, à ce qu'il paraît, pour madame Malibran surtout. Par malheur, il en reste beaucoup au sujet desquels le doute n'est guère possible. On a voulu contester le fait pour mademoiselle Laguerre de l'Opéra; en tout cas la croyance populaire était bien établie sur son compte. On connaît ce mot d'un spectateur qui, la voyant dans Iphigënië en Tàti- ride, dit à son voisin: « C'est plutôt Iphigënië en Cham- pagne. » Un grand nombre d'acteurs se sont avilis par cette passion honteuse. Après avoir d'abord cherché dans 228 CURIOSITES THEATRALES. le vin une excitation factice, comme ces écrivains qui s'in- spirent avec du café, ils ont fini par se bisser dominer, ab- sorber, dégrader par cette dangereuse habitude. Suivant les Mémoires manuscrits de M. de Trahi ge, cités par les frères Parfaict, Rosimond, comédien du Marais, puis de la troupe de Molière, en était là, au point quil aurait parfois donné sa femme pour une bouteille de vin de Champagne ; mais la chose n'est pas bien sûre d'autre part, et même elle a été entièrement contestée. Champmeslé, Brécourt, Raisin cadet, la Thorillière fils, Blain ville, étaient aussi de grands buveurs, mais ils étaient bien dépassés par Dumeni, ex- cellent acteur de l'Opéra, à qui il fallait, pour produire tout son effet, six bouteilles du meilleur vin de Cham- pagne à chaque représentation. L'un des Poisson, Fran- çois Arnould, parut souvent ivre, ou à peu près, sur la scène, et il faillit faire interdire la Colonie de Saint-Foix, en 1 749, parce qu'en y jouant, pris de vin, il y avait mêlé, dit-on, des gestes et des termes indécents. Casaciello, célè- bre acteur de JN'aples, entrait presque toujours ivre en scène. Taconnet était un buveur intrépide. Un jour, il paria de boire, de concert avec son camarade Constantin, une pièce de cent vingt bouteilles, et il s'en fallut de peu qu'il ne gagnât son pari '. On connaît, sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, la renommée du grand acteur anglais Kean (que l'on vit ivre un jour, à Paris, dans lé rôle d'Othello)*, renommée à laquelle n'a guère à envier 1 Drnzicr, I, 282. » * C'était en 1X28. A sept heures, la salle élait comble, et Kean n'avait pas encore paru au théâtre. On le cherche partout, et on finit par le trouver au café Anglais, où il se préparait à jouer *on rôle, en buvant orce bouteilles de vin de Champagne, mêlées de rasades dVau-de vie. 11 répond à ceux qui viennent le chercher, par une apostrophe beaucoup tro|) énergique pour être rapi onée ici. « — Mais la duchesse de Bcrry est arrivée. — Je ne suis p «s le valet delà duchesse. Du vin » Enfin le régis^fur accourt, e' parvient à le gagner à loice de supplications. On l'entraîne on l'habille, ou le conduit par dessous les bras dans la cou- lisse. Il entre en scène, et joue en grand comédien. GHAP. XVII. — MOYENS EMPLOYES PAR LES ACTEURS. '229 celle d'un de nos plus célèbres comédiens contemporains, souvent d'ailleurs comparé à Kean, dont il a rendu avec une énergique vérité le désordre et le génie, dans un de ses meilleurs rôles. Mademoiselle Contât ne faisait pas d'excès de môme sorte; mais la Chronique scandaleuse (IV e vol.) nous apprend qu'elle faillit mourir pour avoir bu longtemps, tous les matins, un demi-setier de vinaigre, dans le but de se faire maigrir. Mademoiselle Clairon prétend, dans ses Mémoires, qu'elle gardait toujours à la ville le ton, les manières, la dignité d'une princesse, pour ne jamais per- dre de vue ses rôles*ordin aires, et s'en pénétrer sans cesse. Il en était de même de mademoiselle le Maure, cantatrice. M. J. Janin raconte, dans son histoire de la littérature dramatique 1 , que mademoiselle Sain val avait pris son rôle de reine tellement au sérieux, qu'elle se cachait, quand elle ne jouait pas la tragédie, sous un long voile noir, dont elle était couverte en entier; mais, en nous révélant ce fait curieux, que nous ne nous rappelons pas avoir vu ailleurs, il a oublié de nous dire si c'est de mademoiselle Sainval aînée ou de mademoiselle Sainval cadette qu'il s'agit. C'est probablement de la première. Il faut lire, dans les Mémoires de Fleury*, le récit des soins prodigieux et vraiment incroyables que se donna cet acteur pour arriver à représenter Frédéric, dans les Deux Pages, de manière à produire illusion. Il prit d'abord les plus minutieux renseignements près de tous ceux qui avaient connu le roi, étudia ses portraits authentiques, donna à son appartement le nom de Potsdam, et y vécut trois mois, dans tous les détails de la vie, avec la pensée qu'il était Frédéric II. Chaque matin, il endossait l'habit militaire, les bottes, le chapeau, enfin tout le costume, 1 T. I, ch. xxxv. 8 T. 11, p. 242. 230 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. p our le rompre aux habitudes de son corps, et avoir l'air d'y être né; puis se grimait, en se modelant sur le portrait du monarque. Mais la ressemblance de la figure n'arrivait pas. Il tâcha alors de s'entretenir dans la situation d'es- prit habituelle de Frédéric, se mit à jouer de la flûte comme lui, pour acquérir naturellement son inclinaison de tête, donna à son domestique et à son chat le nom du houzard et du chien du roi philosophe. Je passe sous si- lence toutes les autres tentatives faites par le comédien, afin de ne pas allonger cet épisode outre mesure. Aussi l'histoire du théâtre a-t-elle conservé le souvenir de l'effet extraordinaire produit par Fleury dans cette création. Comme Fleury, Baptiste aîné et Baptiste cadet, Saint- Prix, Talma, etc., faisaient de chacune de leurs représen- tations l'objet des études les plus sérieuses, même pour les ouvrages les plus anciens, et dès la veille ils ne recevaient personne. Dans la coulisse, Talma, en particulier, ne ces- sait de s'occuper de son rôle, la brochure à la main, se promenant à pas lents, au milieu de ses confrères qui se gardaient de le troubler. Il employait parfois des moyens f actices pour se préparer et se monter, en entrant en scène. Nous citerons celui dont il se servait dans Hamlet : « Avant de paraître, quand la réplique se fait entendre, il saisit des deux mains par le collet un valet de chambre, le secoue en s'écriant, comme il doit le dire dans 1* coulisse : Fuis, spectre épouvantable, Porte au fond des tombeaux ton aspect redoutable ! Il repousse ensuite le mannequin de manière à néces- siter que quelqu'un le retienne, et se lance sur la scène: « Cela me donne, m'a-t-il dit, l'irritation nerveuse dont j'ai besoin pour commencer *. » 1 Ch. Maurice, Hist. anecd. du th. CHAP. XVIII..— EFFETS PRODUITS PAR LES PIÈCES. 231 On comprendra maintenant ce mot du grand tragédien. Il arrive un jour de sa campagne à Paris, pour jouer Auguste le lendemain. Au secrétariat, on lui apprend que le spectacle est changé, et qu'on donnera Britannicus, s'il veut se charger de Néron : « Comment, s'éerie-t-il, voilà plus de huit jours que je suis Auguste chez moi, et vous croyez qu'au pied levé je vais être Néron ici 1 . » CHAPITRE XVIII Effets produits par les pièces et les acteurs. — Représenta» tions prises au sérieux. Nous ne voulons point parler ici des succès extraordi- naires obtenus par telle et telle pièce, comme le Thomas Morns, de la Serre, le Timocrate de Th. Corneille, Ylnês, de la Motte, le Siège de Calais, de Dubelloy, les Battus payent l'amende, de Dorvigny, qu'il fallut se mettre à jouer deux fois par jour, la Grâce de Dieu, la Tour de Nesle, etc., mais de l'effet tout particulier exercé et des résultats ob- tenus par quelques-unes d'entre elles sur les spectateurs. On sait que les Euménides, d'Eschyle, causaient une telle 1 On. Leroy, Études. Rappelons, en guise de contraste, une anecdote assez invraisemblable, quoique citée partout, sur Baron. 11 était entré en scène avec son confident, croyant qu'on jouait Phcâre- Mais à peine a-t-il prononcé le premier vers, qu'il est averti par le souffleur du changement de la pièce : c'est Mithridate qu'on joue. Sans se déconcerter, changeant, en un clin d'œil, de physionomie, d'attitude et de ton, il prend son con- fident par la main, l'amène sur le devant du théâtre, et, le regardant en face, commence d'une voix ferme : On nous faisait, Arbate, un fidèle rapport. 5:»2 Cl'lUOSITES THEATRALES. impression de terreur, que des femmes en avortèrent dans l'auditoire, à la scène où les Furies poursuivent Oreste. V Andromède d Euripide, qui a péri, avait produ't un si grand effet sur les nabi ants d'Abdère, où Àrchéluùs l'avait représente, qu'ils s'étaient presque tous métamor- phosés en comédien», et parcouraient les rues de la ville, hâves et défigurés, en s écriant: « amour, tyran des dieux et des hommes! » L'honnêie Chapuz au nous parle de gens portés à la vertu par les comédies: il paraît malgré l'invraisemblance de la chose, que cela est arrivé quelquefois Un homme de qualité, jusque-là peu débonnaire, fut si touché de la re- présentation de Nanine, qu'en rentrant chez lui il oidonna à son suisse de ne. refuser la porie à personne, pas même aux gens en sabots. Le suisse, profondément surpris, dit à un valet de chambre : « Si je n'avais aperçu mademoi- selle D. dans le carrosse de monseigneur, je croirais qu'il vient de confesse. » On dit qu'après avoir vu le Faux généreux de Bret (1 755), une grande dame fil appeler son intendant, auquel elle défendit de tourmenter jamais ses fermiers 1 . Le Déserteur, de Mercier, amena des effets non moins salutaires: c'est, dit-on, à l'impression produite par le premier denoûment de cette pièce qu'on dut l'abroga- tion de la lui qui condamnait les déserteurs à la pei e de mort. iMais ce dénoûmenl, trop terrible pour les âmes sensibles, fut changé par l'auteur sur les instances de Marie-Antoineite. Le Marchand de Londres, drame bourgeois, donné par Lillo sur le théâtre de Drury Lane (1751) amena, à ce quon assure,- une édifiante conversion Lu 1752, le doc-" leur Barrowby fut appelé près d'un jeune commis, tra- 1 Anecd. dram., II, 3, 379. CHAP. XVIII. — EFFETS PRODUITS PAR LES PIECES. 23" vaille par la fièvre, qui finit par lui avouer qu'après avoir fait une liaison fâcheuse et détourné deux cents livres confiées à ses soins il avait été si vivement frappé par une situation analogue à la sienne dans ce drame, qu'il désirait mourir-pour éviter la découverte de sa hon- teuse action. Le docteur révéla tout au père, qui paya la somme et tint,' l'affaire dans le secret. Le fils recouvra la santé et redevint un honnête homme ». C'est là tout à fait l'histoire de la comédie que fait jouer Ilamlet devant sa mère et le meuririer de son père. Enfin, lors des représentations de la Bourse, de M. Pon- sard, on a pu lire dans les journaux la lettre d'un excel- lent homme qui écrivait à Fauteur que sa comédie l'avait fait à jamais renoncer aux spéculations immorales de l'a- giotage, quoique sa fortune en dût beaucoup souffrir. Je ne demande pas mieux que de croire au castigat ri- dendo mores, et je ne suis pas un détracteur de la nature humaine; mais j'aimerais, je l'avoue, à tenir les preuves aulhentiques de ces beaux résultats, et surtout à savoir nettement, combien de temps ils ont duré. Ce qui paraît plus certain, c'est que YHunnête Criminel, de Fenouillol de Falbnire (1767), inspiré par le dévouement et les mal- heurs de Jean Fabre, amena la réhabilitation de cette vic- time des erreurs de la justice. Dans un tout autre ordre d'idées, on connaît l'influence exercée par une représen- tation de la Muette sur la révolution belge, quelle fit, pour ainsi dire, éclatera Riais les résultats produits par des pièces n'ont pas tou- jours été aussi beaux. Le Mendiant, de Guy, qui, en 17*28, mit toute l'Angleterre en émoi, comme devait faire plus tard chez nous Robert Macaire, augmenta dans le pays, à ce qu on prétend, le nombre des voleurs, dont cet opéra est 1 II. Lucas, Curios. d>am., p. 285. — V. encore une autre histoiie du même genre, Anecd. dram., Il, 5l2. 231 CURIOSITES THEATRALES. une sorte de glorification. On a dit aussi que les Brigands, de Schiller, voire Ja Tour de Nesle, de M. Gaillardet, avaient eu la même influence désastreuse sur des têtes mal faites. Tout cela est très-possible; mais ce qu'il y a de plus cer- tain, c'est l'extraordinaire impression d'effroi, d'horreur, de réalité causée par quelques drames. Nous ne citerons pas le fait, beaucoup trop romanesque pour être vraisembla- ble, rapporté par les Anecdotes dramatiques à propos de \zZelmire, de Dubelloy (II, 486). Mais Beverley, de Saurin, joué en 1769, à Toulouse, produisit un tel effet au cin- quième acte, que les spectateurs ne purent le soutenir ; beaucoup sortirent précipitamment, et, quand on vint annoncer la seconde représentation, ceux qui restaient, crièrent à l'acteur : « Adoucissez le cinquième acte, ou ne nous donnez plus le même ouvrage. » L'effet produit par le dénoûment de YOthello, de Du- cis, sur des esprits peu accoutumés à des tragédies de ce genre, fut si fort, qu'il y eut un cri d'horreur dans le parterre, et qu'un des speclateurs s'écria : « C'est un Maure qui a fait cela ; ce n'est pas un Français. » Qu'au- rait-il dit à YOthello de Shakespeare? La première fois que cette dernière pièce fut donnée à Hambourg, il y eut évanouissements sur évanouisse- ments parmi les spectatrices; « les portes des loges s'ou- vraient et se fermaient, on sortait ou l'on était emporté sans connaissance, et l'on assure que plusieurs dames de Hambourg, pour avoir vu cette pièce, éprouvèrent les accidents les plus regrettables *. La pièce s'acheva de- vant un public silencieux; l'impression de la catastrophe fut si profond, qu'après la chute du rideau on n'entendit aucun applaudissement dans la salle. Chacun se hâtait de 1 Charlotte Ackrrmann, par Otto Mfiller, trad. de Porchat, 1854, in-8" , p. 233, 235. CHAP. XVIIÏ. — EFFETS PRODUITS PAR LES PIÈCES 235 sortir, comme soulagé d'un grand poids. ». Le lendemain, le public fut rare, et, quelques semaines plus tard, quand le directeur voulut annoncer la troisième représentation, le conseil de Hambourg exigea qu'on fît disparaître les scènes les plus terribles et qu'on changeât le dénoû- ment. On vit plusieurs fois des femmes s'évanouir pendant la représentation de Gabrielle de Vergy, de Dubelloy, au moment où l'on présente â Gabrielle le cœur de son amant. Aussi une lettre écrite au Journal de Paris, le 16 juillet 1777, prévenait-elle les dames que, pour la se- conde représentation de cette pièce, la loge de M. Raymond (le médecin du théâtre? ) serait pourvue de toutes les eaux spirjtueuses, de tous les sels qui peuvent convenir aux différents genres d'évanouissements, et qu'ainsi elles pou- vaient compter sur toutes les commodités dont on a besoin pour se trouver mal. C'est surtout madameVestrisqui,parson jeu énergique, contribuait à cette impression terrible : l'histoire des ef- fets exercés par certaines pièces n'est le plus souvent, au fond, que celui des effets exercés par le jeu des acteurs. Le 16 décembre 1769, pendant une représentation du Père de famille, de Diderot, une femme fut si vivement frappée de la situation où le jeune homme tire l'épée pour défendre sa maîtresse qu'on veut enlever, qu'elle jeta les hauts cris et tomba en convulsions : il fallut l'empor- ter de sa loge. Mademoiselle Dumesnil atteignit, un soir, à Une puis- sance de réalité tellement prodigieuse dans Cléopâtre, de Iiodogune, que le parterre, alors debout, recula d'effroi d'un mouvement unanime, à la scène des imprécations. Au moment où elle s'écriait : Je maudirais les dieux s'ils me rendaient le jour, 256 CURIOSITES THEATRALES un vieil officier, qui se trouvait derrière elle, la frappa d'un violent coup de poing dans le dos en criant: « Va- fen, chienne, à tous les diables! >> Ce dont elle le re- mercia après la pièce comme du plus sincèPè et du plus bel éloge. Dans une représentation où elle remplissait le rôle de Mérope, elle entendit une voix entrecoupée de sanglots qui lui criait, au moment où elle lève le poignard sur Égisthe (III, se. A) :'« Ne le tuez pas, c'est votre iils. » De même, un jour que Mole, faisant Arcès dans YOr- phanis, de Blin de Sainmore, levait le poignard sur Sésos- tris, un spectateur s'écria : « Ah ! Dieu, arrêtez, ne frap- pez pas ! » Mademoiselle Clairon jouait Ariane sur un théâtre méridional. Dans la scène où elle cherche, avec sa confi- dente, quelle peut être sa rivale, à ce vers : Est-ce Mégisthe, Églé, qui le rend infidèle? Elle vit un jeune homme qui, les yeux en pleurs, se pen- chait vers elle, lui disant d'une voix étouffée .: « C'est Phèdre, c'est Phèdre. » • A une représentation de Bérénice, mademoiselle Gaus- sin fut si pathétique, qu'une des sentinelles, fondant en larmes, laissa tomber son fusil; on consacra cet événe- ment par une pièce de vers. Nous avons parlé, au précédent chapitre, de l'illusion que produisit Fleurydans le rô!e de Frédéric, des Deux Payes. On raconte que l'acteur anglais/Robert Kox, après avoir joué avec beaucoup de naturel et de vérité le per- sonnage d'un forgeron, sur le théâtre dune foire de cam- pagne, \it venir a lui un maîire forgeron du pays, qui, le prenant pour un véritable ouvrier, s'offrit à l'engager à raison de vingt-quatre sous par semaine. CHAP. XVIII. — EFFETS PRODUITS PAR LES PIECES. 237 Préville, représentant La Rissolle à Fontainebleau, se te- nait dans la coulisse, la pipe à la bouche, dans l'attitude d'un homme ivre, si bien imitée, que le factionnaire s'y méprit, et voulait absolument l'empêcher d'entrer sur la scène : « Camarade, clisail-il en croisant la baïonnette, e vous en prie, ne passez pas, vous me feriez mettre au ca- chot. » C'est encore Préville qui, dans le rôle du cavalier Maugreldeu (Vacances des Procureurs), fit tant de plaisir à un cavalier du régiment de Conti, que celui-ci alla l'em- brasser après le spectacle, en lui disant : « Ah ! monsieur Préville, si quelque mâtin s'avisait de vous faire du mal, que j'aurais de plaisir à le r'moucher ! » Quelques jours après, le* cavalier revint pour le voir jouer dans le Mercure galant. Mais, quand l'acteur entra sous l'uni- forme de La Rissolle, il se leva désespéré, en criant : « Ah! le chien ! ne 1 applaudissez pas, il a quitté la cava- lerie. » C'est ainsi que le talent des comédiens a pu faire prendre, plus d'une fois, les pièces au sérieux. Mais cette illusion a souvent été produite, soit par une disposition particulière de lame, comme celle de cette mère qui, abandonnée par tin lils ingrat et coupable, devenu comédien, et étant allée le voir jouer dans Deverley, s'écria au moment où le père lève la main pour massacrer son enfant : « Arrête, malheureux, ne le tue pas : je lé prendrai plutôt chez moi; » soit par la naïveté et l'inexpérience des specta- teurs, comme chez cette jeune fille, dont parle d'Aubignac, qui, voyant, dans la pièce de Théophile, Pyrame sur le point de se tuer, parce qu'il croit sa maîtresse morte, priai t sa mère de l'avertir qu'il se trompait, ou comme chez cette femme de chambre d'une actrice, qui, l'ayant vue plusieurs fois de suite jouer les soubrettes, lui demanda son congé, en disant qu'elle avait trop de cœur pour servir une servante comme elle. 258 CURIOSITES THÉÂTRALES, Un auditeur, très-attentif à la tragédie de Britannicus^ et voyant Narcisse répéter à Néron ce qu'il vient de dire à ce jeune prince, s'écria : « Ne le croyez pas, monsieur : il vient d'en dire autant à monsieur votre frère. » En 1747, on joua à Bruxelles la Répétition interrompue, opéra-comique dans lequel il y à une scène où le souf- fleur se prend de querelle avec Facteur. L'officier général qui commandait en l'absence du maréchal de Saxe, trou- vant que le scandale allait trop loin, finit par s'élancer hors de sa loge, appela la garde, et fit conduire les deux champions au cachot, sans vouloir entendre aucune ex- plication. Comme contraste, nous rappellerons le trait de ce capi- taine hollandais qui, étant venu au spectacle pour la pre- mière fois de sa vie, le soir où l'on donnait, à Marseille, cette représentation de Zémire et Azor, qui fut la cause d'une si sanglante catastrophe 1 , crut que tout ce désordre, les soldats, les cris, les balles, les victimes même, fai- saient partie du spectacle qu'il venait voir, et que c'étaient là autant d'acteurs chargés d'amuser le public par le si- mulacre d'une bataille. Il ne fut détrompé qu'en recevant un coup de feu qui lui cassa la cuisse 2 . Un soir qu'on jouait Rodogtme, dans la scène où Antio- chus se demande si c'est sa mère ou sa femme qui a fait assassiner son frère, le public remarqua qu'un grenadier, en faction sur le théâtre, suivant l'usage du .temps, s'ef- forçait d'avertir l'acteur, tantôt par des clins-d'œil et des signes de tête, tantôt par certains mouvements de la main, à- la dérobée, que c'était Cléopâlre qui avait fait le coup. A une représentation de Britannicus, un autre grenadier, également en faction, fut si indigné de la scélératesse 1 V. plus haul,ch. vii. 2 Le Voile, par Dcaforges-Choudard, 8 vol. itt-16, Vil}» vol. CHAP. XYItl. — EFFETS PRODUITS PAR LES PIÈCES. '250 de Narcisse, qu'il le coucha en joue et eût tué l'acteur, si on ne lui eût arrêté le bras. On voit par là que Sorel n'a- vait pas tant péché contre la vraisemblance qu'on pour- rait le croire, lorsque, dans son Berger extravagant (1. III), il nous montre Lysis, au milieu d'une pastorale qu'il est allé voir à l'hôtel de Bourgogne, se jetant sur la scène pour avertir la bergère des. pièges qu'on lui tend. Il se passa une scène étrange à la première représenta- tion des Victimes cloîtrées, deMonvel (29 mars 1791), une de ces pièces ridiculement odieuses comme la fermenta- lion du temps en produisit un si grand nombre. Au mo- ment où le père Laurent, accusé de l'assassinat d'Eugénie, ne répond qu'en faisant arrêter Dorval par les religieux, au milieu du murmure d'horreur de la salle, on entendit une voix éclatante qui criaît : « Tuez ce coquin-là! » En se tournant du côté d'où la voix était partie, on vit un hbmme, l'œil hagard, le visage décomposé, qui tendait ses poings crispés vers la salle, et, ne pouvant plus parler, menaçait encore l'acteur du geste. Il finit par s'évanouir. Revenu à lui, il raconta qu'il avait été moine, jeté comme Dorval dans un cachot, et que dans le père Laurent, il avait cru reconnaître le supérieur de son couvent. Mais il faut dire que de méchantes âmes soupçonnèrent cet homme d'être un habile comédien aposté par Monvel pour chauffer le succès du drame *. 1 Mémoires de Talma, par A. Dumas, III e vol., ch. î. tiO CUMOS1TES THEATRALES. CHAPITRE XIX Traits de hardiesse ou de sang-froid des acteurs. A Athènes, pendant le règne de la comédie ancienne, il arriva souvent aux acteurs de seconder et de renforcer les attaques hardies des auteurs contre les plus grands personnages, en copiant leur ph\sionomie et leur attitude sur la scène. On sait qu'aucun acteur n'osant se charger, dans la pièce des Chevaliers, du rôle du corroyeur l'aphla- gonien, dirigé contre le tout-puissant démagogue Cléon, Arislophane le joua lui-même sous un masque fait à la ressemblance de cet homme qui eût pu l'envoyer à la mort. Les traits de hardiesse sont nombreux sur le théâtre romain. On en connaît un de l'acteur Diphile, qui vivait dans le premier siècle avant Jésus-Christ. 11 remplirait un rôle dans une pièce des jeux Apohinaires. Arrivé à ce vers: « Miseriâ noslrâ magnas est »>, il le prononça en étendant les mains vers le grand Pompée, et, le peuple ayant redemandé ce vers plusieurs ibis* il le répéta sans hésiter, et toujours avec le même geste accu:»ateur. Il rendit avec la même audace cet autre passage : Virtutem istam, veniet tempas, quam graviter gemas l . Le chevalier Labérius, auteur de mimes renommés, forcé par César de monter sur le théâtre pour y jouer une de ses pièces, quoique cela fût contraire à la bienséance de son âge et de sa condition, s'en vengea, d'abord en ra- contant dans le prologue comme il avait été contraint, 1 Valcre Maxime, VI, 2, 9. CHAI», m. — TRAITS DE HARDIESSE. 24 1 et en déplorant son humiliation, puis enjançant dans le cours de la pièce, sous le masque d'un esclave, plusieurs traits contre César, destructeur de la liberté. Necesse est multos timeat quem multi timent, dit-il, et tous les yeux se tournèrent vers le maître, qui ne le punit pourtant qu'en lui préférant Tublius Syrus Du reste, Décimus Labérius se distinguait ordinairement dans ses mimes par l'audace de ses allusions. Auguste fit fouetter Hylas et bannit Pylade, tous deux pantomimes, et le second maître du premier, pour s'être permis des personnalités dans- leur jeu, et parce que celui-ci avait montré du doigt un spectateur qui le sif- flait. Un jour que ce dernier dansait les fureurs d'Hercule, un murmure de désapprobation s'éleva parmi les specta- teurs, trouvant que sa danse bouffonne ne convenait pas au personnage dont il était chargé. Mais lui, ôtant son masque : « Sots que vous êtes, dit-il, c'est un fou que je représente. » Dans la même pièce, il lançait des flèches sur le peuple. L'empereur la lui ayant fait représenter devant lui, il lança également des flèches contre l'empe- reur, qui ne se fâcha pas d'avoir été traité comme le peuple 1 . Le comédien Datus, dans une satire qu'il chanta à la fin d'une atellane, dit en grec: « Adieu, mon père: adieu, ma mère. » C'était devant Néron, qui avait empoisonné son père et fait noyer sa mère. En chantant la première phrase, il représentait par ses gestes une personne qui boit, et, en chantant la seconde, il imitait une personne qui se débat dans l'eau et qui enfonce ; puis, en ajoutant à la fin : « Pluton vous conduit à la mort, » il regarda les sénateurs que ce prince avait menacé d'exterminer, Pt les 1 Maorobe, Saturiu II. cli. vi», 10 242 CURIOSITÉS THÉâWjA^, désigna du geste. Le courage romain s'était réfugié sur le théâtre. Dans les temps modernes, nous avons également divers traits de hardiesse à signaler. Mais d'ahord il faut en écar- ter, avec tous les historiens sérieux, le trait d'audace on plutôt d'effronterie qu'on prête à Molière, recevant au lever de la toile la défense déjouer Tartufe. « Messieurs, aurait-il dit au public, nous ne donnerons pas Tartufe : M. le premier président ne veut pas qu'on le joue. » Ce n'est pas un homme comme Molière qui se serait permis cette inconvenante équivoque sur un homme comme M. de Lamoignon. Carlin, de la Comédie-Italienne, se trouvant en scène avec une actrice qu'il aimait, la laissa longtemps à ses genoux, et profita de la situation, pour épancher, en une de ces improvisations habituelles à ce théâtre, son amour et sa jalousie. Le prince de Monaco, son rival 1 interpella à haute voix pour le lui reprocher; mais l'acteur osa lui faire sentir 1 indécence de son interruption par une répartie qui mit les rieurs de son côté 4 . Une autrefois, dans un imbrogl o moitié français, moi- tié italien, il plaisanta, d'une manière fort transparente, sur de nouveaux règlements du ministre de la guerre, M. de Saint-Germain, ce qui lui valut quelques jours de prison *. En pleine révolution, Clairval, le célèbre acteur de VOpéra-Comique, ne craignit pas, dans Richard Cœnr- de-Lion, de substituer aux paroles chantées par Rlondel celles-ci, qui sont mieux que de beaux vers : (S Louis, ô mon roi, INotiv amour t'environne, 1 Barhaum., XXXII, 171. ' J Correspondance secrète, IV, 153 li'» février 1777). CHÀP. XIX. — TRAITS DE HARDIESSE. 243 Pour notre cœur, c'est une loi D'ctre fidèle à ta personne. Plusieurs acteurs de la Comédie-Française eurent aussi le courage, à la même époque, d'afficher leurs sentiments royalistes. Dans Y Ami des lois, dans Paméla, ils osèrent souligner, en jouant, les vers qui s'adressaient aux triom- phateurs du moment. Un emprisonnement en masse, dont Mole seul fut excepté, les en punit. Plus tard, pen- dant les Cent-Jours, mademoiselle Mars ne dissimula pas davantage ses penchants napoléoniens, qui lui valurent un accueil orageux sur la scène 1 . Mistress Bellamy remplissait le rôle d'Alieia, dans Jane Shore, devant le roi de Danemark. Ce monarque, fatigué ou peu sensible aux beautés dramatiques, s'endormil pen- dant la pièce. L'actrice, choquée, se vengea d'une façon originale, en s'approchant le plus près possible de sa loge, pour déclamer d'une voix de tonnerre : thou, false lord, etc. Le roi, réveillé en sursaut, comprit la leçon et ne se rendormit plus. Mais c'est surtout avec le public que les acteurs mo- dernes ont pris de ces licences. On raconte divers traits de Baron, dont quelques-uns, sans doute, ne sont pas des plus authentiques, au moins dans les termes où on les rapporte. Jouant très-vieux dans le Cid, il excita un éclat de rire général, en disant : Je suis jeune, il est vrai... Il recommença, en appuyant, et les rires ayant redoublé, il s'avança sur le bord du théâtre : « Messieurs, fit-il, je vais recommencer encore, mais je vous préviens que, si 1 V. plus haut, ch. xi. 244 CURIOSITÉS THÉÂTRALES, l'on rit de nouveau, je quitte le théâtre pour n'y plus reparaître. » Et on se le tint pour dit. En entrant sur la scène, dans Iphigénie, il débutait d'un ton fort bas : Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille y « Plus haut! » lui cria-t-on. — Si je le disais plus haut, j e le dirais mal, » répondit-il. La même hardiesse ne réussit pas à Quinault-Dufresne. Ayant reçu un ordre analogue, il se contenta d'abord de regarder dédaigneusement les donneurs d'avis, et conti- nua sur le même ton. On répéta : « Plus haut » — Et vous plus bas! » répondit-il, ce qui révolta tellement les spec- tateurs, que le lendemain il fut obligé de demander pardon au parterre. Mais, toujours hautain jusque danslhumilia- tion qu'il était forcé de subir, il s'excusa ainsi : «Messieurs, je n'ai jamais mieux senti la bassesse de mon état que par la démarche que je fais aujourd'hui. » Le public, prenant le change, l'interrompit par ses applaudissements, et le dispensa du reste. Revenons à Baron. Dans une autre jcirconstance analo- gue, accueilli par de nouveaux rires que provoquait sa vieillesse, tandis qu'il jouait Britannicus, il regarda fixement l'auditoire, et d'une voix pleine d'amertume: « Ingrat parterre que j'ai élevé, » dit-il, puis il pour- suivit. L'orgueil de Baron, la conscience d'un immense talent, la faveur du public, en dépit de ses injustices pas- sagères, expliquaient et justifiaient ces réponses, qui n'auraient pas été admises de la part de tout autre. Aussi, un comédien de province, hué par les spectateurs, s'étant tourné vers eux pour dire d'une voix piteuse : « Ingrat parterre, que t'ai-je fait ? » excita-t-il un véritable oura- gan d'hilarité. A partir de ce jour, on ne disait plus nu CHA1\ XIX. — TRAITS DE HARDIESSE. 245 bureau du théâtre : « Donnez-moi un parterre, » mais : « Donnez-moi un ingrat. » A la première représentation àlnês, de la Motte, l'ap- parition subite des enfanls excita de grands éclats de rire et de fades quolibets; mademoiselle Duclos, qui fai- sait Inès, en fut indignée : « Ris donc, sot parterre, s'é- cria-t-elle, au plus bel endroit de la pièce. » Et, par un bonheur singulier, cette virulente apostrophe ne fâcha point l'auditoire. Un bon acteur, débutant dans le Comte d'Essex, de Th. Corneille, avait à lutler contre une forte cabale achar- née à l'interrompre chaque fois qu'il allait parler. A la seconde scène, à peine la duchesse avait-elle achevé de lui dire : Ne vous aveuglez point par trop de confiance : C'est par son ordre exprès qu'on s'informe, on instruit, que cet acteur prit sa camarade par la main, la conduisit jusqu'à la rampe, et, après une petite pose pour attirer l'attention, lui répondit avec dignité : L'orage, quel qu'il soit, ne fera que du bruit; La menace en est vaine et touche peu mon âme. L'auditoire, frappé de l'application de ces vers et de cette présence d'esprit, se tut et finit par rendre justice à celu qu'il avait maltraité. Madame Vanhove, qui débuta avec peu de succès dans Phèdre, en 1780, sans se laisser étourdir par le tumulte et les huées d'une partie des spectateurs, osa, à la 6 e scène du 4 e acte, où ce trouve ce vers: Reconnais sa vengeance aux fureurs de sa fille. le changer ainsi : Reconnais sa vengeance aux fureurs du parterre *U> CURIOSITÉS THEATRALES. hardiesse qui fut accueillie par les applaudissements nom- breux de ceux qui ne s'étaient point acharnés contre elle. Dugazon avait commencé par doubler Préville. Un j( ur qu'il le remplaçait dans le rôle de Brid'oison, le public, qui s'attendait à voir celui-ci, le siffla vertement. « J'en- en-entends bien, » dit Dugazon, comme s'il eût continué son rôle. On siffla plus fort: « Je vous dis que j'en-en- entenJs bien, » répéta-t-il. Pour le coup, ce fut un dé- chaînement de sifflets, a Eh bien, est-ce que vous-ou- croyez que je n'en-en-entends pas? » Ce beau sang-froid finit par désarmer les mécontents '.. Une autre fois, hué, au sortir de la Terreur, pour le rôle qu'il avait joué dans la révolution, et recevant de toutes parts l'ordre de se mettre à genoux, il jeta sa per- ruque au parterre, à dtfaut de £ant. Heureusement le machiniste le fit disparaître par une trappe, sans quoi vingt jeunes gens, qui s'étaient élancés sur la scène, al- laient le punir de sa témérité. A Toulouse, une actrice, sifflée comme à Ford inaire dans une tragédie qu'on donnait pour la clôture du théâtre, se retourna au moment où elle sortait, et, ayant regardé l'auditoire d'un air de pitié, lui fit en face, sans dire un mot, un grand signe de croix, pour lui marquer tout son mépris. Un mauvais comédien qui était accoutumé à recueillir partout des sifflets, se voyant un jour plus maltraité qu'à l'ordinaire, se retourna tranquillement en quittant la scène: « Messieurs, dit-il, vous vous en lasserez; on s'en - est bien lassé ailleurs. » Un autre, dans le Joueur, interrompit son rôle, au milieu des huées, pour s'adresser au parterre en ces ter- mes: « Messieurs, vous me sifflez; c'est fort bien fait, je 1 Revue rétros}).,*!' série, t. IX. CHAP. XIX. — TRAITS DE HARDIESSE. 247 ne m'en plains pas. Mais vous ne savez pas une chose, c'est que mes camarades prennent tous les bons rôles, et me laissent lesGérontes, les Dorantes Ah! si l'on me donnait un Anste, un prince, un Pasquin, vous veniez! Mais, qu'est-ce que vous voulez que je fasse d un Dorante, d'un Géronte ? Vous ne dites mot, il faut donc que je conti- nue. » Il est bon d'ajouter que l'auteur de ce beau dis- cours était quelque peu ivre. Un double fort médiocre, remplaçant un grand chan- teur malade, répondit fort sensément à ceux qui le mal- traitaient : « Je ne vous conçois pas, vous imaginez-vous que pour six cents livres que je reçois par an j'irai v< us donner une voix de mille écus? » « Messieurs, je suis honnête homme, dit un autre dans le même cas; on me paye pour chanter, je chante et je chanterai. » Legrand surtout, l'aulèur'du Roi de Cocagne, qui avait souvent à souffrir des rigueurs du parterre, en particu- lier dans ses rôles tragiques, savait prendre son parti de ses disgrâces. Nul ne conservait mieux *o\\ sang-froid en pareille conjoncture et ne s'entendait si bien à désarmer ses juges par un bon mot. Il était inépuisable de ce côté : « Messieurs, dit-il un jour, après avoir joué dans une tragédie au milieu des sifflets, provoqués surtout par une physionomie qui n'avait rien de noble, il vous est plus facile de vous faire à ma figure qu à moi d'en changer. » On donnait Phèdre. Tous les acteurs qui jouaient dans les deux premiers actes furent très-mal r. eus. Legrand, pour prévenir une catastrophe encore plus grande alla haiangu r le public dans l'entracte : « Messieurs, j'ai entendu vos plaintes, et je suis fâché que mes camarades les aient excitées; mais que direz-vous donc quand vous saurez que c'est moi qui dois remplir le rôle de Thésée .' » On raconte la même anecdote, en l'appliquant à Mithri- date, que tous les doubles représentaient, un jour où les 218 CURIOSITÉS THEATRALES. meilleurs de la troupe avaient été forcés de se rendre à Versailles 1 . Le 20 juillet 1715, on avait réuni sur l'affiche, An&o- niCy de Campistron, et la première représentation de la Fausse Veuve, de Destouches. La tragédie, jouée par les plus mauvais acteurs, excita les rires universels, et Legrand, dans le rôle de l'empereur Paléologue, y contribua lar- gement pour sa pari. Lorsqu'il vint faire l'annonce pour le lendemain, entre les deux pièces, il s'exprima ainsi : « Messieurs, nous aurons l'honneur de vous donner demain le Joueur et le Grondeur. Je souhaite que la pe- tite pièce que vous allez voir vous fasse autant rire que vous avez ri à la grande. » Ces saillies étaient toujours couvertes d'applaudisse- menls. 11 semble, en vérité, qu'on sifflait Legrand pour se donner le plaisir d'entendre ses ripostes. « 11 ne faut pas oublier, dit avec raison Lemazuricr à ce propos, que la composition du parterre était alors presque toujours entièrement la même, qu'une infinité de personnes peu instruites ou mal élevées, qui vont aujourd'hui au Théâ- tre français, ne fréquentaient, au commencement du dix- huitième siècle, que les spectacles de la foire, et qu'enfin les acteurs et les spectateurs étaient presque des connais- sances intimes les uns pour les autres. » A la reprise des Trois Cousines, Armand venait de chanter le couplet final : Si l'amour d'un Irait malin, Vous a fait blessure, Prenez-moi pour médecin Quelque lion garde-moulin La bonne aventure, Ogué La bonne aventure. 1 V. Lemazurier, I, 7>ïô. C11A1'. \IX. - TRAITS DE HARDIESSE. '249 On cria bis. Sûr de la faveur publique, il recommença ainsi : Si l'amour d'un trait charmant Vous a fait blessure Prenez pour soulagement Un bon gaillard comme Armand... Cette variante, d'un goût et d'une convenance médio- cres, fut très-applaudie, et on la lui redemanda toujours. Lorsqu'on donna aux Italiens le Duel comique (septem- bre 1776), Carlin, à qui tout était permis, dit, en annon- çant la pièce : « Messieurs, je vous réponds de la musique ; elle vous plaira. Quant aux paroles, heu, .heu,... vous verrez. » Les amis de l'auteur trouvèrent cette hardiesse très-mauvaise; mais l'auteur lui-même dut convenir, après la représentation, que Carlin avait eu raison. Schuch, directeur du théâtre de Berlin, irrité de voir le public siffler sa belle-sœur, dans le rôle de Sophie, du Père de famille, et ne se contenant plus, s'élança hors des coulisses, et parut sur la scène, tenant à la main un fouet de chasse dont il menaçait le public 1 . Il arriva, un jour, en France, un autre trait analogue. On huait une actrice, lorsqu'on vit paraître sur la scène un homme qui vint la prendre par le bras et l'emmener, frémissant d'indigna- tion, en insultant les spectateurs. C'était son mari. On jouait une pièce nouvelle aux Variétés. Bordier, remplissant le rôle d'un valet qui fait le seigneur, était à table ; entendant un coup de sifflet perçant qui partait du fond de la salle : « Mon ami, dit-il au maître d'hôtel, va donc fermer la fenêtre : le vent siffle. » Le spectacle de l'Ambigu-Comique venait d'être trans- porté dans la salle des Variétés. Dans une scène de la Matinée du comédien, où les deux personnages doivent 1 Mémoires de Brandes, t. I. 2Su CUkIOSiTÊS ÎHÈATKALKS. s'asseoir, il ne se trouva qu'une chaise sur le théâtre. L'acteur Talon, surnommé, comme Bordier, comme Con- stantin, comme dix autres, le Mole du boulevard, eut la présence d'esprit de la présenter à son interlocuteur, en lui disant: « Excusez, nous ne faisons que d'emménager. » Ce sont là de ces traits de sang-froid que le public ne manque jamais de sai-ir au vol et d'applaudir. Honoré, mort depuis peu, vint un soir annoncer, dans je ne sais plus quelle ville de province, qu'un de ses ca- marades étant indisposé il priait le public d'en accepter un autre à sa place. Furieux de ce contre-temps, un spec- tateur placé à l'orchestre se lève et s'écrie qu'il veut l'ac- teur annoncé-, qu'il le lui faut mort ou vif. « Messieurs, dit poliment Honoré avec un profond salut, je suis payé pour dire des bêtises, mais je n'aurais jamais trouvé celle-là. » CHAPITRE XX Querelles et rivalités a acteurs. Il est bien entendu que nous ne parlons pas ici des rivalités naturelles de faveur et de talent, qui s'élèvent nécessairement entre les artistes contemporains parcourant la même carrière, mais de celles-là seulement qui ont dé- généré en guerres ouvertes, soulevant des polémiques violentes, des disputes ou des troubles. On peut dire qu'elles ont commencé avec le théâtre. A Rome principalement, elles allèrent fort loin. Un connaît celle de Pyladeet de Bathylle, qui mit le désordre dans l'État CHAP. XX. — QUERELLES ET RIVALITES DOCTEURS. 'J51 et nécessita l'intervention d'Auguste. Les rivalités d'his- trions devinrent ensuite de plus en plus graves, surtout à paitir des jeux Augustaux de Tan 767, et aboutirent même à des luttes sanglantes entre leurs partisans 1 . Une des premières rivalises historiques que Ton puisse noter chez nous, c'est celle de la troupe de Molière (théâ- tre du Palais Royal) avec l'hôtel de Bourgogne, rivalité dont notre grand comique nous a laissé un monument dans l'Impromptu de Versailles, où il se moque de tous les acteurs de ce dernier théâtre, critiquant et parodiant leur taille, leurs gestes, leur déclamation. Celte satire en attira d'autres à la riposte, et Montfleury surtout, un des comédiens les plus vertement raillés par Molière, lui fit rendre la monnaie de sa pièce par son fils dans 17m- promptu de l'hôtel de Condé. Mais ce n'est ici qu'une rivalité de spectacle à spectacle, et, pour ainsi dire, une question de commerce et de bou- tique En 1674, Dauvilliers et mademoiselle Diipin susci- tèrent des troub'es au théâtre Guénégaud, à propos des frais qu'on voulait faire pour la Circé de Th. Corneille; leur opposition finit par prendre un tel caractère, que la troupe dut expulser Dauvilliers et Dupin avec leurs fem- mes; mais ils furent réintégrés peu de temps après. Au siècle suivant, fécond en grands acteurs, nous trou- verons d autres querelles plus nettement caractérisées. Le tripot comique, suivant l'expression des auteurs du temps, a toujours été d'ailleurs, on le sait, le siège favori des intrigues, des jalousies et des cabales. C'est'd'abord Lekain,qui eut à lutter pendant quinze mois contre le mauvais vouloir de ses camarades. Il lui fallut tout ce temps pour vaincre la répugnance que les acteurs, et surtout les actrices, éprouvaient à jouer avec ! Tacite. Annal., 1, 54. 2&> CURIOSITES THEATRALES. lui, à cause de sa laideur et de sa malpropreté. A cela se joignaient de petites querelles de foyer, attisées par l'im patience et la rudesse avec lesquelles Lekain répondait aux plaisanteries de ces dames 1 . C'est ensuite mademoiselle Clairon, que nous trouvons en lutte avec tout le monde; ici avec mademoiselle Gaus- sin, « ce pauvre mouton, » pour le rôle d'Arétie, dans Denys le Tyran, de Marmontel, qui ne valait guère la peine qu'on se le disputât avec tant d'âpreté 2 ; là avec made- moiselle Dumesnil, qu'elle trouva en possession de toute sa renommée et de tous les premiers rôles, lorsqu'elle débuta, et dont les qualités et les défauts étaient justement 1,'opposé des siens. Mademoiselle Dumesnil, c'était le génie naturel qui ne devait rien et semblait ne vouloir rien devoir à l'art; mademoiselle Clairon, au contraire, peu douée de grands moyens tragiques, dénuée de sensi bilité c'était l'art qui ne s'abandonnait jamais à la nature. L'une avait plus de génie, l'autre plus de goût et d'étude; la première se livrait corps et âme à son inspiration iné- gale; la deuxième ne donnait rien à l'élan et donnait tout au calcul. Leur fortune avait été bien diverse. Tandis que mademoiselle Dumesnil conquit, dès le premier jour, les sympathies et les admirations du public, mademoiselle Clairon, comme Lekain, quoique à un moindre degré, eut besoin de lutter contre les impressions primitives, et de s'imposer en quelque sorte, à force d'art et de travail. Mais, une fois en possession de son talent et de la faveur publique, elle garda l'un et l'autre tout entiers jusqu'à la fin de sa carrière, tandis que mademoiselle Dumesnil, qui la prolongea plus longtemps, il est vrai, n'offrait plus guère, dans les derniers jours, par la décadence < No ice de Mole sur les Mémoires de Lekain. * Mém, (le Marmontel, 1. III. CHAI». XX — QUERfiLLES ET RIVALITÉS D'ACTEURS. 253 de ses moyens physiques, que l'ombre d'elle-même. On conçoit que ces deux actrices si différentes devaient * avoir chacune ses partisans bien tranchés, et soulever des discussions ardentes au parterre, dans les journaux ou les livres. Madame de Villeroy tenait pour mademoi- selle Clairon, sa favorite, et la protégeait en toute occur- rence; madame Dubarry, et, par suite, Louis XV, pour mademoiselle Dumesnil. Voltaire, qui, pourtant, aimait beaucoup, et même préférait au fond celle-ci, n'en réser- vait pas moins presque tous ses éloges et tous ses vers à la première, qu'il savait remuante et ambitieuse. Diderot l'exaltait aussi bien au-dessus de sa rivale. Mais Grimm, k Harpe, Dorât, Lekain, les Mémoires secrets, ont pro- clamé hautement leur préférence pour la seconde. A cha- que nouveau rôle, à chaque représentation solennelle, c'étaient, en faveur de l'une ou de l'autre, des intrigues et des cabales à n'en plus finir. On pense bien que les occasions directes de luttes ne manquèrent pas non plus entre les deux rivales. L'altière et violente Clairon se gardait de les laisser tomber à terre ; nul ne s'entendait mieux à faire d'une question de personnes ur.e question de principes, et à abriter son in- traitable orgueil sous les mots de dignité et de justice. A l'époque où elle s'était retirée sous sa tente, la Comé- die-Française lui envoya une députation pour la supplier de revenir; mademoiselle Dumesnil porta la parole. Made- moiselle Clairon, après quelques remercîments très-dignes et très-pénibles, interrompit son discours, pour dire à l'orateur : « Ce que je ne comprendrai jamais, mademoi- selle, c'est que vous soyez plus applaudie que moi. » Quand elle eut écrit ses Mémoires, où elle jugeait ma- demoiselle Dumesnil avec trop de sévérité sans doute, mais plus impartialement néanmoins, en quelques en- droits, qu'on ne s'y fût attendu de sa part, celle-ci s'en •254 CURIOSITES THEATRALES. émut au fond de la province où elle vivait presque ou- " bliée, et y répondit, ou plutôt y fit répondre, par ses pro- pres Mémoires, qui ne sont en réalité qu'une longue et vive polémique, un spirituel et violent, persiflage, où elle prend d'un bouté l'autre mademoiselle Hippolyte à partie, et réfute pied à pied, non sans beaucoup d aigreur, toutes ses réflexions sur l'art dramatique. C'est à cette source que pourront recourir ceux qui veulent avoir des détails cir- constanciés, bien qu'un peu suspects, sur la rivalité et les querelles dos deux grandes actrices. Le public prenait parti par des chansons et des épi- grammes. En voici une contre mademoiselle Clairon qui est cruelle, mais qui, malheureusement, n'est pas sans quelque vérité, dans son exagération : De la cour tu voulais en vain Expulser, ô Clairon, ton il uslre rivale 1 : Dumesnil paraît, et soudain D'elle à loi l'on voit l'intervalle Renonce, crois-nous, au dessein De surpasser cette liéroïne; Ton triomphe le plus certain Est d'avoir en débauche égalé Messaline. Du reste, comme nous l'avons dit, mademoiselle Clai- ron fut plus ou moins en guerre avec presque tout le monde : avec Préville, qu'elle accuse dans ses Mémoires d'avoir voulu profiter de la catastrophe théâtrale connue sous le nom de la Journée du siège de Calais, pour arriver à lui faire prendre sa retraite ; avec mademoiselle Dubois qui était pourtant son élève, mais que le même événement tourna contre elle, et qu'elle a fort maltraitée, etc. Les 1 Allusion à la représentation à'Athctlie devant le roi (23 mai 1770} pour laquelle, grâce à ses protecteurs, mademoiselle Clairon était parvenue à l'emporter sur mademoiselle Dumesnil, an mépris de tous les droits. CHAP". XX. — QUERELLES ET RIVALITÉS D'ACTEURS. 255 acteurs en possession des premiers emplois ne manquaient pas de s'opposer à la réception de ceux qu'ils prévoyaient devoir leur susciter une dangereuse concurrence, ou de leur interdire, avec un soin jaloux, l'accès de certains rôles Une petite anecdote à ce propos : « Mademoiselle Clairon avait pour chefs d'emploi mesdemoiselles Hus et Dumesnil. Comme on se piéparaità donner le Comte d'Es- sex, elle demanda à l'assemblée qui jouerait Elisabeth, et mademoiselle Dumesnil répondit qu'elle s'en chargeait : « Je ferai donc la duchesse, dit-elle alors. — Non pas, s'il vous plaît, s'écria mademoiselle Uus; c'est mon rôle, et je ne m'en dessaisis point. — Bien ! reprit mademoiselle Clai- ron, je prendrai la confidente : il n'y a pas grand'chose à dire; c'est justement mon affaire. » On crut qu elle voulait rire ou qu'elle parlait par dépit; mais, le jour venu, elle parut en qualité de confidente à côté de mademoiselle Hus, qui n'eut pas lieu de se féliciter de sa résolution, lorsqu'elle entendit les huées qui l'accueillirent et les ap- plaudissements redoublés que le public ne cessa de pro- diguer à mademoiselle Clairon, comme s'il eût su ce qui s'était passé. C'est ainsi qu'on la dédommagea d'une mo- destie insolite, qui lui eût été certainement bien pénible, sans l'espoir d'humilier son chef d'emploi. Vers 1767, la jalousie de mademoiselle Dubois, fatale aussi à mademoiselle Clairon (du moins à ce qu'elle a prétendu), força son double, mademoiselle Duranci, à se retirer à l'Opéra. Au témoignage de Lekain, cette der- nière promettait de devenir une de nos meilleures comé- diennes : c'est précisément pour cela que mademoiselle Dubois, dont les charmes étaient tout-puissants près des gentilshommes de la chambre, n'eut pas de repos qu'elle ne fût partie. Cette querelle amena une hostilité momen- tanée entre Mole et Lekain. Mole et Préville poussèrent aussi l'arivalité jusqu'à une 2M) CURIOSITES THÉÂTRALES. sorle de guerre ouverte : « Il sufiit que Mole ait un rôle intéressant dans une pièce pour que Préville refuse d'y jouer, » dit Grimm (1 er janv. 1760). Mais c'est surtout avec Monvel que Mole était fort mal, ce qui n'empêcha pas Monvel de lui confier le rôle prin- cipal de son Amant bourru. L'ouvrage obtint un succès éclatant, et l'acteur et l'auteur, ayant été rappelés, se ré- concilièrent devant le public en se jetant dans les bras l'un de l'autre, En 1770, Chevalier fut expulsé de la Comédie-Française, comme convaincu d'avoir excité des troubles dans le par- terre contre son camarade Dalainville. Lorsque Fleury se présenta au Théâtre-Français, il y trouva, suivant l'usage, Bellecourt, Monvel et Mole pour lui barrer obstinément le chemin. Une fois définitivement reçu, il eut à lutter longtemps encore contre la mauvaise volonté du dernier, qui lui suscita des tracasseries de toute sorte, et, pour se débarrasser d'un péril qui inquié- tait sa réputation, s'acharna à lui opposer Florence, assez médiocre comédien, dans sa candidature au titre de so- ciétaire. Mais, grâce à sa ténacité et à la protection de madame Campan, Fleury parvint au but de son ambi- tion 1 . Mole n'en continua pasmoinsde le tracasser : « La Comédie-Française, lit-on dans \esMcmoires de Fleury, était encore dans l'usage de ne point mettre sur l'affiche le nom des acteurs qui devaient jouer dans la représentation annoncée, de sorte que le public, qui s'attendait à voir l'acteur aimé, ne trouvant le plus souvent que son dou- ble, murmurait ou môme faisait mieux... Un jour, on afficha la tragédie de Zaïre. Mole devait jouer Nérestan ; à trois heures il fait dire qu'il est indisposé. On vient tout de suite m'avertir que je dois remplacer mon chef 1 Mèm. de Fleury, ch. xiv. CÎiAP. XX. — QUERELLES ET RIVALITÉS D'ACTEURS. 25Ï d'emploi : je réponds que je suis tout prêt. En effet, j'en- tre en scène, et le public, qui s'attendait à voir l'acteur chéri, fait éclater son mécontentement. En rentrant dans les couli>ses, la première personne que je vois, c'esl Mole, qui semblait n'y êire venu que pour j uir de mon embar- ras... Le second acte commence; j'entre à ma réplique. Mole tend la tête pour voir l'accueil qu'on fait à son dou- ble, et moi je salue le public, et je dis : « Messieurs, j'ai dû remplir mon devoir en jouant le rôle de l\érest'>n, mais M Mole est en ce moment au théâtre, et j'ai l'hon- neur de vous annoncer qu'il jouit de la sauté la plus parfaite. » — « Messieurs, le voilà, » s'écrie une voix qui part" de l'avant-scène des secondes; puis un homme se lève désignant Mole. Celui-ci, stupéfait, était cloué là, comme pour justifier mon dire. Le public applaudit, Né- reslanalla bien, et Mole n'eut plus envie de me jouer de ces tours. — Mon généreux spectateur éiait Dorai 1 . » Mole parvint ainsi à tenir si longtemps Fleury sur le dernier plan, que l'âge des amoureux était passé pour lui quand il put en aborder franchement les rôles. Du reste, Mole, enivré de la faveur que lui témoignait le public, était renommé à bon droit par sa fatuité et sa hauteur. Un jour même (novembre 1772), il s'emporta jusqu'à ac- cabler, dans une réUnion de comédiens, madame Préville d'expressions tellement outrageantes, que le mari de celle-ci dut avoir recours aux gentilshommes de la cham- bre pour obtenir une réparation d'honneur. On exigea que Mole fît des excuses à l'insultée; il s'y refusa, préférant demander sa retraite. Mais il est probable qu'il vint à résipiscence, car cette retraite n'eut pas lieu -. N'oublions pas non plus la rivalité passagère de Duga- 1 Mém. de Fleury. eh. x\i. - Mém. secrets, VI, p. 289. 17 258 CURIOSITES THEATRALES. zon et de Dazincourt, les deux meilleurs valets de la Co- médie-Française, vers la même époque. 11 s'agissait de leurs prétentions exclusives à la grande casaque, c'est-à- dire à la camisole rouge qui recouvre au théâtre les chefs de file de la livrée. Les choses en vinrent jusqu'à un duel, qui, après une blessure assez vigoureuse reçue de part et d'antre, se termina par un déjeuner. Dàzincourt était brave. Lors de ses débuts à Bruxelles, il s'était déjà battu avec un camarade insolent, Dubois, qu'il avait grièvement blessé 1 . Les duels entre comédiens sont un fait assez rare, mais dont on pourrait cependant citer un certain nombre d'exemples. Ainsi l'acteur Roselli fut tué, dans une de ces rencontres, par un de ses confrères nommé Hibou. C'est à l'occasion d'un rôle que Ribou ne voulait pas céder à Ro- selli qu'eut lieu ce combat singulier. Roselli, qui était dun caractère conciliant et ne savait pas manier Fépée, ne voulait point se battre, mais Ribou l'y força en quelque sorte. Le duel eut lieu dans la rue, près Saint-Suipice, sur les neuf heures du soir. Roselli ne mourut que plusieurs jours après, et fit généreusement tout ce qu'il put pour épargner à son meurtrier les suites de cette affaire 2 . Garrick fut blessé au bras droit par son collègue Giffard, dont il avait parodié le jeu, dans le rôle de Bayes, de- la Répétition. Fleury se battit plusieurs fois avec Dugazon. En 1781, Larive et Florence croisèrent leurs sabres de théâlre l'un contre l'autre, sur la scène, derrière le rideau. On crut d'abord que c'était un jeu, et on ne songea à les séparer qu'en voyant leur animation. Ils se donnèrent rendez-vous pour le lendemain aux Champs-Elysées, où Larive désarma ilém. de Da&inc, v 2t>7. Anecd. drain., II, M7-8. Journal de Colle, J, 520, CHAI». \.V. - QUERELLES ET RIVALITES h'ACTEURS. l 2o0 trois fois Florence sans qu'il en coulât une goutte de sang.' En 1790, Talma se battit au pistolet avec iNaudet, qui, manqué par lui, tira en l'air, quoique la veille Talma l'eût frappé au visage. Bien plus, des actrices croisèrent quelquefois l'épée l'une contre l'autre. Sauvai nous apprend que mademoiselle Beaupré, une des premières femmes qui aient paru sur la scène française, et qui fut attachée à la troupe du Marais jusqu'en 1669, époque où elle passa au théâtre du Palais- Royal, adressa un cartel à sa camarade Catherine des Ur- lis à la suite d'une dispute, et que toutes deux se battirent à l'épée sur le théâtre même. La Beaupré, raconte Talle- mant, alla quérir deux épées nues épointées. Catherine des Urlis en prit une, croyant badiner; la Beaupré, en co- lère, la blessa au cou et l'eût tuée si on n'y eût couru. Cela se passait en 1649. Au dix-huitième siècle, mesdemoiselles Théodore, dan- seuse célèbre, et Beaumesnil, cantatrice, toutes deux de l'Opéra, arrangèrent une rencontre à la porte Maillot pour une rivalité d'amour. Elles allèrent au rendez-vous cha- cune dans sa voiture, vêtues en amazones, et ayant pour témoins, la première, mesdemoiselles Fel etCharmoy, la seconde, mesdemoiselles Geslin et Guimard. L'affaire devait avoir lieu au pistolet. Au moment où elles s'apprê- taient à commencer, Rey, basse-taille du même théâtre, les rencontre et épuise son éloquence pour les calmer. Toutes ses représentations sont inutiles. Les deux rivales s'emparent des armes et s'ajustent. Mais Key avait eu soin, en leur parlant, de déposer les pistolets sur un gazon hu- mide ; ils firent long feu, et il ne resta plus qu'à s'em- brasser. En 1820, deux danseuses renouvelèrent ce beau specta- cle, en se battant derrière le rideau, avec deux fleurets mouchetés, mais non sans une ardeur qui pouvait deve- 2(30 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. nir quelque peu meurtrière. Il s'agissait d'un riche conile suédois, ou plutôt de son chien, dont nos deux coryphées se disputaient le collier en or. La fameuse mademoiselle Maupin, qui a servi de type à M. Théophile Gautier pour l'un de ses romans, élait aussi, avant sa conversion finale, une des plus vail- lantes amazones qui se pût voir, et elle se battit une fois entre autres contre trois hommes quelle vainquit 1 . Insul- tée par Dumesnil, acteur de l'Opéra, elle alla lattendre un soir, déguisée en homme, à la place des Victoires, et, sur son refus de mettre l'épée à la main, lui donna des coups de canne. Laissons là les duels, et reprenons la suite des grandes rivalités d'acteurs. Il y eut en Angleterre, entre Garrick et Macklin, une querelle qui se manifesta par des facturas de part et d'au- tre, par des cabales et des scènes tumultueuses. Quin et Garrick furent aussi divisés, tant que le premier resta au théâtre, par une rivalité jalouse. Une discussion qui s'éleva, le 10 mai 4735, entre Macklin et un autre acteur nommé Hallam, au sujet d'une perruque dont chacun se disputait la possession pour jouer dans la pièce, eut le plus déplorable résultat. Macklin, dont le caractère était irascible, saisit une canne et en porta un coup si malheu- reux à Hallam, que le bout du bâton lui entra dans 'l'œil gauche et pénétra dans le cerveau. Le malheureux mou- rut le lendemain. Macklin, poursuivi comme meurtrier, fut sauvé par la question intentionnelle. Cela ne l'empê- cha pas de boxer un peu plus lard, en plein foyer, avec Quin , qui voulait le forcer déjouer autrement dans le Franc Parleur de Wicherley, sous prétexte que Macklin avait adopté un jeu muet qui nuisait souvent à l'effet de ce 1 Anccd. drain., 111. CHAP. XX. — QUERELLES ET RIVALITES D'ACTEURS. 261 qu'il avait à dire lui-même. Un duel s'en fût suivi, sans le directeur qui arrangea l'affaire 1 . Une des querelles les plus célèbres, les plus longues el les plus compliquées, au dix-huilième siècle, fut celle qui s'éleva en Fiance entre madame Vestris et mademoiselle Sainval aînée, (les deux actrices, toutes deux goûlées du public. Tune par un jeu égal, noble, intelligent, mais un peu froid, l'autre par des éclairs d'un talent vigoureux qui la rapprochaient quelquefois de mademoiselle Dumes- nil, remplissaient des rôles analogues, quoique les reines fussent spécialement réservées à mademoiselle Sainval, et les princesses à madame Vestris. Cette dernière, maîtresse d'uu des gentilshommes de la chambre, le duc de Duras, avait déjà envahi jusqu'à cent onze rôles, tandis quel'autre n'en possédait que vingt-trois, treize grands el dix petits. Mademoiselle Sainval, mécontente de ce partage inégal, avait plusieurs fois réclamé vainement, avec son habi- tuelle impétuosité de caractère, quand elle revint plus vivement à la charge en 1779. Madame Vestris, favorisée par les comédiens, se déclara prête, par amour pour la paix, à céder huit ou neuf rôles à sa rivale; mais dans cette liste n'était compris aucun de ceux que réclamait mademoiselle Sainval. « La princesse passe pour être un peu sujette aux fureurs hystériques : de pareilles circonstances ne sont pas pro- pres à la guérir. Aussi chaque jour on a toutes les peines du monde à l'empêcher de faire quelque nouvelle extra- vagance. Depuis quinze jours, il est déjà arrivé deux ou trois fois que la Vestris était habillée pour jouer Roxane ou Didon; Sainval voulait absolument s'habiller de son côté et paraître- en même temps sur la scène, où l'on aurait vu deux Didon ou deux Roxane à la fois. Made * ifém. de Ch. Mac klin, in-8, p. 289, 295. 2fi2 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. moiselle Sainval sait qu'elle est beaucoup plus chérie du public: il n'est pas don leux qu'elle n'eût remporté une victoire complète sur Je théâtre, mais on n'attendait, que ce moment pour la faire arrêter, et son triomphe eût fini par coucher en prison ! . » Sur ces entrefaites parut une violente el mordante bro- chure contre madame Vestris et son parti, brochure qu'on ne manqua pas d'attribuer à mademoiselle Sainval et qui acheva de porter le désordre à son comble. Le sénat comique se partagea en deux : d'un côté onze comédiens, Monvel, Fleury, Dazincourtet surtout Mole, se déclarèrent pour ma- demoiselle Sainval; mais leplus grand nombre et les noms lesplusinfluents, principalement Larive, Préville, Brizard, Dugazon, frère de madame Vestris, et Lekain qui, dans ses Mémoires, a fort maltraité mademoiselle Sainval et com- battu vivement la justesse de ses prétentions, se remuaient avec zèle en faveur de son adversaire. Quoique la mar- quise de Saint-Chamond se fû,t déclarée l'auteur de la bro- chure qui avait tant fait de bruit, mademoiselle Sainval n'en fut pas moins rayée du tableau de la Comédie-Fran- çaise, et exilée en province, avec défense d'approcher à moins de trente lieues de Paris. Elle s'en consola en jouant avec un succès prodigieux et au milieu d'un enthou- siasme poussé jusqu'au délire sur les scènes des principales villes. A Bordeaux, comme elle finissait Mérope, deux Amours sortirent d'un nuage pour la couronner, aux ac- clamations du public, qui lui jetait des fleurs et des piè- ces de vers, et qui demandait à grands cris une représen- tation à son profit. A Avignon, une colombe vint lui apporter une couronne, à laquelle était attaché un hui- tain louangeur 2 . 1 Corre p. secr., VIII, 211. - Mém. secr., 18 fév. 1780. C'était là un usage assez répandu, surtout fj.ins les villes enthousiastes du Midi. Au mois d'avril 1782, une galanleri'' CHAP. XX. — QUERELLES ET RIVALITÉS D'ACTEURS. 205 Mademoiselle Sainval cadette, actrice de grand talent aussi, prit naturellement fait et cause pour .«a sœur, et re- fusa d'abord de remonter sur le théâtre. Quand elle con- sentit enfin à y reparaître, ce ne fut que pour donner au public occasion de lui témoigner ses sympathies par des applaudissements non équivoques. Ils furent si vifs à son entrée sur la scène, qu'elle tomba évanouie démotion. La pièce fut suspendue; quand elle reprit, les trépignements, les transports, les éclats, se manifestèrent avec moins de force, par ménagement pour elle, maison saisissait au vol chaque vers qui pouvait fournir une allusion ; on criait, au milieu des applaudissements : Les deux Sainval! et il fallut bien que le duc de Duras, caché dans sa loge, subît la leçon jusqu'au bout. C'était dans Tancréde. Quel- que temps après, dans Ariane, ce fut la même chose encore, et elle ne prononça pas une seule fois le mot de sœur sans être applaudie frénétiquement. On ne peut se figurer tout le trouble et tous les embar- ras que causa cette affaire. Pour en donner une idée, nous emprunterons quelques passages à la Correspondance se- crète, qui l'a suivie en détail, ainsi que les Mémoires se crets : 8 août 1779. « Le public est assez généralement pour Sainval ; on la plaint, on la regrette. Malgré les sergents et les gardes répandus dans toute la salle et même placés aux poites des loges, lorsque la belle Vestris fait la reine à son aise, on se mouche, on crache, on frappe des pieds, et la tranquille majesté de la princesse a bien de la peine à ne pas se déconcerter. Adieu la tragédie! » 14 août. « L'affaire de la Sainval l'aînée a des suites. On prétend que, dans les Mémoires présentés à la cour f ,i U t à fiiit pareille, cette fois doublement bien placée, fut faite à Tou- louse, à mademoiselle C.olnmbe. une des plus célèbres actrices de la Co- médie Italienne. >20i tiriUOSITÈS THEATRALES. pour la faire punir, on l'accusait d'avoir volé, et que Ton avançait en môme temps que son frère avait été roué'. La Sain val, irritée de toutes ces gentillesses, intente, dit- on, un procès criminel à la triomphante madame Vestris. En attendant, on n'ose plus donner de tragédies à la Co- médie-Française. Depuis quinze jours on n'y a hasardé que la représentation de Cinna. 11 est impossible que ce spec- tacle reste dans l'état où il est. Beaucoup de gens croient que Ton sera forcé de rappeler Sa in val. » 29 août. « On avait annoncé Didon pour samedi dernier. Mais Didon appartient encore à M. Le Franc (de Pcmpi- gnan).quin'a jamais rien reçu pour cette pièce, et M. Le Franc a chargé de ses pouvoirs à ce sujet madame la mar- quise de Saiiit-Chamond, auteur des fameuses lettres qui ont été la cause du désastre de Sainval l'aînée. A quatre heures après midi, est arrivée défende de la part de cette dame de représenter Didon, à moins qu'on ne donnât le rôle à la jeune Sainval. On juge bien que la Vestris au- rait plutôt crevé que d'y consentir; mais, si cela continue, elle n'y perdra rien, car elle crèvera de dépit. Les comé- diens ont mieux aimé substituer le Joueur à Didon, et tous ceux qui étaient venus pour voir cette tragédie, c'est-à- dire les trois quarts et demi de la salle, ont témoigné un mécontentement général. » Plus loin, la Correspondav.ee secrète donne une facétie qui courait alors le public, sous le titre de Supplément à la Gazette de France : elle divisait toute la Comédie en 4 Ce frère, sous-officier dans un régiment de cavalerie, avait, en effet, commis sur un de ses camarades un meurtre passible de la roue, mais la peine capitale avait été commuée en une prison perpétuelle. Le 13 avril 1769, les comédiens avaient pris un arrêté par lequel ils s'en rappor- taient à la décision des premiers gentilshommes de la chambre pour sa- voir s'ils devaient, après cet événement, conserver mademoiselle Sainval au milieu d'eux, et ceux-ci répondirent, le 19, en les autorisant à la gar- der. (V. une note des Mèm. de'Lekain, in-8,1825, p. 207-11.) CHAP. XX. — QUERELLES ET RIVALITÉS D'ACTEURS. 205 deux escadres, sous les ordres de Vestris et de Sainval, et rendait compte de leurs combats. Comme cette pièce, pas- sablement longue, est très-connue et quelle a d'ailleurs été reproduite dans un des volumes de cette collection 1 , nous ne la donnerons pas ici, non plus que les autres pièces du même genre se rapportant, en tout ou en partie, à cette querelle, et dont on en verra plusieurs dans les Mémoires de Bachaumont- à la même date. La littérature périodique ne manqua pas de s'en mêler aussi : le Mer- cure se déclara pour madame Vestris; mais Linguet, qui était alors une véritable puissance, harcela le duc de l)u- rasde ses malignes épigrammes. Enlin, le bruit finit par se calmer peu à peu pour faire place à de nouveaux trou- bles. Mesdemoiselles Sainval et Vestris étaient punies par où elles avaient péché. Si Ton en croit les Mémoires secrets, elles s'étaient réunies, lors des débuts de mademoiselle Raucourt (1772-1773) pour combattre, à force d'intrigues et de cabales, le succès extraordinaire qu'obtint tout d'a- bord cette actrice. On connaît le bon mot prononcé à une représentation de Cinna, où mademoiselle Raucourt jouait Emilie. Un chat se trouvait dans la salle et s'y livrait aux plus affreux miaulements : « Je parie que c'est le chat de mademoiselle Vestris, » s'écria # une voix dans l'au- ditoire 5 . Durant cette grande querelle, un rapprochement eut lieu entre madame Vestris et mademoiselle Raucourt, qui avait quitté le théâtre, et qu'on rappela pour remplacer mademoiselle Sainval. Elle fut huée, comme le fut aussi madame Préville pour la même raison : Préville et sa 1 Curiosit. anecd., p. 167. 2 XIV" volume. 3 Mém. secr-, VI, 285. 200 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. femme donnèrent même leur démission et ne consentirent à rentrer que sous plusieurs conditions. Les suites et épisodes de cette guerre furent innombra- bles : querelle entre mademoiselle Raucourt et les comé- diens, irrités que celle-ci se fût présentée au comité, son ordre de début à la main, et sans avoir daigné les faire prévenir ; querelle entre Larive et Ponteuil, et, par suite, entre leurs partisans : Larive est obligé de quitter, mais on le venge en sifflant Ponteuil d'un bout à l'autre de VOrphelin de la Chine; désordres et anarchie de tout genre parmi les comédiens comme parmi le public. Il fal- lut doubler la garde, prendre des arrêtés, surveiller sévè- rement les émeutes du parterre, et l'émotion causée par le départ de mademoiselle Sainval durait^ncore plusieurs années après. Bien plus, en 1784, la querelle se ralluma aussi ar- dente que jamais entre madame Vestris et mademoiselle Sainval cadette, pour une cause tout à fait analogue. Cette fois encore il y eut des lettres publiques, des fac- tums et mémoires à consulter. Le théâtre et les amateurs se partagèrent derechef en deux bandes : le public fut pour mademoiselle Sainval, qui demandait sa retraite, en s'appuyant sur ce que madame Vestris accaparait tous les rôles; mais mademoiselle Clairon, alors retirée du théâ- tre, dans une lettre imprimée, où, d'ailleurs, elle malme- nait nommément la plupart des comédiens, traita made- moiselle Sainval et ses prétentions avec le dernier mépris. Pendant toute la durée du débat, l'une s'obstina à se pré- tendre malade, et l'autre à ne pas vouloir paraître sur la scène. Il y eut procès en diffamation intenté à celle-ci par celle-là, et défense à l'accusée, de la part de l'autorité supérieure, qui voulait assoupir la querelle, de publier sa réponse. La discussion, que nous ne pouvons suivre dans ses détails, se termina, au moins extérieurement, par CHAI». XX. - QUERELLES ET RIVALITES D'ACTEURS. 267 une lettre de mademoiselle Sainval, annonçant qu'elle se désistait de ses prétentions. A la même date, l'Opéra tout entier, en révolte contre son directeur , de Vismes, qui fut obligé d'employer l'autorité royale et le For-1'Évêque pour soumettre ses sujets récalcitrants, était encore troublé par la rivalité de deux chanteuses, mesdemoiselles Rosalie et Beaumesnil. La cause était toujours la même. Celle-ci se plaignait que celle-là accaparait tous les rôles, même ceux qui n'étaient pas de son emploi, et chacune faisait agir ses amants et ses journaux. La première finit par l'emporter. Je ne parle pas des autres querelles de moindre im- portance, connue celle qui divisa Mole et Velaines, en 1768, celle qui s'éleva à la mort de Lekain, entre Mole, Monvel et Larive, pour le partage de ses rôles, et qui ne se dénoua que par l'intervention souveraine du duc de Duras. De tout temps la jalousie fut l'âme des tripots comiques. !\ous venons de voir à quels excès elle se portait souvent. En voici encore quelques exemples bien autrement éner- giques. Nous avons déjà dit que le comédien Dauvilliers, jaloux de Baron, lui donna une épée non émoussée, dans la tragédie de Cîéopâtre, espérant qu'il se blesserait, et se tuerait peut-être. En 1778, la signora Vidali ayant été huée dans la Jardinière- supposée, à l'Opéra, par le public qui demanda à grands cris une autre actrice, dévorée de ja- lousie et attribuant cette préférence au directeur du théâtre, M. de Vismes, elle perdit la tête au point d'atta- quer dans la coulisse un homme qui lui ressemblait et qu'elle voulait poignarder 1 . « La du Fayel, actrice des Italiens, passe pour avoir tenté d'empoisonner sa sœur, qui a débuté il y a quelque 1 Mê». wm, XII, p. 18t. 268 CURIOSITES THEATRALES temps et qui a eu beaucoup plus de succès qu'elle, » lit-on dans la Correspondance secrète, à la date du 14 août 1779. En 17«5, les hostilités s'engagèrent entre mademoiselle Contât et madame Vauhove, celle-ci accusant l'autre d'ê- tre jalouse des succès de sa fille, et de chercher à les con- trarier; accusée à son tour d'avoir voulu nuire à la sœur de mademoiselle Contât, il fallut, pour y mettre fin, l'in- tervention du duc de Duras et de l'assemblée comique. En 17cS8, Monvel, à son retour de Suède, rencontra le plus grand mauvais vouloir de la part du comité, qui s'opposa à sa rentrée. On lui en voulait de sa fugue, et, malgré les efforts de Mole, réconcilié franchement avec lui, les portes lui restèrent impitoyablement fermées pen- dant longtemps. Une autre querelle, qui faillit avoir, qui eut même les plus graves conséquences, ce fut celle qui divisa la Co- médie-Française à propos de Talma, en 1790. Après Pé- dalant succès par lequel il s'était révélé dans le Char- les IX de Joseph Chénier, le jeune tragédien pensa qu'on pouvait bien déroger en sa faveur à la sévérité des règle- ments et l'admettre aux premiers rôles; mais ceux-là même qui avaient le plus vivement réclamé, à leurs dé- buts, contre les inflexibles droits d'ancienneté, mainte- nant qu'ils les avaient pour eux, tenaient à les garder, d'autant plus que leur jalousie s'alarmait des triomphes du nouveau venu. Talma avait pour lui Dugazon et madame Vestris, contre lui Dazincourt, Fleury, mesde- moiselles Raucourt et Contât. Les deux partis étaient en présence, quand une lettre écrite p^r Talma au journal les Révolutions de France et de Brabant. sur les dissensions intestines de la Comédie, fit éclater l'orage. Fleury pro- posa son expulsion, qui fut décidée aussitôt à la presque unanimité. Cet arrêté souleva une grande effervescence au CHAP. XX. — QUERELLES ET RIVALITÉS D'ACTEURS. 269 dehors : l'Hôtel de Ville envoya Tordre aux comédiens de révoquer leur sentence, mais ils refusèrent Le peuple s'en mêla. Le 1)6 septembre 1790. la salle se trouva em- plie jusqu'aux bords, et à peine la toile fut-elle levée, qu'un cri formidable partit de toutes les poitrines :Talma ! Talma ! En vain Fleury en scène essaye de donner quel- ques explications, les cris redoublent de violence, surtout lorsque le fougueux Dugazon vint, sur le théâtre même, accuser toute la Comédie et prendre la défense de l'ac- teur expulsé. Ce fut une scène indescriptible, et, comme Talma ne paraissait point, en un clin d'œil les bancs sont bri>és, on escalade la rampe, et Dieu sait ce qui se prépa- rait sans l'arrivée fort opportune, mais un peu tardive, de la force armée! Après de nouveaux pourparlers avec l'Hôtel de Ville, il fallut enfin accéder aux ordres les plus précis et les plus sévères. Talma rentra dans Charles IX; mais Fleury avait blessé Dugazon en duel, et mesdemoiselles Contât et Rau- court avaient donné leur démission 1 . La Révolution fut, du reste, une grande source de dis- sensions à la Comédie-Française. Déjà, avant Charles IX t les acteurs s'étaient divisés en deux camps hostiles, les avancés et les rétrogrades. De moment en moment, ces dis^ sentiments devenaient plus marqués, et ils ne tardèrent pas à arriver à leur paroxysme. Les difficultés de la situa- tion théâtrale, et la ligue des auteurs y aidant, la Comédie- Française se dédoubla, et une troupe rivale, où étaient les transfuges Talma, Dugazon, madame Veslris, made- moiselle Desgarcins, alla s'établir rue Richelieu, au Théâtre de la République, jusqu'à ce qu'enfin les débris dispersés se reconstituassent sous le Directoire. * On peut voir, dans le catalogue Soleinnes (V, n° 764), une liste des écrits qui lurent publiés alors sur cette querelle de Talma avec la Comé- die-Française, et sur son duel avec Larive, qu'il blessa assez grièvement. m CURIOSITÉS llWATKAlES. Dans notre siècle, les querelles et rivalités d'acteurs n'ont pas plus fait défaut. 11 y eut lutte entre mesdemoi- selles Bourgoin et Volnais, qui partageaient les mêmes em- plois, et plus tard entre mademoiselle Bourgoin et ma- demoiselle Mars, qui retourna contre elle les droits de pri- mauté dont celle-ci avait abusé contre mademoiselle Vol- nais. Lafon, qui avait déjà -été auparavant en lutte contre Larive, fut toujours dans un état d'hostilité plus ou moins ouverte contre ïalma, qu'il n'apfJelait jamais que Vautre, afin de ne pas à avoir à prononcer son nom. 11 eut pour lui, dans ce combat inégal, le critique Geoffroy, qui déjà l'avait soutenu et exalté contre Larive. On sait que Talma, poussé à bout par l'Aristarque du Journal des Dé- bats, se précipita un jour dans sa loge pour lui faire cette rapide imposition des mains (un soufflet, suivant les uns, suivant les autres un simple serrement de poignet) qui fournit au journaliste le sujet d'un de ses plus piquants feuilletons 1 . Geoffroy, dont le caractère était loin de valoir le ta- lent, avait celte passion de s'immiscer dans les querelles de coulisse, et de prendre parti clans ces luttes compro- mettantes pour sa dignité littéraire. Presque toujours, en outre, il eut le malheur d'épouser les prétentions les moins justes et les plus insoutenables, et de les défendre 1 Dans une lettre très-digne et très-vigoureuse qu'il écrivit à ce su- jet au Journal de f'ar>s idée 18L2), Talma explique qu'il voulait expul- ser Geolïroy d'une loge à laquelle il n'avjit pas droit, et il le met au défi de se plaindre aux tribunaux, en le menaçant de révéler des faits honteux pour lui. Le critique eut encore d'autres vengeances à subir. Dugazon se grima un jour comme lui à Bordeaux, et parut ainsi sur le théâtre pour l'aire le compliment au public, et avoir le plaisir de se taire siltler tous cet ac- coutrement. La joue de Geoffroy lit aussi connaissance en pieine loge avec l'éventail de mademoiselle Contât. C'étaient là d'inexcusables re- présailles. CHAi\ XX. — QUERELLES ET RIVALITES !) ACTEURS. 2T1 d'une manière qui faisait suspecter son désintéressement. Ce fut encore ainsi qu'il se prononça pour mademoiselle Georges dans la fameuse lutte entre cette actrice et made- moiselle Duchesnois, qui transforma pendant trop long- temps le parterre du Théâtre-Français en une scène de pugilat. Mademoiselle Duchesnois avait débuté en juillet 180 w 2 avec un très-grand succès, et dès le moi-s de novembre de la même année, malgré l'opposition jalouse de la plupart de ses camarades, elle avait été couronnée sur la scène même. Ce n'avait été qu'avec la plus grande peine .qu'elle avait pu obtenir de débu'er à la Comédie-Française. Mo- destement mise, elle allait tous les soirs dans les coulissés chercher quelque protection bienveillante, et n'y rencon- trait que dédain et raillerie. A ses premières représenta- tions, rappelée par le public, elle ne trouvait personne du théàire pour lui donner la main. Florence seul eut d'abord ce courage, auquel il dut renoncer bientôt dans son propre intérêt 1 . Quelques jours après le couronnement de mademoi- selle Duchesnois, mademoiselle Georges, élève de made- moiselle Raucourt et protégée de madame Louis Bona- parte (depuis la reine Hortense), débutail par Clytemnestre. Douée d une beauté magnifique et d'une grande intelli- gence, elle n'avait pas 1 âme et la chaleur de la première ; c'était une reine majestueuse, qui eût mieux fait de ne pas aborder l'emploi des princesses où il faut plus de ten- dresse et d'expansion. Mais ses amis la poussèrent à se montrer dans les rôles de mademoiselle Duchesnois, et même dans celui de Phèdre qui était le triomphe de celle-cf. Celte prétention de se poser en rivale dune actrice qui, du premier coup, s'était placée au rang des plus grandes, 1 Cli. Maurice, Hisl. anecd, du th., I. . 272 CURIOSITES THEATRALES. souleva contre mademoiselle Georges les partisans de mademoiselle Duchesnois, et ils témoignèrent vivement et tumultueusement leur indignation. Le parterre du Théâ- tre-Français se divisa en deux camps bien tranchés, où il n'était pas permis de rester indifférent. Chacun tint à honneur d'applaudir frénétiquement chaque geste, chaque hémistiche de sa divinité,- et de siffler à outrance chaque hémistiche et chaque geste de la divinité rivale. La vio- lence même s'en mêla, dans les coulisses comme dans l'auditoire. Mademoiselle Haucourt, qui patronnait natu- rellement son élève, ayant été accueillie un jour par un sifflet, dans une représentation d'Iphigénie enAidide, l'at- tribua à mademoiselle Duchesnois : « Elle voulut s'en venger à force ouverte, dit M. de Manne dans la Nouvelle Biographie générale, et il fallut arracher de ses mains Éryphile (jui n'était nullement de taille à lutter contre la colossale Clytemnestre. » Sans l'intervention de l'impératrice Joséphine, qui fit ordonner sa réception en 1804, il est probable que, mal- gré la supériorité de son talent, mademoiselle Duchesnois eût été vaincue. L'admission des deux antagonistes et une ligne de démarcation nettement tracée entre leurs em-, plois apaisèrent enfin ces troubles, en attendant que mademoiselle Georges, par sa fuite imprévue à vienne, puis en Russie (1808), laissât le champ tout à fait libre à sa rivale ft Dans des temps trop rapprochés de nous pour que je m'y appesantisse, on sait quelle fut la rivalité momen- tanée de mademoiselle Rachel et de mademoiselle Maxime, qu'on tenta un instant de lui opposer. En 1835 ou 34, l'en- gagement de Bocage au Théâtre-Français donna lieu à la 1 On a fait là-dessus la Guerre théâtrale, poëme en trois chants, dédie à mademoiselle Duchesnois (1803), et qui a été attribué à Colnet, fauteur de Y Art de dîner en ville. CHAP. XX. — QUERELLES ET RIVALITES D'ACTEURS. 277> protestation d'une partie des comédiens contre cette déci- sion du comité. Au reste, en ce rapide aperçu, je n'ai pu et voulu qu'indiquer les luttes les plus célèbres, soit pîir le bruit qu'elles firent, soit parles noms qui les sôula- vèrent. On conçoit qu'il serait ridicule de prétendre épui- ser un si inépuisable sujet. SSous ne dirons qu'un mot, pour finir, des émeutes et rébellions de comédiens soulevés en masse, soit contre leur directeur, soit contre un de leurs camarades. En 1745, les acteurs de Drury-Lane se révoltèrent contre leur di- recteur Fletwood ; les péripéties de cette guerre ont été racontées dans la Vie de Garrick, par Murphy, et dans les Mémoires de Macklin. On connaît le grand soulèvement du Théâtre-Français, le 15 avril 1765, à la reprise du Siège de Calais, à propos du comédien Dubois. Celui-ci, traité d'une maladie honteuse par un chirurgien, qui réclamait ses honoraires, prétendait l'avoir payé, en présence de son camarade Blainville (ce que confirmait celui-ci) ; et il offrait d'en faire serment en juslice. Le chirurgien répan- dit un mémoire où il soutenait qu'un comédien ne pou- vait être admis au serment. Les acteurs, irrités que Dubois eût donné lieu à un factum si insultant pour eux, et ayant de fortes raisons de soupçonner la vérité de sa déclaration, l'expulsèrent unanimement, ainsi que Blainville. Le ren- voi de ce dernier ne souffrit pas la moindre difficulté; mais la fille du premier, mademoiselle Dubois, obtint des gentilshommes de la chambre une révocation au moins provisoire de cette mesure, portant que le roi se réservait la décision de cette affaire, et que Dubois jouerait, en attendant, son rôle clansle Siège de Calais. C'était quelques heures seulement avant la représentation. Lekain, Mole, Brizard, ne parurent point au théâtre. Mademoiselle Clai- ron y vint, puis retourna chez elle. Il n'y avait pas moyen de commencer la pièce. On essaye de haranguer le public 18 m CURIOSITÉS THÉÂTRALES. et de doimer le Joueur, avec Préville ; mais Préville est sifflé au milieu des vociférations les plus épouvantables; les* spectateurs réclament à grands ciis : le Siège! Clairon en prison! etc. Ce tumulte inouï dura jusqu'à sept heures du soir; on rendit l'argent. Le lendemain, la comédie n'ouvrit pas. Mademoiselle Clairon fut conduite au For- l'Évêque, et depuis elle s'obstina à ne pas rentrer au théâtre. Mole, Brizard, Ltkain, se rendirent, quarante- huit heures après, à la même prison, et y restèrent vingt- quatre jours. On rouvrit le mercredi, et Bellecourt de- manda humblement pardon au public, au nom de toute la société. Je ne suis pas entré dans plus de détails sur la Journée du Siège de Calais, comme on l'appela, parce qu'elle se trouve racontée partout. 1 . CHAPITRE XXI Des relations entre les auteurs dramatiques et les comédiens. Les auteurs dramatiques vivent du théâtre, les acteurs vivent des auteurs dramatiques . il semble donc que l'union la plus étroite eût toujours dû rapprocher ces membres.de la même famille, et pourtant l'histoire de leurs rapports n'est guère que l'histoire de leurs démêlés. Ces rapports, du reste, ont bien varié de nature suivant les temps et les circonstances. 1 Lemazurier, II, 90; Bachaumont, II, 186-7; Mém. de Dumeênil, "2 10 ; Aneed. dram.. If, HS, etc. CHIP. XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMÉDIENS. 27S À la renaissance du théâtre, nous voyons d'abord les auteurs dramatiques en quelque sorte à la solde des co- médiens : on leur commande un ouvrage, on le leur paye quelques écus, comme on payerait le menuisier du théâtre. Hardy suit partout, pareil au Roquebrune du Roman comique, la troupe à laquelle il est attaché en qua- lité d'auteur : il reçoit un salaire convenu pour fournir cette troupe de pièces nouvelles, refaire et rajuster au besoin les anciennes, en un mot, exécuter, suivant les- demandes, tout ce qui concerne son état. Sa condition est si hieji celle d'un inférieur et d'un salarié, que les comé- diens ne se font pas faute de le châtier quand il leur a déplu, ne fût-ce que pour avoir refusé déjouera la boule avec eux, dans un moment d'inspiration poétique 1 . Le Voyage amusant de Rojas, qui a peut-être servi de type au Roman comique de Scarron, nous montre qu'il en était à peu près de même en Espagne, et que les troupes ambulantes y avaient aussi à leur suite de pauvres diables de poètes dramatiques, qui servaient le plus sou- vent de plastrons et de souffre-douleur à ceux qui les employaient. Dans ces derniers temps, on a encore vu parfois quelque chose d'analogue; mais, il n'est pas besoin de le dire, avec plus de dignité dans les relations. Gol- doni s'était mis aux ordres et à la solde de Medebac, ancien baladin, directeur du théâtre Saint-Ange, à Venise,' et, la seconde année de son bail, il s'engagea à fournir seize pièces nouvelles avant l'expiration du douzième mois. M. Faolo Giacometli, un écrivain dramatique célèbre en Italie, l'auteur de Giudilta, que madame Ristori nous a récemment révélée avec tant d'éclat, a été longtemps poète au service du roi de Piémont. Corneille surtout, en élevant l'art, éleva la condition 1 Tristan l'Hermite : le Page disgracié, th. n. 93B CURIOSITES THEATRALES. des auteurs, et leur donna la suprématie qui leur était due dans ces relations entre le créateur et les interprètes d'une œuvre. Tant que le prix des pièces fut payé à for- fait, la dignité des écrivains en souffrit dans leur position vis-à-vis des arcteurs; même quand ce prix, d'abord ridi- culement minime, eût été élevé à des proportions plus raisonnables, ces arrangements leur donnaient un faux air de dépendance : il semblait que ce fussent des subal- ternes payés. Tristan, en faisant établir le droit d'auteur à propos des Rivales, de Quinault (1653), contribua beau- coup à élever cette position et à émanciper l'écrivain; mais le droit que se réservaient les comédiens sur une pièce tombée dans les règles le maintenait encore dans un état de dépendance et le faisait relever du bon plaisir de ceux-ci : celait d'ailleurs une source de discussions et de récriminations que fit enfin disparaître l'abolition de ce privilège abusif. On connaît, au dix-septième siècle, les rapports de Racine avec la Champmeslé. 11 paraît certain qu'il en fut réellement épris. Cette actrice débuta dans le théâtre de Racine par llermione; le poète, prévenu contre elle, re- usa d'abord de l'aller voir, et ne se rendit qu'à l'insis- tance la plus pressante. Les deux premiers actes semblèrent donner raison à ses craintes ; mais la comédienne se releva dans les trois autres, si bien que Racine, charmé, s'em- pressa de se mettre en relation intime avec elle. Les leçons ne lui manquèrent pas : il la dressa minutieuse- ment à tous les détails de ses rôles, car son intelligence ne répondait pas, dit-on, à ses moyens extérieurs, et elle avait besoin d'être stylée: mais elle se laissait instruire avec une ardeur et une docilité où l'amour enlrait pour quelque chose. Madame de Sévigné confirme cette opinion; et une méchante épigramme du temps nous apprend que cette passion fut déracinée dans le cœur de l'actrice par CHAP. XXI — RELATIONS DES AUTEURS ET COMÉDIENS. 277 le tonnerre, c'est-à-dire par le comte de Clermont-Tonnerre. Racine ne se laissait pas dominer par les acteurs et savait garder sa supériorité au milieu d'eux, fût-ce avec Baron, à qui il dit pourtant un jour, dans une répétition : « Pour vous, monsieur, je n'ai pas d'instruction à vous donner ; votre âme et votre génie vous dirigeront mieux que tous m* s conseils. » Mais Baron était d'un orgueil in- supportable, et, s'étant avisé, pendant que Racine lisait une de ses pièces à l'assemblée, d'en dire son avis dune façon peu séante, il s'attira cette apostrophe : « Baron, je vous ai fait appeler pour prendre un rôle dans ma pièce, et non pour me donner des conseils. » Un des auteurs avec qui les comédiens eurent toujours les relations les plus respectueuses et les plus empres- sées, ce fut Voltaire, qu'ils adoraient, qui les flattait dans ses vers, et dont ils couronnèrent le buste sur le théâtre à la représentation d'Irène. Cela ne l'empêchait pas de les malmener parfois assez rudement dans le feu des répéti- tions : « Il faudrait avoir le diable au corps, lui disait un jour mademoiselle Dumesnil, pour jouer ce rôle comme vous l'entendez. — Eh! justement, mademoiselle, c'est le diable au corps qu'il faut avoir pour exceller dans tous les arts. Oui, oui, sans le diable au corps, on ne peut être ni bon comédien ni bon poète. » Une autre lois, c'était Legrand, dont il gourmandait rudement la mollesse dans le rôle d'Omar de Mahomet. Irrité de la platitude avec laquelle il disait ces vers : Mihomet marche en maître et l'olive à la main ; La trêve est publiée, et le voici lui-même. « Oui, oui, s'écria-t-il, Mahomet arrive; c'est comme si l'on disait: Rangez-vous, voici la vache! » Le corps irritable des acteurs supportait ces boutades 278 CURIOSITES THEATRALES de sa part. Mais tons les écrivains n'étaient pas si bien trai- tés. Onsaitle méchant tour'qne Lekain, malgré son attache- ment pour Voltaire, joua à Marmontel, l'ami et le protégé de l'auteur de Zaïre. C'était à propos des corrections faites par celui-ci, d'après le désir de madame de Pompadour, au Vënceslas de Ilotrou. Lekain, qui détestait Marmontel, après avoir feint aux répétitions d'adopter ces changements pour son compte, rétablit les corrections de Colardeau en jouant à Versailles, ce qui troubla singulièrement les autres acteurs et fit manquer à tous moments les répliques et les effets. Marmontel, désespéré, jeta les hauts cris, et voulait s'en plaindre dans le Mercure; le duc d'Aumont, gentilhomme de la chambre, l'en empêcha 1 . Aux repré- sentations suivantes, Lekain reprit le texte original. En 1769 éclata une grande qi.erelle entre Dubelloy, l'auteur du Siège de Calais, et les comédiens, qu'il croyait opposés, par suite de jalousies et de cabales particulières, à la reprise de son chef d'œuvre. Il déclara en plein foyer qu'il retirait toutes ses pièces du théâtre. On échan- gea de part et d'autre des raisons et des injures, et le duc de Richelieu, à qui revint l'affaire, ordonna la reprise. La discussion recommença plus vivement sur la ques- tion des honoraires, et elle se termina par la même in- tervention, qui prononça encore en faveur du poète. Mais ce ne fut qu'une trêve : les comédiens gardèrent rancune à l'auteur des expressions dont il s'était servi à leur égard, et ce dernier, de son côté, médita de faire im- primer ses pièces, avec permission à tous les théâtres, de quelque lieu que ce fût, de les représenter, sauf à la Co- médie-Française; mais il ne put obtenir ce privilège. Lekain n'était pas facile avec les auteurs, et on l'accusa ' Mémoires de Marmontel, 1. VI, p. 190, in-8, édit. 1819; Mémoires de Lekain, p. 19. CHAP. XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMEDIENS. 279 plus d'une fois, comme aussi Ad rien ne Lecouvreur, d'a- voir mal joué, dans 1 intention expresse de faire tomber les pièces qui ne lui convenaient pas. Quelques-uns de ses confrères étaient encore moins accommodants que lui. Mole surtout montrait aux écrivains cette hauteur qui ne l'abandonnait même pas dans ses rapports avec ses collègues. Un seul trait suffira pour donner une idée de tous les autres, et fera voir en même temps la manière dont ces messieurs se comportaient à l'égard de ceux qu'ils n'avaient pas de raisons particulières pour ménager. Le 26 septembre 1772, on donna la première représenta- tion des Chérusques. tragédie de Bauvin, l'ami de . Mar- montel, qui débutait au théâtre, âgé de près de soixante ans. a Les comédiens n'ayant paru jouer cette pièce que par une pitié humiliante pour Fauteur, et le lui ayant fait sentir durement, il en a résulté un intérêt général du public en sa faveur. On a demandé l'auteur avec une fu- reur sans exemple..., au point qu'on n'a pu annoncer, et qu'on a eu beaucoup de peine à commencer la seconde pièce. — 50 septembre. On a donné de suite les Chérusques lundi et mardi, suivant les vœux du parterre, qui a paru protéger de plus en plus l'auteur et maltraiter les comé- diens. Ce dernier jour, on a apostrophé publiquement les acteurs; on a dit au sieur Monvel, qui est venu annon- cer : « On est assez content de vous; mais dites à Mole « qu'il apprenne mieux son rôle; dites à la Veslris que « nous sommes fort mécontents d'elle, qu'elle a très-mal « joué. » El sur ce que l'orateur comique représentait qu'il ne pouvait se charger de faire des réprimandes de cette espèce à ses camarades, on lui a répliqué de les faire venir. Ce dialogue... a été bientôt interrompu par les alguazils, qui sont venus imposer silence. — 7 octobre. Le sieur Mole, qui s'est donné les airs de faire attendre plusieurs heures à sa campagne d'Antony le l JSO CURIOSITES THEATRALES. pauvre auteur Bauvin, sans lui donner audience, soUs prétexte qu'il allait dîner en ville, et qu'il ne pouvait l'é- couter avant 1 , a témoigné hautement dans le foyer sa surprise de l'injustice «lu parterre à son égard: « Coni- « ment! a-t-il dit, parce qu'un homme meurt de faim, il « faut que nous nous donnions la peine d'apprendre de « mauvais vers? » On lui a répondu que sa réflexion était juste, mais qu'il devait la garder pour lui; que, lorsque le public voulait bien avoir la charité de venir s'ennuyer à une tragédie, il était de son devoir de s'efforcer à Ja bien jouer, et surtout de ne jamais être insolent 2 . » C'était la même année qu'avait lieu dans la salle de la Comédie, à propos du Suborneur, la scène provoquée par Billard, une autre victime du despotisme et de l'orgueil des comédiens. Cet original, presque fou, n'en avait pas moins quelque talent, qui eût pu fructifier, s'il n'eût pas été rebuté avec tant de mépris. Enivré de ses succès et de ses bonnes fortunes, Mole traitait presque toujours les auteurs du haut de sa re- nommée, ou d un air de protection^ assez offensant. Il garda longtemps le manuscrit de l'Inconstant de Collin- d'Harleville avant de daigner y jeter les yeux, faisant - refuser sa porte au poète, ou, quand il était surpris, se tirant d'embarras par de vagues promesses sans dissimuler •sa mauvaise humeur 5 . On fit même, sur ce superbe laisser- al 1er, la Matinée d'un comédien de Persépolis : Cette pièce reposait, dit-on, sur une aventure arrivée réellement au célèbre acteur, à qui l'on avait remis un 1 «Eh ! monsieur, lui aurait-il dit dans mie autre circonstance, sui- vant le Journal de Collé (ill, septembre et octobre 1772', cessez de m'ex- céder ! L'on jouera votre pièce, soyez-en sûr, et ne venez plus, de grâce, traîner dans mon antichambre. » 2 Mémoires secrets, t. VI. 3 Notice sur C.ollin d'Harlevillc, par Andrioux. CHAI». 4X1. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMÉDIENS. 281 cahier de papier blanc, qu'il rendit sans l'avoir déroulé, en prétendant que c'était une œuvre pleine de défauts et tout à fait injouable. Mais il n'en était plus de même avec les écrivains à réputation établie, et il s'acharnait à faire valoir envers et contre tous, même au besoin contre le public, les pièces dont le rôle principal lui avait été conlié. Préville n'était guère de commerce plus aimable, et ce fut lui qu'on accusa particulièrement d'avoir causé, par son impertinence et ses mépris, la folie de Billard *. La superbe mademoiselle Clairon se montrait plus dé- daigneuse et plus dure encore, si c'est possible. Une foule d'auteurs eurent à subir les rebuffades de son humeur altière, sans parler du chevalier de la Morlière, son en- nemi, à qui elle parvint à fermer momentanément la porte du Théâtre-Français, après l'avoir fait surveiller de près par des exempts chargés de s'opposer à ses cabales ; ni de Fréron, qu'elle voulait absolument faire envoyer au For-l'Évêque pour avoir tracé son portrait, peu flatté quoique assez ressemblant, dans son journal: elle remua ciel et terre, écrivit aux gentilshommes de la chambre, alla trouver le duc de Choiseul, assembla un comité d'amis et de comédiens, menaça de donner sa démission pour en venir à bout, et ce fut à grand'peine si la goutte de Fréron et l'intervention de la reine purent sauver l'écrivain de ses vindicatives fureurs. Elle injuria Rochon de Chabannes, jeta un rôle au visage de Lemierre, qui s'était permis quelques représen- tations sur son jeu, et traita si mal Sauvigny, qu'il fut obligé de sortir de l'assemblée : « Allez, monsieur, lui cria-t-elle de la porte avec sa dignité ordinaire, si vous avez du talent, vous nous reviendrez. » Saint-Foix lui avait demandé, dans une représentation 1 Mémoires secrets, VJ, 270. Ôgâ CURIOSITÉS THÉÂTRALES. à la cour (1765), un acte de complaisance en faveur de mademoiselle Doligny, et elle s'y élait injurieusement refusée. Il se vengea par une lettre à Fréron, dirigée contre la tragédienne. Celle-ci y répondit en achetant un grand nombre d'épreuves du portrait de Saint-Foix, dont elle lit enlever la partie supérieure pour y substituer une tête d'hyène, et Fauteur, plus irrité que jamais, riposta en parodiant d'une manière sanglante un sixain com- posé jadis en l'honneur de la reine du théâtre. Saii.t-Foix, d'ailleurs, n'était pas facile avec les acteurs de ses pièces (pas plus qu'avec n'importe qui) et ne leur ménageait pas, à l'occasion, l'expression de son mécon- tentement. Il avait donné le rôle de la fée à mademoiselle Lamotte dans YOracle; trouvant, aux répétitions, qu'elle ne prenait pas un ton convenable, et mécontent de l'em- portement outré qu'elle donnait à son rôle, il lui arracha sa baguette en disant : « J'ai besoin d'une fée et non d'une sorcière. » Elle voulut répliquer, mais il lui ferma la bouche par ces mots : « Vous n'avez pas de voix ici ; nous sommes au théâtre et non au sabbat 1 . » L'état d'hostilité, établi pour ainsi dire en permanence entre ces deux classes qui ne pouvaient pourtant se passer l'une de l'autre, ne s'arrêlait pas toujours là, et se tra- duisit quelquefois par des faits plus brutaux encore. Un jeune auteur avait chansonné les actrices du théâtre de la Foire en parodiant les couplets qui terminent la Cher- cheuse d'esprit (1741). Le lendemain, comme il se trouvait à l'amphithéâtre, une de ces actrices, mademoiselle Bril- lant, fut s'asseoir à côté de lui, et parvint, à l'attirer dans sa loge. A peine est-il entré que toutes les comédiennes averties tombent sur lui à grands coups de verges. Déli- vré par l'officier de police, il s'enfuit â toutes jambes et 1 Lemazurier, t. II. CHAP. XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMEDIENS. 28* s'embarqua, trois jours après, pour les îles, d'où il ne re- vint plus. Mais ce n'est là qu'un épisode tout à fait particulier et exceptionnel. Rentrons dans l'histoire des hostilités régu- lières, qui, après avoir couvé longtemps, en ne se mani- festant guère que par quelques escarmouches d'avant- garde 1 , allaient enfin éclater en une guerre sérieuse dont on peut suivre les développements pas à pas dans les Mémoires secrets et la Correspondance secrète. Cette guerre eut une singulière origine. Lonvay de la Saussaye avait fait jouer, en 1774, la Journée lacédémo- nienne, où il avait recommandé qu'on ne mît ni or ni argent dans les costumes, pour observer la couleur lo- cale. Les dames réclamèrent; l'auteur résista si bien, que, la colère s'en mêlant, les comédiens poussèrent aussi loin qu'ils purent le luxe de la mise en scène. Puis, de plus en plus irrités de l'aigr ur de ses récriminations, donnant une interprétation normande à un article de leur règle- ment, ils lui présentèrent un mémoire à payer lorsqu'il vint pour toucher ses droits, et voulurent lui prouver qu'il était débiteur de 101 livres 8 sous 6 deniers, pour fourniture de décors, galons, broderies, marbre, pierres précieuses, etc. La question fut portée au conseil, où elle resta enterrée, comme toujours. Ce fut sur ces entrefaites que s'éleva (1775) l'affaire du dramaturge Mercier, qui fut le véritable chef de la ré- volte. Il avait publié un Essai dramatique, où les comé- 1 Les auteurs n'avaient pas toujours le champ libre pour publier leur* sujets de plaintes, car, en 1775, un jeune homme, nommé Salaun, ayant fait un petit ouvrage contre les comédiens à piopos de leurs démêlés avec Renou, l'auteur de Têrée (voir l'amusante et vive préface df cet ou- vrage), le lieuieuant général de police lui enjoiguit de s'en référer aux gentiist ommes de la chambre, et le duc de Duras lui défendit expressé- ment de faire paraître ce pamphlet. Mais, l'année suivan e, Kenou en ap- pela lui-même au public, et Monvel, qui se chargea de la réponse, trouva moyen d'en faire une diatribe qui atteignait tous les auteurs. L'Ni CURIOSITÉS IHÉATUAlliS. diens étaient assez maltraités : ceux-ci refusèrent, en (onséquence, non-seulement déjouer un de ses drames, reçu depuis près de deux ans, mais de se réunir pour entendre la lecture d'un autre, disant qu'ils ne pouvaient rien avoir de commun avec un homme qui avait cherché à les couvrir de ridicule et d'infamie, et qu'ils ne vou- laient ni se charger d'aucun de ses ouvrages, ni les rece- voir, ni même les entendre, tant qu'il ne se serait pas justifié du libelle que tout le monde lui attribuait. Mer- cier, loin de se soumettre à cette décision, publia un mémoire à consultée, concluant à ce que les comédiens fussent forcés de jouer celles de ses pièces qu'ils avaient reçues, et à ce qu'ils fussent punis pour avoir inscrit sur leurs registres un arrêté où ils le qualifiaient de libellisle. Quelques autres auteurs ne tardèrent pas à se joindre à lui, surtout Palissoi, qui, courroucé du refus de sa pièce des Courtisanes, décocha contre les actrices une épître sati- rique, sous le tit.e injurieux de Remercïment des demoi- selles du monde aux demoiselles de la Comédie-Française, pour, la protection dont ces dernières ont bien voulu, les honorer à l'occasion de la comédie des Courtisanes; puis l'avocat Bohaire, dont on avait refusé de lire à l'assem- blée le drame dCEulalie, comme faible à tous égards et non susceptible de corrections; enfin le chevalier du Coudray, qui, voulant se venger du rejet de trois de ses pièces, publia une Lettre à M. Palissot, ouvrage assez médiocre, où il mit « les comédiens à leur vrai rang, disent les Mémoires secrets, c'est-à-dire au-dessous des va- lets de pied du roi. » On peut juger par là de l'urbanité qui régnait dans cette discussion. Déjà auparavant, Le Sage, qui avait à se plaindre des comédiens et qui, dans Cil Blas, en a souvent tracé la satire sous le voile d'une fiction transparente, avait écrit, en racontant la manière hautaine dont ils recevaient les . CIUP. XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMEDIENS. 285 auteurs : « Ces histrions les mettaient au-dessous d'eux, et certes ils ne pouvaient les mépriser davantage. » La cause de Mercier, vigoureusement soutenue, prit aussitôt une tournure tout à fait juridique. 11 présenta une requête à la grand'chambre, et son avocat, maître Henrion de Pansey, lit paraître un mémoire plus étendu, où il revenait sur les réclamations de Lonvay de la Saus- saye. Les choses étaient en cet état, quand Mercier, s'étant présenté au théâtre, où il avait ses entrées, comme tout auteur dont une pièce était reçue, se vit refuser la porte, refus qu'il se hâta de faire constater par un couimis- saireet deux témoins, pour le joindre à ses chefs de plainte. Quelque temps après, le lieutenant de police manda Mercier pour le tancer sur la violence de son mémoire et lui défendre de passer outre; mais celui-ci re*ta inébran- lable, déclarant qu'il n'avait fait qu'user de la loi, que l'affaire était soumise à la justice et ne dépendait plus que de sa décision. Les menaces n'eurent aucune prise sur l'âme du Spartiate. Informé bientôt qu'une lettre de cachet avait été. décernée contre lui par les soins du duc de Duras, gentilhomme de la chambre, il alla se mettre sous la pro- tection du parlement. Sa fermeté imposa, et la lettre de cachet fut révoquée. La querelle. prit une tournure de plus en plus sérieuse, mais avec les lenteurs ordinaires. 11 se produisit mémoires sur mémoires, rédigés et souscrits par les plus illustres avocats, Henrion de Pansey, François de Neufchâteau, Mallet, etc. M. de Maleshernes, fa^rable aux gens de lettres, se chargea du rapport au conseil. La fermentation devenait chaque jour plus grande; presque tous les auteurs se réunissaient dans un sentiment commun de révolte, et l'opinion publique se prononçait énergiquement en leur faveur. 286 CURIOSITES THEATRALES. Les griefs articulés étaient nombreux et importants. On se plaignait de l'insolence et des caprices des comédiens: ils violaient les règlements pour n'en agir qu'à leur fan- taisie; ils intervertissaient à leur gré Tordre des pièces reçues; ils faisaient attendre les auteurs si longtemps, qu'il était arrivé, plusieurs fois, que ceux-ci n'étaient plus de ce monde quand on les jouait 1 ; ils employaient la ruse pour faire tomber une pièce dans les règles et s'en approprier le produit; ils s'affermissaient déplus en plus dans des habitudes d'usurpation et de confiscation; ils avaient osé refuser à Racine fils d'entrer en compte avec lui pour les recettes d'un des ouvrages de son père, quin'avait été mis au théâtre qu'après la mort de celui ci, etc. Pourtant, c'étaient les mêmes comédiens qui, en 1769, voulant encourager leurs auteurs, avaient arrêté de donner des pensions viagères de huit cents livres aux deux sujets qui auraient le plus mérité d'eux. On se mit à parler vivement de la création d'un second Théâtre-Français. N'oublions pas de nommer, parmi ceux qui se signalèrent le plus dans cette nouvelle croisade, Cailhava, à qui une brouille avec Mole avait fermé les portes de la Comédie, et qui trouvait qu'on ne le jouait pas assez souvent. Il a raconté lui-même toutes les més- 1 Assez longtemps après, le Cousin Jacques ayant eu aussi à se plaindre dos comédiens, qui, chaque année, refusaient à 1 unanimité chacune de ses pièces, malgré ses succès sur d'autres théâtres, disait, dans une épître accompagnant renvoi d'une nouvelle comédie : ... Vous allez, suivant l'usage, De ma pièce, et puis se dira : Employer dix ans à savoir H faut s'occuper de cela... Si \ous en ferez la lecture. Dix ans apr s, plus de délais : Pendant dix autres, l'on assure Vous y songerez ou jamais... Qu'au pi entier joui' il faudra voir. Mais priez bien vos descendants Dix ans ap- es, quelqu'un peut-être, D'avenir alors le parterre En me voyant, se souviendra, Que. depuis trente ou quarante an*, S'il peut alors me reconnaître. L'auteur est mort sexagénaire. CHAP XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMEDIENS. 287 aventures, les rebuffades, les affronts qu'il eut à supporter dans sa chasse aux représentations. A partir de 1772, Cailhava devint un des plus rudes ennemis du Théâtre- Français. Non content de se venger en épigrammes et en tirades gasconnes, il écrivit un mémoire qu'il envoya partout, notamment chez les puissances, sur les Causes de la décadence du Théâtre et les moyens de le faire refleurir , augmenté d"un plan pour rétablissement d'un second Théâtre-Français. C'était toujours à ce dernier point qu'on en revenait. L'affaire de Mercier, évoquée au conseil, resta pendue au croc, comme les comédiens l'avaient espéré, et leur insolence ne lit que s'accroître. L'infatigable Mercier, qui était allé se faire recevoir avocat afin de pouvoir plaider à son aise contre la Comédie, ne voyant plus d'autre res- source pour la mettre de nouveau en cause, s'arrangea de manière à faire constater un second refus relativement à ses entrées, et assigna ses adversaires au Châtelet, où ils furent condamnés par défaut à deux cents écus de dom- mages et intérêts; mais, grâce à la protection des gen- tilshommes de la Chambre, ceux-ci parvinrent à faire encore évoquer au conseil cet autre procès, comme inci- dent, et annexé au premier. Dès lors il fallut bien se résoudre à un ajournement indéfini des débats; seulement le champ resta libre de part et d'autre aux attaques particulières, et on ne s'en fit pas faute. Le 29 octobre 4776, les comédiens jouèrent une pièce du chevalier de Cubières, la Lecture interrom- pue, qui avait d'abord été intitulée le bramomane, et qui était surtout dirigée contre Mercier; mais ce fut à peine si cette rapsodie, malgré les efforts des acteurs, put aller jusqu'à la fin. De son côté, le clan des auteurs publia, en 1777, contre la troupe royale, une âpre satire, sous forme dramatique, portant pour titre : Les Comédiens, ou le 288 CURIOSITES THEATRALES. Foyer, et pour épigraphe: Quid facient, domini, mutent cum lalia fvres 1 ? Ce fut sur ces entrefaites qu'un nouvel adversaire s'é- leva contre les comédiens, le plus habile et le plus dan-, gereux de tous. En 1776, le maréchal de Richelieu, fatigué de ces différends continuels, avait invité Beaumarchais, en lui remettant les règlements anciens et nouveaux de la Comédie, à étudier la question au point de vue finan- cier, pour vérifier si les plaintes des écrivains sur leurs droits lésés étaient justes '. N'ayant pu avoir communi- cation des livres de recettes et dépense?, Beaumarchais attendit que le produit d'une de ses pièces lui donnât le droit d'exiger un compte exact qui pût servir de base à ses recherches. Cette occasion se présenta pour le Barbier de Séville, dont la première représentation remontait au 25 janvier 1775. Lorsqu'il eut été joué trente-deux fois, Beaumarchais demanda la note de ce qui lui était dû: il eut mille maux de l'obtenir, et on se borna d'abord à lui envoyer, après une longue attente, quatre mille cinq cent six livres, qu'il n'accepta pas, parce qu'aucune pièce justificative n'était jointe à cette somme. Enfin on se dé- termina à lui adresser un simple bordereau, sans signature, et non certifié véritable, qu'il n'accepta point davantage. Les comédiens résistèrent à toutes ses réclamations, allé- guant qu'il y avait beaucoup de points sur lesquels ils ne pouvaient donner qu'une cote mal taillée, et que, du reste, ils suivaient avec lui l'usage reçu dans leurs rela- tions avec tous les auteurs; mais, mis au pied du mur par l'opiniâtreté de leur adversaire, et, ne sachant comment 1 L'analyse et un extrait de cette pièce se trouvent dans la Correspon- dance secre c, IV, 180-7. 2 Déjà Voltaire avait voulu soulever cette question des droits d'auteur, par l'intermédiaire de Piron, qui s'y refusa. — Vie de Piron, par Itigoley de Juvipny. CiiAP. XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMÉDIENS. 28U lui échapper, ils allèrent se plaindre de ces persécutions au maréchal de Duras, gentilhomme de la chambre. Celui- ci, après s'être abouché avec Beaumarchais, l'engagea à renoncer à sa demande d'un compte exact, qui pouvait jeter les comédiens dans les plus grands embarras vis-à- vis des auteurs mécontents, et à travailler plutôt à un nouveau règlement qui sauvegardât, pour l'avenir, les droits des écrivains. Dès lors, au bout d'un an de démarches inutiles, l'af- faire changeait de face. Beaumarchais se hâta de convo- quer ses collègues chez lui, et presque tous répondirent avec empressement à son appel. Presque tous, en effet, étaient en brouille avec la Comédie-Française, en parti- culier, outre ceux que j'ai déjà nommés, Piron, Collé et Sedaine. qui avaient abandonné ce théâtre pour la Comé- die-Italienne, où ils se trouvaient beaucoup mieux traités. C'est de cette époque que date, à proprement parler, la Société des auteurs dramatiques, et Beaumarchais en est le vrai fondateur. C était à la fois l'âme et le bras droit de ces réunions: il était propre à mettre tout en jeu, l'in- trigue et l'éloquence, les armes du raisonnement et celles •du ridicule. Il sortit de ce cénacle en travail un ensemble de règlements nouveaux 1 qui firent jeter les hauts cris aux comédiens, quand ils leur furent communiqués, dé- tachés, par ordre des maréchaux de Richelieu et de Duras, des motifs qui les commentaient et les appuyaient ; mais les auteurs se montrèrent décidés à les faire autoriser dans les formes juridiques, ou à réclamer la création d'un second Théâtre -Français. On peut voir, dans le Compte rendu de Beaumarchais, les lenteurs inouïes, les mauvais vouloirs, les résistances actives ou passives, les embarras 1 Voir quelques -uD6à des innovations pro^os^cs, Mémoires xecrcls, \ 347-8; ïteau marchai s, C-mpie rendu aux auteurs dramatiques. 19 '290 CURIOSITES THEATRALEb. inextricables qui s'opposèrent aussitôt de toutes parts a 1 exécution de ce règlement, quoique approuvé par les gentilshommes de la chambre, si bientjue Beaumarchais finit par être suspecté dans son zèle et sa sincérité par quelques-uns de ses confrères. Enfin, après trois ans de travaux perdus, on engagea les commissaires des auteurs à revenir au premier mode qu on les avait priés d'abandonner, c'est-à-dire à la de- mande d un compte exact aux comédiens. Ileureusement, cette fois, M. de la Ferlé, intendant des Menus, fil re- mettre, à Beaumarchais les états de recettes el de dépenses de la Comédie pendant trois ans. Aimé de ces pièces, il parvint sans peine à démontrer que la somme qu'on lui avait offerte pour son Barbier était de beaucoup inférieure à celle qui lui était due, parce que, d une part, les comé- diens évaluaient les frais à un taux bien supérieur à la réalité, et que, d'autre part, ils ne faisaient pas entrer dans le compte des recettes, sur lesquelles l'auteur devait prélever le neuvième, le véritable produit journalier de l'abonnement des petites loges. Les comédiens furent bien forcés de se rendre, sur la plupart des points, à l'évi- dence des démonstrations, et le nouveau compte du Bai- Mer de Séville fut réglé de part el d'autre pour servir de modèle à 1 avenir. On croyait tout fini, quand la guerre recommença, au sujet d'un nouvel arrêt du conseil surpris par les comé- diens, el qui avait pour but de regagner clandestinement ee qu ils avaient cédé, en élevant indirectement le taux au-dessous duquel une pièce tombait dans les règles et devenait leur prop.iété. lNous ne pouvons entrer dans tous lesjjjâtails de celte nouvelle lutte non plus que de l'ancienne. 11 suffira de dire que l'acharnement et l'obs- tination y furent, de part et d'autre, poussés à leur der- nière limite, et que le conseil, en décembre 1780, mit lin CHAP. XXi. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMÉDIENS. 291 aux débats par un arrêt, d'ailleurs assez peu judicieux, qui détruisait d'une part ce qu'il établissait de l'autre, et ne pouvait que suspendre et non terminer définitivement la question, mais qui n'en était pas moins, sur plusieurs points, une consécration des droits des auteurs 1 . Pendant cette querelle, le blocus avait été appliqué à la Comédie-Française. Sauvigny, d'Arnaud, Ducis, por- taient leurs pièces au théâtre de Versailles, dirigé par ma- moiselle Montansier. Mercier était obligé de se faire jouer en province ou aux Italiens. La Comédie, privée de nou- veautés, et ne pouvant plus guère aborder la tragédie de l'ancien répertoire, par suite de la mort de Lekain, était désertée par la foule. Elle en fut réduile à user de son privilège pour enlever au théâtre de l*Écluse les Noces houiardes, de Dorvigny, dont la grosse gaieté, après avoir subi quelques coups de sifflet, finit par ramener le public. Voilà oùen était notre premièrescène un peuavant!780. Aussi concevons-nous parfaitement l'exclamation de ma- demoiselle Luzy : «Eh quoi! n'y aurait-il pas moyen de se passer de ces coquins d'auteurs? » Camerani, du Théâtre- Italien, disait la même chose: «Tant qu'il y aura desauteurs, notre théâtre ne pourra prospérer. » En attendant, le? comédiens les tracassaient le plus qu'ils pouvaient. Ainsi, en 1769, Coqueley de Chaussepierre, qui était tout à leur dévotion, ayant été nommé censeur du Journal des théâ- tres de Lefuel de Méricourt, un de leurs plus ardents en- nemis, ils usèrent et abusèrent de leur Wfluence sur lui pour lui faire traiter cette feuille avec une impitoyable rigueur. Le censeur censura si bien, en effel, et coupa s Vigoureusement, malgré les cris de sa victime, que le journal demeura quelque temps sans pouvoir, paraître. 1 Baautnarekais, par M. VAprégé de.Cnmioirc du Thèâire-Français, par de Mouhy, t. IV, p. 25 et suivantes. m CUKiOSl'ÏES TflËATRAtaÈS. 11 finit par tomber entre les mains de le Vacher de Char- nois, très-humble serviteur des comédiens. Cette affaire, comme on pense, donna encore naissance à de nouvelles discussions et de nouveaux mémoires. Mais le bureau de législation dramatique n'avait pas fonctionné sans schisme et sans dissidences, tandis que les acteurs marchaient au combat parfaitement unis. Blet, Lemierre, Kochon, Sauvigny, s'étaient séparés des réunions, sous prétexte qu'on négligeait les questions les plus nobles et les plus réellement importantes, pour ne s'occuper que du lucre. Le second surtout, mécontent sans doute du peu de vigueur qu'on mettait à poursuivre l'accomplissement de ses deux propositions, — l'une de faire rendre à Mercier ses entrées, l'autre de soutenir de leurs conseils et d'un prêt de cinquante louis les héri- tiers de Racine, dans le procès qu'ils avaient intenté aux comédiens pour les honoraires (VAthalie, — seséparaavec éclat dans ses Observatio?is sur la nécessité d'un second Théâtre-Français. En outre Durosoy 1 et Dubuisson, qui n'avaient pas été appelés aux conférences, quoiqu'ils eussent des pièces reçues, écrivirent aux acteurs pour dés- avouer leurs confrères. Grâce à cette démarche politique, qui excita l'indignation des écrivains, ce dernier obtint un tour de faveur pour sa tragédie de Nadir, et, dans la pré- face de cette pièce, il prit encore plus résolument fait et cause pour les comédiens. Malgré tous Ws débats, où il avait joué le principal rôle, Beaumarchais ne s'efforça pas moins, un peu plus tard, de se rapprocher des acteurs, quand il voulut faire jouer son Mariage de Figaro. Ceux-ci ne lui cachèrent pas d'abord leur rancune, et Desessarts, et Mole surtout, le 1 Durosoy avait pourtant eu de vifs et publics démêlés avec les comé- diens, à propos de ses deux tragédies à'Audriscus et des Ih'cius Fronçai ,• ' ou le Siège de Calais. CHAP. XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMÉDIENS. 203 malmenèrent avec une hauteur qui ne dura point, parce que l'intérêt imposa bien vite silence au dépit. S'ils traitaient ainsi Beaumarchais, on peut juger des autres. Plusieurs éprouvèrent les effets de leur ressenti- ment, favorisé surtout par le dernier article de l'arrêté, qui décidait que les ouvrages reçus seraient lus derechef. Dans une nouvelle édition de sa Venise sauvée, de la Place fit le public juge des tracasseries sans nombre qu'il avait eu à subir de leur part, et renonça à être joué par eux. La même année, Saint-Ange en appela également aux lec- teurs de leur mauvais vouloir. C'est probablement aussi à la vengeance d'un auteur dramatique qu'il faut attribuer le Désœuvré, ou r Espion des boulevards, qui parut en mars 1782, ouvrage très-vif contre les tripots comiques, dont il révélait les mystères. Tout cela n'amenait pas grand résultat, car nous voyons, quelque temps après, un nouvel exemple des procédés plus que cavaliers des comédiens. Mole avait depuis sept à huit ans une pièce oubliée dans son porleleuille; il y pense tout à coup, la fait recevoir, y met un autre titre de sa propre autorité, et, comme il eût été trop long d'é- crire à 1 auteur, qui habitait Marseille, en refait lui-même le cinquième acte. Cette grande guerre nous a fait laisser de côté une petite guerre particulière entre Marmontel et l'Opéra (jan- vier 1768), causée par l'indignation de l'académicien de voir qu'on eût introduit un double dans la distribution des rôles d'un de ses ouvrages. Ses fureurs furent telles, quelles mirent en fuite les acteurs, les actrices et l'or- chestre, et que la répétition ne put avoir lieu ce jour-là. Puur éviter les suites d'une mésintelligence engagée sous de si fâcheux auspices, on enjoignit au poète, de la part du roi, de ne plus paraître aux répétitions. Des persi- fleurs ne manquèrent pas de saisir cette occasion au yoI m CURIOSITÉS THEATRALES. pour faire circuler toute sorte de facéties satiriques, qui envenimèrent la querelle. En 1781 , de Piis et Barré entrèrent en contestation avec les comédiens italiens, à propos d'un règlement nouveau, d'après lequel les auteurs étaient obligés de soumettre d'abord leurs ouvrages à un comité qui devait décider s'ils étaient dignes dette lus à la troupe. Ils prétendaient que cette loi ne les regardait pas, à cause de leurs nom- breux, succès. Le débat devint vif, surtout de la part des deux auteurs, à qui l'intervention de la cour finit par donner raison 1 . A la veille de la Révolution, Olympe de Gouges, qui, venant de dépasser ses trente ans, voulait troquer la gloire de Laïs contre celle de Sapho, en attendant quelle aspirât à une autre gloire encore, inonda de ses comédies les cartons du Théâtre-Français. Protégée par Mole, elle parvint d'abord à faire recevoir une de ses pièces; malheureusement, lorsqu'on la relut à froid, elle parut injouable. Sapho réclama, tempêta, présenta d'autres pièces, mais on les refusait avec une désespérante una- nimité. Elle se fâcha, et ses plaintes devinrent d'une telle nature, que son nom fut solennellement rayé des registres et son drame considéré comme non reçu. Olympe essaya alors de ressusciter la coalition de Beau- marchais : vivement soutenue par le chevalier de Cu- bières, elle écrivit à tous les poètes dramatiques, dont quatre lui répondirent, et se rendit chez l'auteur du Bar- bier de Séville, qui ne la reçut pas. Alors elle tâcha de rentrer en paix avec les comédiens, et en vint à bout, grâce aux bons ofiicesde Mole. Mais, comme elle en pro- fita pour apporter de nouveaux ouvrages, la trêve fut de courte durée. Il faut lire, dans sa brochure: les Comédiens * Voir, pour ces faits, les Mémoires secrets, aux dates correspondantes CHAP. XXI. — RELATIONS DES AUTEURS ET COMEDIENS. 295 démasqués, ou madame de Gouges ruinée par la Comédie- Française pour se faire jouer (sans da e, in- 8°), le récit de toutes ses démarches, de toutes ses dépenses, de tous ses cadeaux, de tomes ses lectures, fait avec celte verve mé- ridionale et cette haute opinion de soi qui distinguèrent toujours notre héroïne. Il faut y voir comment les comé- di> n.i la fuyaient, se faisaient tous dire malades ou sortis à chaque rendez-vous, et comment elle s'était lotrée en face du théâtre pour mieux les épier. Il faut y voir sur- tout le récit de 'la lecture de son Molière chez Ninon, (qui n'est pourtant pas une mauvaise pièce), au bruit d'une porte qu'en est obligé de refermer sans cesse et des ronflements de l'auditoire; après quoi viennent les bulle- tins railleurs concluant presque tous au rejet. Pour le coup, Olympe n'y tint plus: elle en appela à l'univers, en faisant imprimer son théâtre, en 1788, avec des pièces justificatives et sa corre-pondance; elle jura que toutes les nations demandaient la représentation de son premier drame, qui ne fut joué (sans aucun succès, hélas') qu'après la prise de la Bastille. Dans la préface de Molière chez Ninon, ses plaintes arrivèrent à une déchi- rante éloquence : elle regrette de n'être pas un homme, pour couper les oreilles à ces faquins d'acteurs. La Harpe eut de fréquents démêlés a\ec la Comédie, un entre autres, en H 84, au sujet des droits d'auteur de Co- riolan, que l'on ne voulait point fui payer, pendant la dernière semaine avant la clôture, et un second, en 1786, qui fit délibérer si Ton remettrait sa tragédie de Jeanne de Naples, et fournit à Brizard, Fleury, Dorival, Deses- sarls, l'occasion de se prononcer nettement et énergique- ment contre lui 1 . En 1790, à la tête d'une députation d'auteurs draina- ' Revue rétrospective, ï° *ér, t. I, p. 297-30-1 296 CURIOSITE^ THEATRALES. tiques, il alla faire un discours à la barre de l'Assemblée nationale, où il réclama, pour conclure, « la concurrence légalement établie entre plusieurs troupes de comédiens légalement autorisés à jouer toutes les pièces des auteurs morts ou vivants. » C'était, comme on voit, dépasser de beaucoup l'ancienne demande d'un second Théâtre-Fran- çais. Les troubles et la licence du temps allaient, d'ailleurs, se charger de réaliser à peu près ce vœu, sans qu'il fût grand besoin d'une autorisation légale. En 1791, une bonne partie de la Comédie-Française émigia vers le théâtre de la rue Richelieu ; néanmoins, malgré la guerre avec les auteurs, plusieurs lui demeu- rèrent fidèles dans ce moment de crise : Collin-d'llarleville, Andrieux, François de INeufthâteau, Arnault, Peyre, Laya, etc. Du reste, celte séparation ne dura pas long- temps : les efforts et les pétitions des écrivains drama- tiques ne purent empêcher les acteurs de se réunir à la fin du siècle, grâce surtout à la protection auministre de l'intérieur, François de lNeufchâteau, qui, après avoir débuté par écrire un Mémoire contre la Comédie, dans l'affaire Lonvay de la b'aussaye, en était devenu l'ami et le protecteur. Ce fut en 1791 aussi que Beaumarchais reprit une der- nière fois la p'ume pour sa vieille cause, d abord dans son Rapport fait aux auteurs dramatiques, au sujet de la prétention des comédiens français, qui demandaient qu'on leur reconnût neuf cents livres de frais par jour, et à qui l'on n'en accorda que sept cents ; puis, dans sa Pétition à Y Assemblée nationale, contre l'habitude prise par les di- recteur des speitaces de la province d'usuiper les pro- priétés des écrivains, malgré eux, et sans leur offrir de rémunération 11 avait déjà tenté, en l"8i, de faire recon- naître un droit aux auteurs sur leurs pièces joutes en province, et il n'avait pas réussi. En somme, c'est à lui CHAP. XXII. — ORIGINAUX DES COULISSES. 297 que M. Scribe doil d'avoir pu amasser quelques millions, et tel vaudevilliste quelques centaines de mille francs; pourtant son buste est à la Comédie, et il n'est pas dans le cabinet de la plupart de nos vaudevillistes. CHAPITRE XXII tes originaux des coulisses, Voilà un titre d'une étendue si vaste et si élastique, qu'il en est infini. Ai-je besoin de dire que je ne veux envisager ce sujet qu'à un point de vue très-restreint, sans me préoccuper de l'originalité du jeu, et présenter seulement au lecteur quelques figures parmi celles dont l'ensemble de la vie théâtrale offre le plus de singularités, et qui peuvent rester comme des types à part? Encore me bor- nerai-je au théâtre français et au théâtre régulier. Laissant donc de côté des physionomies telles que celles de Scaramouche, de Gaultier-Garguille et de ses com- pagnons Gi os-Guillaume et ïurlupin, voire de Jodelet et de Briiscambille, nous ouvrirons notre galerie par celle de Ragueneau, le pâtissier puëte et comédien. Ragueneau avait, dans la rue Saint-Honoré, vers le milieu du dix-septième siècle, une belle boutique, hantée surlout par des gens de plume et des gens de théâtre. Celait un homme simple, qui se croyait tout plein d aspi- rations et d'inspirations poétiques, et ses clients, peu déli- cats, ne manquaient pas d'abuser de ses goûts, en metlant £98 CURIOSITES THEATRALES. son étalage à contribution, sans le payer autrement qu'eu quatrains ou en billets de comédie. Il arriva ce qui devait arriver ; Dassoucy va nous l'apprendre : « Ce fut un jour marqué de noir pour messieurs les poètes, que dès l'aube du jour on renr.onira par les rues se torchariNe bec, après avoir pris chez luy le dernier déjeuner, qu'une troupe de sergents affamés, à la barbe d Apollon, eurent bien la hardiesse de prendre au collet son cher et bien-aimé Ra- gueneau, et le mener, sans aucun respect ny de ses vers, ny de ses muses, dans le fond d'une prison, dont (après un an de captivité) estant sorty pour donner au monde les excellents ouvragesqu'à 1 imitation de Théophile il y avoit composez, ne trouvant dedans Paris aucun poète qui le voulust nourrir à son tour.... il en sortit avec sa femme et ses enfans, luy cinquième, comptant un petit asne tout chargé d'éfigrammes, pour aller chercher sa fortune au Languedoc. » C'est là que la vocation l'attendait. Dans les temps de sa splendeur, les comédiens avaient toujours été ses hôtes les plus assidus, et, quoiqu'ils payassent moins encore que les poètes, si c'esi possible, il en avait conservé un souvenir attendri; aussi, ayant rencontré dans cette province une troupe de comédiens, il alla s'offrira elle, en se prévalant de ses bons rapports avec leurs confrères du Marais et de l'hôtel de Bourgogne, ('es messieurs avaient jusîement besoin d'une utilité du dernier ordre, et î otre Ragotin pâtissier « entra avec eux en qualité de valet de carreau de la comédie, où quoy que son rolle ne fust jamais tout au plus que de quatre vers, il s'en acquitta si bien, qu'en moins d'un an qu'il lit ce mestier, il acquit la réputation du plus méchant comédien du monde; de sorte que les comédiens, ne sachant à quoy l'employer, le voulurent faire moucheur de chandelles; mais il ne voulut point accepter cette condition, comme répugnante à l'hon- neur et à la qualité de poète. Depuis, ne pouvant résister CHAP. XXII. — ORIGINAUX DES COULISSES. 299 à la force de ses destins, je l'ay veu avec une autre troupe qui mouchoit les chandelles fort proprement 1 . » Ce que Dassoucy ne nous dit pas, mais ce que nous apprend Grimarest, c'est que la troupe de comédiens rencontrée par Ragueneau dans le Languedoc étail celle de Molière. « Cette troupe, dit celui-ci, était composée de la B'-jart, de ses deux frères.... d'un pâtissier de la rue Saint-IIonoré, père de la demoiselle de la G. (de la Grange), femme de chambre de la Debrie. » Voilà tout ce qu'on sait sur la carrière théâtrale de ce curieux personnage, et c'est grand dommage que « l'em- pereur du burlesque » ne soit point entré dans plus de détails. Nous devons dire toutefois qu'il a calomnié, ce semble, son double talent d'acteur et de poêle, car Ch. Beys n'a pas craint de louer ouvertement l'un et l'autre. Il est vrai que Bays est suspect, puisqu'on le soupçonne forte- ment d'avoir composé les vers que signait le pâtissier. Le nom de Ragueneau, le pâtissier comédien, appelle 'logiquement celui de Ramponneau, le cabaretier comé- dien, ou du moins qui faillit l'être. C'est une histoire qui mérite d'être racontée : elle a été la grande affaire de l'année 1760. Ramponneau était un cabaretier bon vivant de la Cour- tille, et son nom est encore populaire aujourd'hui. La guinguette de ce joyeux compère, portant pour enseigne la trogne rubiconde du maître, à califourchon sur un ton- neau, avait la vogue entre toutes les guinguettes des Porcherons. A côté des bons drilles, qui allaient danser et faire la ripaille au « Tambour-Royal; » à côté des élé- gants qui s'y faufilaient pour jouir du spectacle, acteurs et auteurs du boulevard y venaient trinquer de concert. C'était là que Dorvigny composait ses Jocrisses ; que Ta- 1 Dassoucy, Aveul. d'Italie, ch. xu, p. 298, éd. Delahays. 500 CURIOSITES THEATRALES. connet et Constantin, acteurs de Nicolet (et deux originaux aussi, le premier surtout), buvaient leurs vingt bouteilles de compagnie, en faisant des études de types populaires pour leurs rôles. 11 est probable que le fameux Volange, dit Janot, s'y rendit plus d'une fois lui-même. Cette com- pagnie quotidienne, les faciles succès qu'obtenait Ram- ponneau au milieu de ses habitués, avec sa bonne physio- nomie niaise et radieuse, sa belle humeur, ses saillies au gros sel, tout cela finit par lui donner l'ambition et l'es- poir de rivaliser avec la gloire de Volange. Il alla donc un jour trouver Gaudon, qui dirigeait, au boulevaro* du Temple, un petit théâtre en concurrence avec les Variétés amusantes, où trônait celui-ci, et s'engagea, par un traité en règle ( k 27 mars 1760), à jouer dans son spectacle. C'était la fortune pour Gaudon, qui accueillit la proposition avec transport. La chose arrangée et quelque argent touché d'avance, Ramponneau, en attendant son début, va donner une re- présentation d'essai à Versailles. Mais il ne réussit qu a se faire huer. Il revient l'oreille basse, et, la veille du grand jour, Gaudon reçoit une lettre par laquelle Ramponneau, pris de scrupules religieux, annonce que sa conscience ne lui permet pas de tenir sa promesse. On peut juger des hauts cris jetés par Gaudon, qui avait d jà fait tous ses préparatifs et qui s'attendait à un succès fabuleux. De là sommations, assignations, enfin procès, avec maître Élie de Beaumont pour avocat du directeur, et le facétieux Coqueley de Lhaussepierre pour avocat du cabaretier. Tous les journaux, toute la ville, ne parlent plus d'autre chose: on s'en occupe à Versailles; on parie pour et contre. Elie de Beaumont fit de son plaidoyer une apologie de la comédie et des comédiens contre leurs détracteurs; mais, malgré son éloquence, on donna gain de cause aux scru- pules de Ramponneau, qui, moyennant la restitution des cttAi\ XXII. — ORIGINAUX DES COULISSES. 301 deux cents livres reçues, put retourner à son cabaret. Hélas! en approfondissant les pieux remords de Ram- ponneau, voici ce qu'on y a trouvé, outre sa crainte bien fondée d'un échec. Il avait vendu sa guinguette dans l'intervalle au prix de quinze cents livres, mais à la con- dition expresse, posée par l'acquéreur, d'y rester pour conserver le chaland. Voilà pourquoi v il se sentait pris de scrupules. Du reste, cette affaire ne fit qu'accroître sa vogue et sa célébrité. Voltaire y ajouta encore par son malin plaidoyer en sa faveur. Dès lors, on voit les équi- pages stationner à sa porte; on retient ses salons huit jours à l'avance; les gr. ndes dames vont aux Porcherons tout exprès pour le contempler et l'entendre, et le Tam- bour-Royal devient trop petit pour la foule '. Comme le pâtissier Ragueneau nous a rappelé le cabare- tier Ramponneau, Ramponneau nous rappelle par quel- ques points, en sa qualité d'épicurien et de bon vivant, l'excentrique Camerani, acteur du Théà.re-Italien, qui avait débuté en 1767, et qui s'est fait une réputation beaucoup moins comme comédien que comme gastronome. Grimod de la Reynière lui dédia son deuxième volume de VAlmanach des gourmands, et le comédien était digne de cet honneur, car il est l'inventeur, entre autres bonnes choses, d'un petit potage connu sous son nom, qui, rédigé avec la plus stricte économie, ne revient pas à plus de cent vingt francs. C'est peut-être l'homme du monde qui a eu le plus d'indigestions. Camerani, membre de la com- mission d'examen des pièces de théâtre, n'était pas moins original dans ses fonctions que dans sa vie privée. « Lors- qu'il y avait dans une pièce un rôle de père, dit M. de Manne {Nouvelle Biographie générale), il- ne manquait ja- 1 Brazier, Chronique des petits théâtres, in-8, I, -iTT-OI; Tr. Michel et F.d, Fournier, Histoire des hôtelleries, II, 358-364 302 CURIOSITES THEVTRALES. mais d'engager l'auteur à en faire une soubrette. » Nous en dirions davantage sur son compte si, par le genre de ses excentricités, il ne sortait un peu du cadre de ce chapitre. Le 9 juin 1729, débuta au Théâtre-Français un acteur du nom de Banières, qui mérite une place honorable dans cetie galerie. Cet acteur était Gascon, et il avait fait dix métiers divers avant d'aborder le théâtre, portant tour à tour le petit collet et la robe d'avocat, puis passant à l'é- tude de la géométrie, ensuite s'engageant dans l'état mi- litaire, et enfin lancé dans la carrière théâtrale par le succès qu'avait obtenu à Toulouse une tragédie écrite de sa propre main et où il jouait le* principal rôle. Venu à Paris sans avoir jamais paru sur aucun autre théâtre pu- blic, il alla se présenter toutdroit aux gentilshommes de la chambre, qui, frappés de son assurance," lui donnèrent un ordre de début. Avant le lever du rideau, Banières fait appeler le souffleur : « Je vous préviens, lui dit-il, que je n'ai nul besoin de votre secours; je suis sûr de ma mé- moire, ainsi je vous prie de ne pas chercher à m'aider, quand même je manquerais. » Le souffleur s'y engage; on lève la toile; Banières s'avance vers la rampe, et, ras- semblant toutes ses facultés d'ex-avocat, il entame une harangue préparatoire très-bien tournée et fort applaudie. Mais à peine a-t-il débité dix vers de son rôle de Mithri- date, qu'oubliant absolument toute mesure, il met dans son jeu et son débit tant d'emportement bourgeois, tant d'emphase et de vivacité gasconne, que la salle éclate de rire, et continue ainsi jusqu'au bout de son rôle. Tout autre se fût déconcerté, mais Banières poursuivit sur le même ton, sans le moindre trouble. Puis il adressa au public un nouveau discours, conçu en ces termes : « Messieurs, quelque humiliante que soit la leçon que je viens de recevoir, je vous invite à revenir samedi pour voir si j'aurai su en profiter. » CHÀP. XXII. — ORIGINAUX DffS COULISSES. 303 Le ton confiant avec lequel ces paroles furent pronon- cées excita de nouveaux éclats de rire et beaucoup d'ap- plaudissements mi-joyeux, mi-ironiques. Les nouvelles de la soirée se répandirent si bien dans tout Paris, que le samedi il y eut une immense affluence pour voir 1 ori- ginal comédien dans Agamemnon, dlphigétiie. On s'atten- dait à se divertir beaucoup, et on fut très-étonné de se trouver en face d'un jeu aussi modéré que savant. Dans ces trois jours, Banières était parvenu à transformer com- plètement sa manière. Il remplit encore, les jours sui- vants, avec tous les applaudissements des connaisseurs, les plus grands rôles tragiques, même celui de Joad dam; Athalie, et le rôle comique du marquis gascon des Mé- neclimes. Mais un incident terrible vint mettre fin à ses suc- cès. Nous avons vu qu'il s'était engagé : son colonel, appre- nant qu'il jouait la tragédie à Paris au lieu de faire l'exer- cice à son régiment, le fit traduire devant un conseil de guerre. Hien ne put le sauver : il fut fusillé. Ce qu'il y a de plus épouvantable dans cette destinée tragique, cest qu'il n'avait quitté son corps, assure-t-on, qu'en vertu d'un congé qui n'était pas expiré, mais que, par malheur. il avait perdu. Tout invraisemblable que cela puisse pa- raître, il le serait certainement encore plus qu'un déser- teur eût été assez follement imprudent pour venir jouer dans une ville comme Paris, à la Comédie-Française^ sans même prendre la peine de déguiser son nom 1 . Nous nous garderons bien de ne pas mentionner Rous- selet, qui, après avoir débuté sans succès, en 4740, à la Comédie, reparut en 1752 dans Milhridate. 11 ne réussit pas davantage; et, comme il s'avançait pour haranguer le parterre, au milieu des sifflets, on lui cria ces vers de son rôle : 1 L'iiiazuriei, Galerie, etc., 11, p. -265-8. 304 CURIOSITÉ^ THÉATiULi>. Prince, quelques raisons que vous nous puissiez dire, Votre devoir ici n'eût pas dû vous conduire. Mais, si sa carrière théâtrale n'avait été marquée que par cet épisode, ce n'en serait pas assez pour lui faire les honneurs de ce chapitre. Ce qui les lui vaut, c'esf la déso- pilante série des trois lettres qu'il adressa à l'abbé Raynal, rédacteur du Mercure, après avoir reçu son congé. Nous en citerons quelques fragments. PREMIÈRE LETTRE. « C'est avec tous les égards qui vous sont dus, mon- sieur, que je me vois contraint de mettre la main à la plume pour vous faire remarquer que vous mettez tel débutant qu'il puisse être dans un moment de désagré- ment pour sa propre fortune, en n'analysant pas le talent avec lequel il a paru devant le public. « Vous annoncez dans votre Mercure du mois de juin dernier : « M. Rousseleta paru dans la tragédie de Cinna. « et depuis dans celle de Mithridate; il joue les rôles de « rois. » Vous avez omis celui de Pharasmane dans Rha- damiste; qu'il me soit permis de vous insinuer celle an- nonce... « Quel que mon début ait été, je me trouve très-honoré de n'avoir pas déplu aux connaisseurs, puisque Monsei- gneur m'a fait l'honneur de m'écrire que mon ton et ma diction formaient. le parallèle du débit de feu ce fameux acteur qui rétablit la scène après un temps considérable qu'il avait donné à ses loisirs. Il a rencontré juste avec- quelques membres de l'Académie qui m'ont fait l'honneur de dire la même chose. Il est vrai que c'est un genre que je me suis fait... J'avoue, à ma honte, que je ne me suis point apprécié à cette déclamation heureuse qui fait la réputation des grands sujets qui brillent aujourd'hui : CHAP. KX1I. - ORIGINAUX DES COULISSES. 305 le naturel est mon apanage, et, si j'ai quelques défauts dans le geste, on ne blâmera jamais ma figure, ma voix, ma mémoire, mon raisonnement et mon bon sens. A re- gard de l'esprit, je ne vous en parle point : je n'ai que le moyen de Uadorer, et c'est mon occupalion essentielle. Je suis géomètre dans mon art sans avoir recours aux synthèses qui acheminent par énumération à la probabi- lité d'un tout. C'est à vous, monsieur, à tirer maintenant parti de moi-même : ne vous liez point aux partisans de ceux qui ne sont pas les miens. Je respecte tout l'univers, et, si le succinct de votre programme ne m'eût pas fait ouvrir les yeux, je serais demeuré dans la même sécurité qui me fait révérer ce qui est établi par la vogue, et qui fait dire hautement: « C'est le goût d'à présent. » La mo- notonie a eu son règne; les modes se succèdent: mais on revient aux anciennes : il ne faut qu'un instant pour confondre une discorde. Le législateur a toujours con- sulté la loi naturelle, et la justice a toujours été appuyée par la vérité. « J'ai l'honneur, etc. » Nous passons la deuxième letire, qui n'est pas d'un goût si relevé, quoique bien jolie encore, et nous arri- vons à la troisième. Elle est adressée au chevalier de Mouhy. On y lit spécialement ceci . « Comme je suis général, et que les masques de férence sont gravés dans mon optique, je joue les rois, les paysans, les financiers, les pères nobles, les raison- neurs, et tant d'autres qui sont utiles à un comédien dans la province, soit dans l'italien, soit dans les opéras-comi- ques. Je suis même en état de faire un pari, si Ton veut, de jouer un rôle nouveau chaque jour pendant le cours dune année, tant j'ai la mémoire libre et fraîche... Quoi- r.O!) CURIOSITÉS THÉÂTRALES. que MM. de Saint-Albin et de Riccoboni aient analysé les qualités nécessaires à un comédien, j'ai tâché d'apprécier leur sentiment avec le mien, en faisant un détail par prin- cipe de gradation, pour donner un acheminement solide à ceux qui sont amateursdu théâtre... M. deCréhillon et M. de Voltaire vont de pair avec les Corneille et les Macine ; il ne serait donc pas surprenant que je pusse plaire encore. Je me fais un sensible plaisir de débiter leurs ouvrages, et, sans prévention, je ne les ai jamais masqués. Je vous convie donc, monsieur, d'être dorénavant un peu plus prolixe sur mon compte, et de suivre le sentiment de Pline, qui dit que pour soutenir le droit d'une bonne cause on ne peut l'être trop. » C*eût été dommage, on en conviendra, de priver nos lecteurs de ces admirables morceaux, que le rédacteur du Mercure se hâ'a naturellement d'imprimer. On ne l'inven- terait certes pas. Les curieux pourront voir le reste dans Lernazurier 1 . 11 ne faut pas oublier la trop fameuse mademoiselle Montansier, ex-courtisane, actrice-directrice de spectacle, qui a laissé son nom à un théâtre. Méridionale des pieds à la tête, petite, ramassée, vive, sémillante, agaçante, criarde, douée/comme Sophie Arnould (une autre origi- nale), de cet esprit naturel et hardi qui rencontrait sou- vent juste parce qu'il osait toujours, sans la moindre notion de l'ordre, ignorant le repos, donnant toute la journée aux plaisirs et aux affaires, et la nuit au jeu, dont elle poussait la passion jusqu'à la fureur, elle parvint à la vieillesse la plus avancée sans aucune incommodité. Criblée de dettes, la virago ne vivait que pour jouer de bons tours à ses créanciers : par exemple, en faisant rou- gir la clef de sa chambre à l'intention de messieurs les 1 Tome 11, |>. 514-91. CHAP. XXII. — ORIGINAUX DES COULISSES. 507 huissiers venus pour instrumenter, et trop empressés d'ouvrir la porte; ou en donnant l'ordre de faire entrer dans sa cour tous ses fournisseurs tumultueusement réu- nis, puis en leur apparaissant au balcon couverte d'un pet-en-l'air, un petit pain d'une main, une tasse de café au lait de l'autre, et en leur chantant ainsi le grand air de Dicton : Ah! que je fus bien inspirée Quand je vous reçus dans ma cour! A soixante-dix huit ans la Montansier épousa un dan- seur. Ce fut une de ses dernières originalités. Dugazon, le roi des valets de la comédie, ce mime ad- mirable dont la mobilité de physionomie était telle, qu'il avait trouvé quarante manières de remuer le nez, peut passer pour un des plus intrépides mystificateurs qu'il y ait jamais eu. Tantôt c'était un maître d'écriture à qui il faisait croire qu'on venait de le décorer de l'ordre de Saint-Michel, et qu'il emmenait en gilet serin, en ha- bit cerise, pour remercier le roi à l'aide d'une harangue en latin de cuisine qu'il avait eu soin de forger lui-même. Tantôt c'était son énorme camarade Desessarts, le but or- dinaire de ses plaisanteries, qu'il conduisait en grand deuil chez le ministre pour lui demander, au nom de la Comé- die-Française, de reconnaître les longs services de cet excellent comédien, en lui accordant la survivance de l'éléphant qui venait de mourir à la ménagerie du roi. Desessarts, furieux, le provoqua en duel ; sur le terrain, Dugazon tira de sa poche un morceau de blanc d'Espagne et tralça un rond sur le ventre de son adversaire, en di- sant : « Mon ami, ta rotondité me fait la partie trop belle, laisse-moi égaliser les chances. Tout ce qui sera hors du rond ne comptera pas. » On connaît encore cette invita- tion à dîner du même au même dans un restaurant dont 308 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. l'allée avait été choisie assez étroite pour ne pouvoir li- vrer passage à ce dernier. Dugazon était à la fenêtre dé- coiffant une bouteille, et lui criant qu'on n'attendait plus que lui pour manger les huîtres, tandis que Dese^sarts, violemment surexcité par celte vue, s'efforçait en vain de franchir le défilé. Il fallut transporter la table dans une maison voisine. Dugazon en fit bien d'autres, qu'il serait trop long de rapporter ici. (Juant à sa manière de professer, c'était la bizarrerie même. 11 s'agitait comme la flamme d'un volcan ; il criait, il grimaçait, il marchait à pieds joints sur ses élèves. Dugazon avait du salpêtre au lieu de sang dans les vei- nes 1 . Bordier, acteur des Variétés, se distinguait autant par la gaieté de son caractère et de ses saillies que par la fa- cilité,- la grâce et l'agrément de son jeu. En 1789, accusé d'avoir fomenté une insurrection à propos des grains, il fut arrêté, jugé et pendu dans les vingt-quatre heures à Rouen. Il donna alors une dernière et magnifique preuve de son sang-froid. Dans le Ramoneur prince, vaudeville de Pompigny, qu'il avait joué avec succès, se trouvait un passage où, près de monter à une échelle, il s'arrê- tait pour dire : « Monterai-je, ou ne monterai-je pas? » Arrivé au pied de l'échelle de la potence il s'anêta, et dit en souriant au bourreau : « Monterai-je, ou ne monterai-je pas? » Il fallut monter 8 . On remarqua en- core que, peu de jours avant sa mort, il avait joué, dans 1 Voir, pour quelques-unes de ses autres excentricités, Roger de Beau- voir, Mémoires de mademoiselle Mars, ch. i. * Duraaniant, un autre cab lin célèbre, a publié un opuscule sur la Mort de bordier. On a aussi la Mort tubUe du sieur Bordier, acteur de* Varièlés. Lettre d'un négociant de Rouen it M. Guillaume, marchand de Uraps, du 2*2 août 1789. CHAP. XXII. — ORIGINAUX DES COULISSES. 309 Ruses contre Ruses, le rôle de l'Olive, où se trouvait ce funèbre pronostic : « Vous verrez que, pour arranger l'af- faire, c'est moi qui serai pendu ! * » Sous la Révolution, nous citerons, parmi les originaux des coulisses, Ribié, qui succéda à JNicolet en 1795. « Ribié., dit Brazier, qui avait été figurant, comparse dans sa jeu- nesse, était parvenu, par son intelligence et sa volonté, à être un acteur original, et un directeur de spectacle fort habile. Ribié exploitait souvent une demi-douzaine de théâtres à la fois. Je l'ai vu directeur de la Gaîté, de Mo- lière, de Louvois, de la Cité et de plusieurs jardins pu- blics. Son activité dévorante suffisait à tout. C'est lui qui inventa les affiches monstres et les spectacles incommen- surables. Il annonçait le dimanche: le Moine, mélodrame en cinq actes avec une pluie de feu; le Mariage du Capu- cin, en trois actes ; Koskoli, en deux actes, dans lequel M. Ribié bâtira de la caisse ; le Drôle de corps et le galant Savetier, vaudeville; le Ballet des Marchandes de modes, et des tours de physique. Tantôt on le voyait en phaéton, tantôt marchant à pied avec un parapluie; aujourd'hui menant le train d'un ambassadeur, demain occupant une mansarde ; mais toujours gai, toujours insouciant, tou- jours heureux de sa position; formant mille projets a" la fois. En somme, il est mort comme il a souvent vécu : pauvre, mais toujours directeur de spectacle. » Nommons aussi Plancher-Valcour, l'un des plus cu- rieux et des plus excentriques personnages qui aient ja- mais monté sur les planches. Il commença par s'engager, à l'âge de quinze ans, en sortant de chez les Frères, dans une troupe rudimentaire qui faisait au besoin les sauva- ges ou mangeait de l'étoupe enflammée dans les entr'ac- tes des Mystères qui composaient son répertoire. Après '•Itrazier, Chronique des petit» théâtres, I, £7. 310 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. diverses pérégrinations trop longues à raconter ici, il re- vint s'établir à Paris, où il obtint la permission d'ouvrir le petit théâtre des Délassements-Comiques. Il y remplit le triple rôle d'auteur, d'acteur et de directeur, et y pros- péra si bien, que les grands théâtres lui firent intimer l'ordre de jouer désormais derrière une gaze. Il fallut se soumettre, bien à contre-cœur ; mais, aussitôt après la prise de la Bastille, Plancher-Valcour, en pleine repré- sentation, creva le voile de gaze au cri de : Vive la li- berté ! Dès lors sa muse accoucha de pièces sans-culolti- desles plus monstrueusement extravagantes, qu'il signait de son nouveau nom d'Aristide Valcour. Le Directoire ré- compensa son zèle en le nommant juge de paix ! Mais ces fonctions placides ne durèrent pas longtemps : l'aven- tureux Valcour finit par rentrer au théâtre, et il finit ses jours dans la culture effrénée du mélodrame 1 . Révalard est un vrai type du Roman comique. Après avoir brillé à l'Ambigu dans les rôles de tyrans et de brigands, il exploita plus tard une troupe de comédiens de province. C'était l'homme aux ressources; on ne le prenait jamais sans vert. Quelques-unes de ses saillies, à moins que ce ne soient des naïvetés, sont demeurées cé- lèbres. Un soir, qu'il avait donné un mélodrame où l'on faisait le bombardement d'une ville, la bourre d'un soleil alla frapper une personne placée à l'orchestre. Le lende- main,' Révalard, craignant que le léger accident de la veille ne nuisît à la recette du jour, fit mettre sur l'affi- che, en gros caractères :« Les personnes qui, ce soir, nous honoreront de leur présence, sont prévenues que le bombardement n'aura plus lieu qu'à l'arme blanche. » Une autre fois, après avoir donné dans une petite ville plusieurs représentations qui n'avaient attiré personne, il 1 Monselet, Oubliés et Dèdaiynès. CI1AP. Xxll. — ORIGINAL"* DES COULISSES. 311 afficha la veille de son départ : « La troupe de M. Réva- lard, touchée de l'accueil empressé que les habitants ne cessent de lui faire, a l'honneur de les prévenir qu'au lieu de partir samedi, ainsi qu'il l'avait annoncé, lui et ses ca- marades quitteront la ville demain matin à six heures 1 . Un personnage du même genre, d'une physionomie plus accentuée encore, est ce fameux Rosambeau, passé désormais en type, mais dont le nom est bien plus connu que la vie. 11 s'appelait Minet avant de monter sur la scène, et il est mort, il y a une quinzaine d'années après avoir joué, non sans talent, au théâtre des Jeunes-Artistes, au théâtre Louvois, débuté aux Français, à l'Opéra, à l'Opéra-Comique, au Palais-Royal, à l'Odéon, s'être mon- tré enfin dans toutes les villes de France, et à Londres, Vienne, Varsovie et Constantinople. « Il passait partout sans s'arrêter nulle part, disent les Mémoires de made- moiselle Flore 2 , où on est réduit à chercher le peu de renseignements qu'on a sur cet original : c'était le Juif errant du théàlre. Il avait un caractère si facétieux, qu'il était impossible de compter sur lui. Voilà ce qui l'avait fait partir du théàlre de Caen. Il s'y était fait engager pour les premiers rôles. Ordinairement celui qui joue cet emploi possède sa garde-robe, c'est-à-dire tous les cos- tumes nécessaires. Il demande, pour son début, le rôle du général dans la Veuve du Malabar, et il est fort bien reçu du public. Le lendemain, le directeur lui dit qu'il jouera Oreste dans Andromaque. Le directeur vient sur le théàlre au moment où la pièce allait commencer. Il voit mon Ro- sambeau qui se promenait sur la scène en habit de géné- ral; il l'envoie s'habiller: Rosambeau répond qu'il l'est et qu'il a le droit de se présenter sous ce costume. Il entre en scène; on le siffle : « Messieurs, dit-il, si mon costume 1 Brazier, 1, p. 624. - T. II, p. 90-7. :>1<2 CURIOSITES THEATRALES. « de général ne convient pas, c'est la faute du directeur. « Permettez-moi de vous lire mon engagement. » Il le tire de sa poche, et lit avec un grand sérieux : « M. Ilosam- « beau jouera en chef et sans partage, dans la tragédie, la « comédie et l'opéra, les rois, les grands amoureux, et tous « les premiers rôles « en général. » A cette boutade, les éclats de rire succédèrent aux sifflets. Rosambeau se vanta d'avoir plu « en général. » Au sortir de Caen, il se «endit à Lisieux, où le trouva la troupe dont faisait partie mademoiselle Flore. « En arrivant à Lisieux, nous demandâmes si la ville était privée de spectacle ; mais l'aubergiste nous dit que depuis trois jours on avait l'Homme vert, qui faisait fu- reur, et qui précisément demeurait dans cette auberge. « — Qu'est-ce que l'Homme vert? « — C'est un très-bel homme, delà couleur que je vous dis, et qui arrive du Cap-Vert où des îles Canaries. « — Pourrions-nous le voir? « — Oui, en payant: il joue la comédie tous les soirs... Tenez ! le voilà qui descend pour dîner. « En effet, nous vîmes arriver un homme parfaitement vert et luisant qui dit, en nous voyant: «Tiens! c'est « Volange, c'est Flore ! » Un reconnut llosambeau sous la peau verte du phénomène. Il s'enrôla dans la nouvelle troupe, qui débuta par le Déserteur, opéra-comique. Ro- sambeau était chargé du rôle de Montauciel, et il joua l'i- vresse à merveille. Comme les habitants de Lisieux ma- nife.-taient leur étonnement de voir qu'il n'était plus vert : « Messieurs, dil-il en s'avançant sur le bord de ia scène, « un acteur, pour plaire au public, doit savoir prendre la « couleur de son rôle. 11 y a quelques joui s j'étais «vert, » « aujourd nui je suis « gris. » A .Marseille, il avait à jouer dans le Maréchal de Saxe, et ne savait que s<"n rôle de Barberousse. 11 entre néan- CHAP. XXII. - ORIGINAUX DES COULISSES. 5lS moins en scène, après s'être entendu avec ses camarades, et débite sur un Ion plein de feu le commencement de son rôle ; le public applaudit à tout rompre. Il continua avec la même chaleur jusqu'au bout de la représentation, mê- lant Barberousse au Maréchal de Saxe, sans que le par- terre mystifié cessât de battre des mains. A Versailles, l'acteur qui devait jouer Bartholo dans le Barbier étant venu à manquer à la répétition, Rosambeau se chargea du rôle et l'emporta ptmr l'étudier. Mais, che- min faisant, il rencontre un ami qui l'engage à dîner, et, naturellement, il accepte. Le soir venu, il ne savait pas le premier mot de ce qu'il devait dire, et on le siffle : « Messieurs, dit alors Rosambeau en s'avançant vers la rampe, je vois par ma propre expérience la vérité du proverbe, qu'on ne peut bien faire deux choses à la fois. Aujourd'hui, j'avais à apprendre un rôle et à dîner; j'ai parfaitement dîné et très-mal appris mon rôle. Une autre fois, je ferai le contraire. En attendant, veuillez m 'excuser, et me permettre de lire le rôle, si vous tenez à l'entendre. » Ce speech audacieux fut salué d'applaudissements una- nimes 1 . C'est encore Rosambeau qui se "teignit les jambes avec du cirage pour représenter des bas de soie noire qu'il ne possédait pas dans sa garde-robe, et dont il avait besoin pour un de ses rôles^I'est lui qui, fasciné par la vue du pantalon d'un gendarme qui lui semblait devoir produire un effet superbe dans un drf ses rôles, parvint à séduire le naïf représentant de l'autorité, et à se faire céder, pour un soir, le costume convoité; puis qui eut l'infamie de partir avec ce vêtement indispensable, tandis que le trop crédule gendarme l'attendait, les jambes nues, enfermé dans sa loge. - Le Boulevard du crime, par Jouslin de la Salle, Figaro du 3 octobre JK.H8. 31 4 CURIOSITÉS THEATRALES. Mais que n'a pas fait Rosambeau, et surtout que ne lui prète-t-on pas? Comme Hercule, Roquelaure et Calino, c'est un de ces personnages mythiques et légendaires sur le compte desquels on est habitué à réunir les exploits de vingt, de cent héros divers. Citons en outre, sans appuyer, Desforges-Choudard, l'auteur du Sourd, qui fut assez longtemps ac'eur, et qui a raconté lui-même, dans de scandaleux. Mémoires, les péripéties de son existence excentrique.; Tiercelin, mus- cadin à la ville, populacier sur le théâtre, et dont on pouvait dire, comme de Taconnet, que, sublime dans les savetiers, il eût été déplacé dans les cordonniers; ayant quelque chose de lhumeur d'un spadassin, et cependant timide à l'extrême et passionné pour la guitare; d'un comique irrésistible comme acteur, misanthrope et cha- grin, dans sa vie privée, surtout sur ses vieux jours; recevant ses visites à travers un judas, sans ouvrir la porte; haïssant la scène qui avait fait sa gloire, les direc- teurs et ses camarades; enfin poussant la manie pour les chats aussi loin que le cardinal de Richelieu. Chapelle, l'excellent Cassandre du Vaudeville, épicier en même temps qu'acteur, se rendit fameux surtout par une crédulité incroyable, — soit dit sans jeu de mots. C'est à lui qu'un de ses camarades raconta cette histoire de la carpe apprivoisée, remise depuis à^hites sauces, et resser- vie bien des fois comme un plat nouveau : cette carpe suivait partout son maître, comme un caniche mais elle se noya un jour en voulant enjamber un ruisseau grossi par une pluie d'orage: «Oh! quel malheur! s'écria le bon Chapelle, qui avait écouté avec le plus grand intérêt cette touchante histoire; je croyais que les carpes na- • geaient comme des poissons. » Sur la fin, on avait tant mystifié Chapelle, on lui avait tant persuadé de choses impossibles, qu'il était devenu d'une méfiance ex- C11AP. XXII. — ORIGINAUX DES COULISSES. S15 trême *. Un ami lui disait : « Bonjour, Chapelle ! — Laisse- moi tranquille, répondait-il d'un ton bourru. — Corn* ment vas-tu? — Tu veux m'attraper encore. — Hein! comme il a plu hier! — Bon, bon. — Et comme il fait beau aujourd'hui ! — Oui, cherche! on ne s'y laisse plus prendre. » On nous reprocherait certainement d'oublier mademoi- selle Ida Saint-Edme, plus connue sous le nom de la Con- temporaine, l'auteur putatif de ces fameux Mémoires qui ont plus fait pour la célébrité de son nom que son appa- rition sur la scène. Après avoir été longtemps la générale Moreau, mademoiselle Saint-Edme débuta à la Comédie- Française, se fiant un peu trop sur sa beauté pour réussir: elle fut sifflée, et- un évanouissement l'empêcha de pour- suivre. Draguignan et l'Italie furent les théâtres de ses autres tentatives, à peu près aussi malheureuses. Mais je renvoie à ses Mémoires ceux qui sont curieux de plus de détails sur le compte de cette excentrique aventurière. La Contemporaine ne monta sur la scène qu'en passant et par occasion : il en fut de môme d'un homme, aussi fameux qu'elle, mais dans un genre bien divers, et que la notoriété toute particulière de son nom me fait une loi de nommer au moins dans ce chapitre, quoiqu'il n'ait fait, pour ainsi dire, que se montrer sur le théâtre. Je veux parler de Vidocq On ne sait généralement pas qu'il alla donner des représentations à Londres, lieu bien choisi, car les Anglais sont friands de toutes les exhibitions origi- nales. 11 y joua dans un drame en cinq actes, Julie d'Es- cars, mêlé de vols, fausses clefs, tours de police et de haute pègre, dont il se tirait, comme on pense, en artiste consommé 2 . Dans une de ses Soirées d'imitation, il venait 1 Brasier, Chronique des petits théâtres. 2 J. Janin, Hist. de la litt. dram., IV, p. '203, :>io curiosités théâtrales. de jouer le rôle d'un charlatan italien et s'était retiré pour changer d'habit. Tout aussitôt un spectateur se mil à déblatérer contre lui, disant qu'il exécuterait les mêmes choses avec une égale facilité. D'autres prirent la défense de l'imitateur, et déjà la discussion s'échauffait, lorsque soudain le mécontent pâlit, les traits de son visage se con- tractèrent, et il tomba en rendant le sang par la bouche. On pensa que le malheureux s'était brisé un vaisseau dans la poitrine. Un médecin allait venir, quand le malade s'é- cria qu'il se portail parfaitement bien. C'était encore Vidocq. John Bull l'applaudit à outrance 1 . On voit que Vidocq a été bien réellement acteur, el c'eût été dommage de l'oublier dans cette galerie. CHAPITRE XXIII Les comédiens canonisés. — De la vertu et de la piété au théâtre. Les comédiens canonisés ! Ce n'est pas là, sans doute, la moindre curiosité de ce volume de curiosités. En gé- néral, quand on veut des exemples 1e piété et de vertu pour la morale en action, ce n'est pas sur les planches qu'on va les chercher, et nous ne pouvons dire qu'on ait tort. On en trouverait bien quelques-uns pourtant. Les gens de loi n'ont qu'un saint pour patron, saint Yves; les comédiens, plus favorisés, en ont quatre. Il est ' th. Maurice, Hist. unad. du th., II, p. 398. CHAP. XXIII. — LES COMEDIENS CANONISES. 317 vrai que ces quatre comédiens n'ont pas été canonisé- dans l'exercice de leurs fonctions, et qu'il leur a fallu y renoncer pour mériter cet honneur; mais il est probable aussi, qu'on nous permeite de le dire, que saint Yves n'eût pas été un si grand saint, s'il avait été un vrai procureur. Saint Genest, acteur du temps de Dioclétien, dont la conversion, déclarée en plein théâtre, a fourni à Rotrou le sujet d'un drame original, est le plus connu, je pour- rais dire le seul généralement connu des quatre. 11 faut y joindre saint Porphyre, comédien d'Andrinople, qui, s'é- tant fait baptiser par Moquere, devant Julien l'Apostat, confessa ensuite hautement qu'il était chrétien, et eut la tête tranchée; Ardéléon, acteur d'Alexandrie, qui fut frappé de la grâce â peu près comme Genest, dans une représentation où il tournait en ridicule les mystères, du christianisne, et fut martyrisé sous l'empereur Justinien; enlin sainte Pélagie (cinquième siècle), la principale actrice de la ville d'Antioche. Pélagie avait été catéchu- mène. Étant allée un jour à l'église, pendant une prédi- cation de Nonus, évêque d'Héliopolis, elle fut si touchée de ce qu'il dit s'ur la conversion des pécheurs, qu'elle renonça au théâtre, reçut le baptême, donna tout son bien aux pauvres, et se retira, travestie en homme, sous le nom de Pelage, dans la montagne des Oliviers, où elle mena jusqu'à sa mort la vie la plus austère 1 . Le bon Chappuzeau, dans son Tlieatre-Fra?iç.ais (liv. 111) a un chapitre qui roule sur Yassiduité des comédiens aux exercices pieux; il fait le plus grand éloge, et le plus ingénu, de leur dévotion, de leur charité, de leurs vertus domestiques et autres. On ne peut suspecter, en le lisant, 1 Mouhy, Abrégé de l'histoire du théâtre français, III, p. 219-21; Bou- cher d'Argis, Variétés^ II, 497. 518 CURIOSITES THEATRALES, sa profonde conviction. Quelques passages du Roman comique de Scarron viennent à l'appui, en nous montrant ses artistes nomades, malgré leurs fredaines, en bons rap- ports avec les ecclésiastiques qu'ils rencontrent. De même les comédiens ambulants de Rojas 1 , au milieu de leur vie peu réglée, sont dévots, assistent à la messe et font partie de confréries pieuses. Les comédiens italiens se distinguèrent toujours parti- culièrement par leur dévotion, peut-être parce qu'une faveur spéciale les exemptait de l'excommunication qui pesait sur les autres 2 . Mais peut-être était-ce cette dévo- tion, au contraire, qui les avait mis à couvert de l'ana- thème 3 . C'est parmi eux qu'on trouve le plus grand nombre d'acteurs pieux Racine le fils disait avoir connu un acteur et une actrice de la Comédie italienne qui vi- vaient comme deux saints, et ne montaient jamais sur le théâtre sans avoir mis un cilice. On a fait observer avec raison qu'il aurait dû les nommer. Dominique communiait tous les ans et ne pouvait souffrir un mot contre l'Église. Carlin était très-pieux . Madame Riccoboni, femme de Louis, connue sous le nom de mademoiselle Flaminia, après avoir pris sa retraite avec son mari en 1733, passa trente-neuf ans dans le silence et la pratique des vertus. Mademoiselle Colombe offrait elle-même le pain bénit. Trial et sa femme assistaient, chaque dimanche, à la grand'messe de leur paroisse. 1 El viage entretenido, sorte de Roman comique espagnol, qui parut quelques années avant lu nôtre. 3 Mémoires de mademoiselle Dumesnil, 106. : Nous rapportons, sans le garantir, ce prétendu privilège accordé aux comédiens italiens d'après une foule de témoignages plus ou moins au- thentiques. Nous en doutons pourtant, -quant à nous, et ce passage de Dan^eau semble donner raison à nos doutes : « Arlequin e>t mort au- jourd'hui à Paris. On lui a donné tous ses sacrements, parce qu'il g pro- mis de ne plus monter sur le théâtre. » (2 août 1688. CHAP. XXÏII. — LES COMEDIENS CANONISES. 319 I Ducroisy, le compagnon de Molière, retiré à Conflans- Sainte-Honorine, aux environs de Paris, s'y fit estimer de I tout le monde, et en Ire autres de son curé, qui le regar- I dait avec raison comme un de ses meilleurs paroissiens, ! et qui fut si touché de sa perte, qu'il pria un de ses con- I frères de l'enterrer à sa place. Beaubourg mourut dans les ! plus grands sentiments de pieté, comme avaient fait avant ! lui Dellerose, la Champmeslé et mademoiselle Pesœillets. Mademoiselle Gaussin quitta le théâtre par un prjncipe j de religion. D'autres ne se sont pas bornés là, et se sont retirés du monde, comme cette fameuse mademoiselle 1 Maupin, dont les aventures scandaleuses ne semblaient pas annoncer un tel dénoûment, et mademoiselle Luzy, la soubrette, dont un sarcasme tien connu de Sophie Arnould ne peut faire suspecter la conversion sincère. Mademoiselle Gaultier, du Théâtre-Français, se fit carmé- lite vers 17*26 *. Madame Toscano et mademoiselle le Feb- vre, toutes deux actrices de la Foire ; mademoiselle Basse, mademoiselle Cécile, de l'Opéra; de nos jours mademoi- selle Sionah-Lévy, qui se distingua dans la tragédie à FOdéon; beaucoup d'autres encore, ont pris le voile et se sont ensevelies dans des couvents. On voit que ce sont surtout des femmes que nous avons à nommer. Madame Gontier était sévère sur les pratiques reli- gieuses. On Ta souvent vue derrière une coulisse, sur le point de jouer un rôle nouveau, se signer, en disant tout bas avec émotion : « Mon Dieu, faites- moi la grâce de bien savoir mon rôle. » Étrange prière, qui serait une profa- nation, si elle n'était si naïve, et qu'on a attribuée aussi à Mazurier, célèbre clown, également fort pieux. ' 31. de SoFeinnes possédait un « Abrégé manuscrit de la vie de made- moiselle Gaultier, religieuse carmélite à Lyon... 1° sa fuite du monde, 'i" sa conversion, 3° sa vocation religieuse, » copié fidèlement sur le ma- nuscrit authentique de l'ex-actrice, du moins à ce que prétend le titre. m CURIOSITES THÉÂTRALES. Ou sait que Moè'ssard, de la Porte-Saint-Martiu, rem- porta un des prix de vertu décernés par l'Académie frani çaise: il l'avait bien mérité par le dévouement avec lequel, malgré des ressources très-insuffisantes, il avait recueilli chez lui, nourri, soigné comme une mère pendant onze ans, la veuve âgée et infirme d'un de ses camarades. Le prix Montyon est la canonisation de l'Académie. Nous avons rapporté tous ces exemples pour l'édifi- cation et l'amendement des comédiens d'aujourd'hui. Nous prions le lecteur de ne point nous en vouloir si ce cha- pitre est plus court que les autres: ce n'est point notre faute. CHAPITRE XXIV Argot des comédiens. — Technologie théâtrale, Dans la suite du Roman comique, faussement attribuée à Offray, au chapitre ut, nous lisons ceci à propos de la réception de Ragotin dans la troupe nomade: «On fit les cérémonies accoutumées; il fut écrit sur le registre et prêta le serment de fidélité. On lui donna le mot auquel tous les comédiens se reconnaissent. » Cette phrase indique l'existence d une espèce de franc-maçonnerie entre les ac- teurs, telle qu'il en exista si longtemps entre les corpora- tions des divers métiers, et telle qu'il en existe encore aujourd'hui entre certains compagnons. Formant comme une grande caste à part, il était tout naturel qu'ils adop- tassent certains signes de ralliement et certains mots de CHAP. XXIV. — TECHNOLOGIE THEATRALE. S'il passe pour se reconnaître. De là à l'argot, il n'y a qu'un pas. On sait, du reste, quelle tendance ont toutes les réu- nions, les classes particulières d'artisans, les corps isolés, les ateliers, etc., à en fabriquer un spécial à leur usage : il y a l'argot des étudiants, des journalistes, des viveurs, comme celui des chiffonniers et des filous. Mais celui des comédiens, sans avoir atteint tout à fait peut-être le même développement que ce dernier, semble avoir été beaucoup plus loin -que les autres, et avoir formé à peu près une langue complète. Nous en avons la preuve, au moins pour une époque un peu postérieure à celle où se passe la scène du Roman comique, par un témoignage positif qu'on peut lire dans les Mémoires de mademoiselle Dumesnil : « A cette époque, écrit-elle en parlant de la jeunesse de mademoiselle Clairon , les comédiens en avaient encore un (un argot) comme les voleurs. Pour demander: Combien paye-t-on pour entrer à la comédie ? on disait : Combien rafile-t-on de logagne pour allumer la boulevé- tade? La troupe s'appelait la banque. Pour demander: Celui qui est à côté de vous est-il un comédien? on faisait ainsi la question : Le.gonze qui est à votre ordre est-il de la banque? Si l'interrogé voulait répondre négativement, il disait : Non, il est lof comme le roboin ; ce qui signi- fiait : il est profane comme le diable. Cette dialecte, si je puis m'exprimer ainsi, était très-abondante, elle compre- nait à peu près tout ce qui peut se dire en français. Pré- ville la jargonnait encore à merveille. »> Or Préville avait joué en province avant de briller sur la scène du Théâtre- Français, et c'était probablement là, dans ses relations avec les troupes ambulantes comme celle où Ragotin s'engageait, qu'il avait appris ce langage à fond. Du reste, à celte date vivait encore un acteur contemporain de Searron et de Ragotin, Fierville, qui mourut, dit-on, à l'âge de cent sept ans. Ce vieux comédien, lien vivant entre les 9! S89 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. traditions du dix-septième et celles du dix-huitième siècle, avait pu transmettre celle-là aux camarades de sa vieil- lesse, et c'est peut-être à lui que Préville était redevable du talent que lui reconnaît mademoiselle Dumesnil. S'il n'y a plus aujourd'hui de mot d'ordre auquel tous les comédiens se reconnaissent, de langage cabalistique et franc-maçonnique qui leur serve de point de rallie- ment, il y a du moins encore, et il y aura toujours l'argot du métier, souvent assez obscur pour que les profanes ne puissent le comprendre sans explication. Un petit livre, publié en 4826, sous ce titre : Manuel des coulisses, ou Guide de V amateur, contient sur ce sujet de curieux détails, dont nous allons reproduire les plus intéressants, en les commentant et les complétant au besoin. Ces extraits don- neront en même temps des renseignements divers sur l'histoire et les mœurs du théâtre. Nous procéderons, comme le Manuel des coulisses, par ordre alphabétique, et nous couperons la plupart des nombreuses boutades du trop malicieux auteur, qui, chemin faisant, trouve moyen d'éclabousser tout le monde, ainsi que l'explication des termes trop connus et qui n'appartiennent pas à l'argot proprement dit, ou qui ont cours aussi en dehors du tbéâtre. « Avoir de l'agrément. — Terme de coulisse, pour signi- fier : obtenir une réception bienveillante du public payant ou payé. » « Amuser l'entp.'acte, terme de cabale. — C'est distraire le spectateur après un acte, et attirer son attention sur quelque objet qui l'occupe dans l'intervalle d'un acte à un autre. Il y a de nombreux moyens d'amuser l'entr'- acte : tantôt un compère placé au paradis excite une dis- pute; tantôt il laisse tomber un chapeau, ou fait voltiger de droite à gauche une casquette. Aux petits théâtr -. les loustics du poulailler font assaut de bons mots, et font CHAP. XXIV. — TECHNOLOGIE THEATRALE. 323 dans un quart d'heure un plus grand emploi de méta- phores et de fleurs de rhétorique que Ton n'en fait à l'Académie en deux ans; les badauds du parterre sont debout, la bouche béante; ils récompensent par un gros rire les lazzi des bouffons en veste; et, en attendant les trois coups que frappe le régisseur, ils ont oublié que trois quarts d'heure se sont passés entre le baisser et le lever du rideau. « Appeler Azor. — Le public qui siffle, en termes de cou- lisses, appelle Azor. » L'auteur ne donne pas l'origine de ce singulier dicton ; nous la trouvons au chapitre ix des Mémoires de Flenry. Un homonyme de celui-ci jouait la tragédie, de 1753 à 1736, au Théâtre-Français, et le parterre le goûtait d'au- tant moins que c'était alors le bon temps de Quinault- Dufresne. Or ce malheureux tragique avait un père au- bergiste et Gent-Suisse, qui croyait fermement au talent de son fils. Un jour il veut mettre fin à la cabale qui accueillait toujours celui-ci à coups de sifflets, et, après avoir endossé son costume et fourbi son épée, il se rend au théâtre en la compagnie de son chien, superbe bête du nom de Tarquin, et entre dans les coulisses en le tenant en laisse. « On jouait Iphigénie en Aulide; Achille parais- sait (Achille, c'était mon homonyme). Le parterre lui fit entendre à sa manière qu'il le reconnaissait. Fleury, en homme accoutumé, n'y fait pas autrement attention, mais le père se lève furieux. Dans l'action, le chien s'échappe, il court à son jeune maître, flaire les personnages, remue joyeusement la queue, et lèche les mains du fils de Thétis. Les spectateurs, peu touchés, n'en continuent que de plus belle. Les entrailles paternelles s'émeuvent; le Cent-Su:sse ne peut se contenir; il tire son épée..., quand G a usai n s'approche de lui, retient son bras, et avec cet accent qu'on lui connaissait : 324 CURIOSITÉS THÉATMLES. « — Eh! monsieur, on avait aperçu votre chien, ne corn prenez- vous pas qu'on appelle Tarquin? « Le pauvre père, désarmé, crut d'autant plus cela, que Fleury, embarrassé de la bête, criait du théâtre, aussi haut que son rôle : « — Sifflez donc, mon père, sifflez donc! « Et le père de se joindre au chorus général, et, par amour paternel, de siffler de toutes les forces d'un Cent- Suisse. « Depuis, chaque fois que pareille tempête se déchaîne contre un comédien, on nomme cela, en langage de cou- lisses : appeler Tarquin. « Maintenant, ajoute l'auteur en note, cela se nomme: appeler Âzor. Tarquin était trop classique. » Admirons l'ingénieuse périphrase trouvée par messieurs les comédiens pour esquiver le mot terrible, le mot de sifflet, dont ils ont si peur, qu'ils aiment mieux ne pas le prononcer eux-mêmes. On dit encore : Il y a des bossus, pour signifier qu'une pièce estsifflée. Cette locution vient d'un vaudevilliste, auteur des Aventures de Mayeux, qui, entendant les sifflets de la coulisse, s'écria : « Je m'y at- tendais ; c'est un coup monté. Il y a au moins douze bossus dans la salle qui se sont donné rendez-vous pour faire tomber ma pièce*. « Attraper le lustre. — C'est ouvrir la bouche pour laisser passer un son qui s'échappe avec peine du gosier. » « Avoir de quoi. — Terme d'actrice pour désigner l'état de fortune d'une camarade qui s'est retirée du théâtre avec une belle aisance.» . 1 Dictionnaire des coulisses, par Joach. Duflot (Figaro, A ayril 1858). J'emprunterai quelques définitions, en les marquant des initiales J. D., 5 cette spirituelle série, qui a surtout le mérite de donner les élymolo- gies des termes, ce que je n'ai pas assez de place pour faire ici. CHAP. XXIV. - TECHNOLOGIE THÉÂTRALE. 525 « Bailler au tableau. — Se dit de Facteur qui dissimule son mécontentement en lisant le titre d'une pièce mise en répétition, dans laquelle on ne lui confie qu'un rôle se- condaire. » Voyez Tableau. « Battre des ailes. — Se dit d'un acteur qui fait de fré- quents gestes de bras, et frappe ses hanches à coups de coudes. C'est surtout dans les moments de passion que cette action s'opère. L'Hippocrate du théâtre de la Gaîté a prévenu M. Marty que, s'il continuait à battre des ailes, il serait forcé de prendre sa retraite avant deux ans. En effet, quelle poitrine pourrait résister à quatre-vingt- douze coups reçus pendant une seule tirade? » « Battre le job. — Synonyme de faire de la toile. (Voyez ce mot.) « Ce mot s'applique plus particulièrement aux vieux acteurs dont la mémoire est affaiblie. » Blésinardeb. — Flâner, muser, du Blésinard, de la Vénus à la fraise, rôle grotesque de Grassot (J. D.). « Bouche-trou, — Synonyme d'utilité. » « Bras (Avoir de bons ou de mauvais). — Mêmes qua- lités ou défauts que pour les jambes, »- (Voyez ces mots.) « Brûler (Se). — Se laisser entraîner, dans un moment de passion, jusque sur les quinquets de la rampe. Quelques actrices se brûlent par vanité; d'autres croient que pour faire de l'effet il faille s'approcher le plus près possible du public; d'autres se brûlent pour laisser plonger un regard dans les avant-scènes des baignoires. Une grande princesse du temple de la rue de Richelieu se brûle pour donner au chef des Romains le signal du triomphe. » Brûler les planches. — Jouer avec vivacité, avec feu, se démener sur le théâtre ; à peu près comme chauffer la scène. Cabotin. — Comédien errant et vagabond, comme les 3'26 CURIOSITES THEATRALES. héros du Roman Comique. On dit aussi quelquefois un Ragotin. Cabotin vient probablement du ternie nautique caboter, à moins, ce qui toutefois est peu probable, qu'il ne vienne de Cabotin, célèbre opérateur ambulant du dix- septième siècle, qui vendait des drogues et jouait des farces 1 . « Cadue. — Division du personnel du corps de ballet et des comparses par rang de taille; le grand cadre contient les sujets de la taille la plus gigantesque. C'est dans ce ca- dre que Ton prend le tambour-major; les sujets de taille ordinaire appartiennent au cadre moyen, et le petit cadre renferme les tailles les plus modestes; c'est lui qui four- nit les pages, les amours, les diablotins. » Cantonade (Parler à la). — Parler dans la coulisse avant d'entrer en scène, ou remonter la scène pour s'adresser à quelqu'un dans la coulisse. Cascade. — Lazzi ou jeu de scèue grotesque, pour exci- ter le gros rire. « Chanter actlutrin. —Donner de la voix dans le haut ou dans le bas, faire entendre des sons graves ou aigus; les basses-tailles et les Trials chantent au lutrin. » « Chauffer la scène. — C'est l'animer par un jeu vif, ou par un débit qui exclut la monotonie. » v Chevroter. — C'est le chant suranné d'un Elleviou de cinquante ans; c'est chanter par saccades, filer un demi- son qu'on termine par une cadence, aller par sauts et par bonds; allusion au saut et au cri du chevreau. Tous les chanteurs gascons chevrotent. » Le chevrotement est de- venu à la mode parmi certains chanteurs qui nç. sont ni surannés ni gascons. «Comparses. — Figurants qu'on peut au besoin transfor- mer en héros; ils doivent revêtir le casque et la cuirasse, « Viollet le Duc, BiH.puét., p. 455, 518. CHAÎ>. XXIV. — TECHNOLOGIE THÉÂTRALE, 32? porter la coite de maille, le mousquet, la giberne, Tare et la massue : ce sont des Alexandre à quarante sous par jour. » « Chefs de comparses. — Les troupes de comparses sont commandées par des chefs qui dirigent les manœuvres et maintiennent la discipline parmi les janissaires. Ils tou- chent une haute paye de cinquante centimes et ont le droit d'amende sur leurs subordonnés. » Chien (Avoirou tenir du).— C'est sentir en soi ces nobles ardeurs qui font les grands artistes, ces inspirations sou- daines qui jaillissent comme des éclairs (J. D.). « Compter des pauses. — Dormir. » Claque. —On sait ce que c'est. On appelle encore les claqueurs Romains, à cause de leur organisation à la ma- nière des légions romaines, et chevaliers du lustre, de la place qu'ils occupent. Ils ont un chef et des lieutenants. Le personnel se compose d'intimes, claqueurs habituels, qui entrent gratis ; de lavables (laver, en argot théâtral et autre, signifie vendre), qui payent leur entrée à vil prix, et de solitaires, amateurs qui, pour ne pas faire queue et choisir leurs places, entrent avec la claque, en payant, et ne sont astreints qu'à ne pas siffler. Côtelettes. — Applaudissements. Il y a beaucoup de synonymes pour les applaudissements, mais moins que pour les sifflets. « Coup de fouet. — Le postillon qui achève son relais en donne la nouvelle par des coups de fouet redoublés; ainsi l'acteur, en finissant une tirade d'invocation ou d'impré- cation, ou un couplet patriotique, rassemble tous ses moyens, comprime ses poumons avec son geste, et termine en achevant sa phrase avec force et avec une euphonie combinée. » « Coupures (Faire des). — Terme de censure. » Toute espèce de suppression dans une œuvre dramatique. 328 CURIOSITÉS THEATRALES. « Terme de cabale, action de retrancher pour une pièce quelques salves d'applaudissements, soit que le chef de cabale ait lieu de se plaindre de la générosité de l'au- teur, soit qu'il s'aperçoive qu'un trop vif enthousiasme indispose le public. » Décoration. — Comprend les formes, coulisses, châssis, rideaux, etc. Voir le Dictionnaire théâtral, 1824, pour la signification de ces termes techniques, trop longs et trop difficiles à expliquer pour nous. « Dessous. — Second plancher qui se trouve sous le théâtre, à une distance de quelques pieds; plus bas, se trouvent encore deux autres planchers qui se nomment, l'un le deuxième, l'autre le troisième dessous; les décors, dans les changements à vue, descendent et reposent sur ces planchers : on dit, tomber dans le troisième dessous, s'enfoncer dans le troisième dessous, pour signifier échouer dans un rôle. » « Détailler le couplet. — C'est chanter le vatfdeville en phrasant adroitement chaque période, en observant les nuances de chaque idée : c'est analyser, disséquer un re- frain. » Doublures. — Acteurs de second, troisième ou qua- trième ordre, destinés à remplacer les chefs de file au besoin, et à jouer dans les pièces ou les rôles insignifiants. Les doublures composent la troupe de fer-blanc. « Écho (ou plutôt écot). — Terme de danse, solo 5e chaque danseur à la fin d'un pas. » Égaïer une pièce, c'est la siffler. * Emplois. — Nom générique des personnages et des rôles. » « Les Clairval. — Ce sont les premiers rôles de l'Opéra- Comique. Clairval rivalisait de ton, de dignité et de tenue avec les premiers acteurs de l'ancienne Comédie-Française. Créateur des jeunes premiers chantants, Clairval tirait un CHA1\ XXÎV. — TECHNOLOGIE THEATRALE. 329 parti merveilleux d'une voix grêle et glapissante. Il ex- cellait surtout dans les marquis petits-maîtres ; personne ne portait mieux que lui l'habit brodé. » Les Colin. — Jeunes amoureux soupirants, bien dis- tincts des amoureux conquérants; bergers roucoulant leur amour f Némorins brûlant pour les charmes d'Estelle. Les Déjazet. — Rôles travestis, lestes, égrillards. « Les Dozalnville. — Formés des Laruette, des Rozières et des Trial. Cet acteur débuta à l'ancien Opéra-Comique de Louvois dans l'an II de la République. Le rôle qui commença à établir sa réputation fut le personnage d'un terroriste de 93, dans Cange, pièce jouée après le 9 ther- midor ; de là il passa au théâtre de Montansier, et, après la mort de Trial, il entra à Favart. » « Les Dcgazon. — Cetemploi se divise en jeunes Dugazon, et Dugazon mères. Cette actrice célèbre a eu seule l'hon- neur de laisser son nom au genre que la marche du temps lui a tracé à deux époques de sa vie. Douée d'une sensi- bilité exquise, d'un organe expressif, elle immortalisa la première moitié de sa vie par les rôles de Nina et de Babet; dès qu'elle pressentit les prémices de sa vieillesse, Ma- rianne, Camille, la Pauvre Femme, et la Mère du prison- nier, relevèrent sur le trône d'une autre gloire : c'était vraiment Factrice de la nature. » « Les Elleviou.— Petits-maîtres en pantalons, trois vestes de hussards avec un sabre traînant ou une cravache; diffé- rant des Clairval, en ce que le costume de ces derniers est toujours l'habit brodé paré de la bourse et de l'épée. Elleviou naquit à Rennes vers 1770 ; son père, chirurgien distingué de cette ville, lui fit donner une éducation soignée et voulait en faire un praticien. Il était l'ami de collège de l'illustre Moreau, son compatriote. Elleviou, porté par une vocation irrésistible, vint à Paris, et débuta au théâtre Favart en 1790. Il ne remplaça pas Clairval, 350 CURIOSITÉS THEATRALES. mais il prit une autre route ; il se fit un talent particu- lier, adopta un genre pour lequel il se fit écrire des rôles, et ne tarda pas à devenir l'acteur à la mode. » « Les financiers et manteaux. — Dans un siècle qu'on pourrait appeler celui des finances, il est plaisant de voir l'emploi des financiers vacant à la Comédie-Française. Les anciens pantalons de la Comédie-Italienne formèrent les rôles à manteaux de notre théâtre, c'est-à-dire les tuteurs dupés, les vieux Cassandre, les Orgon de Mo- lière. » « Les Gavaudan. — Ce sont les Talma de l'Opéra-Co- mique. C'est à Bicêtre et à Charenton que Gavaudan alla chercher ses premières inspirations; c'est lui qui intro- duisit le genre noir à l'Opéra-Comique ; et bientôt on vit paraître sur l'affiche les mélodrames à musique du Délire et de Montano et Stéphanie. » Les ganaches ou pères dindons. — Rôles de vieux, imbé- ciles et crédules. « Les Gonthier (M me ). — C'est en 1778 que cette grande actrice débuta par le rôle de duègne dans le Sorcier; elle fut reçue en 1779. C'est la nature qui forma et instruisit cette artiste, surnommée la Bonne Gonthier, titre qu'elle a si justement mérité par la bonhomie de son jeu et l'o- riginalité de sa manière. La nourrice de Fanfan et Colas, Mathurine de Biaise et Babet, Ma tante Aurore, Babet de Philippe et Georgette, sont les plus beaux rôles de l'em-' ploi. On disait de madame Gonthier de même que de Pré- ville : Elle savait toujours faire rire et pleurer quand elle le voulait. » % Les grimes. — Les vieux, les rôles marqués; ceux qui exigent que l'acteur se donne des rides et des cheveux blancs, se fasse une tête, etc. Les jeunes premiers. — Les beaux Lindor, les Octave, Arthur ou Armand (autrefois ils s'appelaient Éraste ou CMàP. XXÎV. - TECHNOLOGIE THÉÂTRALE. 331 Valère), destinés à aimer et à être aimés, toutes les fois | qu'ils paraissent sur la scène. « Les Laruette. — C'est l'emploi des ganaches, des pères | dindons, des Cassandre de l'Opéra-Comique. Laruette, qui a donné son nom à cet emploi, débuta en 1752 à la foire Saint-Laurent; il naquit à Toulouse en 1732. « D'abord il s'était destiné aux jeunes premiers; mais (une voix vieillotte, l'exiguïté de sa taille, le fit retourner || vers les rôles à manteaux ; il réjouit Paris, pendant vingt- cinq ans, de son jeu comique. » « Les Lays. — Du nom du célèbre chanteur du Grand- Opéra, dont la voix participait de la basse-taille et du ténor. C'est le seul acteur de ce théâtre qui ait laissé son nom à un emploi plutôt comique que sérieux. » « Les Martin. — Martin donna son nom aux rôles qu'il créa au théâtre Feydeau ; comme chanteur, il joignait à un ténor très-beau un grand talent d'exécution. Aucun obstacle ne lui paraissait insurmontable, tant sa voix fraîche, flexible et sonore, ajoutait à ses moyens. 11 partagea longtemps le sceptre avec Elleviou. Longtemps il parut impossible d'en tirer rien que des roulades; enfin son talent pour la comédie se développa peu à peu. » « Les Michot. — M. Michota mérité de donner son nom à l'emploi qu'il tenait à la Comédie-Française ; son début était un coup de maître ; il le fit dans le rôle de Maître- Jacques, de Y Avare. Le caractère de son talent était prin- cipalement la bonhomie, la rondeur et la naïveté; il s'at- tendrissait facilement, et faisait partager aux spectateurs le sentiment qui l'animait. Son triomphe était peut-être le Boniface de la Belle Fermière. » « Les Philippe. — L'emploi des Philippe, qui tire son nom de cet acteur, comprend les rois, les tyrans et les rôles chevaleresques de l'Opera-Comique. » 352 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. « Les Philis. — Cet emploi tient le milieu entre les Dugazon et les Saint-Aubin. » Les queues-rouges. — Rôles de bas-comique, bouffons, se rapprochant des Jocrisses. « Rosières (Emploi des). — Cet ancien fondateur du Vau- deville était le bailli par excellence de l'Opéra-Comique; le Jugement, la Dot et les Amours d'été lui durent une grande partie de leur vogue. Son embonpoint naturel et un comique achevé furent la cause de son succès; depuis que les rôles à baillis ne sont plus de mode, cet emploi s'éteint de jour en jour.» « Solié (Emploi des), tenant desLaruette. — Ce sont les comiques qui ajoutent au plaisant le charme d'une jolie voix. » « Saint- Aubin (Emploi des), ingénues de l'Opéra-Co- mique. — Madame Saint-Aubin était l'actrice de la na- ture; pendant vingt ans, elle fit les délices de la capitale; à son début, elle éclipsa les quinze amoureuses dont le théâtre de l'Opéra-Comique était surchargé. » Les ïiercelin. — Du nom de l'acteur des Variétés : les rôles tout à fait populaires, tapageurs, débraillés ; les forts de la halle, etc. « Tiual (Emploi des). — Ce sont les niais chantants de l'Opéra-Comique. Un physique imbécile, une voix ca- narde, qui excitait le rire, firent la "gloire de Trial, qui, pendant vingt-cinq ans, joua à l'Opéra-Comique les pay- sans et les valets lourdauds. « Il y a encore un grand nombre d'autres emplois : tels sont les rois, les premiers, seconds, troisièmes comiques; les reines et grandes princesses, les grandes coquettes, les valets à grande livrée; comme le nom indique l'emploi, nous nous contentons de les indiquer. » « Gonthier, Potier et Perlet ont donné aussi leurs noms à leurs répertoires. CHAP. XXIV. - TECHNOLOGIE THÉÂTRALE. 335 « Dansl'Opéraon nomme encore rôles à baguettes l'em- ploi des sorcières et magiciens. » « En avoir. — Terme employé par les clames de cou- lisses pour signifier un amant riche, ou une camarade qui l'est au-dessus de ses affaires. » « En donner. — Locution signifiant l'action de l'homme 'généreux qui pèse les faveurs qu'on lui accorde au poids jde l'or. Les banquiers en donnent aux danseuses de jl'Opéra, et les parfumeurs à celles du théâtre de la Porte- | Saint Martin. » « Enfoncer (S') — Ne point obtenir de succès. Un acteur, 1 un ouvrage, s'enfoncent ; par an il s'enfonce à Paris cinq tragédies, douze mélodrames, et quarante vaudevilles. » « Enlever, terme de cabale. — C'est accueillir l'acteur avec enthousiasme, le porter aux nues, assurer le succès d'une pièce en étouffant victorieusement les signes d'im- probation. On enlève une tragédie, une comédie, un ballet, 1 un vaudeville, un mélodrame; plus d'un ouvrage, enlevé à la première- représentation, tombe lourdement à la se- conde. » « Équipage. — C'est la réunion des ouvriers machinistes chargés de monter les décors, de faire les changements à vue. Dans certains théâtres ils sont revêtus d'une double dignité : ils joignent à la qualité d'ouvriers la qualité de comparses; ainsi il n'est pas rare de voir, dans un en- tr'acte, un homme de l'équipage revêtu d'une camisole de bure, et de le trouver à l'acte suivant paré de la toge ou jle la robe prétexte ; ces modernes Cincinnatus reçoivent les honneurs du triomphe et retournent à leurs outils. » « Escamoter le mot. — Un mot un peu trop trivial et sur lequel le public doit manifester son mécontentement s'il n'est pas en disposition d'indulgence est dit faiblement et comme entre les lèvres par un acteur adroit; c'est ce qu'on nomme escamoter le mot. Tel mot qu'il faudrait 534 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. escamoter au Gymnase, il faut appuyer dessus au théâtre dont Odry est un soutien.» Espalier d'opéra. — Figurante, — ancien style. Etoile. — C'est l'astre d'un théâtre, l'acteur ou L'actrice dont le nom se met en grosses lettres sur l'affiche. Facture (Couplets de). — Morceaux de poésie où se déploie tout du long l'auteur de la pièce, et destinés à être aussi applaudis que possible. Faire. — Style de claqueur, comme soutenir. C'est moi qui fais les pièces de M. Scribe, disait Sauton, le chef de claque. « Faire de la toile. — S'embrouiller, ne savoir ce qu'on dit. Les acteurs doués de l'esprit d'improvisation font de la toile fine, en paraphrasant une pensée et en donnant ainsi au souffleur le temps de se remettre en bonne route. L'acteur qui reste court et qui ne peut trouver dans son esprit aucun secours contre sa mémoire fait du canevas.» i Faire feu. — Se dit des acteurs tragiques et mélodra- ' matiques qui accompagnent chaque phrase d'un coup de talon. » •< Feu, feux. — Haute paye, octroyée à quelques favoris dans l'armée dramatique. La répartition des feux res- semble à la distribution publique des comestibles; ce sont les plus adroits qui les obtiennent. Cet usage est dégénéré en abus : pas un tyran de mélodrame, pas un sauteur qui ne réclame ce tribut. » Ficelles. — Vieux moyens usés et rebattus dont on se ■ sert pour faire une scène, pour amener un effet. « Filer. — Terme chorégraphique ; c'est décrire un cercle ou parcourir rapidement une ligne droite sur la pointe du pied. » Fort. — Le premier fort, le second fort, rôles de pre- mières, de secondes amoureuses. Cette expression était du moins en usage au dix-huitième siècle. CHAP. XXIV. — TECHNOLOGIE THÉÂTRALE, 335 « Fourre (Faire) *. — Employer tous ses moyens pour produire de l'effet et ne pas réussir. On distingue le I fourre en demi-fourre et fourre complet. « Faire fourre se dit aussi d'une pièce sur laquelle on comptait pour attirer le public, et qui n'attire que des sifflets. » « Fugue. — Epouvante des directeurs; départe abrupto; voyage incognito d'un déserteur des bataillons drama- tiques. Une danseuse de l'Opéra se fait-elle attendre cinq minutes à la répétition, le régisseur général braque de suite sa lorgnette vers les frontières. Il n'est pas jusqu'aux actrices des boulevards qui n'exécutent quelques fugues : l'Ambigu-Comique et l'ex-Panorama-Dramatique ont con- servé le souvenir du rapt de plus d'une moderne Hélène. En province, les fugues sont plus fréquentes qu'à Paris : un acteur déplaît, il entend le bruit aigu de la clef forée, c'est pour lui le signal du départ. » « Gargariser (Se). — Se plaire dans des langues caden- cées et musicales ; passer de la cadence à la roulade et retomber dans la cadence. Martin était le chef de l'école du gargarisme; il a laissé le sceptre à madame Boulanger.» Gloire (Une). — Machine qui descend du cintre pour apporter une divinité sur la scène. « Gourer (Se). — Vieux mot français conservé dans le langage des coulisses, et qui signifie se tromper sur une intention. » Grande casaque (La). — Comprend les personnages hé- roïques de la livrée, les valets du premier ordre : Masca- rille, Hector, Labranche, etc. La casaque rouge, symbole de l'emploi, est le but de l'ambition universelle au théâtre. Quiconque revêt la grande casaque est regardé comme le premier rôle comique. 1 On dit aujourd'hui faire four. :>:,(•) curiosités théâtrales. « Gratter au foyer. — Signifie attendre des rôles, ne pas jouer dans plusieurs ouvrages montés de suite '. » Hoquet dramatique (Le). — Quelquefois c'est une infir- mité naturelle, comme celui qu'avait mademoiselle Du- chesnois; le plus souvent c'est une habitude maussade et agaçante. Certaines actrices surtout croient faire mer- veille en respirant comme des soufflets de forge à la fin de chaque phrase, avec un soubresaut d'estomac et une sorte de râle dans la gorge. Rien n'est plus répugnant. « Jambes (Avoir des, ou n'avoir pas de). — Terme cho- régraphique, signifiant qu'un sujet du ballet jouit ou bien est privé de la faculté de mouvoir ses jambes avec facilité, et, par conséquent, d'exécuter facilement des flicflacs jetés-battus, temps de cuisse, etc. Quand un maître de ballets a déclaré que telle ou telle danseuse n'a pas de jambes, le directeur est dans l'obligation de la rayer du cadre. » « Jouer les mains dans ses poches. — C'est se conduire, sur le théâtre, comme monsieur Sans- Gêne chez son ami de collège; dire un rôle comme un ouvrier fait sa journée, sans avoir la prétention de paraître gagner son argent. » Jouer le grand trottoir. — C'est jouer les pièces du style noble et du haut genre. « Lancer le trait, terme de comédie et de vaudeville. — C'est faire ressortir adroitement, par une nuance plus ou moins prononcée, l'esprit du dialogue ou la chute' d'un couplet. » On dit aussi : lancer le mot, souligner son rôle. « Lever de rideau. — Un lever de rideau, c'est une gra- tification allouée dans certains théâtres aux auteurs, à la première représentation d'un ouvrage. Que la pièce réus- sisse ou non, dès que le rideau est levé, on doit aux au- 1 On dit aussi flairer au foyer, en parlant d'un auteur ou d'un cemé- dien qui vient regarder au foyer si le tableau d'annonces porte son uom pour une distribution de rôles (J. I).). CHAP. XXIV, — TECHNOLOGIE TIIÉATRALF. 33? teurs le prix convenu. » — Aujourd'hui on appelle un lever de rideau la petite pièce qui se joue au lever de la toile, pour donner le temps au public d'arriver au com- mencement de la grande pièce. « Loges. — Se dit du lieu où les acteurs et actrices s'habillent. Dans les théâtres royaux, ce sont des appar- tements complets ; au Vaudeville, au Gymnase et aux Variétés, ce sont des appartements de garçon ; à la Porle- Saint-Martin, ce sont des chamhres de domestiques; et à la Gaîté on dirait dos niches construites pour le chien de Montargis 1 . Dans les villes secondaires, on s'habille dans les caves, et, dans les petites villes, il n'est pas rare de voir Zaïre mettre sa tunique sur le théâtre, et le Cid son vêtement nécessaire dans le trou du souffleur. » « Manger des côtelettes. — C'est obtenir un triomphe complet, être assourdi d'applaudissements. » Manteau d'Arlequin. — Les deux premiers châssis du théâtre, supportant une draperie qui s'y repose comme le linteau d'une porte, forment un encadrement que l'on peut restreindre ou élargir à volonté. C'est ce que l'on nomme le manteau d'Arlequin. Ce personnage se glissait toujours entre ces deux châssis pour entrer sur le théâtre. Marcher sur sa longe. — Ne plus produire d'effet, être resté trop tard à la scène. Mariole. — Rusé. Tiré du nom d'un rôle de femme effrontée du Coin de rue (J. D.). Marier Justine. — Précipiter le dénoûment, aller droit au but (J. D). Montrer la couture de ses bas. — Se retirer, rompre son engagement (J. D.). « Moyens. — Donner des moyens, se dit de L acteur qui récite de toute la force de ses poumons. Retenir ses 2 En 1826. 338 CURIOSITES THEATRALES. moyens, c'est comprimer l'élan dramatique; on retient ses moyens dans le cours d'une scène, et l'on donne des moyens à la tin; on retient ses moyens dans les six pre- miers vers d'un couplet, on donne des moyens à la chute, au trait. » Panne (Une). — Rôle mauvais ou insignifiant. « Parade (Faire la). — C'est jouer devant les banquettes.» Parler du puits. — Perdre son temps. Passe (Une). — Le mouvement par lequel un acteur passe d'un côté du théâtre à un autre, soit pour varier les positions, soit pour se trouver à portée d'un meuble, etc.; mouvement qu'il faut lâcher d'amener le plus naturelle- ment possible. Perdre son bâton. — Être de mauvaise humeur, avoir perdu contenance '. « Piaffer. — Danser sans règle ni mesure ; toutes les figurantes de l'Opéra piaffent, et de temps en temps quelques premiers sujets se mettent à l'unisson. » « Planter un acte, c'est le mettre en scène, en disposer toutes les parties pour les développements. « — Un comparse, le placer et lui dessiner sa marche et contre- marche. » « Public (Faire son). — Se dit de l'actrice qui chante le couplet final d'un vaudeville au public. L'œil expressif et réclamant l'indulgence, la tête penchée, les mains jointes, une révérence qui de vers en vers devient plus prononcée, une voix tremblotante, voilà ce qu'il faut à l'actrice qui veut savoir faire son public. » Rat.— Une jeune danseuse des corps de ballet de l'Opéra. « Rebondir. — Action d'un ouvrage qui se relève d'une chute. » « Recevoir son jiorceau de sucre» — L'acteur reçoit son 1 Pour l'explication de ces deui termes, voyez Vict. des coulines, par i. Duflot. {Figaro du 13 juin 1858.) CHAP. XXIV. — TECHNOLOGIE THÉÂTRALE. 559 morceau de sucre quand une salve modérée d'applaudis- sements accueille son entrée ou accompagne sa sortie. On s'abonne avec les chefs des claqueurs pour son morceau de sucre ; si le grand maître de Tordre du lustre a quelque grief contre un roi, une reine ou un confident, il les prive pendant plusieurs jours de leurs morceaux de sucre. On voit pîus d'un héros tragique, dans ses tournées dé- partementales, traîner à sa suite ou conduire dans sa voi- ture des amis généreux, pour assouvir sa friandise et lui tenir prêt son morceau de sucre partout où il passe. Une actrice de la Comédie-Française a dépensé en dix mois cent mille francs en morceaux de sucre. » Remporter sa veste, faire fiasco. Un acteur sifflé rem- porte sa veste ; il la remporte aussi quand il a un succès d'estime. « Retourner un comparse. — Terme de régisseur, signi- fiant arrêter définitivement les positions et les pauses ; le premier jour on plante son comparse, et le cinquième jour on le retourne. » « Rideau (Au). — Cri de manœuvre. Le régisseur frappe ses trois coups; les rois, les princesses, les traîtres, les tyrans, les amoureux, les duègnes, se portent en flots tu- multueux vers les coulisses ; le souffleur s'enfonce dans son trou, se mouche, tousse, ouvre son livre ; le régisseur fait encore deux ou trois tours dans l'arène dramatique, et crie d'une voix de Stentor : Au rideau! Le rideau se lève majestueusement et livre l'ouvrage nouveau aux chances du succès et de la chute. Au rideau! est souvent un cri d'impatience du public, mais alors c'est pour le faire baisser. » « Rire a la caisse. — C'est recevoir une gratification, un feu extraordinaire, une indemnité pour un service rendu à une administration ou pour une blessure reçue dans une représentation. » 340 CURIOSITES THEATRALES; « Uococo. — Terme applicable à l'ouvrage ou à l'acteur qui tient le milieu entre la nullité et la médiocrité. Uo- coco se dit encore de l'acteur qui conserve dans son jeu des traditions passées de mode, ou de l'actrice qui ignore l'art des costumes. » « Ronfler. — C'est appuyer fortement sur les r, surtout quand ils sont redoublés. Le ronflement produit un très- grand effet dans la tragédie et dans le mélodrame. Les tirades de mélodrames tirent un grand éclat de cette con- sonne ; aussi trouve-t-on à chaque instant : Affreuse révé- lation ! terrible circonstance ! horrible rendez-vous ! Ron- fler se nomme encore faire la roue. » Roustissure. — Finesse, bon tour, attrape. « Rue. — On appelle rue l'espace entre deux coulisses; dans un changement à vue, il faut se tenir au milieu de la rue; les châssis glissent des deux côtés et laissent libre le milieu. » « Service (Faire le). — C'est distribuer des billets à tous les artistes dont les noms se trouvent sur l'affiche du jour; on lit dessus : Ce billet, étant donné gratis, ne peut être vendu; et plus bas, sur ceux de certains théâtres: On ne peut exiger de contre-marques. Ce qui ne ressemble pas mal à un mandat de dépôt dans une maison d'arrêt. A l'ancien Panorama-Dramatique les directeurs, redoutant la vente des billets de service, avaient imaginé d'y substk tuer des plaques en fer-blanc avec des numéros. Chaque artiste confiait sa médaille à ceux qu'il voulait faire en- trer ; le contrôleur la recevait et la rendait le lendemain à l'acteur. '» On fait aussi le service des journaux aux premières représentations. « Tarleau. — Ordre des répétitions, spectacle placé chaque soir dans le foyer et fait par le régisseur. * « Tartine. — On nomme tartine, au théâtre, une tirade de longue haleine; les plus curieuses, après le récit de CHAP. XXIV. — TECHNOLOGIE THÉÂTRALE. 341 Théramène, sont sans contredit celles des mélodrames. » Taureaux. — On appelle, en termes techniques, au théâtre, les taureaux, disent les Mémoires secrets l , les rôles les plus violents exigeant de robustes poumons. — J'ignore si cette locution est restée. Lekain avait été sur- nommé le taureau, lors de ses débuts, pour la force el l'emportement de sa déclamation. « Tirer la ficelle. — Chanter faux. » Tiroirs (Pièce à). — Scènes sans liaison, comme si Ton avait tiré chacune d'elles d'un tiroir distinct. « Titre (Faire du). — C'est attirer la curiosité par la bizarrerie et l'originalité des titres que l'on met sur l'af- fiche ; ainsi l'on voit souvent en province défigurer les titres de nos pièces anciennes ou de nos pièces nouvelles. Racine, Corneille, ne sont pas plus épargnés que Guilbert- Pixérécourt et Çaigniez ; il n'est pas rare de voir sept à huit titres à une pièce. Quelquefois on y joint le nombre des décors, on fait l'énumération des costumes des ac- teurs. On annonce que la princesse aura des diamants et le prince des bas de soie; on y lit : Zaïre, ou la Française et le Turc, ou le Frère et la Sœur, ou les Chagrins d'un vieux père, ou enfin le Soudan plus à plaindre qu'à blâ- mer. Le Siège de Calais, ou la générosité patriotique bien extraordinaire pour le siècle dans lequel ils vivaient, d'un Français qui sauva ses concitoyens. Cardillac, ou le danger de sortir le soir dans les rues de Paris. » Toc. — Une pièce toc, dans l'argot de dernier ordre, est une mauvaise pièce. « Tour de faveur. — Un auteur prôné par une coterie, un acteur protégé par nos hauts et puissants seigneurs des coulisses, obtiennent, malgré les droits acquis, un tour de faveur, c'est-à-dire que la pièce nouvelle sera 1 T. u, P . 123. 342 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. jouée avant une autre reçue bien antérieurement. Les dé- butants ont aussi leur tour de faveur. On a souvent vu une nymphe, à peine sortie des bancs de M. Coulon, sous l'égide d'une Excellence, s'élancer parmi les premiers su- jets de l'Opéra et renvoyer derrière elle les anciennes. » « Trépignements forcés, terme de cabale. — C'est une sorte d'applaudissements avec les pieds, quoique rangés dans les applaudissements sourds. Ils sont d'un grand effet, surtout dans les moments d'enthousiasme. Les trépigne- ments forcés s'exécutent dans les allusions patriotiques et pour les couplets de facture en l'honneur de la gloire nationale. » Truc. — Tout ce qui apparaît subitement et disparaît de même dans les féeries est mis en mouvement au moyen d'un mécanisme qu'on appelle ainsi. Truc, comme ficelle, se dit, par extension, des moyens factices et convenus em- ployés pour agir sur le public. « Utilités. —Emploi des premiers figurants; leurs prin- cipales fonctions sont de faire des annonces, approcher les fauteuils; leurs frais de mémoire se réduisent à peu près à ces mots : C'es^ une lettre » Qu'entre vos propres mains on m'a dit de remettre. « Vedette. — Mettre en vedette le nom d'un acteur, c'est l'imprimer en plus gros caractère que les autres; c'est un hommage qu'on rend au talent et que la médio- crité usurpe quelquefois. ^ln province on outre tellement cet usage, qu'il n'est pas rare de voir le nom d'un acteur tenir les trois quarts de l'affiche. » « Voir a l'huile ou au gaz. — Juger de l'effet d'une pièce à une répétition générale, le lustre et la rampe allumés. Telle pièce qui paraît charmante dans l'obscurité de la répétition devient pitoyable aux lumières ; tel couplet qui CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 343 produit un effet électrique sur deux ou trois amis de Tau,- teur est sifflé à la représentation. » « Voyager. — Terme chorégraphique, dévier de place en faisant une pirouette. Plus d'un danseur commence sa pirouette au cinquième ou sixième plan, et va l'achever auprès de la rampe. Dans les ballets de mélodrames, ces sortes de voyageurs sont très-dangereux pour le souffleur; il n'est pas rare de voir le nez de celui-ci endommagé par les pieds d'un voyageur, et il n'est pas sans exemple d'avoir vu, après une pirouette, un danseur mettre en danger le chef d'orchestre. » CHAPITRE XXV Acteur s -auteurs . Il nous a paru intéressant de finir ce livre en offrant à nos lecteurs une liste, que nous n'avons nullement eu la prétention de faire complète, malgré son étendue, des acteurs qui ont été en même temps écrivains, surtout écrivains dramatiques. Cette liste comprendra surtout des noms français; nous n'excluons pas les autres, loin de là, mais nos moyens d'information sont naturellement plus complets pour notre pays. Nous ne rangeons pas non plus parmi les acteurs, est-il besoin de le dire ? ceux qui n'ont paru que sur des théâtres de société, ou ceux qui n'ont joué en public que d'une façon tout à fait épisodi- que et exceptionnelle, par exemple Remy Belleau, la Pé- 314 CURIOSITES THEATRALES. ruse, et Jodelle, qui représentèrent tous trois la Cléopâtre captive de ce dernier, à l'hôtel de Reims, devant le roi Henri II et ses courtisans. Jodelle joua aussi le person- nage de Jason dans un divertissement, en présence du -monarque, et eut le crève-cœur de demeurer court dans son rôle. Enfin, nous ne nous occuperons pas davantage, en règle générale, des acteurs de théâtres d'un ordre in- fime, et de ceux qui n'ont été auteurs que par collabo- ration, ou à qui Ton ne doit que des pièces sans portée et sans intérêt; autrement, ce catalogue n'en finirait pas. Généralement, nous ne nous arrêterons qu'à ceuxujui of- frent quelque particularité intéressante, et nous néglige- rons les autres. Mais le lecteur saura bien faire toutes ces distinctions de lui-même, et comprendre nos omissions volontaires, comme excuser nos oublis inévitables. Pour plus de facilité, nous adopterons l'ordre alphabé- tique. Andreini (François), chef de la troupe des Gelusi, flo- rissait à la fin du seizième et au commencement du dix- septième siècle. Il se distinguait surtout dans l'emploi des capitans, et c'est à lui qu'on doit, entre autres pièces, le Bravure delCapilanoSpavento, 1607, souvent réimpri- mées, et traduites en français. Andreini (Isabelle), sa femme, qui fut au premier rang par son talent d'actrice et d'écrivain. Elle faisait partie de l'Académie des Intenti, où elle portait le nom signifi- catif de VAccesa (l'Enflammée). Elle avait étudié la philo- sophie, et on lui doit plusieurs ouvrages dans divers genres, pastorales, lettres, poésies, etc. Elle eut les plus nobles comme les plus nombreux admirateurs, et une médaille fut frappée en son honneur après sa mort. Andreini (Jean-Baptiste), fils des deux précédents. On voit que les Andreini forment en quelque sorte une dy- nastie d'acteurs-auteurs. C'est surtout en France qu'An- CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 345 dreini se distingua comme comédien, et parmi ses œuvres nous mentionnerons le drame d'Adamo, qui, selon Vol- taire, M. Villemain et beaucoup d'autres, a fourni à Mil- ton l'idée de son Paradis perdu. « Les principaux inter- locateurs, dit Ginguené, sont le Père Éternel, Adam, Eve, l'archange Michel; des chœurs de séraphins, de chéru- bins, d'anges et d'archanges, Lucifer, Satan, Belzébuth, des chœurs d'esprits ignés, aériens, aquatiques et infer- naux ; les sept péchés mortels, le monde, la chair, la faim, la mort, la vaine gloire et le serpent. » C'est dans les troupes italiennes qu'on trouverait le plus grand nombre d'acteurs-auteurs : nous ne pourrons; à beaucoup près, les mentionner tous. Du reste, on peut dire que tous les comédiens italiens joignaient le talent d'au- teurs à celui d'acteurs, car on sait qu'ils jouaient à l'im- provisade, remplissant de verve, suivant l'inspiration du moment, les canevas adoptés, comme faisaient aussi nos anciens farceurs. Ainsi d'une même pièce ils tiraient au besoin cent pièces, qui paraissaient nouvelles cent fois de suite au même auditoire. C'était alors qu'il fallait de l'esprit, de l'imagination, de la sagacité, du sang-froid, pour être comédien. On ne pouvait croire que ces scènes si vives et si amusantes ne fussent que de pures improvi- sations. Un jour, raconte Desboulmiers, dans son Histoire de T Opéra-Comique (1, 168). on les mit à l'épreuve brus- quement sur un canevas préparé par Rémond de Sainte- Albine : ils s'en tirèrent à merveille, et il fallut bien se rendre à l'évidence. Angely (Louis), poëte dramatique allemand, mort en 1855, débuta d'abord comme acteur aux théâtres de Riga et de Saint-Pétersbourg, et devint ensuite régisseur d'un théâtre de Berlin, pour lequel il écrivit un grand nom- bre de comédies et de vaudevilles, dont quelques-uns ob- tinrent un succès immense, sans parler de l'innombrable 346 CURIOSITES THEATRALES. quantité de pièces françaises qu'il traduisit en allemand. Armin (Robert) remplissait les rôles de clown dans la troupe de Shakspeare. On lui doit une comédie, et la bi- bliothèque Bodléienne, à Oxford, conserve de lui un ma- nuscrit intitulé A Nest ofNinnies. Arnal (Etienne), dont nos lecteurs connaissent le talent de comique, a composé une épître en vers à Bouffé, les Gen- darmes, « poëme épice » en deux chants, des contes, etc., mais pas d'ouvrages dramatiques, que nous sachions. Banières, dont nous avons raconté la vie romanes- que dans un de nos précédents chapitres, fit une tragédie, la Mort de César, qui n'a pas été imprimée, et un Discours 'préliminaire sur la tragédie de Bélisaire (1729), in-8°. Ba- nières est le héros d'un roman d'Alexandre Dumas : Olympe de Clèves; il méritait cet honneur. Baron. Son talent d'acteur, ses œuvres tragiques et co- miques, et sa vie sont trop connus pour que nous ayons besoin de les rappeler. Disons seulement que la propriété de plusieurs de ses pièces lui a été contestée, et qu'on a attribué spécialement au père de la Rue YAndrienne et YHomme abonnes fortunes, qu'il aurait mis sous le nom de Baron, parce que sa qualité de prêtre et de religieux lui interdisait de les signer. Beauvallet, l'acteur célèbre du Théâtre-Français, a com- posé, en collaboration avec M. Davesne, le drame en vers deCaïn (4835), les deux tragédies de Robert Bruce (1847), et du Dernier Abencerrage (1851), etc. Son fils, Léon Beau- vallet, qui a fait partie de la grande expédition dramati- que de mademoiselle Rachel aux Étals-Unis, a aussi donné, seul ou en collaboration, plusieurs pièces de théâtre, in- dépendamment d'autres travaux dans un genre différent. Béjart (Madeleine), de la troupe de Molière, si elle n'a pas composé des ouvrages entiers, en a du moins refait et arrangé pour la scène. On sait, par le registre de la CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 347 Grange, qu'elle s'était chargée de rarranger une pièce in- titulée Sancho Pança, pour laquelle elle toucha des droits d'auteur. Belleoourt (Jean-Claude Gille dit Colson de), un des principaux acteurs de notre première scène au dix-hui- tième siècle, fit représenter, le 17 août 1761, les Fausses Apparences, pièce en un acte, en prose, qui, malgré les efforts de l'élite de la troupe, n'eut que six représenta- tions, et n'a jamais été imprimée. Beys (Charles) faisait partie de YIllustre-Théâtre avec Mo- lière, comme on le voit dans un recueil de diverses poé- sies publiées chez Toussaint du Bray en .1648. Ses poésies et comédies, parmi lesquelles on remarque surtout YHô- pital des fous, sont assez nombreuses. Beys, qui fut le maître de Scarron en poésie, était grand buveur, ami de la débauche, et cultivait également « Bacchus et Apol- lon. » Bianchi (Brigitte) , plus connue sous le nom d'Aurélia, qu'elle rendit fameux à Paris sur la scène italienne, a composé, [en l'imitant de l'espagnol, une comédie, Yln- ganno fortunalo (1659). Bianoolelli ( Pierre-François , dit Dominique) (1681- 1734), entraîné par l'amour dans la troupe ambulante de Pascariel, s'illustra sous les masques successifs d'Arle- quin, de Pierrot et de Trivelin. On lui doit une grande quantité de comédies et de parodies parmi lesquelles : Agnès de Chaillot (parodie de Y Inès de Castro de la Motte); le Mauvais ménage de Voltaire (parodie de Marianne) ; les Enfants trouvés, ou le Sultan poli par amour (parodie de Zaïre.) Bosqdier-Gavaudan, après avoir fait plusieurs voyages au long cours, en qualité de mousse, alla débuter à Nîmes, puis entra au théâtre Molière, d'où il passa à Feydeau comme chanteur. C'est surtout au théâtre Montansier qu'il 548 CURIOSITES THEATRALES. se distingua de 1852 à 1836, par sa verve, sa rondeur et sa gaieté. On lui doit des vaudevilles et des mélodrames: 3 Cadet-Roussel chez Achmet (1804), Montbars Vextermi- nateur (1807), M. Desortolans, ou le foyer du théâtre (1807); etc. ■ Bouffé a travaillé avec Bayard et Davesne au Muet d'in- gou ville, comédie-vaudeville (1856). Boursault -Malherbe (Jean-François) se livra d'abord à la carrière dramatique, et se distingua surtout comme direc- " teur du théâtre Molière, qu'il avait fait construire lui- même dans la rue Saint-Martin. Sa vie fut des plus agi- tées. Entré dans la carrière politique en 1792, il sauva plusieurs députés proscrits. Robespierre allait l'arrêter, quand Collot-d'Herbois, son ancien camarade de collège, le sauva, en le faisant partir pour Rennes, sous prétexte d'une levée de chevaux. Puis il eut une mission pour la i Bretagne, et ensuite pour la Vaucluse, où il parvint, au J péril de sa vie, à sauver les prisonniers d'Avignon que la populace voulait égorger. Le calme rétabli, il se lança dans de grandes entreprises industrielles, pour donner | un aliment à l'activité de son esprit. 11 se signala aussi par son goût pour l'horticulture et ses découvertes bota- niques. Son jardin de la rue Blanche était un des plus : célèbres de l'Europe, comme sa galerie de tableaux, une v ! des plus magnifiques, car en toutes choses c'était un eu- rieux et un amateur. Vers 1807, il reprit la direction de la salle Molière, qu'il nomma théâtre des Variétés étrange- i res. Il a composé YÉcole des épouses, comédie en vers; le bon Tourangeau, vaudeville, etc., etc. Braham (1774-1831), célèbre chanteur anglais, a com- posé quelques opéras très-bien accueillis. Brandes (Jean-Chrétien), acteur allemand, a raconté lui-même, dans ses Mémoires, toutes les péripéties de son existence romanesque. Successivementcommis chez un pe- CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 349 tit marchand, vagabond et mendiant, apprenti menuisier, gardèur de pourceaux, .bateleur au service d'un dentiste nomade, marchand de tabac, et domestique, il monta sur Jes planches, en 1757, à Lubeck, et joua, avec un succès médiocre, dans presque toutes les villes d'Allemagne. Son talent d'auteur était bien supérieur à son talent de comé- dien, surtout dans les œuvres légères. Il a publié à Ham- bourg (1790) une édition complète de ses œuvres drama- tiques, en huit volumes. Il mourut dans la plus profonde misère. Sa femme et sa fille étaient des actrices consom- mées. Brécourt (Guillaume Marcoureau de), acteur de l'Hôtel de Bourgogne et de la troupe de Molière, eut également une vie des plus accidentées, qui, par malheur, ne fut pas toujours des plus honorables. Ayant tué un cocher dans une rixe, il se sauva en Hollande, et, sur ces entre- faites, la cour de France ayant voulu faire enlever un particulier qui se trouvait dans cette contrée, Brécourt, dans l'espoir d'obtenir sa grâce, s'offrit à remplir ce déli- cat office ; il échoua, et sentant que sa vie n'était plus en sûreté dans les lieux où il venait de tenter son coup de main, il revint en France, où le roi daigna lui accorder sa grâce, en considération de sa bonne volonté. Brécourt était fort brave. On connaît l'histoire de la lutte acharnée qu'il soutint un jour, devant le roi, contre un sanglier auquel il enfonça so 1 : épée dans le corps jus- qu'à la garde. Il aimait avec excès le vin, Te jeu et les femmes, était un déterminé bretteur, et se livrait à des dépenses sans rapport avec sa fortune. Il excellait dans les rôles tragiques et comiques. On a de lui six comédies, parmi lesquelles il faut remarquer le Jaloux invisible, la Noce de village, et YOmbrede Molière. Brockmasn (Jean-François-Jérôme) (1745-1812), célèbre acteur allemand, a composé despièces aujourd'hui oubliées. 350 CUÎUOSÎTÉS THEATRALES. ; Brohan (Augustine), de la Comédie-Française, a écrit des préverbes, et de petits drames : Compter sans son hôte, \ Quitte ou double, les Métamorphoses de V amour. On se I souvient de ses Causeries dans le Figaro. Brunet (Jean-Jos. Mira, dit), a composé en collaboration plusieurs des Cadet-Roussel. Bruscambille (Deslauriers, dit), commença par être le bouffon de l'opérateur Jean Farine, sur le pont au Charge, I puis courut la province, et entra à motel de Bourgogne, ; où il resta jusque vers 1634. On lui doit des prologues fa- cétieux, qu'il débitait sur la scène avant les pièces, et un certain nombre de petits ouvrages facétieux, fort recher- chés des bibliophiles, et très-rares. Il ne faut demander ni goût, ni mesure, ni bienséance à ses œuvres; mais 3 elles ont quelquefois de l'imagination et de l'esprit, mal- gré l'abus du galimatias, la trivialité cynique et ordinaire qui les distingue. Il a fait des prologues « en faveur du crachat, — du rien , — de l'utilité des cornes. » 11 s'en- ) tendait merveilleusement à prouver « qu'un pet est spiri- tuel, » et autres choses de cette force, sur lesquelles nous n'appuierons pas. Cammaille-Saint-Aubin, auteur de Y Ami du peuple, ou les Intrigants démasqués; du Moine, et d'autres pièces révo- lutionnaires ou mélodramatiques. Candeille (Pierre-Joseph), avant de se faire connaître | par ses compositions musicales, motets et opéras, avait été engagé à l'Académie royale de musique en 1767, pour chanter la basse-taille dans les chœurs et les cory- phées. Candeille (Amélie-Julie), actrice de l'Opéra, puis de la Comédie-Française et des Variétés, donna en 1792, sous le voile de l'anonyme, Catherine, ou la Belle Fermière, qui eut un succès prodigieux, et en 1795, sous son nom, la Bayadère, qui tomba av£Ê fracas, et entraîna sa retraite. CHAP. XXV. — ACTEURS-AUÎEURS. 351 Elle publia aussi des romans et des morceaux de musi- que. Elle pratiqua sur une large échelle le mariage et le divorce. On Ta accusée d'avoir figuré la déesse de la Rai- son, et celle de la Liberté dans les fêtes républicaines. Carlin (Charles-Antoine Bertinazzi, dit), célèbre Arle- quin du Théâtre-Italien, à Paris, un des plus féconds im- provisateurs qui aient paru sur la scène, donna lui-même, en 1763, les Nouvelles Métamorphoses d'Arlequin, en cinq actes, pièce dont le succès ne fut pas dû à son seul talent de comédien. Cent-livre (Suzanna), dont la vie aventureuse, pleine de fuites, de déguisements, de péripéties romanesques, demanderait un volume, parut avec un certain éclat sur le théâtre anglais, au dix-huitième siècle, et composa des tragédies et des comédies qui eurent du succès. Champmeslé (Charles Chevillet, sieur de), mari de l'illus- tre actrice de ce nom, dont nous avons raconté la mort singulière, a composé seul, ou en collaboration avec la Fontaine, des pièces remarquables surtout par la pein- ture satirique de la petite bourgeoisie, entre autres les Grisettes, ou Crispin chevalier, la Rue Saint-Denis, le Pa- risien. 11 paraît certain que la Fontaine mit sous le nom de ce comédien plusieurs de ses propres pièces. Charlemagne (Armand) (1759-1858), successivement sé- minariste, clerc de procureur, soldatradonné aux ques- tions d'économie politique, industrielles et agricoles > enfin acteur et auteur dramatique. 11 rédigea deux ans ÏAl- manach des Muses, et publia aussi quelques romans. Abruti par les liqueurs fortes et accablé d'infirmi- tés, il termina sa vie dans un dénûment presque absolu, malgré le nombre de ses ouvrages, dont plusieurs avaient eu un notable succès. Cbateaukeup (A. P.P. de), comédien de. M, le Prince, au* teur de la Feinte Mort de Pancrace, en 1665. ôm curiosités théâtrales, Chevalier (J.), du théâtre du Marais, donna, de 1661 à 1668, plusieurs comédies, dont la plupart écrites en vers de huit syllabes, et rappelant les anciennes farces. Elles roulent presque toutes sur des sujets de circonstance et offrent des détails curieux pour l'histoire du temps. Nous citerons la Désolation des Filoux, relative à une ordon- nance de police d'alors; Y Intrigue des carrosses à cinq sols, qui nous apprend l'existence des omnibus, en 1662,, et les Amours de Calotin, qui renferment quelques parti- cularités sur Molière. Cibber (Colley), acteur remarquable dans les rôles de grondeurs, se distingua beaucoup plus par son talent d'é- crivain. On connaît surtout son imitation du Tartufe, sous le titre de the NonJuror, et ses Mémoires autobio- graphiques. Il eut le titre de poëte lauréat. Ses œuvres ont paru en cinq vol. in-12 (1777). Cibber (Théophile), son fils, mort dans un naufrage, est; surtout connu par ses Vies des poètes de la Grande-Breta- t gne et d'Irlande. Cibber (Suzanne-Marie), femme du précédent, dont elld se sépara à la suite d'un procès en adultère, se distingua! plus que lui par ses talents d'actrice. Elle a traduit en anglais YOracle, comédie de Sainte-Foix. i Clairon (Mademoiselle), doit être rangée dans ce cha- pitre à cause de ses Mémoires. Clairmlle (Louis-François Nicolaï, dit), le plus fécond de nos vaudevillistes, débuta, comme on sait, par ôlrei acteur à Bobino, puis à TAmbigu-Comique. Clive (Catherine), 171 1-1785, éminente actrice de Drury- Lane, non moins remarquable par sa vie exemplaire que par son talent, a composé de petites pièces, qui ne sont pas restées au théâtre. Colalto (Antoine Mattiuzzi, dit), de la Comédie-Italienne, excellent acteur, homme instruit et du plus honorable ca- CllAl'. XKV. — ACTËimS-ATJTEtJUS. 555 ractère, a écrit plusieurs ouvrages pour son théâtre, en- tre autres les Trois Jumeaux vénitiens, où il remplissait trois rôles avec une admirable perfection. Collot-d Herbois, avant d'être le personnage politique qu'on sait, avait été comédien ambulant et en même temps auteur dramatique. Il avait paru, non sans quelque suc- cès, sur les scènes des principales villes de France et de Hollande, et on assure que c'est pour avoir été rudement sifflé à Lyon qu'il conçut contre cette \ il le une haine dont il donna de terribles preuves en novembre 1795. Ses piè- ces sont presque toutes des espèces de pastorales ou de berquinades : le Vrai généreux, ou les Bons Mariages, drame; le Bon Angevin, ou V Hommage du cœur, etc. Corsse (J. B. Labejsette, dit) (1700-1815), un de ceux qui, soit comme acteur, soit comme directeur, soit comme écrivain, ont le plus contribué au triomphe du mélo- drame. Après avoir étudié la peinture sous Vien pendant quelque temps, il s'engagea chez Audinot pour jouer les amoureux, et passa successivement sur plusieurs théâtres jusqu'en 1800, où il prit la direction de l'Ambigu-Comi- que, sans cesser d'être acteur. Jl payait ses pièces deux louis aux auteurs en vogue^ quand il les payait. Corsse a composé trois ouvrages dramatiques, seul ou en collabo- ration. Roger, de l'Opéra, est son petit-fils. Cottenet (Emile), acteur de vaudeville, mort depuis peu d'années, a fait pour la scène un assez grand nombre d'ouvrages, dont aucun n'est resté au répertoire. Cratès, d'Athènes, poète comique, de l'ancienne- comé- die (vers 450 avant J. C), joua dans les pièces de Crati- nus avant d'en composer lui-même. Dancoubt (Florent Carton). On sait que ce fut probable- ment son amour pour Thérèse Lenoir de la Thorillière, fille de l'acteur de ce nom, qui le fil entrer à la Comédie* quoiqu'il fût noble et qu'il parût destiné à exercer 23 354 CURIOSITÉS THEATRALES. toute sa vie la profession d'avocat. Acteur très-aimé du public, grâce à sa physionomie, à sa verve et à son en- train; particulièrement accueilli de Louis XIV, que char- mait son élocution abondante et facile, il fit un grand nombre de pièces pleines de gaieté et de saillies, presque toujours basées sur une circonstance du moment qui en a fourni le sujet, et où il a usé et abusé du droit de pren- dre son bien partout. Dancourt, l'homme qui semblait le moins fait pour les scrupules religieux , finit cependant par en avoir, et il passa les dernières années de sa vie dans la retraite et la dévotion, en traduisant les Psaumes et en écrivant une tragédie sacrée. Au rebours de Baron, qui se faisait des rôles dans ses pièces, il ne jouait géné- ralement pas dans ses propres ouvrages. Dancourt (L. R.) (1725-1801) joua longtemps la comédie en province, et composa un grand nombre de pièces, dont plusieurs ont un vrai mérite et ont obtenu un succès légi- time. Ce sont des amphigouris, des tragédies pour rire, des comédies, des divertissements, des opéras-comiques. Nous n'entrerons pas dans le détail des titres, et nous ne citerons de lui que le pamphlet suivant : L. R. Dancourt, arlequin de Berlin, à J. J. Rousseau, citoyen de Genève, l'une des meilleures réponses qu'on ait faites à la lettre du philosophe contre les spectacles. Il mourut à l'hospice des Incurables. Davies (Thomas) (1712-1785) commença, après ses étu- des à l'université d'Edimbourg, par être directeur d'une troupe de comédiens, puis se fit libraire; puis, ne réussis- sant pas dans ses affaires, il revint à la profession d'ac- 1 teur. Une satire décochée contre lui, par Churchill, lui fit reprendre l'état de libraire, qui le conduisit à une ban- queroute. Dès lors il se jeta dans les lettres : ce n'était pas le moyen d'arriver plus vite à la fortune. On lui doit la Vie de Garrick, les Mélanges dramatiques, et d'autres ou- CHAP. XXV. - ACTEURS-AUTEURS. 35â vrages analogues, qui lui valurent une certaine réputa- tion. Dazincourt (Jos. J. B. Albouis), Tune des gloires du Théâtre-Français à la fin du dernier siècle et au commen- cement de celui-ci, a lui-même raconté, dans sesWmoi- res, les particularités les plus importantes de sa vie. Ma- rie-Antoinette, qui jouait assez souvent la comédie dans ses divertissements particuliers, prit des leçons de Dazin- court, qu'elle récompensa magnifiquement. C'est à lui qu'on doit surtout le rétablissement de la Société du Théâ- tre-Français, désorganisée pendant la Révolution. En 1808, quelque temps après avoir été nommé professeur de dé- clamation au Conservatoire, il obtint la direction des spectacles de la cour. Son jeu était fin et correct, mais un peu froid. Son camarade Dugazon l'appelait un excellent comique, 'plaisanterie à part. Desforges (Pierre J. B. Choudard), l'auteur du Sourd, ou l'Auberge pleine et d'une foule d'autres ouvrages, pièces ou romans. Sa vie des plus agitées n'est pas faite pour entrer dans la Morale en action. Après avoir tour à tour étudié la médecine, puis la peinture, copié de la mu- sique, traduit des ariettes italiennes pour vivre, fait partie des bureaux du lieutenant de police, il s'enga- gea, en 1769, à la Comédie-Italienne, pour remplir les Clairval; ensuite il passa dans une troupe ambulante, avec laquelle il parcourut la France, beaucoup plus oc- cupé d'intrigues et d'aventures galantes que de sa profes- sion. En 1779, il partit pour Saint-Pétersbourg, où l'im- pératrice Catherine II lui accorda quatre mille roubles de traitement, et assez de loisirs pour qu'il pût se livrer à la composition r'e plusieurs ouvrages, dont les manuscrits lui furent volés lors de son retour en France. Ce fut vers 1782 qu'il se retira du théâtre; mais sa femme demeura à la Comédie-Italienne, sous le nom de madame Philippe; 556 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. peu de temps après il usa du divorce pour se séparer d'elle et se remarier. Desforges a laissé une scandaleuse autobiographie dans l'ouvrage intitulé le Poète, où il s'est attaché surtout à retracer, avec une verve déplora- ble, les plus scabreux souvenirs de son existence agi- tée. - Desjardins (Mademoiselle, devenue plus tard madame de Villedieu) semble avoir été à Narbonne actrice de la troupe de Molière, en 1649, d'après un passage de Talle- mant des Réaux l . Rien de plus étrange, dans tous les sens du mot, que la vie de cette dame. Sa mère l'avait élevée dans la lecture des romans d'amour et de chevalerie; aussi, à dix ans, dit Voiture, son imagination était telle- ment exaltée, qu'en certains moments on l'aurait crue folle. A seize ans, elle se laisse enlever par un de ses cou- sins, avec lequel elle bat la campagne, sans un sou dans sa bojurse. Elle ne tarda pas à devenir mère. Après quoi elle enflamma le cœur d'un officier, nommé M. de Ville- dieu, lequel lui offrit sa main. Il n'y avait à cette union qu'un petit obstacle : c'est que M. de Villedieu était déjà marié, et que sa femme ne se résigna nullement au bi- zarre projet de son époux légitime. Mademoiselle Desjar- dins était une virago; outrée de cette perfidie, elle se déguise en officier- de cavalerie, et court provoquer Villedieu en duel. Mais elle se ravise sur le terrain, et nos I amants délicats, après s'être réconciliés, se sauvent en I Hollande, où un pasteur complaisant les unit sans objec- i tion. M. de Villedieu ayant été tué dans une rencontre particulière, sa veuve convola en secondes noces, cette fois, avec un vieux marquis, mais qui était encore, comme son précédent époux, en puissance de femme. Elle était r décidément prédestinée aux maris bigames. Toutefois 1 Voir Eram. Raymond, Hist. des pérêgrinat: de Molière, p. 39-45. CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 357 cette union scandaleuse ne fut nullement inquiétée, et madame de^Villedieu put se livrer en paix à son goût pour la littérature. Outre des romans et des poésies fugi- tives, elle a composé des tragédies et tragi-comédies : Manlius, Nitétis, le Favory, etc. Despréadx (Jean-Étienne) (1748-1820), danseur français, mettait, comme la plupart de ses confrères, son art à si haut prix, qu'il ne pouvait concevoir comment on n'a- vait pas réservé une place pour les danseurs dans la classe des beaux-arts de l'Institut. Il y a peu de danseurs qui se soient livrés à la culture des lettres, -et l'on n'a ja- mais songé à s'en étonner : Despréaux forme une des plus heureuses exceptions. L'un des fondateurs de la Société des Dîners du Vaudeville, il y brilla aux premiers rangs par ses chansons. Il a composé pour le théâtre des paro- dies, vaudevilles, parades, entre autres : Médée et Jason (parodie de l&Méde'e de Clément), «ballet terrible en trois tableaux mouvants, orné de danses, soupçons, noirceurs, plaisirs, bêtises, horreurs, gaieté, trahisons, plaisanteries, poison, tabac, poignard, salade, amour, mort, assassinat, et feu d'artifice. » 1780. Je ne donne pas cela comme un modèle de bon goût, je le donne comme un modèle du style badin de Despréaux. Ce danseur-auteur eut une car- rière des plus brillantes et des plus fortunées. Il inventa un chronomètre musical, adopté par l'Académie royale de musique. La célèbre Guimard devint sa femme en 1787. Desprez-Valmont (1757-1812), comédien du théâtre de Molière, puis de la Gaîté, où il fut successivement ac- ' teur, souffleur, secrétaire et régisseur, a donné des vau- devilles, des comédies, des mélodrames, des chansons, des romans et des poésies fugitives, le tout d'assez peu d'importance. Citons YEnfant de trente-six pères, « roman sérieux, comique et moral» (1801, 3 vol. in-12), publié 358 CURIOSITÉS THEATRALES. sous un pseudonyme; il s'y montra le digne rival de Pigault-Lebrun : nous ne lui envions pas cette gloire. Destouches (Philippe Néricault) paraît s'être enrôlé, jeune encore, dans une troupe de comédiens ambulants, et les avoir accompagnés à Lausanne. Sa famille a nié plus tard cette particularité, par un sentiment facile à comprendre, mais sans apporter une preuve positive à l'appui de ses dénégations. On connaît trop le Philosophe marié, le Glorieux, Ylrrésolu, et toutes les pièces estima- bles, mais d'un comique un peu froid, par lesquelles il a mérité un rang honorable derrière Molière et Regnard, pour que nous ayons besoin de lui consacrer une notice plus étendue. Dibdin (Charles) (1745-1814), poëte, compositeur, co- médien anglais, se rendit célèbre par ses opéras et ses pantomimes, dont le nombre et le succès ne l'empêchèrent pas de mourir dans l'indigence. Parmi ses pièces, celle qui est intitulée the Quaker est restée au ré- pertoire. Dibdin (Thomas), son fils (1722-1842), eut Garrick pour parrain, débuta, à quatre ans, par le rôle de Cupidon, s'engagea, tout jeune encore, dans une troupe ambulante, et passa enfin au théâtre de Covent-Garden. Pendant qua- torze ans qu'il y resta, il y fit jouer un grand nombre de pièces, où Ton trouve, à défaut de beaucoup d'art ou de talent, une gaieté communicative, une grande abondance de verve facile et populaire. Le théâtre d'Astley gagna 13,000 livres sterling (325,000 francs) avec son Fougueux Courrier, et Covent-Garden plus de 25,000 (environ 510,000 francs), avec.sa Mère-VOie. Néanmoins, fidèle aux traditions de famille, il mourut aussi pauvre que son père. Dorfeuille (Anjoine) fut le digne pendant de Collot- d'Herbois. Comédien comme lui, quand éclata là Révolu- CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 359 tion, il quitta comme lui le théâtre pour se métamorpho- ser en personnage politique. Qui ne sait l'épouvantable rôle qu'il joua dans les massacres de Lyon, après la prise de la ville, en 1795? On a de ce misérable un certain nom- bre de brochures politiques dont les titres indiquent as- sez la nature : la Lanterne magique patriotique, ou le Coup de grâce de V aristocratie ; Lettre d'un Chien aristo- crate à son maître, aussi aristocrate, etc. Dorfeuille (P. P.), mort vers 1806, que Ton a quelque- fois confondu avec le précédent, fut assez longtemps co- médien nomade, et directeur de troupe en province. C'est à lui et à son associé Gaillard qu'on doit la construction de la salle du Théâtre-Français actuel. Outre des comédies, il a laissé les Éléments de Vart du comédien, ou V Art de la représentation théâtrale considéré dans chacune des parties qui le composent (1801), in-12: Dorimon, comédien de la troupe de Mademoiselle, établie rue des Quatre-Vents en 1661, et qui ne paraît avoir sub- sisté que quelques mois. C'était le fournisseur attitré de son théâtre, dont ses pièces composent le seul répertoire connu jusqu'à présent. Elles sont presque toutes d'une ex- trême médiocrité, et parfois d'une déplorable platitude. Les meilleures, ou plutôt les plus curieuses à divers ti- tres, sont le Festin de Pierre, ou V Athée foudroyé, qui a été mise sous le nom de Molière, en 1679 et en 1683, par des éditeurs mal informés ou peu scrupuleux : on ne pouvait faire un plus triste cadeau à notre grand poète comique; la Comédie de la comédie et les Amours de Trapolin; la Rosélie, ou Dom Guillot; la Femme industrieuse, qui offre plus d'un rapport, non pour le style, mais pour le fond, avec VÉcole des Maris de Molière, parce que tous deux avaient puisé leurs idées aux mêmes sources. La femme de Dorimon, comédienne de la même troupe, cultivait aussi les Muses, comme on peut en juger par "♦60 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. ce huitain, qu'elle adressa à son mari à l'occasion d'une de ses pièces • Encore que je sois ta femme, Et que tu me doives ta foi, Je ne te donne point de blâme D'avoir fait cet enfant sans moi. Toutefois ne me crois pas buse . Je connais le sacré vallon, Et, si tu vas trop voir ta muse, J'irai caresser Apollon. Voilà de l'atticisme, ou je ne m'y connais pas! Dorvigny (Louis) (1 743-1 8 1 2) était probablement quelque bâtard du roi Louis XV, avec qui il offrait une ressem- blance assez frappante. C'était une opinion répandue, et oi-même ne la démentait pas. Ce ne fut qu'après la mort '-e Louis XV qu'on le vit aborder le théâtre, pour lequel travailla le reste de sa vie. C'est à Dorvigny qu'on doit (outre Christophe Lerond, le Désespoir de Jocrisse, le Tu et le Toi, représenté en 1794 avec un énorme succès), la fa- meuse pièce de Janot, au les Battus payent V amende, dans laquelle l'acteur Volange fit courir Paris tout entier pen- dant si longtemps, et que le directeur des Variétés-Amu- santes dut même faire jouer deux fois par jour, pour contenter la curiosité de la foule. Volange, ayant mo- mentanément émigré à la Comédie-Italienne, Dorvigny, pour empêcher que les représentations de sa pièce n'en fussent interrompues, s'offrit à le remplacer, mais il fut loin d'obtenir danscenouvel emploi les triomphes que lui avaient valu ses œuvres. Il était si bien devenu à la mode, qu'en 1780 le Théâtre-Français crut se relever en em- pruntant au répertoire des boulevards sa pièce des Noces houzardes. Dorvigny a composé aussi des romans dans ses dernières années. Malgré cette activité de production, qui CHAP. XX.V. — ACTEURS-AUTEURS. 361 ; enfanta plus de quatre cents ouvrages, et ses succès, qui lui rapportèrent des sommes considérables, il vécut I presque toujours da^is la plus profonde misère. Il vendait ses pièces, surtout vers la fin de sa vie, pour la somme la plus misérable, qu'il allait aussitôt boire au cabaret. On le trouva mort dans son grenier. Drouin, comédien du dernier siècle, est auteur de la Meunière de qualité et de plusieurs autres ouvrages. Dubelloy (P. L. Buyrette, dit), et non- de Belloy, comme on Técrit presque partout, l'auteur de ce fameux Siège de Calais, qui obtint un succès si prodigieux et si incompré- hensible pour nous aujourd'hui, avait débuté par s'expa- trier, pour aller exercer la profession de comédien en Russie. Dubelloy était d'un amour-propre incroyable, et d'autant plus incorrigible, qu'il imprimait de bonne foi, dans une de ses préfaces : « On sait que je suis modeste. » Le triomphe exorbitant du Siège de Calais, devenu un vé- ritable événement national, et les honneurs extraordinai- res que lui avait valu cet ouvrage, lui enflèrent tellement le cœur, qu'il ne put résister à la chute de son Pierre le Cruel, en 1772, et qu'il en contracta une maladie de lan- gueur dont il mourut. Duberry, mort en 1750, acteur du théâtre de la Haye, lit jouer en cette ville plusieurs comédies en vers : Vile des femmes, les Rivaux indiscrets, etc. Dugazon. Nous ne reviendrons pas ici sur la carrière théâtrale et les traits d'originalité de ce fameux comique, dont il a été souvent question dans ce livre. Il a composé plusieurs pièces de circonstance, sous la Révolution, en- tre autres, le Modéré (1794), la seule qui ait été impri- mée. Elles n'ont eu que peu de succès. Dumaniant (Antoine-Jean Bourlin, dit) (1752-1828) fit par- tie , comme auteur ou directeur, d'une multitude de trou- pes fixes ou nomades, parisiennes ou départementales. 562 CURIOSITES THEATRALES. Auteur très-fécond et doué d'une imagination infatigable, il donna, sur les divers théâtres par où il passa, un grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels on connaît surtout, Sans ce genre fortement intrigué et plein d'incidents co- miques où il triomphait : Guerre ouverte, ou Ruses contre ruses, les Intrigants, ou Assaut de fourberies, etc. Il a également écrit quelques tragédies très-médiocres et des romans. Duprez, l'illustre ténor contemporain, a fait, comme on sait, quelques opéras, entre autres la Cabane du Pêcheur, qu'il donna à Versailles, fort jeune encore, et Joanita, chantée par sa fille au Théâtre-Lyrique, en 1855. Son frère, Edouard Duprez, d'abord acteur comique, a écrit plusieurs libretti. Dorval, auteur dramatique, qui vivait dans la première moitié du dix-septième siècle, avait été acteur. Dans les préfaces de ses pièces à'Agarite et de Panthée, il plaide contre les règles des vingt-quatre heures, devançant les réformateurs modernes. Duval (Alexandre-Vincent Pineu) (1767-1842), un des! poëtes comiques les plus célèbres de l'école d'Andrieux, de Collin d'flarleville, de Picard, l'auteur des Héritiers, . de la Jeunesse de Henri V, etc., etc., fut longtemps acteur, et acteur fort médiocre, ce qui ne l'empêcha point, par la .suite, d'arriver à l'Académie. Eckhof (Conrad) (1720-1 7 78) ; surnommé, par les uns, le Roscius, par les autres, le Garrick allemand, a composé une comédie intitulée YÉcole des Mères. Elleviou, le fameux chanteur de la Comédie-Italienne et du théâtre Feydeau, est auteur de trois opéras-comi- ques. Le Catalogue manuscrit de H. Duval lui attribue en outre Y École de la Jeunesse, en un acte. Rarement une vo- cation artistique eut à triompher de plus d'obstacles poui se produire. Le jour même de son début, au moment d'en- CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 363 trer en scène, il fut arrêté sur la requête de son père. Ra- mené à Rennes, il y reprit ses études avec tant de rési- gnation apparente, qu'on cmt pouvoir, sans péril, le renvoyer à Paris pour les y achever. Il en profita pour monter sur la scène. Ce fut alors la réquisition qui se jeta à la traverse; mais, à peine arrivé au corps, il par- vint à se faire attribuer une mission fictive qui lui per- mit de revenir à Paris. Elleviou, affilié à la Société aris- tocratique des Muscadins, dut aussi se cacher pendant un certain temps, pour échapper aux poursuites de la police révolutionnaire. Elliston (Robert-William) (1774-1831), comédien anglais, a arrangé plusieurs pièces de Shakspeare et imité un drame du français. Alléché par ses éclatants succès comme ac- teur, Elliston voulut également tenter la fortune comme directeur, et il administra successivement presque tous les théâtres de Londres; mais il ne parvint qu'à une faillite éclatante. ' Elssler (Thérèse), la sœur de l'illustre Fanny, danseuse comme elle, a composé le ballet de la Volière, ou les Oi- seaux de Boccace. Beaucoup d'autres danseurs, Dauber- val, les deux Gardel, Noverre, Mazilier, etc., etc., se si- gnalèrent aussi comme auteurs dans la même partie. Comme c'est là encore faire œuvre de chorégraphe plutôt que d'auteur, nous n'y reviendrons pas. Mais il faut noter que Noverre a composé autre chose que des ballets : je veux parler de ses intéressantes Lettres sur les arts imita- teurs en général et sur la danse en 'particulier, 2 v. in-8. Ajoutons aussi à ce petit catalogue le nom de made- moiselle Zélia Michelet, qui a fait dernièrement quelque bruit avec ses Bluettes antimondaines d'une danseuse. Eschyle et Euripide montèrent sur la scène et jouèrent dans leurs pièces. Pour éviter des redites, ajoutons qu'il en fut ainsi, non pas seulement de'Suzarion et deThespis, 364 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. mais d'Hégemdn, de Phrynicus et de plusieurs autres poètes de la grande époque. Sophocle, dit-on, s'exempta de paraître sur le théâtre en prouvant que sa poitrine était trop faible pour la déclamation en plein air. On sait qu'Aristophane joua le rôle de Cléon dans ses Chevaliers, i Eve (Antoine-François) , plus connu sous le nom de Maillot, ou Demaillot, ou Desmaillot, était sergent, et te- nait garnison à Sarrelouis quand il déserta, et s'en fut exercer huit ans la profession de comédien à Amsterdam, après quoi il revint en France. Sous la Révolution, il se distingua, dans le club des Jacobins, par la violence de ses discours, heureusement démentis par ses actes. Sous le Consulat et l'Empire, il fut persécuté par la police pour ses sentiments révolutionnaires, et emprisonné trois fois. En dernier lieu, il ne sortit de prison qu'au bout de six ans, et pour aller mourir à l'hôpital. On a de lui une dizaine de comédies : Madame Angot, ou la Poissarde parvenue, Figaro, directeur de marionnettes, etc.; déplus un Tableau historique des prisons d'État en France sous le règne de Buonaparte, brochure in-8 9 , en prose et en vers, i Fabre-d'Églantine (Philippe-François-Nazaire), après ; avoir été quelque temps comédien de province, et comé- dien très-médiocre, renonça à cette profession pour de- venir auteur dramatique. Il débuta par une série de chu- tes, dont il se releva enfin, en 1790, par l'éclatant succès i du Philinte de Molière, qui le plaça aux premiers rangs. On sait le rôle politique qu'il joua dans la Révolution : i nouslie l'exposerons pas ici. A peine au sortir de l'ado- lescence , il avait remporté une églantine d'or aux Jeux Floraux, et c'est de là que, dans l'enivrement de son triomphe, il prit le surnom sous lequel il est connu. Farquhar (Georges) (1678-1707) renonça au théâtre comme acteur, après avoir blessé involontairement, sur la scène, un de ses camarades qui jouait dans la même CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 365 pièce que lui. II a laissé huit comédies fort spirituelles» écrites avec une verve facile et quelquefois licencieuse, et il en aurait fait davantage sans un goût extrême pour le plaisir, qui nuisit autant à sa santé et à sa bourse qu'à ses productions. Il résolut de rétablir sa fortune par un opulent mariage, et il épousa une jeune fille qui s'était fait fabriquer de faux titres de noblesse, et s'était vantée d'une richesse qui n'existait que dans son imagination. La ruse ayant été découverte, Farquhar, qui ne faisait rien comme un autre, au lieu de songer au divorce, se donna tout entier à sa femme, persuadé que c'était par excès d'amour pour lui qu'elle l'avait ainsi trompé. Favart (Charles-Simon) (1710-1792), un des pères de l'Opéra-Comique, à la prospérité duquel il travailla effi- cacement comme directeur, comme acteur et comme au- teur. On connaît surtout, parmi ses très-nombreux ouvra- ges : la Chercheuse d'esprit; Comment l'esprit vient aux filles; Bastien et Basiienne; les Trois Sultanes, etc. Favart (Marie-Justine-Benoîte Duronceray, madame), sa femme, débuta d'abord à l'Opéra-Comique sous le nom de mademoiselle Chantilly, qu'elle rendit célèbre bien vite. Elle eut le malheur d'attirer les regards du maréchal de Saxe, qui employa pour conquérir ses faveurs des moyens analogues à ceux qu'il mettait en usage pour battre les Anglais.' On a publié sous son nom le cinquième volume des œuvres de son mari. Elle a composé aussi de jolis con- tes, que l'on trouve dans le recueil de l'abbé de Voise- non, le collaborateur de la famille. Favart (Charles-Nicolas-Joseph-Justin), fils des précé- dents, entra au Théâtre-Italien vers l'âge de trente ans, quoiqu'il n'eût pas été destiné à cette profession ; mais il ne fut jamais qu'un acteur fort ordinaire. On a de lui des poésies fugitives, et diverses pièces d'assez peu d'impor- tance. Mort en 1806. 366 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. Foote (Samuel) (1721-1777) composa un grand nombre de farces qu'il jouait lui-même sur les diverses scènes de Londres, et finit par devenir directeur et propriétaire de Ilay-Market. 11 exploitait surtout l'à-propos et les scan- dales du moment dans ses pièces, qui sont pleines de verve comique. Comme acteur, il possédait un entrain, une vivacité et une gaieté irrésistibles. (Test un des rares comédiens qu'on ait vus paraître sur la scène avec une jambe de bois. Francisque aîné (Jacque^-Antoine-François Hutin, dit) (1796-1842), acteur de l'Ambigu, a composé plusieurs pièces, parmi lesquelles nous citerons Lord Pikenkock, vaudeville en un acte, qui a été imprimé; puis Lequel des trois? vaudeville en deux tableaux, et Lucile, pièce his- torique en un prologue et six tableaux, en collaboralion avec son frère Francisque jeune, seul nommé. Fusil (madame) a laissé des Mémoires assez curieux. Garcia (Manuel), le père de mesdames Malibran et Viar- dot, se fit, en Espagne, comme compositeur d'opéra, une renommée bien dépassée par celle qu'il acquit comme chanteur. Garrick (David) (1716-1779), le plus illustre des acteurs anglais, également supérieur dans le tragique et dans le comique, donna un grand nombre de petites comédies, où il prenait soin de se ménager des rôles propres à mon- trer son talent dans tout son jour, composa plus de qua- tre-vingts prologues et épilogues, et remania plusieurs pièces de Shakspeare, son poète favori, et d'autres au- teurs, pour les adapter aux nécessités de la scène. Il pro- fessait un tel culte pour Shakspeare, qu'il lui avait dé- dié, dans sa campagne, un petit temple orné de sa statue, et qu'en 1769 il fit célébrer avec la plus grande pompe le jubilé de ce poète dans le lieu de sa naissance et sur le théâtre de Dru'y-Lane, Garrick fut enterré avec des hon- CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 367 neurs extraordinaires. L'évêque de Cantorbéry célébra l'office ; le duc de Dewonshire et les plus grands seigneurs tinrent le drap mortuaire, et on déposa le corps dans l'ab- baye de Westminster. Gaultier-Garguille (Hugues Guéru, dit), célèbre farceur de la première moitié du dix-septième siècle, a laissé un petit volume de Chansons fort libres et divers prologues facétieux, qu'il débitait lui-même sur la scène de l'Hôtel de Bourgogne. * Gaveaux (Pierre) (1761-1825), chanteur remarquable, éclipsé vers la fin de sa carrière par Martin et Elleviou, fut contraint de quitter le théâtre à la suile d'une attaque d'aliénation mentale. 11 a donné un grand nombre d'opé- ras, qui se distinguent par la facilité du style et l'entente de la scène. Geffroy (Edmond), du Théâtre-Français, a collaboré à la composition de quelques pièces. On sait qu'il se distin- gue aussi par son talent de peintre. Glnest (Charles-Claude, abbé), l'auteur de Pénélope, prit souvent part, comme acteur, aux divertissements dramatiques de la petite cour de Sceaux, vers, la fin du règne de Louis XIV, ainsi que l'académicien Malezieu, précepteur du duc du Maine, qu'il nous suffira de men- tionner ici. • » - Gherardi (Evarista) (1670-1700), qui se distingua sur- tout dans les rôles d'Arlequin de la Comédie-Italienne, à Paris, fit représenter un grand nombre de ses libretti, quand il en fut devenu directeur. Le théâtre ayant été fermé par ordre de madame de Maintenon , qui avait cru se reconnaître dans la Prude, Gherardi utilisa ses loisirs en recueillant les pièces de la Comédie-Italienne, dont il dut composer le dialogue lui-même, car on sait que ce n'étaient que des canevas remplis par les improvisations des acteurs. 568 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. Got (Edmond), du Théâtre-Français, est aussi littérateur à ses heures de loisir. C'est lui qui a fait les paroles de François Villon, opéra de M. Membrée. Grandmesnil (J. B. Fauchard de) occupait une position so- ciale des plus élevées, puisqu'il avait été nommé conseil- ler de l'amirauté en 1 765. quand il se fit acteur. Ce fut un des meilleurs comédiens du Théâtre-Français, surtout dans les pièces de Molière. Lors de la formation de l'in— , stitut, il fut nommé membre de la troisième classe (litté- rature et beaux-arts), dans la section de musique et dé- clamation. On lui doit le Savetier joyeux, opéra-comique qui n'a pas été représenté. Grandval (François-Charles Racot) (1710-1784), un des plus élégants et des plus spirituels acteurs de la Comédie- Française, a composé un certain nombre de comédies- parades, fort libres, auxquelles il n'osa apposer son nom. Les titres de quelques-unes suffiront à en donner une idée: \aNouvelleMessaline, tragédie burlesque; Syrop-au-cul, ou-, VHeureuse délivrance, tragédie héroï-merdifique (nous de- mandons pardon au lecteur), le Temple du Goût, sans date; le Tempérament, tragédie-parade, etc. Son père, Nico-f las Grandval, auteur du Pot de chambre cassé, tragédie pour rire, ou comédie pour pleurer, et -du Vice puni, ou Cartouche-, poëme en treize chants, etc., avait commencé par être directeur d'une troupe de dernier ordre. Gringore, ou Gringoire (Pierre), poète de la première moitié du seizième siècle, dont le roman de JSotre-Dame\ de Paris a surtout contribué à populariser le nom. Chef! de la troupe du Châtelet, des clercs des bazochiens, des Enfants sans souci, il représentait lui-même ses pièces, et on le voit jouer en particulier, au mardi gras de l'année 1511, le Jeu du prince des sots et de mère sotte, dirigé con- tre Jules II. Bon nombre de ses confrères, appartenant aux mêmes corporations ou à des corporations analogues, de- CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 569 vraient être rangés comme lui dans ce catalogue, par exemple J. de Pont-Alais, etc. Guillot-Gorju (Bertrand Harduin de Saint-Jacques, dit), célèbre farceur (1598-1648), succéda à Gaultier-Garguille, à l'Hôtel de Bourgogne, en 1634. Il paraît qu'il avait laissé des manuscrits, que Molière fut accusé d'avoir achetés à sa veuve, pour en tirer parti. D'Hannetaire (Jean-Nicolas Servandoni, dit) (1718-1780), fils naturel du célèbre architecte Servandoni, s'acquit prin- cipalement une brillante réputation dans les rôles à man- teau. Il fut directeur de troupe à Aix-la-Chapelle, et prin- cipalement à Bruxelles, où sa maison, grâce à la fortune et à l'esprit du maître , était une sorte d'Académie dans laquelle se donnaient rendez-vous tous les beaux esprits. D'Hannetaire composait des vers, mais il est surtout connu par ses Observations, sur l'Art du comédien, 1764. Hautemer (Farin de), auteur et comédien assez médiocre du dix-huitième siècle. Il a composé la Toilette, les Fem- mes corsaires, etc. Hauteroche (Noël le Breton, . sieur de) (1617-1707), de l'Hôtel de Bourgogne, s'était fait comédien pour vivre, après s'être enfui de la maison paternelle, où on voulait le marier contre son gré. Les comédies de Hauteroche comp- tent parmi les meilleures de son temps, et plusieurs sont restées au répertoire, par exemple le Deuil, Crispin mé- decin, le Cocher supposé. Havard, contemporain de Garrick, aussi médiocre comme auteur que comme acteur. Honoré, comédien mort depuis quelques années seule- ment, et dont la vie aventureuse, les bons tours et les bons mots, l'ont posé en successeur du fameux Rosembeau, a donné un assez grand nombre de pièces, surtout de vau- devilles. Hus (Madame) la mère, actrice de campagne, fit jouer 24 S70 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. avec succès, au Théâtre-Italien, en 1758, la comédie de Plutns rival de V Amour, dont elle avait pu étudier à fond le sujet' dans le genre de vie de sa tille. Iffland (Auguste-Guillaume) (1759-1814) s'échappa de la maison paternelle pour se faire acteur. Cette passion pour le théâtre l'avait pris dès l'âge de six ans; elle ne l'abandonna qu'à sa mort. Ce fut lui qui accueillit le pre- mier drame de Schiller, et qui contribua puissamment au succès en créant le rôle de Moor. L'écrivain ne fut pas chez lui à la hauteur du comédien, quoique ses nombreu- ses pièces ne soient pas sans mérite, et lui aient acquis une réputation. C'est à Iffland que M. A. Dumas a em- prunté le sujet de la Conscience, qu'il a fait jouer, il y a quelques années, à l'Odéon. Iffland a publié lui-même s<3s œuvres dramatiques en dix-huit volumes. On lui doit aussi des Mémoires, et divers traités sur l'art théâ- tral. Johnson (Benjamin> plus connu sous le nom de Ben-), con- temporain et ami de Shakspeare, d'ahord maçon, comme Sedaine, s'engagea dans la carrière dramatique pendant sa jeunesse, et ne réussit jamais comme acteur; comme au- teur, il s'est élevé fort haut, et c'est, après Shakspeare, le plus grand nom du théâtre anglais. Sa manière est toute différente de celle de son illustre ami : il s'appliqua sur- tout à reproduire les modèles de l'antiquité, quoique sans s'astreindre à une régularité aussi scrupuleuse. Nous ne citerons que sa comédie du Volpone, ou le Renard, âpre et t rrible satire des vices' qu'engendre l'amour de l'or, et ses Masques, divertissements lyriques joués à la cour par es courtisans, genre qu'il renouvela et agrandit. Ses com- positions sont excessivement nombreuses. Il avait le titre de poète lauréat. On l'enterra à l'abbaye de Westminster, avec cette épitaphe : « rare Ben-Johnson ! » Kkmble, famille d'acteurs-autenrs anglais. — John fin- CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 371 lipp (1755-1823), comédien excellent, surtout dans les rôles héroïques, n'a fait jouer que des farces. — Charles, 1775- 1854, son frère, acteur fort célèbre aussi, a composé un certain nombre de pièces, qui ne sont guère que des tra- ductions ou des imitations, entre autres le Point d'hon- neur, tiré du Déserteur de Mercier, qui est resté au réper- toire. — Sa femme, % Maria Theresa de Camp, mistress Kemble, 1774-1838, d'abord figurante, puis danseuse, a fait représenter deux comédies remarquables. — Frances Anna, dite Fanny, fille des deux précédents, quitta le théâtre, après y avoir obtenu de brillants succès; mais elle a continué d'attirer" l'attention par ses lectures drama- tiques de Shakspeare, à Londres, et même à Paris. On a d'elle deux tragédies qui ont réussi, un journal de sa ré- sidence aux États-Unis, des poésies, etc. Lachapelle, acteur, puis directeur du théâtre Molière, exécuté le 24 mars 1794. On a imprimé ses ouvrages dra- matiques en 1 vol. in-12, 1786. Laffite, du Théâtre-Français, comédien médiocre; c'est à lui qu'on doit les spirituels Mémoires de Fleury. Lanooe (Jean Sauvé, dit), 1701-61, du Théâtre-Français, acteur d'une haute intelligence, qui sut lutter heureuse- ment contre un physique ingrat et un organe défectueux, fut répétiteur des spectacles des petits appartements, et directeur du théâtre du duc d'Orléans, à Saint-Cloud. Il a donné, entre autres, une tragédie de Mahomet II, et la Coquette corrigée, comédie. LARivE(Jean Mauduit, dit) (1749-1827), qui brilla au pre- mier rangsur le Théâtre-Français, entre la mort de Lekain et l'avènement de Talma, a composé des Réflexions sur Vart théâtral, un Cours de déclamation, et Pyrame et Thisbé, scène lyrique. La Ruette (Jean-Louis) (1731-92), du théâtre Favart, qui a donné son nom aux rôles de pères et de tuteurs, s'est 572 CURIOSITES THEATRALES. fait remarquer aussi comme compositeur, surtout dans les ariettes de quelques opéras-comiques. La Thorillière (Le Noie de), comédien de la troupe de Molière, était gentilhomme et officier dans les troupes du roi quand il s'engagea. 11 a fait jouer la tragédie de Cleo- -pâtre, en 1667. La Thuillerie (Jean de), de la troupe royale, a laissé un volume de tragédies et comédies, qu'on attribue les unes au père la Rue, les autres, et la plupart, à l'abbé Abeille. Si cette attribution est vraie, comme tout porte à le croire, la Thuillerie ne devrait donc pas plus être admis dans cette liste que les comédiens grecs Callistrate et Philonide, sous le nom desquels Aristophane donna ses premières pièces. La Val (P. A.) a publié une réponse à la Lettre sur les théâtres, de J. J. Rousseau, la Haye, 1758, in-8, et une comédie, YInnocente Supercherie. La Valette, dit Grève, comédien de province, a donné le Théâtre à la mode, et Annibal à Capoue. Léger (F. P. A.), comédien du Vaudeville, fonda avec Piis, en 1799, le théâtre des Troubadours, dont il fut un des principaux fournisseurs dramatiques. En 1792, à la première représentation d'une de ses pièces, Y Auteur d'un moment, un grand tumulte s'éleva dans Ja salle, à ces deux vers qui terminaient un couplet dirigé contre le Charles IX de Ché.iier : Il faut renvoyer à l'école Celui qui régente les rois Les Uns crièrent Bis ! les autres s'opposèrent vivement à la , répétition du couplet. Les choses en vinrent au point que, Léger dut s'enfuir, que la salle fut évacuée, et que, le lendemain, on brûla un. exemplaire de la pièce sur le théâtre. ^ CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 373 Legrand (Marc-Antoine) (1672-1728), du Théâtre-Fran- çais, a composé pour cette scène une vingtaine de pièces, sans compter celles qu'il fit pour la Comédie-Italienne et la Foire; presque toutes ont eu du succès, surtout Cartou- che, et le Roi de Cocagne. La gaieté de Legrand tombe plus d'une fois dans la licence. Lerain (Henri-Louis), 1728-1778, a laissé, comme on sait, des Mémoires, ou plutôt le récit de ses premières re- lations avec Voltaire, et quelques écrits spéciaux, qu'on a publiés sous le titre de Mémoires de Lekain. Lemaitre (Frederick) a mis sa signature à trois ouvrages : le Prisonnier amateur, comédie en prose, 1826, le Vieil artiste, ou la Séduction, mélodrame, 1826, et Robert Ma- caire : « Il n'a jamais rien écrit pour le théâtre, dit le ca- talogue Soleinnes, quoique son nom se trouve sur trois pièces; la plus célèbre est Robert Macaire, pièce comman- dée aux auteurs de Y Auberge des Adrets. On dit qu'une vingtaine d'auteurs y concoururent... Frédéric la leur acheta pour en être seul propriétaire, et il a toujours re- fusé la permission de l'imprimer. » Lepehntre jeune (Emmanuel-Augustin), l'énorme acteur •des Variétés, a composé des à-propos et des pots-pourris, que l'histoire littéraire peut négliger sans lacune, aussi bien que les Bêtises de Lepeinire jeune, calembours, jeux de mots, etc., et autres recueils du même genre, mis éga- lement sous son nom. Lockroy (Joseph-Philippe Simon, dit), a joué quelque temps la comédie et le drame. Il a fait, presque toujours en collaboration, un grand nombre de pièces dont plu- sieurs ont eu un grand succès : Périnet le Clerc, Passé minuit, Un Duel sous Richelieu, et beaucoup de libretti d'opéras-comiques. Lola-Montès (Maria Dolores Porris y Montez, dite), ex- danseuse qui parut en cette qualité à la Porle-Saint-Mar- 374 CURIOSITÉS THEATRALES. tin en 1840, donna en 1852, dans l'Amérique du Nord, des représentations où elle était héroïne et actrice tout à la fois : elle jouait les Aventures de Lola-Montès en Ba- vière. Depuis, elle a visité l'Australie à la tête d'une troupe dramatique. Elle a fait sur son propre compte des Lec- tures, qui ont été imprimées en anglais. Les aventures qui l'ont rendue célèbre ne sont pas du ressort de ce livre. Macklin (Charles), 1690-1797. Nous avons déjà parlé des singularités de sa vie et de sa carrière dramatique. Il a fait des pièces, dont deux sont restées au répertoire: YA- mour à la mode et Y Homme du monde. Martelly (Honoré-Antoine Richaud, dit) (1751-1817), cé- lèbre acteur de province, qui rivalisa avec les meilleurs comédiens de Paris, n'est plus guère connu, comme au- teur, que par les Deux Figaro, pièce jouée en 1790, ef dirigée contre Beaumarchais. Merville (Pierre-François Camus, dit) (1783-1853), quitta la scène vers 1814, pour se donner tout entier aux lettres. On remarque, parmi "ses pièces, les Deux Anglais, la Fa- mille Glinet, etc. Minette (Mademoiselle), actrice du Vaudeville, auteur de Piron au café Procope, jouée sur le même théâtre. Mole (François-René), s'appelait Molet, nom qu'il trouva, avec raison, peu assorti à la nature habituelle de ses rôles. C'est le premier acteur qu'ait eu la Comédie- Française, pour les fats et les petits- maîtres. L'engouement public à son égard tenait du fanatisme. Il a laissé des Mé- moires, et le Quiproquo, comédie en un acte. Il était mem- bre de l'Institut. MOLIÈRE. Monnet (Jean), né vers le commencement du dix-hui- tième siècle, mort en 1785. A la suite d'une jeunesse ora- geuse et dissipée, où il avait essayé de tout, même de la Trappe, fantaisie qui ne dura pas, il devint directeur et CHAP. XXV. - ACTEURS-AUTEURS. 575 régénérateur de l'Opéra-Comique, dont il fit le spectacle à la mode. Il a laissé le Supplément au Roman comique, c'est- à-dire ses Mémoires, qui sont des plus curieux, et une Anthologie française en 3 vol. in-8. A la suite de ses Mé- moires se trouvent les Mystifications de Poinsinet. Monnier (Henry) a joué, .aux Variétés, au Palais-Royal, à TOdéon, surtout dans des pièces composées par lui : la Famille improvisée, Grandeur et décadence de Joseph Prtr dhomme, le Roman chez la Portière, etc. On connaît les Scènes populaires, qui ont fait sa réputation, et qu'il a tou- ' jours reprises et retournées depuis en cent façons di- verses. Monrose (Louis Barrizln, dit), fils de l'illustre acteur de ce nom, sociétaire de la Comédie-Française depuis 1852, a composé, soit seul, soit en collaboration, plusieurs comé- dies, par exemple : YObstacle imprévu, les Viveurs de la maison d'or, Figaro en Prison, etc. Montfleury (Za",harie Jacob, dit), né vers le commence- ment du dix-septième siècle, mort en 1667, l'un des plus célèbres comédiens de 1 Hôtel de Bourgogne, a laissé une tragédie : la Mort d'Asdrubal. Montigm (Adolphe Lemoine, dit), ex-acteur, actuellement directeur du Gymnase, a écrit divers vaudevilles et dra- mes, la plupart en collaboration. Un Fils (1839) est la" seule pièce qu'il ait signée à lui seul. Monvel (Jacques-Marie Boutet, dit) (1745-1811), un des plus grands acteurs du Théâtre-Français, exilé par la po- lice en 1781, pour un motif qui n'est pas nettement connu, se distingua, sous la Révolution, par la chaleur de son patriotisme; sous l'Empire, il fut professeur au Conservatoire de musique et de déclamation, et membre de la quatrième classe de l'Institut. On a de lui vingt- six pièces, parmi lesquelles Y Amant bourru, les Victimes cloîtrées, et des opéras-comiques; en outre, un roman 376 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. et des poésies. Mademoiselle Mars élait la fille de MonveL Murville (M. de), quoiqu'il n'ait pas été comédien en titre, mérite d'être cité ici pour la singularité de son ap- parition sur la scène. Le 24 décembre 1792, on le vit jouer au Théâtre-Français, dans sa tragédie d'Abdélazis et Zuléima, en remplacement de Monvel, qui était indis- posé. Cette excentricité n'eut pas grand succès; on le hua pour sa déclamation. Nanteuil (D. C. de), qui, sur le titre de ses pièces, s'inti- tule comédien de la reine, a laissé plusieurs ouvrages dramatiques d'une incroyable platitude : le Comte de Ro- que feuille , V Amour sentinelle, Y Amante invisible, etc., tous très-rares. Selon plusieurs bibliographes, il est le même que Châteauneuf, dont nous avons parlé plus haut. 11 écrivait dans la seconde moitié du dix-septième siècle. Nourrit (Adolphe), le fameux chanteur, qui, dans un accès de folie, se jeta par une fenêtre en 1839, a concouru . à la composition de plusieurs ballets-pantomimes : la Sylphide, Y lie des pirates. Odry, le balourd des Variétés, a mis son nom, mais rien que son nom, à trois pièces : la Voix de Duprez, ou le Sirop musical, le Comte Odry et la Bande joyeuse- Patrat (Joseph) (1732-1801), d'abord cabotin, puis au- teur, a composé, dit-on , jusqu'à cinquante-sept pièces, dont beaucoup n'ont pas été imprimées. V Anglais, ou le Fou raisonnable est une des plus connues. Perlet, l'excellent comédien, a fait quelques pièces en collaboration, entre autres Y Artiste, avec M. Scribe. Picard (Louis-Benoît) (1769-18*28), après avoir com- mencé par jouer la comédie bourgeoise, parut publique- ment sur la scène, comme acteur, de 1797 à 1807, où il renonça à son titre de comédien pour entrer à l'Académie. Depuis 1801, il remplissait les triples fonctions d'acteur, auteur et directeur. Son activité suffisait à tout. On con- CHAP. XXV. — > ACTEURS-AUTËURb. 317 naît trop ses principales pièces pour qu'il soit besoin de les énumérer- ici. Pittenec (François-Antoine Lesage, dit), fils de l'auteur de Gil-Blas, a travaillé pour le nouveau Théâtre-Italien. Plancher-Valcour (Philippe-Alexandre-Louis-Pierre Plan- cher, dit aussi Aristide Valcour), dont nous avons raconté la vie en abrégé dans nos Originaux des coulisses, a | composé des comédies, des drames lyriques, des mélo- I drames, etc., par exemple : le Vous et le Toi, la Discipline \ républicaine, le Tombeau des imposteurs et l'inauguration i du Temple de la Vérité, etc. Poisson, famille célèbre au théâtre, où plusieurs de ses membres se distinguèrent doublement. — Raymond, de . l'hôtel de Bourgogne, mort en 1690, excellent Crispin, a | laissé un certain nombre de petites pièces curieuses, pres- j que toutes en un acte, par exemple : Lubin, ou leSotvengé, I la Hollande malade, les Faux Moscovites. Il a compris dans ! l'édition de ses œuvres, données par lui-même en 1087, la \ Comédie sans titre, de Boursault, ce qui ferait penser qu'il y a eu quelque part. — Philippe, son petit-fils, 1682-1743, bon acteur dans les deux genres, a écrit une dizaine de comédies, où il y a de la verve et du naturel. Pontau (Boizard de), entrepreneur de TOpéra-Comique et directeur de troupes de province, a composé diverses pièces, prologues, pantomimes, comédies, pour le théâtre de la Foire, avec Carolet, Fuzelier, Panard, Piron, Laffi- chard : Y Heure du berger, Arlequin Phaéton, la Méprise de l'amour. * Potier (Charles) (1775-1858), de la famille des Potier de Blancmesnil, de Gesvres et de Novion. Talma disait de lui que c'était le comédien le plus complet qu'il eût connu. Il a laissé un certain nombre de pièces sans importance, faites la plupart en collaboration, et qui parurent sur les scènes de la Gaîté, de l'Ambigu, des Folies-Dramatiques, 378 CURIOSITÉS THEATRALES. de Comte, du nouveau théâtre Molière, du Panthéon, etc. Son fils Charles, qui a joué sur divers théâtres des boule- vards, a aussi travaillé pour la scène. Quinault aîné, comédien ordinaire du roi, reçu en 1712 au Théâtre-Français, mort en 1744, a fait la musique des Amours des déesses, ballet avec prologue, de Fuselier, re- posante en 1729, et a composé des divertissements pour différentes pièces. C'était le frère de Quinault-Dufresne, et de la charmante mademoiselle Quinault cadette, fon- datrice de la Société du Bout du banc. Ragueneau (François), ex-pâtissier de la rue Saint-Honoré, -qui fîtpartie de la troupe ambulante de Molière, comme nous j l'avons déjà vu, cultivait les Muses. On a conservé de lui un curieux sonnet adressé à maître Adam, et placé par celui-ci en tête de la secondé édition de ses Chevilles. Ch. Beys a loué son talent poétique; par malheur, cet éloge est suspect, car Beys est fortement soupçonné d'avoir fait les vers que signait Ragueneau. Raisin aîné (Jacques), auteur du Niais de Sologne, de Tricassin rival, de Merlin gascon, et de plusieurs autres/ pièces représentées et non imprimées, était le fils de cet organiste de Troyes,dont l'épinette merveilleuse avait ex- cité l'admiration de Paris et du roi. Il quitta le théâtre en 1694. Raucodrt (François'e-Marie-Antoinetle Saucerotte), 1756- 1815, débuta aux Français en 1779, par le rôle de Bidon, avec un succès inouï dans les annales dramatiques, et'j dont on peut avoir une idée, en parcourait les Mémoires secrets, où il n'est question que d'elle à cette date. Elle est \ nommée alors Haucoux dans cet ouvrage, ce qui semble- ; rait faire entendre que tel fut d'abord le nom choisi par. elle. Sa grande beauté entra dans son triomphe pour une 3 part égale à la perfection de son jeu. Les Mémoires secrets constatent qu'elle fut assaillie dès ce moment de nom- CHAP. XXV. - ACTEURS-AUTEURS. ZVà breuses et séduisantes propositions, et qu'elle les repoussa avec une vertu qui, par malheur, ne devait pas se soute- nir, car on connaît les étranges accusations, probablement exagérées, quoique trop vraies par le fond, qui furent di- rigées par la suite contre les mœurs de cette « Messaline » du théâtre. En 1776, mademoiselle Raucourt, poursuivie par ses créanciers et les cabales de ses envieux, dut se ré- fugier en Russie. Elle rentra au Théâtre-Français trois ans plus tard. Sous la Révolution, après avoir été emprison- née avec les comédiens, elle les rallia à l'Odéon, qui ne tarda pas à être fermé. Elle reçut de l'Empereur le privi- lège de la direction des théâtres français en Italie. On sait de quels scandales son inhumation devint le prétexte, parce que la sépulture ecclésiastique lui avait été refusée. Elle a composé Henriette, jouée en 1782 au Théâtre- Français. Régnier (François-Joseph), sosiélaire du Théâtre -Fran- çais, aux démarches duquel on doit surtout l'érection du monument de Molière, a collaboré à la Joconde, avec M. Paul Foucher, et passe pour avoir pris part à la composition de plusieurs autres pièces jouées sur la même scène. Il a rédigé l'histoire du théâtre, dans le recueil intitulé Patria, et a publié dans le Monde dramatique des Mémoires inédits pour servir à F histoire du Théâtre-Fran- çais. Ribié (César), dont nous avons déjà parlé, directeur d'une foule de scènes, concerts et jardins publics, et fon- dateur, en 1798, du Théâtre-d'Émulation, qui ne dura que huit mois et demi, a fait jouer des mélodrames et comédies, tels que Geneviève de Brabant, les Calomnia- teurs, ou le Jugement de Dieu, et beaucoup d'autres pièces avec René Perrin, Pompigny, Martinville, etc. Riccoboni (Louis) (dit Lelio), 1677-1753, premier amou- reux et chef de la troupe italienne à Paris, a composé plu- 380 CURIOSITES THEATRALES sieurs comédies, et traduit quelques tragédies françaises en italien. Il a écrit un poëme sur son art; une Histoire du Théâtre-Italien, des Observations sur la comédie et le génie de Molière, etc. C'était un homme de beaucoup d'esprit et d'un très-grand mérite. —Sa femme, née Hélène-Vir- ginie Baletti, dite Flaminia, a fait aussi quelques pièces, presque toujours en collaboration. Riccoboni (Antoine-François), leur fils, acteur médiocre, ne s'éleva pas beaucoup plus haut comme auteur. Ce fut un des fournisseurs les plus actifs du Théâtre-Italien, où il travailla le plus souvent en collaboration avec Domi- nique et Romagnesi.. Cependant il a fait une douzaine de pièces à lui seul. On lui doit aussi Y Art du théâtre, 1750, in-8°. Riccoboni (Marie-Jeanne Laboras de Mézières , dame) (1713-1792), femme du précédent, d'abord comédienne, obtint peu de succès dans cette carrière. Comme roman- cière, elle a eu une très-grande réputation, aujourd'hui bien dTminuée. Elle a laissé YHistoire du marquis de Cressy, les Lettres de Julie Catesbij, les Lettres de miss Fanmj Butler, où l'on voulut voir l'histoire de ses propres cha- grins domestiques, Ernestine, la Suite de Marianne, etc. Romagnesi (M. Antoine), dit Cinthio. Le catalogue So- leinnes cite de lui plusieurs pièces qui sont demeurées manuscrites : les Métamorphoses d" Arlequin, Arlequin esprit follet, A fourbe fourbe et demi, etc. Romagnesi (Jean -Antoine) (1690-1742), son fils, excellait | dans les rôles d'ivrogne, de Suisse et d'Allemand. On a publié en 2 vol. in-8°, 1774, un choix des parodies et pièces bouffonnes, qu'il avait composées soit seul, soit avec Riccoboni et Dominique. Citons le Temple de la Vé- rité, Arcagambis, Ylle de la Folie, etc. Rosidor, comédien de province, vint en 1691 à Paris pour remplacer Baron, mais ne fut pas admis. On a de lui CHAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 381 deux pièces : la Mort du grand Cyrus, et les Amours de Merlin. Rosimont (J.B. du Mesnil, dit), comédien du Marais, entra dans la troupe de Molière, après la mort de celui-ci. C'était, dit-on, un buveur intrépide. Il a laissé un certain nombre de pièces, dont la plupart sont très-faibles de ver- sification et d'intrigue. Nous citerons, comme les meil- leures, les Quiproquos, Y Avocat sans étude, qui n'est guère que la reproduction, avec des améliorations notables dans le style, de l'Avocat savetier, publié six ans auparavant, sous le nom de Scipion, comédien du roi, et le Festin de Pierre, ou Y Athée foudroyé, la dernière en date des pièces composées sur ce sujet, mais non la moins bonne. C'est celle qui est conçue dans le sentiment le plus moderne : le caractère de don Juan y est raisonné; il appuie ses crimes sur des sophismes, il les raisonne, il en démontre la légitimité au nom de la nature. Il publia aussi, en 1680, sous son vrai nom de J. B. du Mesnil, les Vies des saints, pour tous les jours de l'année, ouvrage qu'on n'eût pas attendu de lui. Ruzzante, poète comique italien, suivant quelques-uns a surpassé Plaute en composant ses comédies, et Rosoius en les représentant. De même, à en croire Varillas, Ma- chiavel joua souvent dans ses propres pièces avec succès. Samson (Joseph-Isidore), sociétaire du Théâtre-Français, aujourd'hui âgé de soixante-six ans, a composé diverses pièces de vers et des comédies, parmi lesquelles la Fa- mille Poisson, la Belle-Mère et le Gendre, la Dot de ma fille. Scala (Flaminio), acteur italien du seizième siècle, fit des comédies médiocres et souvent scandaleuses, tenant le milieu entre les anciennes farces et les nouvelles pièces régulières. Shakspeare (William) fut quelque temps souffleur, 382 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. dit-on; en tout cas, il monta sur la scène, mais n'y joua II que des rôles secondaires, même dans ses propres pièces. B Nous croyons parfaitement inutile de les rappeler ici, nous dirons seulement que certains amateurs de paradoxes his- li toriques et littéraires ont voulu, dans ces dernières an- I nées, en attribuer l'honneur à Bacon. Shéridan (Thomas) (1721-1788), père du célèbre orateur et poète dramatique du même nom, successivement ac- I teur, directeur de théâtre et professeur de déclamation, a i laissé une Vie de Swift et un Orthoepical Dictionary, qui fait loi pour la prononciation anglaise. Sa femme (1724- G 1766) a écrit des comédies et des romans qui ont été tra- i duits en français. Sobligny, l'auteur de la Folle Querelle, cette parodie i (TAndromaque qui fit tant de peine à Racine, et que ce- t lui-ci, dit-on, attribua d'abord à Molière, était comédien. É Sa fille fut une des plus célèbres danseuses de l'Opéra. j Tabarin, farceur du commencement du dix-septième siècle, associé à l'opérateur Mondor, à la boutique duquel 1 il attirait les chalands par ses lazzis saugrenus. Tabarin procédait surtout par voie de dialogues bouffons avec Mondor; il jouait aussi de petites farces grossières à quatre et cinq personnages, dont quelques-unes ont été conser- vées. On a imprimé dans le temps, et réimprimé plusieurs ,'. fois de nos jours les œuvres de Tabarin, rencontres, ques- tions, fantaisies, farces « et autres gaillardises. » Le pont Neuf était alors plein de semblables farceurs et saltim- banques. On a publié les œuvres de plusieurs d'entre eux; ainsi nous avons les chansons du Savoyard, et Grattelard, bouffon du charlatan Desiderio Descombes, a fait ou laissé imprimer sous son nom des Rencontres presque textuel- [ lemeitf copiées dans le Recueil tabarinique. Taconnet (Toussaint-Gaspard) (1730-1774), acteur qui s'est rendu célèbre par la vérité avec laquelle il rendait CHAP. XXT. — ACTEURS-AUTEURS. 383 | les rôles populaires, surtout ceux d'ivrognes et de save- \ tiers, débuta sur le théâtre de la Foire, et joua ensuite i chez Nicolet. 11 est l'auteur de la fameuse chanson de la Bourbonnaise, et d'une multitude de farces, telles que i le Procès du chat, et la Mort du bœuf-gras. Il mourut dans I la plus profonde misère, à l'hôpital de la Charité. Talma (François-Joseph), 1766-1826, le plus grand ac- teur de la scène française, a composé des Réflexions sur ! Lekain et sur l'art théâtral (1825, in-8°). Talma (Madame, née Vanhove), la femme du précéden a publié des Éludes sur Vart théâtrat, suivies d'anecdote j inédites sur Talma, etc., 1856, in-8°. Tousez (Etienne- Augustin, dit Alcide), le célèbre co- i mique du Palais-Royal, a signé quelques petits ouvrages, j par exemple : la Vie de Napoléon racontée dans une fête t-de village, 1834, qui est plutôt une scène épisodique ! qu'une pièce. Tristan l'Hermtte, sieur de Vozelle (Jean-Baptiste), frère | du poète François Tristan THermite, à qui l'on doit Ma- rianne, fit partie de la troupe ambulante de Molière. Il a laissé la Chute de Phaéton, tragédie, 1639. Véronèse (Carlo). Pantalon du Théâtre-Italien, a fait beaucoup de pièces sous les vocables d'Arlequin ou de Coraline : les Vingt-six infortunes d'Arlequin, Arlequin génie, — Coraline esprit follet, Coraline magicienne, Co- raline Arlequin, etc. Il a aussi retouché ou raccommodé plusieurs canevas de ce théâtre. Depuis le front jusqu'au talon Tout s'exprime dans Véronèse, disait un quatrain fait à sa louange. Villiers (N. de), acteur de l'hôtel de Bourgogne, dont il faisait déjà partie en 1663, puisque Molière le railie dans ['Impromptu de Versailles, et d'où il se retira vers 384 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. 1670. Excellent comédien, surtout dans les rôles de petits- maîtres et de valets; il n'est pas sans mérite non plus comme auteur. On lui doit, outre des poésies burlesques et une lettre sur les affaires du théâtre, où il attaque vi- vement xMolière, quelques pièces, entre autres, les Ramo- neurs, les Coteaux, la Vengeance des marquis, en réponse à Y Impromptu de Versailles, et le Festin de Pierre, ou le Fils criminel. Dans ce catalogue, nous n'avons pas compris une foule d'acteurs trop complètement inconnus, ou qui ont com- posé trop peu de chose pour être rangés au nombre des auteurs: tels sont, par exemple, les comédiens du roi, Armand et Derozée, qui écrivent, le 23 décembre 1751, VHeureux événement, ou le Bien venu, vaudeville de cir- constance; Marignan, auteur des Éclaircissements donnés à l'auteur du Journal encyclopédique sur la musique du Devin du village, 1781; Révalard, qui a composé la moitié d'une petite pièce pour les jeux gymniques; Marty, qui; travailla pour le théâtre des Troubadours, de 1799 à 1801, avec Philibert et Laveaux, etc. On a pu remarquer aussi que nous n'avons fait entrer dans notre série, parmi les personnages vivants, que les acteurs du Théâtre-Français, et ceux, en fort petit nombre, que leur renommée ou leur haute position désignait d'une manière spéciale. Il en reste bien d'autres, à chacun des- quels nous ne pouvions donner un article spécial, pai exemple : MM. Albert (de son vrai nom Thierry), ex-acn teurdel'Odéon, delaPorte-Saint-Martin,derAmbigu,etc.j auteur ou collaborateur de plus de vingt ou trente pièces: Blondelet, Boisselot, Brisebarre, qui parut, dans sa pre- mière jeunesse, sur quelques scènes des environs de Paris Dormeuil père (Charles Contat-Desfontaines, dit), jadis ac- teur, et à qui l'on doit, outre des Réflexmis sur laliberU des théâtres, la tierce partie du Télégraphe, vaudeville CllAP. XXV. — ACTEURS-AUTEURS. 585 Latouche; Gaston Mestepès (auteur de libretti d'opéras-co- miques, autrefois acteur sous le nom de Gaston); Neuville; Pierron. actuellement régisseur général de l'Odéon, et qui s'est fait connaître comme auteur par sa petite comédie : Livre M, chapitre / er ; Roger; Tuffet (Salvador de son vrai nom); Saint-Ernest (Louis-Nicolas Brette, dit), qui a colla- boré à diverses pièces, spécialement à Don Pèdre le men- diant, Henri le Lion, etc.; Emile Taigny, Taillade; Tisse-, rant, qui a eu part, avec M. Eugène Nus, au Vicaire de WaHefield, etc. Madame Desbordes-Val more, l'illustre poêle, a été ac- trice dans sa jeunesse, et n'a pu supporter longtemps les dégoûts de cette profession. Avant de se faire connaître dans les lettres par ses Causeries de mademoiselle Mars et ses petites comédies, madame Roger de Beauvoir avait brillé sur notre première scène, alors qu'elle n'était en- core que mademoiselle Doze. M. Duquesnois, actuelle- ment professeur de déclamation et auteur de quelques ouvrages spéciaux, a été comédien. Il y |a aussi un certain nombre d'acteurs et d'actrices que nous n'avons pas cités, quoique des Mémoires aient été publiés sous leur nom : c'est parce que ces Mémoires ont été écrits par d'autres, et qu'ils n'ont fait que les signer eux-mêmes. Ceux de mistress Bellamy, publiés sous le titre à" Apologie, et traduits en français dans la Collection des mémoires sur Vàrt dramatique, avec une préface de M. Thiers, sont attribués à Alexandre Bickneell. Ceux de la Contemporaine, qui fut quelque temps comédienne, comme nous l'avons déjà dit, ont été rédigés par M. Mali- tourne; ceux de mademoiselle Durnesnii* par Coste d'Ar- nobat; ceux de Fieury, par Laffitte; ceux de mademoi- selle Flore, par Duinersau et Gabriel; ceux de Préville (qui fut m'embre de l'Institut) et de Dazincourt, • par M. II. Alexis Cahaisse; ceux de Taliua, par Alexandre 23 38C U UIOSITKS THEATRALES. Dumas, etc. On a lu aussi, il y a quelques aimées, dans le journal YÉclair, les Mémoires de madame Saqui, dus, assure-t-on, à la plume de M. Venet, actuellement rédac- teur du feuilleton des théâtres dans YUnivers. On voit que, malgré de nombreuses omissions volon- taires et des oublis inévitables, le chapitre des acteurs- auteurs est encore d'une belle dimension, et qu'il com- prend même la plupart des noms qui se sont illustrés sur la scène. FIS, •ERRATA P. 57, noie 2j ou tien de: Andriane, lisez: Andneux. P. 547, li^ne 5, ajoutez : £011 frère, Jacques 1!kjaiu, publia en 1U55 un Armoriai du Languedoc, dont il lit hommage aux prélats et barons des étais de L'éziers. P. 555. Les Mémoires de Pazincourl, comme nous le dirons plus loin, ont été laits par Cahaisse, sur les notes laissées par cet acteur. Dazin- eourt a'composé une Notice historique sur Prévi/le. TABLE ANALYTIQUE Abeille (L'abbé), YArgéiie. 168 Absence de couleur locale dans les costumes des mystères. 9 Accidents comiques, maladresses, bévues sur la scène, chutes de pièces amenées par de petites causes. 173 à 191 — tragiques et malheurs arrivés sur la scène. 191 à 202 — et troubles dans les sajles de spectacle. 153 à 147 Acteurs-auteurs. 545 à la fin du volume. Acteurs infirmes ou difformes. 202 à 209 — (Noms de divers) qui ont écrit. 384, 585,586 — (Divers) dont l'embonpoint était énorme. 174, 204, 205 — (Divers) dont la prononciation était défectueuse. 205, 206 — (Divers) atteints de folie. 207 — (Divers) livrés à la passion du vin. 227,228 — (Soins apportés par divers) dans la création de leurs rôles. 250 — (Exemples d'illusions produiles par le talent de certains). 237 — (Traits de hardiesse de. divers). 246, 2 17 Actrices (Diverses) qui prirent le voile. 319 Adrison. Son Caton protégé par lord Warton. 157, 158 Affiche., théâtrales. 105, 104, 105 Alainval (D' i sifflé à outrance. 162 Amazones (Les) modernes. Mot plai- sant lancé du parterre à la re- présentation de cette pièce. 165 Andrieux, cité. 280 Anecdotes dramatiques, citées. 40, 111, 112,128,145,160, 174,175, 177, 192, 200, 258, 260. Annai.es dramatiques, citées. 181 — Tarallèle entre Lekain et Talma. 222, note. Année (L') 1755 peut être considé- rée comme l'hégire du costume théâtral. 40 Annonces laites sur le théâtre. 105 — Divers acteurs chargés de ha- ranguer le public. 106 Appointements de certains acteurs de l'antiquité. 129 — de mademoiselle Mars et de mademoiselle Rachel. 131 — des chanteurs et danseuses. 131 Ardéléon (Saint), un des patrons des comédiens. 517 . Aiîgot des comédiens. Représenta- tions théâtrales. 520 à 545 AiasropiiANE. Il joue lui-même un rôle dans la pièce des Chevaliers. 240 Arlincourt (D'), cité. 172 Armand. Sa variante dans un cou- plet des Trois-Cousines. 248, 249 Arnault, Germaniais. La tumul- tueuse représentation de cette pièce (1817) fit naître l'idée d'un dépôt de cannes à la porte de chaque spectacle. 157 Art de la mise en scène. 25 Atii.cnelm français cité. 9, 14 388 CUMOSlTËi TUEATHALES. \> lii.KXAi. iLe dunseui' d'), cité. 60 Aubigmac (D ), cilé. 107 Aiuuy (Mademoiselle). Sa chute du haut d'une gloire. 20-2 AUDIBERT, «'lié. 106 .Wiiesne. Il s'exile par dépit. 86 — Son débit simple et naturel. 218 Auger. liait sujet aux lapsus. 178 Ai peurs (Les) sont d'abord à la solde dc^ comédiens. 275 — (Grande querelle des) et des co- médiens. 285 à 295. — n'avaient pas toujours le champ libre pour publier leurs sujets de plainte. 285, noie. B Bachaumont, cité. 14, 55,58, 62, 65, 6Q. 67, 69, 95, 94, 95, 109, 125, 159, 140, 171, 224, 225, 242, 262, 265,267,279, 2*0, 284, 541. Baculard d' Arnaud, le Mauvais Ri- che. 65 Baletti (L'acteur) gravement blessé en scène. 200 Bancs établis au parterre pour la première fois en 1782. f 48 Bannières. Ses débuts au Théâtre- Français. 502, 503 Banquettes sur la scène. 49 à 55 Baptiste le cadet. Chute totale de ses cheveux. 202 Baron, acteur et a 1 'eur. 546 — ne semble pas avoir soupçonné l'absurdité des costumes tragi- ques, ou du moins avoir essayé de la combattre. 56 — L' Homme à bonnes for! unes. 56 — Son enbonpoint. % 174 — 11 perd sa jarretière en jouant dans le Comle d'Essex. 174 — (Jalousie de Dauvilliers en- vers). 194 — Sa déclamation simple et no- ble. 212 — Moyens qu'il employait pour s'échauffer et se préparer à en- trer en scène. 226 — Il interpelle le public. 24", 244 — Sa mort. 194 — le père. Sa mort. 193 Barthélémy, Voyaqe i'Anacharsis', cité. 112,115,129,176 Bastide, le Jeune Homme. Huées et rires du parterre pendant la re- présentation de cette, pièce. 171 Baudouï (le P.). Sancius Ludovicus in v nculls, cité. 82 Beauiiourg iMol plaisant lancé du parterre à l'adresse île). 106 — Sa «déclamation emphatique. 215 — Sa mort pieuse. 519 Beaucbamps (Oeï, cité. 25, 52, 196 Bkadcbamps, le Jaloux. Déclamation du parterre à la représentation de celte pièce. 170 Beaujoyeux, Ballet comique de la lioyne. 24 Beaumarchais est l'un des auteurs qui, chez nous, ont le plus atta- ché d'importance à la mise en scène exacte et scrupuleuse. 52, 55 — Eugénie. 55 — Reprise du Mariage de Figaro. Une association de voleurs dé- trousse les spectateurs. 137 — Ses luttes avec les comédiens. 125, 288, 289, 290, 291, 296 — Réclame des droits d'auteur pour son Barbier de Séville. 127, 288 — est le fondateur de la Société des auteurs dramatiques. 289 — Sou Compte rendu. 289 — C'est à lui que M. Scribe et tel autre vaudevilliste doivent leur fortune. 296, 297 Beausoure (M. de'i, les Arsacides. Amusement du parterre à la re- présentation de cette tragédie. 170 Beck (Caroline). Sa mort. 198 Behourt (Jean) fait représenter au collège des Bons-Enfants.à Rouen, la Polixène (1597), Esaû (1598), Hypsicratée (1604). 75 Béjart (Louis). Son infirmité. 205 Bellamy (Mistress), citée. 41, 55, 147, 155 — Elle s'évanouit plusieurs fois sur la scène lors de son début. 199, 200 — jouant devant le roi de Dane- mark. 243 — Aventure plaisante lors de ses débuts à Besançon. 175 Beli.erose. Sa nrort pieuse. 519 Bkrtox i Adolphe). La visière de son casque se baisse subitement à un moment dramatique. 189 Billard (Etienne), auteur du Subor- neur. Tumulte qu'il occasionne table akal\tioi t k. 389 à la représentation du Comte (VEs>e.v. 158, 280 Blanc (Abbé le), Abensaïd (1735). 55 Blocus appliqué à la Comédie-Fran- çaise par les acteurs dramati- ques. 291 Boiiaire (L'avocat). Ses rancunes contre les comédiens. 284 Boindin, le Bal d'Aaleuil. Institu- tion de la censure à l'occasion de cette pièce. 97 Bonne val { Présence d'esprit de) dans Y Avare. 181 Bshbe (La), cité. 69 Bordier. Sa présence d'esprit en en- tendant un sifflet. 249 — Sa mort. 508, 509 Bosquier (Philippe 1 , religieux ré- collet, cité. 70 Boswjibr-Gàvajddan, acteur et au- tour. 347, 548 Boucher d'Argis, cité. 15, 86, 517 Boochet (Guill.), cité. 5, 6 Booii.i.y voulait, comme Beaumar- chais, une mise en scène exacte et scrupuleuse. 53 Boit.sault-Malherbe (J. F.), acteur et auteur. 548 Boyeb (L'abbé). Jephté et Judith, représentés à Saint-Cyr. 81 Brazier, cité. 71. 128, 140, 190, 228, 309, 511, 515 Brécocrt. Sa mort. 193 Bret, le Faux Généreux. Impres- sion de celte pièce sur une grande dame. 252 Triliant (Mademoiselle). Sa pré- sence d'esprit. ' 198, 199 Brizard. Se lit remarquer par son attention à la vérité des accou- trements. 43 — Sa présence d'esprit. 199, 200 — Blessé sur la scène. 200 — Ses cheveux blanchirent en quelques instants. 207 Urockuann ^J. F. F.), acteur et au- teur 549 Bru.net. On l'accable de pommes pendant la représentation du Sau- vageon. 142 Cabale (Grande) pour faire triom- pher la Phèdre de Pradon sur relie de Bacine. 451 Cabales au théâtre. La claque et les sifflets. 148 à 165 — anglaises. 156 Cabotin (Pélinition du mot). 325, 526 Café Procope (Le). 154 Cailbata. Ses démêlés avec les co- médiens. 286, 287 Calmet (D.', cité. 191 CalprbSèdk, Milhvidate. Mot d'un plaisant à la représentation do celte pièce. 164 Camf.iani. du Théâtre-Italien. 301 Campan (Madame) fait jouer des tra- gédies par ses élèves 81 Campistron, Ai dronic. Apostrophe du parterre à un acteur jouant un rôle dans cette pièce. 168 Carlin. Ses souffrances sur la scène. 204, note. — Interpellé par le prince de Mo- naco. 242 — Sa hardiesse punie de quelque* jours de prison. 242 — Son annonce du Duel comique. 249 — Sa piélé. 318 Carmonielle, cité. 70 Castellane ^Théâtre de l'hôtel). 75 — Desservi par deux troupes. 75 Censure dramatique. Son institu- tion. 97 — en Angleterre. 98 -p sous la Restauration. 98 — (Bévues diverses des officiers municipaux en matière de . 100, 101 Cérbmomes du culte catholique prohibées par le parlement, en 1548, djns les représentations scéniques. 17 ''hahax»n\ Eponïne. Mot d'un spec- tateur à la représentation de cette pièce. 170 CllAMP.MEsiE ClIEVILLET, SÎ6UE PE), acteur et auteur. 351 — et la Fontaine, cités. 58 — Racolai. 58 — (La). 193, 194. Sa mort. 519 ^- .Mort de son mari. 196 — Sa laideur. 203 — Sa déclamation chantante. 212 Chapelle, Cassandre du Vaudeville. Sa crédulité excessive. 514, 515 Chapoton, le Mariage d'Orphée et d'Eimjdice (1640). 25 Chappuzeai , cité. 51, 49, 77, 87, 88 102, 104, 106, 107. 125, 129, 517, 590 CURIOSITES THEATRALES, Charpentier, cordonnier pour fem- mes. 11 établit chez lui un théâ- tre de société. 65, 66 < hartier (Histoire de Charles VIL attribuée à Alain), citée. 2 CllAUMONT (Madame). Sa pastorale excite une hilarité convulsive. 171 Chaussée [Là), Y Amour castillan (1747), joué avec les coutumes espagnols. 40 — Mclanide. Manque de mémoire d'un acteur dans cette pièce. 181 (tiénier, Charles IX, cité. 44 — 'I roubles à propos de cette pièce. 141 Ciiérusqies (Les). Apostrophes du puhhc aux acteurs à propos de cette pièce. 279 Cheval vivant paraissant pour la première fois sur la scène en 1682. 26 Chevrier, Revue des Théâtres. Mot plaisant lancé du parterre, à la représentation de cette pièce. 165 Chronique de Metz, citée. 5 Chronique scandaleuse, citée. 229 Clairon (Mademoiselle), actrice et auteur. 352 — et Lekain opèrent la première réforme importante dans le cos- tume théâtral. 59, 41 — Sa déclamation ampoulée. 217 — Dans Ariane. Emotion d'un spectateur. 256 — Elle est conduite au Fort-l'K- vèque. 274 — Sa hauteur et sa dureté envers les auteurs. 281,282 Clairval. Son ancienne profession. 195 — Sa hardiesse sous la Révolu- tion. 2i2 Claque (Détails sur la). 527 Claqueurs (Les) chez les Romains. 148 — du théâtre moderne. 149 Claldius Pulciier, inventeur d'un tonnerre pour les représentations scéniques. 52 Clercs de la Rasoche, faisant con- currence aux Confrères, et créant la Moralilë. 15 Clebmô.nde ( Mademoiselle ). Ses triomphes à Amiens. 86 Cocq (Présence d'esprit d'un acteur de province nommé le) dans le rôle d'Achille d'iphigénie. 179 Colardeau, cité. 59, 60 Colin (Emploi des). 52!t Collé. Le Calant Escroc. 65 — Son Journal, cité. 54, 70, 152. 169. 258, 280 Collège (Le) des Quatre-Nations emprunte à l'Espagne et repré- sente la Vie est un songe. 82 Coî.lot-dTIerbois. Acteur avant d'ê- tre un lioinme politique. 87 — 11 fut aussi auteur. 355 Coi.omi.e (Mademoiselle). Son ova- tion à Toulouse. 262, 265, note. — Sa dévotion. 51 S Comcilijna, cité. 180 Comédie-Française (La) s'inquiète de la mode des théâtres de société. 71 — (Privilèges de la). "99 — Pendant la Révolution, la troupe se divise en deux camps hostiles. 269, 296 Comédiens (Les) canonisés. De la vertu et de la piété au théâtre. 516 à 520 — (Grande querelle des) et des auteurs. 283 à 295 Comédiens (Les), ou le Foyer, satire dramatique dirigée contre les co- médiens. 287, 288 Comparses (Ce que sont les). 52o. — (Cnefs de). 527 Comte. Son théâtre pour les éco- liers. 83 Condé (Mot adressé au Grand) par. un spectateur. 150, 151. Confrères de la Passion. 5 — Leur établissement, en 1402, à l'hôpital de la Trinité, où ils fon- dent le premier théâtre fixe qu'on ait vu à Paris. 5 — Leurs représentations à Paris. 7 Confréries ces Fous de Clèves, des Cornards d'Evreux. 14 Conoi'.kcations diverses religieuses faisant jouer la comédie à leurs élèves. 77 Connell (Mademoiselle). Sa mort en 1750, après avoir été silflée. T65 Conservatoire. Sa fondation. 225 Constantin, le Mole du boulevard. Sa laideur. 203 Cjntat (Mademoiselle), sifflée deux fois dans la même pièce. 163 — Son procédé pour se faire mai- grir. 229 Contemporaine (La). 515 TABLE ANALYTIQUE. 591 Corneille (P.). Andromède (1650 . 25 — Le Cid et Cilina joués en costu- mes de cour de l'époque. 54, 55 — Attila et Bérénice payés deux mille livres chacun. 122 — (Ce n'est qu'à partir de) qu'on apprit à raisonner un rôle. 209 — 11 élève la condition des auteurs. 275, 270 Corneille (Th.), Circé rl675). 25,50 — Son Baron de Fondrières, sui- vant les Anecdotes dramatiques, aurait fuit naître l'idée du sifllet. 160 Correspondance secrète, citée. 20, 62, 82, 85, 101, 22#, 242. 262, 265, 264, 267, 26S Corsse (J. B. Labenexte, dit). 555 Costume (Du) au théâtre. 55 à 47 — (Divers exemples d'anachronis- mes du) dans plusieurs pièces. 54 — (Anachronisme dans le), intro- duit par la dévolution. 45 Cocdray (Le chevalier du). Sa Lettre à Palissot. 284 Coup de pistolet chargé à halle, tiré dans la salle à la première repré- sentation du Concert de la rue Feydeaù. 140 Ci:Éuii.i.o\, Calilina. Les parts d'au- teurs sont déclarées insaisissa- bles. 126 Cu ri ère s (Le chevalier de) . La Lec- ture inlern>mpne. 287 Cyrano, Agrippine (1C55). Cahale or- ganisée contre cette pièce. 150 — Ses démêlés avec l'acteur Mont- fleury. 150 D Dancourt. Les Vendanges. 51 — Incident pendant la représen- tation de cette pièce ^1694). 51 Dangeau, cité. 518, note. Danseurs (Noms de plusieurs) au- teurs de ballets. 565 Datus (Allusion hardie du comé- dien) devant Néron. 241 Dau.illieus. Sa jalousie envers Ba- ron. 194, 267 Dazincourt, sifflé, interpelle le pu- blic. 162, 165 — Ses Mémoires, cités. 84, 258 — Son duel à Bruxelles. 258 Déclamation (La) emphatique et ampoulée dominait sur notre an- cien théâtre. 209, 210 Décorations (Trois genres de) em- ployés par les anciens pour leurs trois genres de pièces. 17 — (Perspective observée dans les » romaines. 18 — (Changement de). 18 — Ce qu'on entend par ce mot au théâtre. 528 Deuarme (Madame) au cinquième acte i]c Bornéo et J illicite. 184,185 Delavicne (Casimir . Les Comé- diens. 66 — Amateur de Bruxelles jouant dans celle pièce. 6(1 Delrieu. Son ardeur à nourrir ses propres succès. 15!» Df.midoff. Représentations célèbres données par sa troupe, à Paris et à Florence. 71 Demoustier, le Conciliateur. Ecrou- lement d'une galerie pendant la représentation de cette pièce. 142 Dennis (L'Anglais) invente un ton- nerre perfectionné pour la re présentation de son Appius and Virginia. ol Desboulmiers, cité. 50, 156, 169, 170, 182, 20 J, 54', Desessarts. Son embonpoint. 201, 205 Desfontaines. V Amant statue. 65 Desforges -Ciioudard. Le Sourd ou l'Auberge pleine. 128 — Son existence excentrique. 51 4 Desœii.i.ets (La). Sa laideur. 205 — Sa mort pieuse. 519 Désordres à l'occasion de la sup- pression des entrées gratuites pour les gens de la maison du roi. 154 — (Diverses scènes de) à la repré- sentation de plusieurs pièces. 140 Desprez, cité. 57 Dessous. Ce qu'on entend par ce mot au théâtre. 528 Devigny. Sa représentation de re- traite, 207 Desoiîry, cité. 22, 120, note. Dictionnaire des coulisses, par J. Du- flot. 524, noie. — dramatique, cité. 127 Diderot. Impression causée sur une daine par son Père de famille. 255 Diphile (L'acteur). Trait de har- diesse de sa part. 240 Disposition- des salles de spectacle 302 CURIOSITÉS THEATRALES. aux dix-septième et dix-huitième siècles. 47 à 56 Poligny (Mademoiselle') rompt la première avec la tradition de l'é- ventail et des gants blancs. 43 Dominique (L'acteur). Sa dévotion. 518 Dorât. II se ruine à soudoyer des admirateurs pour son Régulas et sa Feinte par amour. lot Douulubes (Ce qu'on entend par) au théâtre. 328 Doyen. Son théâtre rue Transno- nain. 72 — 11 forma un grand nombre d'ac- teurh célèbres. 72 Dozainville (Emploi des). 329 Drouin ne voulut jamais jouer à Paris. 86 — Evanouissements fréquents pen- dant la représentation de sa Ga- brielle de Vergy. 255 Ducerceac (Le P.). Ses diverses pièces pour les théâtres scolai- res. 81 Duché. Ahsalon et Jonathas repré- sentés à Saint-Cyr 81 Puchesnois (Mademoiselle). Rivalité entre elle et mademoiselle Geor- ges. 271. 272 — L'impératrice Joséphine inter- vient pour la faire recevoir à la Comédie-Française. 272 l'inis. Effet produit par son Olheho. 234 — Représentation de cette pièce à Hambourg. 254 Duclos (Mademoiselle^. Sa chute sur la scène, «tans les lloraces. 174 — Son apostrophe au parterre à la première représentation d'I- nès, de la Motte. 245 Duciioisy. Sa vie estimable. 3 9 Duei. entre RosePi et Ribou. 258 — entre Garrick et Giffard. 258 — entre l leury et Diigazon. 258 — entre Larive et Florence. 258 — entre Talma et Naudet. 259 -- entre mademoiselle Reaupré et sa camarade Catherine des Urlis. 259 — entre mesdemoiselles Théodore et Beaumesnil. 259 — entre mademoiselle Maupin et trois hommes. 260 Di fp.esny, Swncho Pan ça. Mot plai- sant lancé du parterre à la re- présentation de cette pièce. 165 — et Regnard, les Chinois: 116 Dugazon. Acteur et auteur. 361 — Son audacieuse mystification. 179 — 11 joue en costume de garde na- tional. 189 — Son sang-froid et sa hardiesse désarment les mécontents. 246 — Acte de témérité. 246 — Ses duels avec 1 leury. 258 — Ses mystifications. 307, 508 Dumas (Alex.), Stockholm, Fontaine- bleau et Rome. 143 — Mémoire* de Talma, cités. 239 Dumesnii. (Mademoiselle) portait en- core des paniers dans Séihiramis et Athatie. 42 — Sa laideur. 203 — Sa déclamation. . 218 — Où elle puisait l'inspiration. 227 — Effet qu'elle produisit un soir dans Rvdogune. 235; dans Mé- rope. 235 Dupin et Scribe (MM.). Cabale mon- tée contre leur pièce le Combat dés ii onlagnes. 156 E Effets produits par les pièces et les acteurs. — Représentations prises au sérieux. 251 à 239 Elleviou (Kmploi des). 529, 530 Elyuie et Célimène en manches à gigot 46 Emeute des bonnets rouges a la re- présentation d'Adélaïde Duyues- clin. 141 Emplois (Ce qu'on entend par le mol) au théâtre. 528 Emprisonnement en masse des ac- teurs de la Comédie-Franche. 243 Fncyclopediana. 192 Enfants (Les) sans souci, jouant les moralités. 16 Entrée dans les théâtres à Athènes. 112 — dans les théâtres à Rome. 113 — aux représentations des mys- tères. 113 — dans les théâtres de Paris. 115 — gratuites. 118, 119 — à crédit. 119 — Molière obtient de Louis XIV la suppression des entrées gratuites TABLE ANALYTIQUE r>9: pour les gens de la maison du roi. 134 i Eschyle, Euripide et plusieurs poê- les de l'antiquité montèrent sur la scène. 365, 564 Esciiyie. Promêlhée, les Perses. 18 !— Les Emnénides. Impression que cette pièce faisait sur l'auditoire. 231, 252 Esther et non Aihalie, représentée à Saint-Cyr. 80, 81 — Représentée à Saint- Germain dans l'institution de madame Campan. • 81 Etat de notre première scène un peu avant 1780. 291 Euripide, Andromède. Effet que cette pièce produisit sur les specta- teurs. 232 ! Fanier (Présence d'esprit de made- moiselle) dans le rôle de Lisette I de la Métromanie. 180 ^Farces. 16 Farquhar (L'acteur anglais) blesse dangereusement un camarade sur I, la scène. 201 Farrel (Mistriss) dans le rôle de Zaïre de the Mourning bride. 186 ; Favart (Charles-Simon), les Trois Sultanes. Progrès sensible dans ; la vérité du costume lors de la première représentation de cette pièce. 43 ; _ Acajou. Désordres dans la salle lors de la clôture des représen- tations de cette pièce. 133 — Son Journal, cité. 137 — (Madame) se préoccupa de la vérité du costume. 40, 43 Femme (La) à deux maris. Rôle d'a- veugle lu par l'acteur. 191 I enolillot de Falbaîre, le Fabri- cant de Londres. Mot d'un specta- teur à la représentation de cette pièce. 170 — l' Honnête Criminel. Cette pièce amena la réhabilitation de Jean Fabre. 253 Fierville, régisseur des Variétés, demande la fondation d'une école de déclamation. 22"; — Sa mort. 321, 522 Filleul (Nicolas). Son Achille récilé publiquement au collège d'IIar- court (1563). 75 Financiers et manteaux (Emploi des). 350 Firmin. Son peu de mémoire. Cas plaisant. 1S V 2 Fléchier, cité. 88 Fleuuy. Ses Mémoires, par Laffitte, cités. 62, 68, 86, 92, 227, 229, 256, 257 — Son extérieur peu en rapport avec ses rôles habituels. 204 — Ses soins prodigieux pour arri- ver à représenter Frédéric, dans les Deux Pages. 22!) Flore (Mademoiselle). Ses Mémoires, cités. 89, 185 Floridor est le premier qui parla la tragéJie, au lieu de la chanter. 212 Fontaine (La) et Champmcslé, cités. 58 — Ragotin. 38 Fontenelle. Son Aspar, suivant Ra- cine et Roy, aurait donné nais- sance au sifflet. 160 Froissart, cité. 1 Fusil (L'apparition de l'acteur) sur la scène cause un soulèvement universel. 141 Gabrielli (La). Ses prétentions à des honoraires élevés (1770'. 132 Gaietés iLes) du parterre. 164 à 175 Ganaches ou pères dindons (Emploi des). 550 Garasse (le P.), la Doctrine curieuse, citée. 133 Gardel (Philippe). Sa mort. 199, noie. — (Pierre-Gabriel), estropié en dansant. 199, note. Garnier, Bradamanle. Lapsus lin- giiiB d'un acteur dans cette pièce. 176 Gakrick (David), jouait Macbeth en costume d'officier général mo- derne. 47 — Ramène la déclamation à plus de naturel. 214 — et Mucklin. Leur querelle. 156 Gaubier (L'ambassadeur) de Banault tue un acteur sur la scène. 192 Gaucherie des machinistes. 23 Gaui.dif.r (Mademoiselle) se fait car- mélite. 519 394 CURIOSITES THEATRALES. Gaussin (Mademoiselle). Sou jeu pa- thétique à une représentation de Bérénice, 256 — Elle quitte le théâtre par un principe de religion. 519 Gavaupan (Emploi "ides). 550 Gay, le Mendiant. Tristes consé- quences de la représentation de celte pièce. 255 Genest (L'ahbé Charles - Claude ) . cité. 57 Genest (Saint), acteur du temps de Dioclétien. 11 est un des patrons des comédiens. 517 Gf.orges (Mademoiselle). Son singu- lier couronnement. 190, 191 — Rivalité entre elle et mademoi- selle Duchesnois. 271.272 Giacometti (Paolo), longtemps poëte au service du roi de Piémont. 275 Gloire (Une). Machine de théâtre. 555 Gomioni, cité. 198 — aux ordres et à la solde d'un directeur de théâtre. 275 Gontmer (Madame). Ses pratiques religieuses. 319 — (Emploi des). 550 Go'ix.es (Olympe de), Dumouries à Bruxelles. Sifflets qui accueillent celte pièce. Apostrophe de l'au- teur au publie. 171 — Sa querelle avec les comédiens. 294, 295 Gozzi, les Drogues de l'amour. Dés- ordres à l'occasion de cette pièce. 147 — Ses Mémoires, cités. 128, 147 Gramxiont (Le comédien). Exemple de l'inconstance du public. 165 Grande casaque (Ce que c'est que la). * 555 Granger. Jalousie de Mole. 87 Grkvin (Jacques) . Sa Trésorière jouée au collège de Beauvais en 1558. 75 — César, et \es Esbahis, représen- tés au même collège en lobO 75 Grimarest, Viede Molière, cité. 175 Grimes (Emploi des). 550 Grimm, Correspondance, citée. 158 Gros-Guillaume. Son infirmité. 204, noie. Guérin d'Estriché. Sa mort. 195, 196 Guerre sérieuse entre les auteurs et les comédiens. Sa singulière ori- gine. 285 Goimard (La). Ses deux théâtres h Paris et à Pantin. — en 1762, comme premier sujet de danse, obtient un engagemen/ t de six cents livres par an. 152 i Guy de Saint-Paul. Son Néron re- présenté au collège du Plessis (1574). 76 H Hardy, attaché en qualité d'auteur à une troupe de comédiens. 275 Harpe (La), cité. 69 i — Ses fréquents démêlés avec la Comédie. 295, 296 i Hégeloc.hus , acteur athénien. Lu H lapsus Une/ use malencontreux. 175, 176 Héxault (Le président), cilé. 152 Henri de Prusse. On joue la comé- die dans ses salons. 7(1 Histoire de la déclamation au tiiûa- I tre. 209 à 226. Hoquet dramatique (Ce que c'e>'S que le). 556 ' Horace, cilé. 1!) Hostilités entre Lckain et ses ca- marades. 251, -2'rl — Entre mademoiselle Clairon et mesdemoiselles Mus elDumesnil. 253 H — Entre Chevalier et Dalainville. ! ' 25J — Ei;tre Fleury et ses camarades Bellecourt, Monvel et Mole. 256, 257 — Entre mademoiselle Contât et madame Vanhove. 2G8 — Entre mesdemoiselles Bourgoin et Volnais. 270 ' — Entre mesdemoiselles Mars et Bourgoin. 270 ■ — Entre Bocage et les comédiens' du Théâtre-Français. 272-275 j — Entre Lekain et Marmontel. 278 — Entre Saint-Foix et mademoi- selle Clairon. 281,282» Hôtel (L') (le Bourgogne, vers la fin du seizième siècle, était de- venu un lieu suspect. 155 Hugo (Victor). Cabales contre Her- nani et les Bur graves. 15!» Hylas et Pylade. Hardiesse de ces' deux acteurs. 24 1 TABLE ANALYTIQUE 395 I, j Iffland, ses Mémoires, cilés.^ 185 Imitation du tonnerre, des éclairs, de la pluie, de la grêle, de la ! neige, du vent, dans les repré- i sentations scéniques. 31,32 I Incident comiqde dans la parodie de Thésée. 185 — A une représentation du Roi ' Lear, à Londres. 187 — Au théâtre de Drury-Lane. 187 — A la Porte-Saint-Martin. 188 — Dans Tragaldabas , dans les Deux Chasseurs. ^ 190 Intuence désastreuse attribuée aux I, pièces de Robert Macaire, les Bri- i gands, la Tour de Ncsle. 255, 254 | Jacques (Le cousin). Son épitre 1 contre les comédiens. 286, no'e. ! Ïanin (I.), cité. 190, 229, 315 Jean de IStcey (Le chapelain) dans le rôle de Judas. 191 Jeunes premiers (Emploi des). 530 Jésuites (Les) aux dix-septième et dix-huitième siècles, font jouer la comédie à leurs élèves. 77 Jodelet. Son nasillement. 205 Jodelle. Sa tragédie de Cléàpâtre, et sa comédie d'Eugène, jouées au collège de Concourt. 74 — Il joua devant Henri II. 344 Joséphine (L'impératrice) jouant à Saint-Cloud. 73 Journal d'un bourgeois de Taris, cité. 1 JousLi.N i>e la Sai.le, cité, 52. 45, 108. 125, note; 143, 144. note; 182, 515 Jubinai. ^Achille), cité. 15 K Kacffmann, cité. 32 Kean. Sa laideur. 203 — Sa renommée de grand buveur. 22S — Pans Othello, à Paris, en 1828. 228, note. Kemble (Charles), dans la scène du banquet de Macbeth. 201 Knox (Robert). Vérité de son jeu. 236 Labérius (Le chevalier). Audace de ses allusions. 240 -2 il Laciiapelle, acteur. 571 Lacour (L.), cité. 24 Lafon. Son entrée en scène avec des pantoufles. 189 Lagi erre (Mademoiselle), de l'Opéra. Mot d'un spectateur. 227 Lallemand (Le P.), auteur des Tu- relures, jouées par les jésuites pendant les vacances. 81 Lamé (Emile), cité. 35, 59, 45 .Lamotte (Mademoiselle). Saint-Foix lui témoigne son mécontentement avec emportement. 282 Lanlaire (Mademoiselle). Son aven- ture à bordeaux. 91 La IVoie (Jean Sauvé, dit). 571 Lapsus lingue (Divers). 177 Larive. Son jeu. 223 Laroqi e (L'acteur 1 ) apaise le tumulte au théâtre du Marais. 134 Laruette (Emploi des). 331 Laugier (M.), cité. 151, 160 Lujon, cité. 69 Lavs (Emploi des). 551 Leblanc, Manco-Capac, cité. 172 Lebrun (Mademoiselle), de l'Opéra, a la jambe brisée sur la scène. 202 Lecouvreur (Adrienne), rejetant les grands panaches, prend des étoffes de soie plus légères, la poudre, les paniers. 59 — s'est révélée sur une scène par- ticulière. 58 — Ses efforts pour ramener la dé- clamation au vrai. 215 Lectures des pièces au théâtre (Dé- tails sur le>). 107 Lee (L'acteur) hlesse une de ses ca- marades. 200 Lefuel de Méricourt. Son Journal des Théâtres, mutilé par l'in- fluence .des comédiens. 291 Législation théâtrale. Usages et traditions. 97 à 112 Legrand. Ses bons mots au par- terre. 247, 248 — gourmande par Voltaire. 277 Lekain, acteur et auteur. 573 — et mademoiselle Clairon opè- rent la première réforme impor- tante dans le costume théâtral. 59-41 390 CURIOSITES THEATRALES. — Moyen qu'il employait pour s'in- spirer. 227 — C'est par le rôle d'Oreste, dans Andromaque, que cet acteur com- mence sa réforme dans l'habille- ment. 41 — Joue Mahomet chez Voltaire. 64 — Il introduit, au dix-huitième siècle, i' usage des excursions en province. 89 — Sa laideur. 203 — Il est un des fondateurs du Conservatoire. 224 — Il excite le rire du public dans le rôle d'Achille, d'Iphygénie. 167 — se démet le pied sur la scène. 199 — Ses rapports difficiles avec les auteurs. 278, 279 — Sa mort. 199 I.EMAÎTr.E (Frederick 1 !. 573 Lemazurier, cité. 43, 89, 15i, 162, 163, 175, 247, 248, 282, 503 Lemierre, la Veuve de Malabar. Fon succès extraordinaire. -125 I.ÉRis, cité. 118 Leroy (On.), cité. 15, 120 Locutions (Diverses) vicieuses ou baroques. 172 Loges des acteurs et actrices. 357 Loménie (M. de). Beaumarchais, cité. 291 Louvay de la Saussaye. Sa Journée lacédémonienne. 283 Lope de Veiîa, cité. 47 Loues de Rueda, créateur de Part de la mise en scène en Espagne. 29 Loret, cité. 56, 77 Lquandre, cité. 8 Lucas.. Curiosités dramaliones. ci- tée.*. 186,201.233 I.ucir.E, opéra. Tncident comique. 188 Lizarcue, cité. 6 Lizy (Mademoiselle), soubrette, se retire du monde. 519 M Machines, ou secrets, pour la re- présentation des mystères. 10 Macklin introduit quelques réfor- mes dans le costume théâtral. 17 — et Garrick. Cabales à l'occasion de leur querelle. lo6 — cherche à ramener la déclama- tion à plus de naturel. 21 i — Ses Mémoires, cités. 69, 157, 198, 261 1 — Sa grande vieillesse. 198 Macrobe, cité. 129, 241 Madame Angot, payée six cents francs à l'auteur. 128 Magnificence du théâtre grec et du théâtre romain. 1!» — Divers exemples de cette magni-; licence. 20 Maître ou Meneur du jeu dans leaj mystères. ' — On le nommait alors protocole ou porteroolle. l2 Malezieu (M. de), directeur et or- donnateur du théâtre de la du-^. chesse du Maine, à Sceaux. 57^ Malibran (Madame), calomniée. 227 d Manuel des coulisses, ou Guide de l'Amateur, cité. 52. Marchand (Le) de Londres, dram«' 3 bourgeois. Conversion édifiante., amenée par celte pièce. 232, 23"; Marche (Olivier de la), cité, 5, note. Marie-Antoinette (Dauphine). Srv goût pour le spectacle. — devenue reine, elle monte elle-;, même sur la scène. 61 Ma r ion (Le P.). Ses pièces jouées aii: collège de Belzunce, à Marseille.! 82 Ma montel, Zuma (1777 . 2!» — cité. • 59, 278: — Ctéopâtre (1750). Coup de sir-," flet terrible à la représentation de celte pièce. 1 *> 1 — Mémoires de), cités. 41, 252": Mars (Mademoiselle) fit eu partie pour les habits comiques ce que. Lekain avait fait pour les habitÇ tragiques. 46 J — (Cabale terrible contre made- moiselle . 158' Martainvii.le. Sa pièce des Assem- blées primaires donne lieu à des : rixes et à des cartels. 140 Martelly. Sa rivalité avec Mole 86 , Martin, sifflé, puis applaudi à la V première représentation de Gu- : Isian. 166 r — Emploi des). 351 T Maupin (Mademoiselle 1 . Son duel " contre trois hommes. 260 — Elle donne des coups de canne à Dumesnil. acteur de l'Opéra. 260 — Klle se retire du monde. 510 TABLE ANALYTIQUE. ô\)l Mai t.ice (Ch.), écrivain critique du Journal des Débuts. Sa dispute avec Talma. 270 — Mademoiselle Contât le frappe de son éventail. 271», noie. — 11 se prononce pour mademoi- selle Georges contre mademoi- selle Duchesnois. 271 — cité. 45, 157, 142, 145, 144, 159, 179, 189, 202, 204, 225,230, 271, 516. îazlrier, célèbre clown, était fort pieux. 319 Mémoires de différents acteurs. >oms des auteurs qui les ont rédigés. 385, 386 Jenagiana, cité. 150 .ilÉxÉTRiEP, (Le père), cité. 25 ïIengozzi, acteur des Variétés. Singu- lier cas de lapsus linguse commis par lui. 178 Heot (Jean), cité. 76 1ercey(M. de), cité. 207 jIeucier, le Déserteur. Abrogation de la peine de mort pour les dé- serteurs, à l'occasion de celte pièce. 252 j— Son Essai dramatique. 283, 2S4 Jercier. Tableau de Paris, cité. 66 Îehcure de France, cité. 13 ichot (Emploi des). 531 ïiLnÈs (L'acteur) avale de l'encre au lieu de Cbambertin. 190 Hillez (Le révérend James). Cabale contre son Café. 158 ise en scène des mystères, farces j et saillies. 1 à 17 des pièces régulières. 17 à 55 (La) progresse sous l'impulsion j de Richelieu, de Mazarin et de ' Louis XIV. 24 j — (Divers anacbronismes et con- I tre-sensde la). 28 j— (Rapides progrès de la) en Ila- I lie. 29 j— (Etat de la) en Angleterre. 50 [inox (L'acteur). Son évanouisse- ! ment sur la scène. 199 - oessard. L'Académie lui décerne un prix de vertu. . 520 olé. Son jeu émouvant. 256 — Sa hauteur envers les écri- vains. 279, 280 "olière joue Tartufe chez made- moiselle de Luxembourg, en 1668. 57 j— Il s'efforce de ramener la dé- clamation à plus de simplicité. 210, 211 — Sa toux continuelle. 205 — Sa mort. 194 Mondory. Sa mort. 192 Monin (J Edouard du), cité. 76 Monrose. Sa folie. 208,209 — (Louis Barruin, dit), fils du précédent. 575 Monselet (Ch.). Oubliés et dédai- gnés, cités. 510 Monsieur. Son théâtre. 65 Montansier (Mademoiselle). Ses ori- ginalités. 308, 307 Montchault (Pierre de), cité. 76 Montesson (Madame de). Son théâ- tre. 61 Monteynard (Le marquis de), mi- nistre (1772), interdit aux offi- ciers de jouer la comédie. 69 Mo.ntfleiry. Sa mort. 193 Hontreux (Nicolas de), Af imène, pas- torale rl596). 24,54 Monvel, acteur et auteur. 575 — Son absence au moment de commencer le spectacle (1777) donne lieu à un acte indécent. 159 — Son extérieur peu avantageux. 205 — Les Victimes cloîtrées. Scène étrange à la première représen- tation de cette pièce. 259 Moralités (Diverses). 12-16 — Personnifications et allégories. 16 Morand, Childéric (1756). 53 — Mégare. Incident à la représen- tation de cette pièce. 169 Morel (L'acteur) blessé en scène. 200, 201 Morice (Em.), cité. 2, noie; 7, 14, 50, 114 Morlière (Le chevalier de la). Son chantage. 134 — Chute de sa Créole. 154 — Mot plaisant lancé du parterre à la représentation de cette pièce. 166 Mots (Divers) plaisants lancés du parterre à l'adresse des auteurs et des acteurs. 165 Motte (1a\1cs Machabèes. .56 Mcuhy, cité. 150, 517 Moyens employés par certains ac- teurs pour se préparer et s ani- mer. 226 à 231 398 CURIOSITES THEATRALES. Moïens i«*.e qu'on entend par) au théâtre. 337, 538 Muette (La), opéra; son influence lors de la révolution belge. 233 Mlxler (Otto), Vie de Charlotte Ac- krrmann, citée. 184, 234 Mirât. Son théâtre à Keuilly. 72, 73 MunniY, Vie de Garrick, citée. 143, 146 Mystères ambulants. 2 — En usage depuis la fin du règne de Charles V jusqu'à François 1" inclusivement. 2 — (Les), spectacle essentiellement religieux. 12 Mystères (Divers). 6, 7, 10, 11, 12 15, 14, 192 Naïveté (Divers exemples de) de la part de certains spectateurs. 238 Neufciiateau (François de). Scènes violentes aux représentations de sa Paméla. 141 Nicolle (Monseigneur) représentant Jésus-Christ dans un mystère. 191 ÏSoue (La). Sa laideur. ' 203 Noverre, le ballet des Horaces. 28 — cité. 86 Odéon (Evacuation de la salle de 1') en 1852. 143 — Les premiers essais de l'éclai- rage à l'huile, en 1784, et de l'é- clairage au gaz en 1822, ont été laits dans celte salle. 105, note. — Bancs au parterre en 1782. 48 Officiers jouant la comédie dans les garnisons. 69 Olivier de la Marche, cité. 5, noie. Originaux (Les) des coulisses. 297 à 316 Origines du théâtre moderne. 1 à 17 Orléans (Duc d'). Son théâtre. 60,61 Palisso. Son épître satirique contre les actrices. 284 Paniers (Les) sont adoptés par An- dromaque et Mérope, aussi bien que par Araminte et Célimène. 59 Parfaict, cité. 5, 5, 7, 12, 99, 116, 155 Parterre de Bordeaux. Scùiies tu- multueuses. 91, 92, 93 — de Marseille. Scènes sanglantes. 95, 94 — de Montpellier. On le fait éva- cuer. !>5 — en 1655. Sa mauvaise compo-i- tion. 156 Pasquier, cité. 74 Paulin portait des manchettes en [ jouant les rôles de paysans. 59 j Pélagie (Sainte), patronne des co-«; médiens. 517. Pensions accordées à diverses trou--, pes de comédiens. 150 ! r — de retraite de la Comédie-Fran- çaise. Leur origine. 150 Perlet (Emploi desï. 552 Pf.rrin (L'abbé), Orphée et Eurydice (1647). ' 25 Philippe (Emploi des). 551 Piiilis (Emploi des). 352 Pidansat de Mairobert, cité. 155, note. Piron. 11 attribue Ja chute de son Callislhène à un accident comique survenu à la première représenta-, tion. 18, Pittence (F. A. Lesage, dit). 577 Planche (M.). Ses élèves jouant des ï tragédies en grec. 85 Plancher -Valcour, fondateur des i Délassements-Comiques. 87 — Ses excentricités. 509, 510 Plapisson à la première représenta- tion de l'Ecole des Femmes. 52 I' Plessy (Mademoiselle). Ses débuts rue de Lancry. 73 Pline l'Ancien, cité. 20 Poisson (Raymond). Son bretouille- ment. * 20o | — (François-Arnould) parut sou-i; vent ivre sur la scène. 228 Folls, d'Athènes. Moyen qu'il em- ployait pour rendre la douleur plus pathétique. 226 Pompadocr (Madame de), dans le De- vin de village. 61 Ponsard, la Bourse. Conversion ame- née par cette pièce. 253 Popelinière (M. de la). Son théâtre à Passy. 60 Torcher, célèbre chef de claque. 149 Porphyre (Saint), un des patrons des comédiens. 317 Porte-Saint-Martix. Désordres à la représentation d'Othello par dûs acteurs anglais. 144 TABLE ANALYTIQUE. 39U Portiers îles théâtres. Scènes vio- lentes auxquelles ils étaient sou- vent exposé?. 155 Potier (Charles^. Ses souffrances sur la scène. 204, noie. — Fmploi des). 352 I'oweil, acteur anglais. Incident co- mique à une représentation de la Belle Pénitente. U'6 Prado;, Slalira, Iragéiiie. Scène cu- rieuse à la représentation de (ette pièce. 137 — Gcrmanicus. Mot d'un plaisant à la représentation de cette pièce. 164 lY.éviLLE, ses Mémoires, cités. 171, 187, 200 — Son commerce peu aimable avec les auteurs. 281 — est atteint d'aliénation mentale sur la scène. 208 — Naturel de son jeu. 237 Prévôt. Son inGrmité. 84, 207 Provence (Comle et comtesse de). Leur goût pour le spectacle. 61 Princesse palatine i Anecdote racon- j lée par la) (1719). 176, 177 '.'rix des places aux théâtres. 117 — payés aux auteurs dramatiques. 110-128 — payés aux acteurs. 129-152 Q Querelles et rivalités d'acteurs, 25') à 274 Querelle entre Dauvilliers et made- moiselle Dupin. 251 — entre Garrick et Macklin. 260 — entre Macklin et liallam. 260 — entre Quin et Macklin. 260 — entre mademoiselle Raucourt et ses confrères. 206 — en ire Larive et Ponteuil. 266 — entre madame Vestris et made- moiselle Saiuval aînée. 261, 262 — entre madame Vestris et made- moiselle Sainval cadette. 266 — entre Mole, Larive et Velaines. 267 — entre Monvcl et le comité. 268 — en ire Talma et la Comédie- Française. 268, 269 ( — entre mesdemoiselles Raucourt et lmcliesnois. 272 — (Grande) entre Dubelloy et les comédien?. 278 — [Grande) entre Mercier et les comédiens. 285, 284,285, 286, 287 — (Grande) entre Beaumarchais et les comédiens. 125, 288,289, 290, 291 — entre Marmontel et l'Opéra. 295 — entre Piis et Barré et les corné' diens italiens. 294 — entre Olympe de Gouges et les comédiens. 294, 2!).'i — entre la Harpe et la Comédie. 205, 296 Question financière au Uiéàtre. Prix des places. Fayement des auteurs < t des acteurs." 112 à 152 Qleles-rolges (Emploi des). 552 Qoinacxt, les Rivales. Celle pièce donne naissance à la part d'auteur dans les représentations. 122,276 Quinault-Difresne. Ses efforts pour ramener la déclamation à la vé- rité. 215 — Sa réponse au public. 11 est forcé de s'excuser. 241 R Rabelais, cité. 6, 8 Racine. Ses tragédies jouées en grands costumes de cour. 55 — 11 essaye plusieurs fois, mais en vain, de s'opposer à ces ana- chronismes. 56 — Son manuscrit d'Andromaque vendu deux cents livres. 122 — Ses rapports avec la Champ- meslé. 276 — Son apostrophe à Baron. 277 Piagueneau (François), pâtissier co- médien. '297, 298, 299 — Etait aussi auteur. 578 Ramponneau, cabaretier. Ses aspira- tions vers le théâtre. 299, 500, SOI Rappinière (La), cité. 58 Raucourt (Mademoiselle Françoise- Marie Saucerotte), actrice et au- teur. 378, 579 — (Apostrophes truelles du par- terre à), à la représentation de Phèdre. 167, 168 Regnard et Dufresnv, les Chinois, cités. 116 Begniek (M.), le Monde dramatique, cité. 50, 119 Relations (Bcs) entre les auteurs iOO CURIOSITES THEATRALES. dramatiques et les comédiens. 274 à 297 Remonstrances très-humbles au roy de France et de Pologne, Henri 111 du nom, citées. 133 Répétition (La) interrompue, opéra- comique. Naïveté d'un officier gé- néral assistant à celte représen- tation. 238 Représentations dramatiques dan*; les collèges. 74 — à Saint-Qyr sous la direction de madame de Maintenon. 80 — données aux entrées des rois à Taris. 1, 2 — des pièces de théâtre (Jours et heures fixés pour les). 109 — (Premières). 108 — gratuites. 116. Indemnité en compensation accordée par un décret en 1794. 132 — à bénéfice. Leur origine en France. 131 Révai.ard. Ses saillies et ses excen- tricités. 510, 311 Révolte des acteurs de Drury-Lane contre leur directeur. 275 — du Théâtre-Français, à propos du comédien Dubois. 275 Revue rétrospective, citée. 103, 246, 295 Riccoboni, le Prince de Salerne. 26 — (Madame). Sa piété. 518 Richelieu. Sa cabale contre le Cid. 150 Riedx (Alex, de), la Toison d'or. 25 Rigoley de Juvigny, cité.100,101,288 Rivalité de Pylade et de Batbyllc. à Rome. 250 — de la troupe du Palais-Royal et de celle de l'hôtel de Bourgogne. 251 — de mademoiselle Clairon et de mademoiselle Gaussin. 252 — de mademoiselle Clairon et de mademoiselle Dumesnil. 252-254 — de mademoiselle Clairon et de Préville. 254 — de mademoiselle Clairon et de. mademoiselle Dubois. 254 — de mademoiselle Dubois et de mademoiselle Durand. 255 — de Mo'.é et de Préville. 255,256 — de Monvel et de Mole. 256. 267 — de Dngazon et de Daziucourt. 257 — des demoiselles Sainval et de mademoiselle Raucourt. 265 — de madame Veslris et de ma- demoiselle Raucourt. 265 — de mesdemoiselles Rosalie et Beaumesnil. 267 — de Lafon et de Talma. 270 — de Larive et de Lafon. 270 — de mesdemoiselles Georges et Duchesnois. 271,272 — de mesdemoiselles Rachel et Maxime. 272 Rivalités (Les) d'actrices, motif de désordres dans la salle. 140 1 Rochon de Chabannes, Hylas et Syl- vie. Il renonce à ses droits d'au- teur pour cette pièce. 127 Rococo (Ce qu'on entend par) au théâtre. 540 Rojas, cité. 212, 275, 518 Rôles périlleux dans les mystères. 8 Roman comique, cité. 57, 78, 88, 155, 176, 518 — (Suite du), citée. 520 Rosalie (Mademoiselle). Sa méchan- ceté envers l'acteur Clairval. 19a Rosamreau. Ses originalités. 511, ? 512, 513. 514 Roscius tue un esclave sur le théâ- tre à Rome. 201 — Sa laideur. 204 Rosières (Emploi des). 332 Rotrou. Ses pièces étaient repré- sentées sous le costume contem- porain. 34 — Vencesltts. 34 — Venceslas vendu vingt pistoles. 128 Rousseau (J.), cité. 46,190 Rousselet. Ses trois lettres à l'abbé Raynal. 505, 504, 505, 506* Sage (Le), le Diable boi'eux. cité. 82 — Gil Blas, ci ié. 215, 284, 285 Saint-Aubin (Emploi des). 552 Saint-Foix. Son caractère difficile avec les acteurs. 282 Saist-Huberti (Mademoiselle!. Fait de sérieuses tentatives pour in- troduire les costumes exacts à l'Opéra. 45 Sainval (Mademoiselle) jeune. Son i début à Paris en 1772. 851 — (Mademoiselle 1 aînée. 85 — (Laideur des deux demoisellesl. 203 TABLE ANALYTIQUE. 401 Samson ( Le frère ) Bédouin fait jouer ses pièces par des écoliers du Mans. 70 Sarrazin, un des acteurs les moins soigneux du costume. 38, 39 Saulniki! (Mademoiselle), aimée par un machiniste jaloux. 184 Saurin. Effet produit par le cin- quième acte de son Beverley. 234 Salton, célèbre chef de claque. 149 Scènes de désordre aux théâtres de Londres et de Drury-Lane 1703. 144, 145 Scribe et Dupin (MM.). Cabale mon- tée" contre leur pièce le Combat des montagnes. 156 Sci'Déry, cité. 3G, 89 Sedaine, le Déserteur. 137 Segraisiana. cité. 120 Séminaires (Les) jouent la comédie dans leurs maisons de campagne pendant les vacances. 85 — l'o nos jours ce genre de di- vertissement a encore lieu. 83 Servandoni, célèbre décorateur. 27 — Sa décoration pour l'opéra de l' Empire de l'Air. 27 Servius, cité. 18 Seyler et sa troupe (Cabale orga- nisée contre). 158 Shakspeare (William), acteur et au- teur. 381,582 — réduit à recourir aux écriteaux pour suppléer à l'insuffisance des décorations. 50, 31 — Il combat la déclamation hurlée en faveur en Angleterre. 211 Sifflet Son origine. 160 — On l'interdit dès 1690, à propos de l'opéra d'Orphée, par du Bôu- lay, musique de Lully fils. 161 — 11 est permis, défendu, repermis et redéfendu plusieurs fois. 161 — Il n'épargna pas toujours les acteurs les plus aimés et les plus illustres. 162 Sionah-Lév y. (Mademoiselle^, de i'0- déon, prend le voile. 519 Soleinnes (Catalogue), cité. 74, 84, 269 . Sor.iÉ (Emploi des\ 552 ►•orel (Ch.), cité. 13, 57, 78, 239 Soties. 16 Spectateur (Le) anglais, cité. 58, 173 Stratagèmes (Divers) et roueries des comédiens ambulants. 89 Sibterfl'GEs de divers auteurs pour déconcerter la cabale. 155 Scétonh, cité. 120, 118, 20-2 Tacite, cité. 251 Tacon.net. Pari qu'il fit un jour. 228 Tallemant des Réaux (Historiette racontée par). 182 Talma poursuit d'une manière sé- rieuse la réforme du costume commencée par Lekain. 45, 44 — 'Dans Brut us de Voltaire. \ i — 11 introduit 1.» mode de se coif- fer à la Titus. i i — Héjle.vions sur Lekain cl l'art théâtral, citées, à propos du sys- tème de déclamation alors en usage. 214, 215, 216, 217 — ^-es efforts constants pour ar- river au naturel et à la simpli- cité. 218 — Moyens qu'il employait pour se monter. 230 Talon. Trait de présence d'esprit, dans une scène de la Mâtinée du comédien. 250, 251 Tascherëau, cité. 99 Taxe sur les spectacles en faveur des bôpitaux. Son origine. *117 — en faveur des couvents ou com- munautés de religieuses. 117 Térodac, de l'Opéra-Comique, imite la déclamation dés comédiens français. 215 Théâtres de société. 56 à 74 — (Divers). 58, 60, 61 — Divers acteurs amateurs cités 68 — Sous le Directoire. 71,72 — Sous la Restauration. 75 — de l'hôtel cie Bourgogne, du Marais, du Palais-Boyal. Leur or- ganisation. 101 Tuéatre (Le) cnglais, grand ama- teur du tapage. 51 — construit par le cardinal Hiche- liei> pour la représentation de sa tragédie de Mirame, en 1641. 22 Théâtre -Français. Divers règle- ments. 110 — (Rapports des comédiens du) avec la cour. 111 — (Le) en province et à l'étran- ger. 84 à 97 402 CURIOSITÉS THÉÂTRALES. Théâtre-Italien. Scène inouïe qui y a lieu en 1787. 159 Tiiénard (Mademoiselle). Mandée au Théâtre-Français par lettre de ca- chet. 87 Tiercei.in. Ses hizarreries. 514 — (Emploi des). 552 Torelli, machiniste et décorateur célèbre. 25, 26 Tragédie des Quatre Fils Aymon. 14 Traits de hardiesse et de sang-froid dos acteurs. 240 à 250 Trial. Sa piété. 518 — (Emploi des). 552 Tristan l'Hermite fait établir le droit d'auteur. 276 Troupes (Diverses) françaises à l'é- tranger. 95, 96 u Urfé (D'), YÊpilhalame pudique. 54 Vacher (Le), de Chamois cité. 45 Valèrk Maxime, cité. 240 Vai more. Sa chute terrible du haut des nuages dans Amphitryon. 202 Vanbmjggen (Mistress dans Hamle:. 207 Vanbove. cité à propos delà réforme du costume théâtral., 44, 45 — (Madame). Sa hardiesse. 245,246 Vaublanc (M. de), ses Mémoires. I u- rieux passa'ge sur les principaux comédiens de son temps. 219-222 Verrières .Les demoiselles). Leur théâtre à Auteuil. 58,59 Vertedil (Madame). Son engagement à Paris. 87 Vbstris (Madame). Son jeu énergi- que et émouvant. 255 — Sa querelle avec mademoiselle Sainval aînée. 261, 262 Vioali (La signora). Sa jalousie fu- rieuse. 267 Vidocq. Ses représentations à Lon - dres. 515, 516 Vigarani, célèbre décorateur et ma- chiniste. - 26 YiGNEUL-MàRVILLE, ci'é. 158 Vili.ehaim (M.). Son rôle d'Ulvsse dans Philoctète. ' 85 Violet le Doc, cité. 52Q. Visé, le Gentilhomme Guespin (1670). 52 Vitruve, cité. 18 Voisenox. cité. 40 Volange. Son talent pour donner des titres extraordinaires aux pièces de théâtre. 90 Voltaire. 11 a plusieurs fois appelé les efforts de la mise en scène au secours de sa muse tragique, no- tamment dans t-émiramis. 27 — L'Orphelin de la Chine, une des premières pièces où l'on ait ap- pliqué la réforme du costume. 42 — Ce fut lui qui forma l.ekain. 65 — La Mort de César, représentée aux collèges d liai court et de Ma- zarin. 82 — 11 est accusé d'avoir organisé des cabales < n faveur de ses pro- pres pièces. 152 — Ses relations avec les comé- diens. 277 — 11 use de subterfuge pour dé- concerter les intrigues hostiles à ses pièces. 155 Vozon ^Benoit), cité. 76 FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE. TABLE DES CHAPITRES Préface i , Ciiap. I. Des origines du théâtre moderne. — Mise en scène des mystères, moralités, farces et soties. . . , . 1 II. De la mise en scène des pièces régulières 17 11J. Du costume au théâtre 55 IV. Disposition matérielle des salles de spectacle aux dix-sep- tième et dix-huitième siècles- — Les banquettes sur la scène 47 V. Théâtres de société îi6 VI. Des représentations dramatiques dans les collèges. ... 74 VII. Le Théâtre-Français en province et à l'étranger SI VI1L Législation théâtrale. — Usages et traditions 97 IX. La question financière au théâtre. — Prix des places. Payement des auteurs et des acteurs 112 X. Accidents et troubles dans la salle 435 XI. Les cabales au théâtre. — La claque et les sifflets. . . . 148 XII. Les gaietés du parterre. . ". . 164 XIII. Accidents comiques, maladresses, bévues sur la scène. Chutes de pièces amenées par de petites causes 175 XIV. Accidents tragiques et malheurs arrivés sur la scène. . . 191 XV. Acteurs infirmes ou difformes •. 202 XVI. Histoire de la déclamation au théâtre 209 XVII. Moyens employés par certains acteurs pour se préparer et s'animer 226 XVIII. Effets produits par les pièces et les acteurs. — Représen- tations prises au sérieux .......... 231 I 104 TABLE DES CHAPITRES. XIX. Traits de hardiesse ou de sang-froid des acteurs. .... 2HI j XX. Querelles et rivalités d'acteurs 1 f M) XXI. Des relations entre les auteurs dramatiques et les comé- diens 274 XXII. Les originaux des coulisses 2!)7 XXIII. Les comédiens canonisés. — De la vertu et do la piélé au théâtre 516 XXIV. Argot des comédiens. — Technologie théâtrale 320 j XXV. Acteurs-auteurs 547» TAiii i th> i ii m irr.Fs , . V > W * ' * ^ 4 \ V & ^> & <* o ». ^ ^ ^ ^ N